Avant-première. Le fondateur du journal Fakir présente son film « Merci patron » au cinéma Diagonal à Montpellier.
La grande salle de 400 places du cinéma Diagonal était archi pleine lundi pour accueillir François Ruffin venu présenter en avant première son dernier film Merci Patron. La majorité de jeunes composant le public, et l’accueil franc et enthousiaste durant et après la projection du film sont de nature à faire remonter le moral des chaussettes au cerveau pour mieux se retrousser les manches.
Le film part d’un bon sentiment. Il met en scène une action sociale pour réinsérer le grand manitou de LVMH Bernard Arnault. L’homme qui, avec l’accord du gouvernement Fabius, promettait en 1983 de redresser le groupe Boussac et de sauver des emplois. Il est vrai qu’il a construit sa fortune sur l’exploitation de la vallée picarde en se débarrassant de la partie industrielle de l’empire Boussac laissant 23 000 salariés sur le carreau après avoir empoché une subvention d’un milliard de francs du gouvernement socialiste. Mais la réussite n’est pas toujours facile à vivre. Pour des raisons fiscales, en 2012 Bernard Arnault demande la nationalité belge et subit une violente charge médiatique. C’est à ce moment que le fondateur du journal Fakir décide de rétablir la justice et de réconcilier la France d’en bas et d’en haut.
Fakir, un cailloux dans la chaussure.
La mémoire des travailleurs
François Ruffin, retourne alors dans la région sinistrée avec son camion I love Bernard. Sur place, il rencontre Jocelyne et Serge Klur, un couple licencié du groupe LVMH criblé de dettes qui risque de perdre leur maison. L’occasion rêvée pour toucher le coeur de la 4e fortune mondiale à l’occasion de l’assemblée des actionnaires de son groupe. Faire un petit geste ne pouvait mieux tomber pour Bernard qui venait de se faire épingler en train de fuir à Bruxelles comme Louis XVI l’avait fait en rejoignant Varenne. Mais parfois les choses simples empruntent un parcours un peu complexe et s’avèrent très drôles…
Désacralisation du pouvoir pris à son propre jeu, rénovation de l’action syndicale dépolitisée et ramenée à sa fonction originelle, rétablissement d’un rapport de force entre le capital et le travail que la gauche a abandonné, ce film fait du bien et redonne du sens à l’action. L’auteur des Petits soldats du journalisme mais aussi de La guerre des classes combat le mécanisme structurel de la domination de classe avec conviction en partant de réalités concrètes. Une lucidité qui ne l’empêche pas d’être drôle et efficace. Lorsqu’il se livre à une analyse politique de son film, Ruffin se définit lui-même comme un petit bourgeois, et en tant que tel, un maillon intermédiaire devant rallier la classe populaire pour contraindre les classes les plus hautes au changement. « Le véritable enjeu c’est de restaurer un rapport de force », explique-t-il à la salle restée pleine pour le débat.
Plusieurs milliers de manifestants, accompagnés de centaines de tracteurs et de cyclistes, ont commencé à bloquer, samedi 9 janvier en milieu de journée, le périphérique de Nantes, à l’appel des organisations hostiles au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Ils entendent protester contre d’éventuels arrêtés d’expulsion, qui pourraient être prononcés par le tribunal de grande instance de Nantes, le 13 janvier. Ils concerneraient les opposants historiques, onze maisons et quatre fermes, représentant plus de 400 hectares de terres agricoles sur les quelque 1 220 ha que couvre le projet d’aéroport.
La manifestation réuni 20 000 personnes sur le périphérique de Nantes, et des centaines de tracteurs, selon les organisateurs, la police avançant le chiffre de 7 200 manifestants. « La mobilisation paysanne est au rendez-vous au-delà des espérances », a commenté Julien Durand, porte-parole de l’Acipa, la principale association d’opposants au projet d’aéroport nantais.
