L’OTAN discute d’une nouvelle stratégie

otan

Les membres de l’OTAN se sont entendus jeudi, lors d’une réunion à Bruxelles, sur un projet de nouvelle stratégie militaire. Celui-ci jette aussi les bases d’un futur bouclier antimissile européen. Cette nouvelle stratégie est nécessaire mais elle génère de nouveaux conflits au sein de l’alliance de défense, estiment les commentateurs.

Der Standard – Autriche

La nouvelle stratégie de l’OTAN se base sur un large programme de coupes budgétaires et génère ainsi des divergences entre l’Europe et les Etats-Unis, estime le quotidien libéral Der Standard : « Onze ans après l’adoption de la stratégie de sécurité, l’OTAN s’attèle à revoir fondamentalement ces concepts. … Une fois encore, elle le fait moins à partir d’une position de force que sous la contrainte. … Les gouvernements sont soumis au poids considérable de la rigueur. Londres et Berlin vont à eux seuls réaliser des coupes de plusieurs milliards dans le domaine militaire. Un approvisionnement commun, des troupes partagées devraient faciliter ce processus. Les Etats-Unis mettent en garde contre des coupes trop importantes et font pression pour la mise en œuvre commune d’un bouclier antimissile pour toute l’Europe, afin de prévenir de possibles attaques de l’Iran. Les Américains demandent également aux Européens d’être plus ambitieux dans la lutte contre le terrorisme. De nombreux Européens ont du mal sur ce point. On dissimulera les différences par de jolis compromis. Les Etats-Unis continueront si nécessaire à agir seuls dans ce domaine. » (15.10.2010)

Frankfurter Rundschau – Allemagne

L’OTAN fait bien de ne pas surestimer l’importance de sa nouvelle stratégie, écrit le quotidien de centre-gauche Frankfurter Rundschau : « De tels documents peuvent difficilement servir de ligne d’instruction pour une période prolongée. Le monde change trop vite pour cela. Actuellement, les relations avec la Russie sont par exemple relativement détendues, mais les choses n’en resteront pas là. Le document oublie complètement le défi majeur de notre époque, à savoir la Chine. Et bien que les membres de l’OTAN s’apprécient mutuellement, on ne doit pas oublier que ça fait longtemps qu’ils ont atteint leurs limites en Afghanistan. S’ils devaient ne pas sortir indemnes de cette guerre, de nouveaux doutes intrinsèques se répandront dans l’Alliance. Aucun concept stratégique ne pourra remédier à cela. » (15.10.2010)

Jyllands-Posten – Danemark

Le Danemark doit soutenir les projets de l’OTAN pour la mise en place d’une défense antimissile européenne et convaincre pour cela une France encore hésitante, estime le quotidien libéral de droite Jyllands-Posten : « Il est certain qu’une telle évolution est dans l’intérêt de tous les pays européens, et il est logique que le Danemark la soutienne. Le problème, c’est que la France doit comprendre qu’elle a aussi un intérêt et une responsabilité dans une défense antimissile européenne commune. Avancer que le budget français est un budget de rigueur, comme celui de tous les autres pays après la crise financière, constitue une mauvaise excuse pour retarder une évolution absolument nécessaire et réduire les dépenses de défense. Suite aux menaces terroristes et au nombre croissant de puissances nucléaires, il n’y a pas moyen de passer outre les décisions et les coûts qui permettront à l’OTAN de rester un garant de la sécurité. » (15.10.2010)

Irak : Un premier bilan de la guerre

Selon le recensement US : 4 400 soldats américains sont morts en Irak.

Les dernières troupes combattantes américaines ont quitté l’Irak. C’est ce qu’annoncent les Etats-Unis, même si 50 000 de leurs soldats, regroupés sur des dizaines de bases, demeureront encore jusqu’à fin 2011, « en appui » à l’armée irakienne. Ce retrait s’opère conformément à l’accord-cadre stratégique signé par l’administration Bush sur le départ avec le gouvernement irakien à la fin 2008. Le président Obama a décidé de respecter ce texte et d’accélérer le désengagement.