Les opposants manifestent aussi à Paris, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Strasbourg, Albi, Rennes, Lille, Chambéry… ou encore au cap Sizun. Plus d’une trentaine de rassemblements sont annoncés, preuve du symbole national que représente la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, un combat historique pour un dossier ancien d’une cinquantaine d’années. C’est en effet au milieu des années 1960 que les autorités choisissent cette zone, située à une quinzaine de kilomètres au nord de Nantes, entre les villages de Notre-Dame-des-Landes et de Vigneux-de-Bretagne, pour construire un nouvel aéroport, destiné à accueillir le Concorde, emblème national de la politique aéronautique en ce temps-là. Mais ce projet est devenu symbole de discorde et d’une méthode de lutte contre des projets jugés « inutiles ».
A l’été 2009, lors du premier « camp action climat » se tenant en France, l’occupation de la zone d’aménagement différé, devenue zone à défendre, commence. La ZAD est née, devenant un modèle repris dans de nombreuses autres luttes environnementales, à Sivens (Tarn), contre un projet de barrage, ou à Roybon (Isère), contre un Center Parcs. Le bocage nantais, pittoresque patchwork de prés et de bois, de taillis et de petits chemins, est aujourd’hui parsemé de dizaines de cabanes, de caravanes, de fermes et de maisons réoccupées par des militants écologistes, « antisystème », des agriculteurs.
Les « pour » et les « contre »
Dans l’attente d’une éventuelle confrontation, les deux camps fourbissent leurs arguments. Les pro-aéroport sont très largement majoritaires chez les élus de la région Pays de la Loire, à la mairie de Nantes ou au conseil départemental. L’ancien président socialiste de région Jacques Auxiette, comme le nouveau, Bruno Retailleau (Les Républicains), partagent la même position. L’ex-premier ministre (2012-2014), et ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, a aussi toujours défendu la nécessité d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, ce qui a valu à cette infrastructure d’être rebaptisée l’« Ayraultport » par ses opposants. Droite et Parti socialiste se retrouvent sur ce dossier, tout comme le Parti communiste ou encore les élus locaux de l’Union démocratique bretonne (UDB) — qui refusent la centralisation du trafic aérien par les plates-formes parisiennes. Favorable au projet, l’association Des ailes pour l’Ouest regroupe un certain nombre de chefs d’entreprise, avançant « 154 décisions de justice favorables au projet, le soutien de 3 Présidents de la République, 6 premiers ministres, 2 régions, 4 agglomérations ».
Le camp adverse n’est pas composé des seuls « zadistes », décrits par M. Retailleau comme une « minorité bornée, bruyante et ultraviolente », dans un entretien au Point, le 8 janvier. Les écologistes, une partie du Front de gauche, l’extrême gauche, des associations de défense de l’environnement, mais aussi des syndicats comme la CGT régionale, la FSU (les enseignants) ou Solidaires sont résolument opposés au projet. Du côté des agriculteurs, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) refuse l’artificialisation de terres agricoles qu’entraînerait le futur aéroport, mais rejette toute manifestation aux côtés des zadistes, alors que la Confédération paysanne milite activement au côté des opposants.Des groupes chrétiens du diocèse de Nantes, dans l’esprit de l’encyclique du pape François Laudato si’« sur la sauvegarde de la maison commune », en mai 2015, ont exprimé au début de janvier leur souhait que soient « réexaminés l’ensemble du projet et ses alternatives, avec une procédure transparente et démocratique », et que soit arrêtée « toute procédure d’expulsion des habitants de la zone concernée ».
Le Front national a aussi fait état de son hostilité au transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes. Le parti d’extrême droite réclame dans le même temps l’évacuation de la ZAD. Une pétition de riverains, qui serait signée par plus d’un millier de personnes, sans prendre position sur le projet lui-même, réclame aussi le départ des zadistes.
Au niveau gouvernemental, enfin, Manuel Valls a exprimé son souhait de voir l’aéroport se construire et le premier ministre entend évacuer la ZAD et restaurer l’autorité de l’Etat. Seule la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a exprimé des doutes sur la pertinence d’ouvrir ce chantier, et préfère en appeler à de nouvelles expertises indépendantes afin d’envisager de possibles autres solutions. Ce point avait fait l’objet d’un accord pour le deuxième tour des élections régionales entre le PS et les écologistes, malgré leur opposition sur le fond du dossier.