On peut certes prétendre que, par rapport à la situation existante à la fin 2006, avec une insurrection active et des attentats quotidiens meurtriers, le contexte actuel est meilleur. Il faut néanmoins prendre du recul par rapport à cette vision et essayer de dresser un bilan de cette guerre qui ne fut pas seulement une faute, mais un crime dont on aurait tort de dédouaner les Etats-Unis (lire « “Leurs” crimes et les “nôtres” »).

Cette guerre d’agression, non provoquée, déclenchée sous le faux prétexte de chercher des armes de destruction massive, est d’abord une violation des principes des Nations unies qui, le 14 décembre 1974, à travers leur assemblée générale, adoptaient un texte définissant l’agression (PDF). Son article 3 s’énonce ainsi :

« L’un quelconque des actes ci-après, qu’il y ait eu ou non déclaration de guerre, réunit, sous réserve des dispositions de l’article 2 et en conformité avec elles, les conditions d’un acte d’agression :

a) L’invasion ou l’attaque du territoire d’un Etat par les forces armées d’un autre Etat, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou toute annexion par l’emploi de la force du territoire d’un autre Etat ;

b) Le bombardement, par les forces armées d’un Etat, du territoire d’un autre Etat, ou l’emploi de toutes armes par un Etat contre le territoire d’un autre Etat ;

c) Le blocus des ports ou des côtes d’un Etat par les forces armées d’un autre Etat ;

d) L’attaque par les forces armées d’un Etat contre les forces armées terrestres, navales ou aériennes, la marine ou l’aviation civiles d’un autre Etat ».

Au-delà de cette dimension juridique et des querelles qu’elle peut susciter, le bilan de la guerre américaine, menée sans l’aval des Nations unies, est accablant :

— Destruction du pays, de ses structures étatiques et administratives. Il n’existe plus d’Etat irakien qui fonctionne. Sept ans après la guerre, l’électricité arrive à peine quelques heures par jour, la production pétrolière stagne, l’administration ne fonctionne pas, les écoles et les universités sont à l’abandon, etc. Reconstruire une structure unifiée et efficace nécessitera sans doute des décennies.

— Le confessionnalisme, encouragé dès les premiers jours par l’occupant, a été institué dans toutes les fonctions, et la répartition des postes se fait désormais en fonction de l’appartenance communautaire ou nationale. Les principales forces politiques sont « chiites », « sunnites » ou « kurdes ». Et demeurent une série de bombes à retardement, comme la délimitation des « frontières incertaines du Kurdistan ». La question de Kirkouk, où un référendum est prévu depuis décembre 2007 (et sans cesse reporté) pour décider du rattachement ou non de cette ville à la région autonome du Kurdistan, n’est pas le moindre des défis.

— Le bilan humain est terrible. Si on connaît précisément les pertes américaines (environ 4 400 tués), celles des Irakiens ont fait l’objet d’évaluations très diverses : on ne recense pas un mort « arabe » comme on recense un mort « occidental » ; seul ce dernier a un visage. Entre cent mille et plusieurs centaines de milliers de personnes tuées, des milliers de disparus, des centaines de milliers de personnes déplacées et de réfugiés (notamment en Syrie – lire Theodor Gustavsberg, « Silencieux exil des Irakiens en Syrie » – et en Jordanie), des centaines de milliers de blessés.

— Malgré les coups qui lui ont été portés depuis 2007, Al-Qaida, qui, rappelons-le, était absente d’Irak jusqu’en 2003, s’y est implantée. Elle garde des structures efficaces, comme le prouvent les attentats coordonnées de ce mois d’août 2010. Des milliers de combattants du monde arabe et musulmans ont transité ces dernières années par l’Irak et ont ensuite porté le combat en Afghanistan, en Somalie, au Liban, en Afrique du Nord.