Démocratie et transparence
Parmi les nombreux arguments avancés d’un côté comme de l’autre, la question de la démocratie est souvent évoquée. Pour les pro-aéroport, cela signifie le respect des décisions prises, notamment le décret d’utilité publique de février 2008, et les conclusions des diverses enquêtes d’utilité publique. L’unanimité n’était pourtant pas de mise. Ainsi que le rappelle la Commission nationale du débat public, « la Communauté de communes d’Erdre et Gesvres, rassemblant les communes les plus directement intéressées par le projet, s’est prononcée à une assez nette majorité en faveur de la création d’un nouvel aéroport dans l’Ouest, mais a formulé un avis négatif à l’issue d’un vote assez serré quant à son implantation sur le site de Notre-Dame-des-Landes ».
Aujourd’hui, les opposants, regroupés entre autres dans l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa), dénoncent le manque de transparence et l’absence de démocratie. Dans une lettre publique du 21 décembre 2015, ils accusent les autorités de « rétention d’informations capitales », notamment sur le cahier des charges initial de l’appel d’offres, sur des données comme « le gain de temps pour les passagers », qui aurait justifié la nécessité du transfert de l’actuel aéroport, le coût de sa rénovation « majoré de façon abusive » ou encore sur l’étude des zones de bruit. Selon l’Acipa, auteure du courrier, alors que l’intérêt général vers Notre-Dame-des-Landes serait justifié par « les nuisances sonores et la santé publique », l’Etat « a renoncé au transfert de l’aéroport de Toulouse alors que les logements inclus dans le Plan de gêne sonore y sont au nombre de 20 453 contre 1 751 à Nantes ».
S’appuyant sur leurs propres expertises, en opposition à celles présentées par l’Etat, la région ou la direction générale de l’aviation civile, ils dénoncent « un projet inutile, coûteux et destructeur » et demandent l’ouverture d’un débat sur la possible « optimisation » de l’actuel aéroport. Les « pro » évoquent l’augmentation du trafic aérien, la saturation prochaine de Nantes-Atlantique et défendent le transfert pour des raisons environnementales. Vinci Airport, concessionnaire du futur aéroport du Grand Ouest, annonce des bâtiments basse consommation et une plate-forme certifiée « haute qualité environnementale ». Le transfert permettrait d’éviter le survol de l’agglomération nantaise et l’existence de deux pistes, au lieu d’une actuellement, réduirait les nuisances sonores et améliorerait la sécurité. Un collectif de deux cents pilotes, s’opposant au transfert, conteste cette analyse.
Sur la biodiversité et les espèces protégées, sur la préservation des zones humides, la possibilité de compenser leur destruction et la méthode de calcul pour y parvenir, les contestations sont aussi nombreuses. Le futur plan de transport régional, avec la construction de lignes à grande vitesse vers l’ouest, l’existence de nombreux aéroports dans la région (Saint-Nazaire, Rennes…), comme le coût global de l’opération constituent aussi des points d’affrontement. Autant de raisons, selon les opposants, de rouvrir le dossier.
Ultime argument, si les contestations ont toutes été rejetées par la justice, les dernières en juillet 2015, certaines procédures (en appel notamment) sont encore en cours. Julien Durand, porte-parole de l’Acipa, n’a de cesse de rappeler l’engagement du chef de l’Etat à ce qu’aucune intervention des forces de l’ordre n’ait lieu avant l’épuisement de tous les recours juridiques. Une promesse qui devrait éviter, selon lui, de prochains affrontements autour du paisible bourg de Notre-Dame-des-Landes.
« La génération de la crise ne sera pas celle de la guerre ! » : dans un manifeste lancé mardi 1er décembre, douze organisations de jeunes appellent à une autre réponse aux attentats du 13 novembre. Refusant un « état d’urgence permanent » et la rhétorique guerrière, ils entendent « renforcer la démocratie » pour lutter contre le fanatisme et la violence.
« L’Etat de droit n’est pas désarmé face au terrorisme. Il est indispensable de revoir les moyens humains et les missions des services de renseignement, de police et de justice. Mais ces mesures ne nécessitent en aucune façon de remettre en cause les libertés individuelles et collectives. Elles doivent s’accompagner, au contraire, de plus de libertés, de démocratie et de solidarité. Pour lutter contre le terrorisme, la responsabilité de notre génération est de construire la paix et la justice en France et partout dans le monde », font valoir les signataires.