Seul point positif, la chute de la dictature de Saddam Hussein, l’une des plus brutales de la région. On ne peut que s’en féliciter, mais cela valait-il de telles souffrances ? D’autant que le risque est grand de voir émerger un « pouvoir autoritaire à dominante chiite ».

Et la question que personne ne posera : qui sera jugé pour ce crime ? Comment s’étonner que nombre de pays ne suivent pas le Tribunal pénal international quand il inculpe le président soudanais Omar Al-Bachir, ou des criminels de tel ou tel petit pays africain, alors que MM. George W. Bush, Dick Cheney et Donald Rumsfeld continuent tranquillement à couler des jours heureux en donnant des conférences sur le monde libre, la démocratie et le marché pour quelques dizaines de milliers de dollars la prestation ?

Environs 660 000 irakiens sont morts. Qui sera jugé pour ce crime ?

Environs 660 000 irakiens sont morts. Qui sera jugé pour ce crime ?

Personne n’affirme plus que les Etats-Unis ont gagné la guerre en Irak, surtout si l’on se reporte aux objectifs initiaux du président George W. Bush : installation à Bagdad d’un gouvernement allié, prêt à collaborer avec Washington, à lui accorder des bases et disposé à établir des relations diplomatiques avec Israël ; ouverture des ressources de l’Irak au marché libre ; démocratisation du Proche-Orient ; isolement du régime iranien.

Personne n’explique plus doctement que, certes, la guerre était une erreur, mais que si les Etats-Unis se retiraient ce serait encore pire. Il faut le répéter : c’est la présence américaine qui est la cause de l’instabilité, et non l’instabilité qui nécessite la présence américaine.

Les conséquences régionales de cette guerre sont aussi graves. Incontestablement et paradoxalement, elle a renforcé le poids de l’Iran, même s’il ne faut pas croire que les chiites irakiens regardent tous vers Téhéran, ni sous-estimer le poids du nationalisme irakien et arabe. L’absence de pouvoir central entraîne forcément l’ingérence des puissances voisines dans les affaires irakiennes : ni la Turquie, ni l’Arabie saoudite, ni la Syrie, ni bien évidemment l’Iran ne s’en privent. Ankara a ouvert plusieurs consulats, dont un à Bassorah, dans le sud chiite ; il a aussi développé ses relations avec le pouvoir autonome kurde, ce qui n’a pas mis un terme à ses bombardements contre les forces du PKK réfugiées au Kurdistan.

Quel est désormais le poids des Etats-Unis en Irak ? Les élections de mars 2010 ont débouché sur une impasse et le pays n’a toujours pas de gouvernement. Quatre forces se partagent le Parlement : un bloc kurde qui représente une région vivant sous autonomie de fait ; le bloc du premier ministre en exercice Nouri Al-Maliki, à majorité chiite ; le bloc de l’ancien premier ministre Iyad Allaoui, chiite qui a obtenu le vote de nombreux sunnites ; et, enfin, l’Alliance nationale composée de l’organisation de Moqtada Al-Sadr et du Conseil suprême islamique, deux formations chiites.

Joost Hiltermann, dans un article de la New York Review of Books (19 août 2010) intitulé « Iraq : The impasse », remarque :

« Ce qui est frappant avec l’approche actuelle de l’administration Obama n’est pas seulement sa préférence pour un parti donné, celui de Allaoui en l’occurrence, mais son manque de volonté inexplicable de pousser pour une solution donnée, un fait que tous les politiciens ont noté. Les Etats-Unis essaient d’exercer une forte pression uniquement de manière sporadique, sous la forme d’une visite du vice-président Joe Biden, l’envoyé spécial de facto de l’administration en Irak. » Mais leurs tentatives d’obtenir la formation d’un gouvernement d’unité entre Maliki et Allaoui avant leur retrait n’ont pas abouti. Et Hiltermann de conclure que les Etats-Unis sont « une puissance en déclin » en Irak.

Ce n’est pas l’avis de tous les commentateurs, comme en témoigne un éditorial de Seumas Milne dans le quotidien britannique The Guardian (4 août 2010), « The US isn’t leaving Iraq, it’s rebranding the occupation ». Pour Milne, les Etats-Unis donnent simplement un autre visage à une occupation qui se poursuit sous d’autres formes.

Alexander Cockburn lui répond vertement dans « Thank You, Glenn Beck ! » (CounterPunch, 27-29 août). Il reprend certains arguments de Rosen et explique aussi que, sur le pétrole, pour l’essentiel, ce ne sont pas les compagnies pétrolières américaines qui ont bénéficié des premiers contrats passés, mais des sociétés russe, norvégienne, chinoise, malaisienne, etc.

Alors, poursuite de l’occupation sous d’autres formes ou non ? Ce qui est sûr, c’est que, en ce XXIe siècle, aucune puissance ne peut gouverner durablement un pays étranger, lui imposer sa volonté. A ceux qui rêvaient d’un retour de l’empire, la guerre d’Irak a apporté un démenti flagrant. Un démenti qui sera confirmé demain en Afghanistan.

Alain Gresh*


*Alain Gresh est directeur adjoint du Monde Diplomatique, spécialiste du Proche Orient. Il est notamment l’auteur de Israël Palestine, vérités sur un conflit  (Fayard 2007).

Voir aussi : Rubrique Irak, Une série d’attentats marque l’ouverture des élections , Pétrole contre nourriture L’Irak demande des réclamations, Le président irakien vient conclure des contrats à Paris, Rubrique Afghanistan, Enlisement total , Rubrique Turquiel’UE est une machine kafkaïenne, Lien On Line Le blog d’Alain Gresh Nouvelles d’Orients,

« l’UE est une machine kafkaïenne qui n’a aucune vision européenne »

auteur-turc

Mine G. Kirikkanat : " L'Europe a oublié l'histoire"

Mine G. Kirikkanat. Invitée dans le cadre du Festival International du Roman noir de Frontignan, l’auteur turque rappelle la place de sa culture dans l’identité européenne.

Mine G. Kirikkanat est née à Istanbul. Journaliste, sociologue et écrivain c’est une intellectuelle laïque qui a décidé de rester dans son pays pour défendre ses idées. Dans La Malédiction de Constantin (Métailié, 2006) et Le sang des rêves (1) qui vient de paraître, elle soutient une vision historique de la culture ottomane constitutive de l’identité européenne.

Le sang des rêves est un roman politique d’anticipation dont l’action principale se situe à Chypre. Istanbul est passé sous le contrôle des Nations Unies. La ville rebaptisée Nova Roma est devenue l’enjeu d’une nouvelle guerre froide. La Russie orthodoxe rivalise avec le Vatican et une hétéroclite union chrétienne occidentale. Trois agents européens d’origine turque sont chargés de retrouver des descendants d’un chef historiquement indiscutable afin de légitimer le pouvoir en place. La quête passe notamment par l’exploration des rêves de l’héritier supposé de Constantin le Grand qui porte la mémoire génétique du meurtre de son ancêtre.

Pourquoi réinstaurer la vision d’un affrontement entre deux blocs, alors que nous sommes sortis si péniblement de la guerre froide. L’idée d’une gouvernance mondiale multipolaire n’a-t-elle pas d’avenir à vos yeux ?