Inquiets des risques de dérapage
Bien que d’horizons divers, ceux-ci sont tous marqués à gauche : le syndicat étudiant UNEF, l’organisation lycéenne UNL, les Jeunes CGT, des associations comme la Maison des potes, la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), le Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), le DIDF-jeunes (travailleurs jeunes issus de l’immigration turque et kurde), tout comme les jeunes radicaux de gauche (JRG), les jeunes écologistes, communistes (JC), le Parti de gauche ou le mouvement Ensemble.
Réunis mardi dans un café parisien, les représentants de ces mouvements s’inquiètent de la révision programmée de la Constitution, des risques de dérapages liés à la surcharge d’activité policière alors que les moyens manquent, et de l’usage non contrôlé des procédures dérogatoires que permet l’état d’urgence. Et de citer la mise en garde à vue, dimanche, de manifestants pacifiques ayant participé à la chaîne humaine place de la République pour le climat, alors qu’ils « ne feraient pas de mal à une mouche ».
« Peur de la paranoïa ambiante »
« Nous réfutons l’alternative fermée : soit une société sécuritaire et du repli sur soi, soit le terrorisme », martèle le président de l’UNEF, William Martinet, qui a dénoncé dans une récente tribune la logique de la « guerre contre le terrorisme ». « Beaucoup de jeunes sont morts dans ces attentats, mais les politiques n’écoutent pas la jeunesse. Nous proposons un pacte de cohésion sociale, fondé sur nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité », poursuit le président du premier syndicat étudiant : ne pas seulement investir dans la sécurité, mais aussi dans les services publics éducatifs, et dans la politique de l’emploi ; lutter contre les discriminations, notamment par l’instauration du « récépissé de contrôle d’identité », évitant la répétition stigmatisante de ces demandes policières.
« Les jeunes n’ont pas peur du prochain attentat, mais de la paranoïa ambiante, des jugements dans la société. Il faut mener le débat avec eux pour comprendre et agir, et trouver des réponses ensemble », soutient Samya Mokhtar, présidente de l’UNL.
Leur texte met aussi en garde contre une politique étrangère qui reproduirait « les interventions militaires américaines désastreuses de l’après-11-Septembre ». « Nous défendons la diplomatie et non pas les bombardements aléatoires : une action de la communauté internationale et une coalition avec tous ceux qui peuvent agir en faveur d’une solution politique et de reconstruction avec les peuples concernés », précise Nordine Idir, secrétaire général des Jeunesses communistes.
Descente de police et de gendarmerie au Pré-Saint-Gervais (93), le 27 novembre 2015, dans un squat où était soupçonnée la présence de personnes pouvant « perturber l’ordre public » pendant la COP21 – AFP Photo Laurent Emmanuel
Depuis les attaques de Paris, la France est en état d’urgence. Plusieurs médias se sont fait l’écho de bavures liées à ce régime particulier, dont beaucoup craignent qu’il ne soit attentatoire aux libertés. Nous vous proposons ici un petit guide pratique de l’état d’urgence pour savoir quoi faire en cas de problème.
L’essentiel de ce qui suit a été développé par l’avocat pénaliste Emmanuel Daoud, du cabinet Vigo, dont vous pouvez retrouver les analyses sur le blog qu’il tient sur Rue89 « Oh my code ! ». Nous y avons ajouté quelques exemples tirés de l’actualité récente.
En quoi puis-je être concerné(e) par l’état d’urgence ?
Tous les citoyens français comme les étrangers peuvent être concernés et sur tout le territoire français (y compris, depuis le 18 novembre, les départements et collectivités d’outre-mer). La loi du 20 novembre 2015 a prolongé l’état d’urgence pendant trois mois jusqu’au 26 février. On parle beaucoup des perquisitions administratives et des assignations à résidence, mais ce ne sont pas les seules dispositions de l’état d’urgence.
Puisque manifestement, l’état d’urgence ne concerne pas seulement les personnes soupçonnées de terrorisme, quelques choses à savoir sur les perquisitions administratives, les assignations à résidence et autres mesures qui font désormais partie de notre quotidien.