C’est mon côté métaphysique. Ying-Yang ou blanc noir si vous préférez, un jeu de forces contraires qui s’équilibrent. Cela vient aussi d’une analyse sociologique ; je pense que le bipolaire est une étape pour aller vers le multipolaire. Aujourd’hui, ce type de gouvernance nous conduirait objectivement vers beaucoup plus de guerres. Je considère la gouvernance bipolaire comme une période transitoire en attendant que les races soient suffisamment mélangées pour accéder aux multipolaires. Mais pour l’heure, l’histoire se répète. Le conflit génocidaire serbo-croate qui a secoué l’Europe dans les années 90, s’était déjà produit il y a un millénaire entre l’église d’Anatolie et l’église orthodoxe de Constantinople. Les Bosniaques (appelés Bogomiles) ont un lien de filiation avec les Cathares. Dans les Balkans, à l’époque de la première croisade, ils ont demandé la protection du sultan ottoman. Celui-ci les a laissés libres de choisir leur religion assurant qu’ils les protégeraient s’ils devenaient musulmans.

En ce début de XXIe siècle, la religion vous paraît-elle l’instrument du pouvoir politique ou directement à l’origine des conflits de pouvoir auxquels elle donne lieu ?

Je me suis beaucoup intéressée à la sociologie des religions et notamment à l’apparition de la religion. Au commencement, la religion est liée à la peur de la mort. S’étant forgé une conscience, il fallait que l’homme invente quelque chose face à ce vide, une vie dans l’au-delà, un espace magique, une religion… Les choses se sont gâtées avec l’apparition des religions monothéistes. C’est à partir de là que la religion est devenue une arme politique. C’est pour cette raison que la laïcité est si importante.

On constate en France un recul de la laïcité alors qu’elle est au cœur même du principe républicain…

C’est vrai que cet axe est mis à mal en France qui est le seul pays laïque de l’UE. De la même façon que les valeurs universelles qui n’occupent plus la même place. Tous les Etats ont mué pour devenir des structures économiques. De ce fait, les gens ont perdu le sens des choses. Aujourd’hui, l’UE est une machine kafkaïenne qui n’a aucune vision européenne.

Sur quoi se fonde, selon vous, l’identité européenne ?

L’identité européenne ne doit pas se construire sur les valeurs judéo-chrétiennes mais sur une vision séculaire laïque. La charte des droits fondamentaux dirigée par Guy Braibant et soutenue à l’époque d’une seule voix par Chirac et Jospin allait dans ce sens. L’Allemagne souhaitait faire figurer l’héritage judéo-chrétien. En définitive, pour faire adopter la constitution, on a déformé cette charte en faisant des concessions à tous les courants et en entamant l’identité même de l’Europe. En substance, la charte conditionnait l’entrée dans l’UE au fait de se déshabiller de ses relents fascistes et religieux. On connaît la suite. Avec l’élargissement aux pays de l’Est sous l’influence des Etats-Unis on a, au détriment de toute raison, obligé l’UE à devenir une machine à sous. L’OMC a imposé sa logique globale et glauque. D’ailleurs, cela a surtout servi la Chine et l’Inde, tant mieux pour eux. Les Etats-Unis qui croyaient sortir leaders de cette manœuvre mangent leur chapeau. C’est comme la ligne Maginot, on attend avec obstination les choses d’un côté et elles arrivent d’ailleurs.

Que pense le peuple turc de tout ça ?

La population turque n’est pas un bloc monolithique. Sur 75 millions d’habitants, nous avons 30% d’islamiques, 30% d’Alévis, un courant proche des traditions soufies et favorables à la laïcité, et 40% de laïques qui ne sont pas près de démordre des valeurs républicaines. Pour se faire élire le président Gül* a pris l’engagement de respecter les valeurs laïques mais il ne s’y tient pas vraiment. Une poignée d’intellectuels a tout de suite décelé la posture du président et dénoncé l’hypocrisie. Mais en Europe tout le monde a applaudi. Dès 2003, il fallait dire à la Turquie qu’elle serait intégrée à l’UE après le bannissement de l’enseignement coranique obligatoire et le respect intégral des règles démocratiques. Mais l’UE a temporisé. Avec la crise de Gaza, elle commence à prendre conscience de la situation. En feignant d’oublier que les Ottomans ont fait l’histoire de l’Europe avec les judéo-chrétiens, elle a joué avec le feu et aujourd’hui il y a le feu.

Que voulez-vous dire ?

Si les Turcs deviennent hostiles à l’UE qui pourra arrêter l’influence de l’Iran, de l’Afghanistan, et du Pakistan ? Les Turcs font aujourd’hui les cerbères aux portes de l’Europe, ils filtrent le flux migratoire en provenance de toute l’Asie centrale. L’UE est complètement dépendante de la Turquie. La population turque est jeune. La Turquie est un  pays plein d’avenir et il constitue la seconde force armée de l’Otan.

La Turquie semble amenée à jouer un rôle de plus plus important dans le conflit israélo-palestinien ?

Je me considère personnellement comme une amie d’Israël, qui voulait être un exemple d’humanité et de démocratie au Moyen-Orient. Mais à la place de cela, les Israéliens ont mis leur existence en danger parce qu’ils sont entourés de haine dont ils sont en grande partie responsables. Et cela les rend fous. Aujourd’hui la stupidité de leur politique leur a fait perdre la notion de l’espace et du temps. La Turquie demeure un interlocuteur privilégié dans la région. Sur les tee-shirts des jeunes de Gaza, on voit plus l’effigie du Premier ministre turc Erdogan que celle des membres du Hamas. Là encore, l’UE ne mesure pas les enjeux qui concernent aussi ses relations avec le Maghreb. A travers l’intégration de la Turquie au sein de l’UE se joue aussi la reconnaissance identitaire des pays d’Afrique du nord. L’Europe a oublié l’Histoire.

Receuilli par Jean-Marie Dinh

* Abdullah Gül est membre du parti musulman de centre droit AKP il a été élu pour 4 ans en août 2007.

(1) Le sang des rêves, éditions Métailié 2010, 18 euros.

Voir aussi : rubrique politique internationale Gaza: l’attitude turque une leçon pour l’occident, les relations turco-israéliennes dans la tourmente, L a Turquie provoque les Kurdes, rubrique politique France discours de Latran, rubrique politique Allemagne Rubrique Allemagne Merkel : notre modèle multiculturel  a « totalement échoué » rubrique rencontre Elias Sambar, rubrique cinéma, Les réalisateurs turcs exportent leurs richesses,

Flottille de Gaza : l’attitude de la Turquie est une leçon pour l’Occident

Les tensions entre la Turquie et Israël -croissantes depuis la mort de militants turcs, la semaine dernière, lors de l’assaut israélien contre la flottille humanitaire au large de la bande de Gaza- posent la question du maintien de la Turquie au sein d’alliances occidentales de longue date, face à son nouveau statut de puissance montante du Moyen-Orient.

Les élites du parti politique au pouvoir ont fait part de leur soutien aux militants turcs qui ont organisé le départ de la flottille. Il est aussi vrai que ces activistes ont rassemblé des milliers de personnes en Turquie pour condamner les actes israéliens, entonnant des slogans islamistes et brûlant parfois une image du président américain.

Dans ce contexte, les porte-parole israéliens sont allés très loin en insinuant que ces militants avaient des liens avec l’organisation terroriste Al-Qaeda. Théorie qui n’a pas été prouvée. Une vue d’ensemble objective sur ce que la Turquie essaie d’atteindre depuis ces dernières années montre à quel point de telles analyses et accusations manquent la cible.

Oui, effectivement la Turquie tente de changer les politiques de l’Occident, en particulier celles qui ferment les yeux sur les conséquences humanitaires du blocage israélien de Gaza. Par contre, les voies utilisées par la Turquie sont légitimes, dont notamment son siège durement gagné au Conseil de sécurité des Nations unies.