Le gouvernement a décidé – semble-t-il – de ne pas cantonner l’état d’urgence à la lutte contre le terrorisme puisque des militants écologistes ont été assignés à résidence et des perquisitions opérées dans la perspective de la COP21.
Comment se déroule une perquisition administrative ?
Le ministre de l’Intérieur et les préfets peuvent ordonner des perquisitions à domicile « de jour et de nuit ». Pour les forces de l’ordre, l’intérêt de cette procédure administrative est qu’elle permet de se passer de juges : la police et la gendarmerie peuvent ainsi intervenir sans mandat de l’autorité judiciaire (le procureur de la République compétent doit être simplement informé mais ne doit pas délivrer d’autorisation a priori).
Celà dit, elles ne peuvent pas cibler les lieux où travaillent parlementaires, avocats, magistrats ou journalistes. Leur domicile, en revanche, n’est pas exclu du dispositif.
Les forces de l’ordre accompagnées d’équipes techniques peuvent visiter notre domicile à la recherche de tous éléments susceptibles d’intéresser les autorités judiciaires aux fins de constatation d’une infraction. Avec la nouvelle loi sur l’état d’urgence, elles peuvent désormais saisir, en plus, tout équipement informatique – mais pas obliger à donner son mot de passe.
C’est l’officier de police judiciaire obligatoirement présent qui dresse le procès verbal d’infractions éventuelles et le transmet sans délai au procureur de la république compétent pour engager le cas échéant des poursuites pénales.
Quels sont mes droits ?
A l’issue de la perquisition, un procès-verbal doit être dressé et signé par l’occupant des lieux et s’il est absent par deux témoins requis à cet effet. Vous pouvez réclamer aux forces de l’ordre la décision du préfet autorisant la perquisition aux termes de laquelle sont énoncées les raisons de la perquisition, mais il y a de bonnes chances que vous tombiez sur la phrase type :
« Il existe des raisons sérieuses de penser que se trouvent des personnes, armes ou objets liés à des activités à caractère terroriste. »
Puis-je me faire indemniser en cas de dégâts ?
En cas de dégradations, l’occupant ou propriétaire des lieux peut demander la condamnation de l’Etat à la réparation de son préjudice devant le tribunal administratif selon la procédure de droit commun ; il devra attendre deux à trois ans pour obtenir un jugement.
Si l’exécution de la mesure a eu des conséquences manifestement disproportionnées et si celle-ci est manifestement abusive, des dommages-intérêts seront alloués.
Comment se déroule une assignation à résidence ?
Sans procès, sans examen préalable du juge, le ministre de l’Intérieur peut interdire à un individu de quitter son domicile ou bien le forcer à demeurer en un autre lieu au motif qu’il serait dangereux pour l’ordre public.
Cette mesure est accompagnée le plus souvent d’un pointage au commissariat ou à la gendarmerie la plus proche plusieurs fois par jour, tous les jours.
Par exemple, le 17 novembre le ministère de l’Intérieur a notifié à M. A son assignation à résidence. Il lui faut pointer quatre fois par jour au commissariat (8 h 30, 12 h 30, 16 h 30 et 19 h 30) et il ne peut quitter son domicile entre 21 h 30 et 7 h 30. L’administration fait état d’une note des services de renseignement selon laquelle M. A a suivi a été « impliqué dans une filière d’acheminement en Syrie de membres d’une cellule d’Al Qaeda ».
Il va sans dire que ce type de mesure n’est pas sans conséquences au regard de l’activité professionnelle de la personne concernée.
Quels sont mes droits ?
Si vous êtes assigné à résidence, vous pouvez réclamer la décision imposant cette mesure pour connaître les motifs avancés par le ministre de l’Intérieur.
Quels sont les recours possibles ?
Toute personne peut contester en référé devant le juge administratif les décisions prises dans le cadre de l’état d’urgence. Si le juge administratif est saisi sous la forme d’un référé-liberté, il doit statuer dans les 48 heures pour déterminer si les mesures administratives critiquées portent « une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
Le juge peut aussi examiner « en cas de doute sérieux » la légalité d’une décision administrative à l’occasion d’un référé-suspension et doit rendre son ordonnance dans les quinze jours.