La Turquie imite le parcours de l’Union européenne

La pression sur les relations avec Israël ne dépend pas de l’idéologie du gouvernement turc. Il y a deux ans, la Turquie avait accueilli les négociations directes entre Israël et la Syrie, interrompues seulement à la suite de l’assaut israélien sur Gaza pendant l’hiver de 2009. Les crises ont toujours suivi la dénonciation, par l’opinion publique turque, d’injustices commises contre les Palestiniens, que ce soit lors de la guerre des Six jours en 1967, de la déclaration de Jérusalem comme capitale d’Israël en 1980, ou lors de l’occupation des villes de la Cisjordanie en 2002.

L’âge d’or des relations entre la Turquie et Israël, pendant les années 90, coïncide exactement avec les accords de paix d’Oslo. Ces tentatives d’Ankara de stabiliser la région sont caractéristiques de ses efforts de ces dix dernières années. La Turquie a conclu des accords avec la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Libye pour :

  • supprimer progressivement les visas ;
  • ouvrir de nouvelles routes, chemins de fer et les voies de communications ;
  • intégrer des infrastructures énergétiques ;
  • établir des accords de libre-échange et tenir des réunions ministérielles communes régulièrement.

Des accords similaires ont été signés avec d’autres pays dans la région. En ce sens, la Turquie est explicitement en train d’imiter le parcours de l’UE qui a montré à quel point la convergence peut mettre fin aux cycles de conflit.

Manifester contre le blocus de Gaza n’a rien de non-européen

Ceci ne peut pas être considéré comme une politique « islamique » ou pour le Moyen Orient, puisque ces projets de grande ouverture et d’intégration ont déjà été utilisés pour renforcer les liens entre la Russie et la Grèce. Ceci ne signifie pas non plus un changement fondamental de l’attitude turque vers l’Europe et l’Occident. Plus de la moitié des exportations turques sont pour l’Europe, 90% des investissements étrangers en Turquie proviennent des États de l’UE, et plus de quatre millions de turcs habitent déjà en Europe.

En comparaison, le Moyen-Orient reçoit moins de 25% des exportations turques, et les travailleurs immigrés en Turquie sont plus de 200 000. Il est vrai que les négociations entre la Turquie et l’Union européenne sont dans une impasse, et ce n’est pas la première fois en 50 ans de convergence. Cette fois-ci, les politiciens populistes de France, d’Allemagne, d’Autriche, et au sein des gouvernements chypriotes et grecs, ont éloigner la Turquie en critiquant le processus de négociation.

Les différences entre la Turquie et Israël ne constituent pas le signe d’une animosité turque envers l’Ouest. Les Turcs sont peut-être les principaux organisateurs de la flottille de Gaza, mais ils ont été rejoints par d’autres activistes, par des bateaux et des fournitures de plus de 30 pays différents, et par plusieurs politiciens de l’UE. Il n’y a rien de non-européen à protester contre la peine infligée par Israël sur les habitants de Gaza. Ce qui est inhabituel pour les pays européens, c’est que, pendant que la Turquie s’engage contre le blocus, eux ne fassent rien pour y mettre fin.

Hugh Pope ( directeur du projet Turquie-Chypre à l’International Crisis Group.)

A lire aussi sur Rue89 et sur Eco89

Elias Sambar : « Rien d’autre qu’un passeur de l’humanité palestinienne »

Elias Sambar. Photo Rédouane Anfoussi.

ELIAS SAMBAR est Ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco son dictionnaire amoureux de la Palestine livre une approche à la fois profonde et fluide.

A propos de la Palestine, vous évoquez le trouble comme la difficulté d’évoquer un pays qui n’existerait pas encore. La rédaction de ce dictionnaire a-t-elle contribué à un éclaircissement ?