Pourquoi la presse parle-t-elle de « bavures » ?
Il semble que des perquisitions aient été opérées dans des domiciles qui se sont avérés être ceux de voisins de suspects et non des suspects eux-mêmes. Évidemment, si vous êtes le voisin concerné et que vous dormez tranquillement, le réveil peut-être brutal.
Ce type de mésaventures peut arriver à n’importe lequel d’entre nous. Les forces de l’ordre étant à cran (les terroristes sont lourdement armés et n’hésitent pas à tirer pour tuer ou à se faire sauter) les interventions sont rapides et brutales et la proportionnalité n’est pas toujours respecté. Un vieil homme a été menotté, une petite fille blessé par des éclats de verre et de bois. Il est à craindre que ce type de bévues critiquables se reproduiront et sont inévitables, en espérant qu’elles n’auront pas de conséquences funestes ou graves.
Une circulaire de Bernard Cazeneuve, envoyée à tous les préfets, recadre un peu les perquisitions en insistant, par exemple, sur le fait « dans toute la mesure du possible, l’ouverture volontaire de la porte devra être recherchée ». Le ministre a peut-être vu les images de vidéosurveillance du restaurant Pepper Grill, à Saint-Ouen-l’Aumône, dans laquelle les forces de l’ordre ont tout saccagé alors que le patron leur tendait les clefs.
Que faire lorsqu’on est témoin et que le comportement des forces de l’ordre ne semble pas adéquat ?
Rien n’interdit à une personne qui assiste à un comportement inadéquat des forces de l’ordre d’apporter son témoignage oral et écrit à la personne victime de celui-ci. Ce témoignage pourra même être très utile par exemple dans le cadre d’un recours en indemnisation. Il en est de même d’un film vidéo.
Néanmoins, l’utilisation d’un smartphone ou de tout autre appareil vidéo doit s’opérer avec la plus grande circonspection et sans provocation, car il est à craindre que les forces de l’ordre réagiront vertement et n’hésiteront pas à saisir ce matériel en vertu de l’état d’urgence – même si une telle saisie semble dépourvue de base légale.
Les interpositions physiques sont bien sûr déconseillées, surtout la nuit. On ne peut exiger des forces de l’ordre intervenant dans l’urgence et en pleine nuit d’exclure toute forme de violence si elles se sentent menacées. Quant à l’interposition verbale, pourquoi pas, mais là encore attention : la mesure et la modération doivent être privilégiées.
En pratique, est-il possible de protester contre ces décisions avec des chances de gagner ?
Il faut bien l’avouer, l’état d’urgence, mesure exceptionnelle par nature, conduira le juge administratif à apprécier avec moins de bienveillance qu’à l’accoutumée la pertinence de telles réclamations.
Les forces de l’ordre ne bénéficient pas d’un blanc-seing mais elles ont une grande latitude quant à l’emploi de la force pour pénétrer en des lieux fermés à l’occasion de perquisitions ordonnées… En clair, les chances de gagner son procès seront minimes.
D’ailleurs, le juge des référés a rejeté, le 27 novembre, des recours déposés par deux personnes assignées à résidence.
Quelles sont les autres dispositions prévues par l’état d’urgence ?
Une restriction de la liberté d’aller et venir.
C’est le fameux « couvre-feu » : dans tous les départements, les préfets peuvent interdire « la circulation des personnes ou des véhicules » dans des lieux et à des heures fixes par arrêté ; instituer « des zones de protection » où le séjour est réglementé ; interdire de séjour « toute personne cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics ».
A Sens, le préfet de l’Yonne a ainsi décidé d’instaurer un couvre-feu en interdisant la circulation dans un quartier de la ville, pendant trois nuits. La préfecture de police de Paris a aussi prolongé l’interdiction de manifester dans les départements de la zone de défense et de sécurité de la capitale. Et ce jusqu’à ce 30 novembre. Les manifestations en marge de la COP21 qui ont eu lieu à Paris ce dimanche étaient donc interdites.
Une assignation à résidence renforcée
La loi de 1955 s’appliquait à toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse », elle s’applique désormais plus largement à toute personne lorsqu’il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace » – les suspects donc, qui ont par exemple des fréquentations ou des propos douteux.
L’assignation à résidence est prononcée par le ministre de l’Intérieur, dans un lieu qui n’est pas forcément le domicile de celui-ci ; le suspect y est conduit manu militari. Il doit obligatoirement y demeurer.
Le blocage des sites web
Le blocage administratif des sites était déjà présent dans la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 « renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » mais il a été renforcé dans la loi qui modernise l’état d’urgence, adopté le 20 novembre dernier.
La procédure est désormais moins encadrée et plus immédiate. Ainsi, plus besoin de s’adresser à l’hébergeur du site problématique : les autorités peuvent directement demander à Orange, Free, SFR et compagnie de le bloquer. Exit aussi la personnalité qualifiée de la Commission informatique et libertés (Cnil), qui garde un œil sur la liste de sites bloqués en France.
La dissolution d’associations
La dissolution d’association était déjà prévue dans le code de la sécurité intérieure (article L212-1). C’est ce qui a permis d’interdire le groupe islamiste radical Forsane Alizza, mais aussi divers mouvements d’extrême droite, tels que L’Œuvre française. La nouvelle formulation élargit les possibilités de dissolution. Cette disposition ne semble pas avoir été mis en place depuis le 13 novembre.
Comme le rappelle La Croix, la fermeture des mosquées passerait par la dissolution de l’association gestionnaire, ce qui s’avère très compliqué.
Le 24 novembre, le préfet de Dordogne a ordonné la perquisition d’une ferme du Périgord vert. A la recherche de « personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste », les gendarmes ont fait chou blanc. Sur les 1233 perquisitions administratives menées en France, les abus commencent à s’accumuler.
La ferme d’Elodie et Julien, à mi-chemin entre Périgueux et Angoulême, figure dans une plaquette de l’office de tourisme au chapitre « vente directe de fruits et légumes ». Il faut croire qu’on la trouve aussi dans les petits papiers du préfet de Dordogne. Mardi matin à 7h20, depuis sa chambre avec vue sur l’arrière de la maison, un ami hébergé par le couple entend des claquements de portières et aperçoit la lumière de lampes torches. C’est une perquisition administrative. « Quand on est descendus, les gendarmes étaient déjà dans la cuisine », raconte Elodie, 36 ans. Elle ne sait pas si l’ami « a ouvert ou s’ils sont entrés tout seuls », de toute façon « la porte était ouverte ». Devant elle et son compagnon Julien, 34 ans, s’alignent « une dizaine » de gendarmes de Nontron, Ribérac et Verteillac.
Comme les maraîchers bio demandent des explications, les forces de l’ordre invoquent l’état d’urgence et leur montrent un ordre de perquisition signé par le préfet Christophe Bay (voir ci-dessous). Selon ce papier, faisant référence aux attentats du 13 novembre et à « la gravité de la menace terroriste sur le territoire national », « il existe des raisons sérieuses de penser » que chez eux « peuvent se trouver des personnes, armes ou objets susceptibles d’être liés à des activités à caractère terroriste ». « Ils s’attendaient à quoi, des légumes piégés ? », plaisante Elodie après coup. Installés depuis trois ans et demi en Dordogne, Julien et sa compagne ont une fille de deux ans, vendent des légumes de saison à la Biocoop et le samedi au marché.
« Le G8, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ? »
Pendant deux heures quarante, les gendarmes fouillent chaque pièce en regardant « dans les placards, les coffres, la bibliothèque, les recoins, les boîtes », détaille Elodie. Ils semblent « très intéressés par les petits carnets, les coupures de presse. Les livres moins. » Et demandent quelle surface fait la ferme, s’il y a des appentis. L’un d’eux prend les choses particulièrement au sérieux. « Il nous dit : “le G8, les sommets européens, les manifestations pour l’environnement, ça ne vous dit rien ?” et mentionne aussi la Cop21. Visiblement, la perquisition a un rapport avec nos activités militantes. »
Cette impression se confirme lorsque les gendarmes évoquent enfin « un truc tangible », une action à laquelle Elodie et Julien ont participé il y a trois ans contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : le blocage du péage autoroutier de Mussidan. « Je ne pense pas avoir fait une seule manif depuis », résume la maraîchère. « La petite a deux ans. Je ne veux pas jouer la Sainte Nitouche, mais manifestation ou pas, qu’est-ce qui justifie ça ? » Le gendarme zélé explique aux habitants de la ferme « qu’avec l’état d’urgence, tout rassemblement est interdit, et qu’organiser une manifestation est illégal ». Elodie demande : « Si vous trouvez un papier disant que j’organise une manifestation, vous m’arrêtez ? » La réponse est oui. Mais ils ne trouvent rien de tel.