« Cela n’a pas éclairci ma position sur le fond. Mais chaque mise en forme écrite implique une reprécision qui n’est pas une redécouverte. Ce qui est intéressant et sympathique dans la rédaction d’un dictionnaire, c’est la forme éclatée en apparence. Ce ne sont pas des informations parcellaires, il revient au lecteur de faire les liaisons. A première vue ces liaisons n’existent pas en réalité, elles font partie d’un squelette invisible qui suppose que l’auteur soit parfaitement clair dans ses idées.

Comment avez-vous travaillé sur les entrées ?

Les entrées fonctionnent en écho. Un dictionnaire peut être lu par tous les bouts. Ce qui offre au lecteur un rapport plus libre. J’ai pris plaisir à construire ce livre. Le jeu des échos correspond à ma façon de travailler. Je commence sur une entrée et je poursuis en me demandant ce qui résonne avec ces propos.

Vous rendez hommage à beaucoup  de vos amis, Darwich, Farouk Mardam-Bey, Genet, G.Deleuze, Daniel Bensaïd… dont la pensée trouve place au sein du livre. A propos d’Edward Saïd* vous évoquez un différent relatif aux accords d’Oslo ?

Il pensait que l’analyse n’était pas la bonne et la façon de s’y prendre non plus, ce en quoi je le rejoignais. Notre éloignement n’était pas lié au bilan des accords mais au fondamental. Pour moi la négociation n’était pas le plus important. J’avais la conviction et je l’ai toujours, que l’élément majeur se situait dans le principe d’une reconnaissance mutuelle. Oslo marque le point à partir duquel le nom Palestine redevient réel. Il y a évidemment les reculs et les épisodes en dents de scie, le développement monstrueux des colonies qui ont triplé depuis l’accord (signé en septembre 1995) mais après avoir été nié par la terre entière le nom Palestine a resurgi de l’absence. Pour moi Arafat reste l’homme qui a symbolisé le retour de ce nom.

En quoi consiste votre fonction au sein de l’Unesco ?

Sur les 193 Etats membres, la Palestine est le seul pays occupé. Je m’occupe des questions relatives à l’éducation, la science, la culture, le patrimoine mais dans un contexte plutôt particulier. Il est difficile d’imaginer les efforts qu’il faut déployer pour attribuer des bourses aux étudiants de Raza. Il faut par exemple trois mois pour acheminer un simple virement puisque l’argent est systématiquement suspecté d’alimenter la résistance.

Ce dictionnaire permet d’éclairer l’actualité à partir du regard d’un intellectuel…

J’ai tenté d’aborder cet ouvrage avec sérieux et une certaine légèreté. Il me semble très important de briser la déhumanisation du peuple palestinien. Car celle-ci existe à travers le traitement infligé par Israël mais aussi par leurs propres amis qui ne considèrent les Palestiniens que comme des héros ou des victimes. Moi je suis quelqu’un comme tout le monde, rien d’autre qu’un passeur de l’humanité palestinienne.

Quel est votre regard de diplomate cette fois, sur ce qui vient de se passer ?

Par delà la grosse infraction au niveau du droit, Israël vient de commettre une erreur politique grave. On en voit les résultats aujourd’hui. Au-delà des condamnations unanimes il y a, le fait que le gouvernement israélien vient de casser le discours qu’il a toujours tenu à savoir que le pays est menacé. Avec cette affaire, tout le monde a compris qui est l’agresseur. Le second point c’est que par cette action Israël vient elle-même de mettre fin au siège de Gaza. Puisque dans les heures qui ont suivi, l’Egypte a réouvert ses frontières sans limite de délais. De facto la frontière est ouverte ».

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Dictionnaire amoureux de la Palestine, éditions Plon 24,5 euros.

Voir aussi : rubrique Israël Le rapport de l’ONU sur Gaza , Le discours de Netanyahu torpille les initiatives de paix, Documentaire, Mort de Rachel à Rafah, conflit israélo-palestinien Repère sur la guerre de Gaza, Livre, Edward Saïd la question de Palestine, Histoire Accords de Camp David,