Les ordinateurs de la maison sont raccordés « à un appareil qui ressemblait à un disque dur externe, apparemment pour en copier le contenu », sans même avoir besoin de demander les mots de passe. « Il y a un ordi sous Ubuntu [un logiciel libre, ndlr] , et là ça n’a pas marché. » « Ils ont aussi branché les téléphones portables à une machine, en expliquant que le logiciel se déclenchait en fonction de mots-clés. » Un gendarme s’autorise une petite impertinence : « Je suis pas sûr que ça marche avec le péage de Mussidan. »
« Ils nous parlent d’extrême gauche et sous-entendent qu’on est islamistes ? »
Lorsqu’ils tombent sur des autocollants de la CNT, les gendarmes demandent de quoi il s’agit. « C’est mon syndicat », répond Elodie, affiliée à la fédération des travailleurs de la terre et de l’environnement. Pas de questions supplémentaires sur ce point. L’ami hébergé est fouillé sans insistance. Le matériel agricole ne semble pas non plus susciter leur curiosité. La conversation prend un tour plus inquiétant quand les gendarmes voient écrit « Bruxelles » dans un carnet et sur la carte d’identité de Julien, qui a travaillé en Belgique où il a encore des amis. Ils veulent savoir si le couple y va souvent. Ce signe de fébrilité agace Elodie : « On parle de quoi là ? Ils nous parlent d’extrême gauche et d’un coup sous-entendent qu’on est islamistes ? On ne sait pas ce qu’ils cherchent. » Pour seule réponse, les habitants récoltent un « voyez ça avec le préfet, nous on exécute les ordres ».
A 10 heures, après avoir fait signer un compte-rendu de perquisition reconnaissant qu’ils n’ont rien trouvé, les gendarmes repartent comme ils sont venus. Les maraîchers pensent quand même « qu’il faut que ça se sache ». Comme beaucoup de militants, ils craignent les conséquences de l’état d’urgence. « C’est vrai que notre préfet a la réputation d’être un peu rigide. Mais là on s’aperçoit que dès que la loi le permet, des individus se sentent libres de faire ce qu’ils veulent sur leur territoire. Visiblement la brèche est ouverte. »
La préfecture, que nous avons contactée, refuse de commenter ce cas particulier. « Nous préparons un communiqué de presse pour la fin de la semaine sur le nombre de perquisitions administratives, mais rien d’autre », nous répond-on. Lundi, un premier bilan départemental avait été rendu public : 26 perquisitions administratives en Dordogne depuis l’entrée en vigueur de l’état d’urgence, dans la nuit du 13 au 14 novembre. Une arme de collection, détenue illégalement, a été remise aux gendarmes et détruite. Impressionnant bilan pour la Dordogne.
Sur l’ensemble du territoire, on dénombrait mardi 1233 perquisitions administratives, conduisant à 165 interpellations, dont 142 gardes à vue, et la saisie de 230 armes. Un certain nombre d’abus et de bizarreries sont déjà signalés : citons par exemple une fillette de 6 ans blessée à Nice, un TGV évacué pour un film d’action, un trompettiste retenu sans motif Gare du Nord, un restaurant investi par la police en plein service… Au point que les recensions de ces dérapages ont été systématisées par La Quadrature du Net et remplissent les pages des journaux.
Le ministre de l’Intérieur croit-il désormais ce qu’il lit dans la presse ? Ce mercredi, Bernard Cazeneuve a annoncé qu’il allait envoyer une circulaire à tous les préfets « pour que ces perquisitions se fassent, même si on est dans un état d’urgence, dans le respect du droit ». C’est sûr que si personne ne prévient les préfets que les droits doivent être respectés…