Au Kirghizistan, le calme revient progressivement à Och dans le sud du pays. L’armée a commencé à lever les barricades qui bloquent l’accès aux quartiers ouzbeks dévastés, là où les violences entre Kirghizes et Ouzbeks auraient fait plus de deux mille morts, selon la présidente par intérim, et quatre cent mille déplacés. Le gouvernement a promis une enquête sur ces émeutes. Comment peut-on expliquer ce déferlement de violence entre les deux communautés ?
Asel Dolotkeldeiva était à Och, la grande ville du sud Kirghizistan lorsque les émeutes ont éclaté. Selon cette jeune kirghize, chercheuse au Centre des relations internationales (CERI), à Paris, tout a démarré par une bagarre entre jeunes dans un casino de la ville. Puis les rumeurs ont commencé à circuler : « Des rumeurs ont circulé disant qu’il y avait des femmes kirghizes violées. Les affrontements ont commencé et ce qui a aggravé le feu c’est que d’après la police la population ouzbeke détenait des armes très modernes ».
Rumeurs et vieilles rivalités. En mai dernier, suite au discours d’un leader ouzbek à l‘université de Djalalabad, les incidents ont éclaté renforçant les craintes des Kirghizes. La communauté ouzbeke, majoritaire dans le sud se dit, elle, défavorisée dans son accès à la terre et à la justice.
Mais les antagonismes ethniques ne peuvent tout expliquer, le rôle des politiques et des groupes criminels locaux est aussi à éclaircir, ainsi que la désorganisation des forces de l’ordre. Asel Dolotkeldeiva : « Pendant plus d’une journée les troupes sont restées sans aucun ordre. Les autorités ne savaient pas quelle tactique employer face aux citoyens armés ou face à des criminels ».
Pendant cinq jours Asel Dolotkieldeva est restée barricadée dans un village kirghiz entouré par quatre villages ouzbeks, en banlieue de Och, avant d’être évacuée sur la capitale. Pour elle, les affrontements de ces derniers jours ne pourront être oubliés que si le gouvernement provisoire autorise la tenue d’une enquête pleine et transparente.
RFI
Rosa Otounbaïeva, présidente par intérim du Kirghizistan
La présidente par intérim, Rosa Otounbaïeva, s’est rendue le 18 juin 2010 à Och où elle a rencontré des responsables locaux et des victimes des violences interethniques qui ont agité le sud du Kirghizistan. Autre visiteur dans la région, le secrétaire d’Etat adjoint américain Robert Blake qui a qualifié de « crise humanitaire » la situation dans le sud de la République d’Asie centrale, et appelé à une enquête internationale sur les violences qui s’y poursuivent depuis une semaine.
A Och, ce matin 18 juin, Rosa Otounbaïeva a été plusieurs fois prise à partie par les habitants de la ville, réunis dans les locaux de l’administration régionale. Elle, qui était venue délivrer un message de réconciliation entre Ouzbeks et Kirghiz, a dû faire face à beaucoup de paroles très vindicatives des uns contre les autres.
Rosa Otounbaïeva a pu mesurer l’ampleur de la défiance et de l’incompréhension qui règnent entre les deux ethnies après une semaine de violences et de catastrophes humanitaires. La présidence par intérim est très contestée ici, jugée trop faible et illégitime, elle qui est arrivée au pouvoir il y a seulement deux mois après le renversement de l’ancien président Kourmanbek Bakiev.
La présidente par intérim, prostrée sur son fauteuil face à une foule très véhémente, à grande majorité kirghize, a conclu cette rencontre tendue en reconnaissant que le travail de réconciliation était énorme et prendrait beaucoup de temps.
Rosa Otounbaïeva a appelé tout le monde à la modération et à la patience. Elle a reconnu que le nombre de morts dans ces violences qui ont opposé Khirghiz et Ouzbeks, était certainement beaucoup plus élevé que les deux cents victimes recensées pour le moment. « Afin d’obtenir le véritable bilan, je pense qu’il faudrait multiplier les chiffres officiels par 10 », a-t-elle dit.
Quant au référendum constitutionnel qu’elle voulait organiser dans une semaine pour légitimer son gouvernement provisoire, Rosa Otounbaïeva a refusé de confirmer qu’il aurait bien lieu : « Nous y réfléchissons toujours », a-t-elle simplement indiqué.
A Och, la population estime avoir été abandonnée par le pouvoir central dès les premiers jours des violences, quand aucune force de l’ordre ne pouvait enrayer l’escalade des affrontements. Aujourd’hui les habitants, disent : « Ne plus accorder aucune crédibilité, aucune légitimité » à ce gouvernement provisoire.
Beaucoup de Kirghiz jugent d’ailleurs que ce gouvernement provisoire est en partie responsable de la situation actuelle qu’il n’a pas pu juguler. On lui reproche aussi d’être trop faible et d’avoir montré son incapacité à gérer une région prompte à s’enflammer très rapidement.
L’autre raison de cette visite de Rosa Otounbaïeva est de s’assurer que l’aide acheminée par le gouvernement parvienne à ce qui en ont besoin dans la région de Och. Les distributions ont commencé depuis deux jours, un peu partout en ville. Il reste toutefois de gros problèmes, notamment l’accès des convois humanitaires qui amènent de la nourriture, des médicaments et de l’eau aux quartiers et populations ouzbeks.
Dans ces zones les gens sont toujours retranchés derrière des barricades et la présence khirghize n’est pas vraiment appréciée. Tous les policiers et militaires qui organisent cette distribution humanitaire ne sont pas les bienvenus et n’arrivent pas à entrer dans ces quartiers.
La présidente Rosa Otounbaïeva a d’ailleurs indiqué en posant le pied à Och qu’elle était venue rassurer la population sur le travail du gouvernement et aussi apporter un message de réconciliation entre toutes les ethnies. C’est là, le gros du travail qui reste à faire ici : arriver à ce que les gens puissent vivre encore ensemble comme ils le faisaient il y a une semaine avant l’explosion des violences.
Camille Magnard RFI 18/06/10
Situation humanitaire dramatique dans le sud kirghize
La situation humanitaire est difficile et il est urgent d’agir dans ces régions. Combien sont-ils dans tout le sud kirghize à être ainsi en mouvement ? A Och, la capitale du sud du pays, l’aide humanitaire arrive peu à peu. Il y a eu depuis deux jours des distributions d’eau, de farine, de sucre, ce qui n’est pas le cas à l’extérieur de la ville.
Les tirs se sont interrompus mais la tension est extrême et les gens ne veulent pas retourner dans leur quartier. Selon certains témoignages, des personnes auraient reçu des SMS leur promettant : « le 22 juin vous aurez une surprise », de quoi terrifier cette population.
Des affrontements qui ne sont pas intervenus par hasard
On ne sait pas à quoi correspond cette date. Toutefois, le 27 juin doit se tenir un référendum crucial. Pour le gouvernement provisoire, c’est un peu sa légitimité qui en dépend. En cas d’échec, et on ne voit pas comment cela n’en serait pas un, c’est la porte ouverte à la guerre civile.
Les affrontements entre communautés ethniques n’interviennent pas par hasard. Cette violence est organisée. Il y a des forces politiques, peut-être criminelles, une somme d’intérêts autour du sud kirghize qui est le fief de l’ancien président Bakiev, renversé le 7 avril dernier.
Ces forces ne veulent clairement pas de ce référendum. Elles ne veulent pas que le gouvernement provisoire ait cette légitimité. Sans doute, toutes les occasions sont bonnes pour déstabiliser la situation et saper l’organisation de ce référendum.
Voir aussi : Rubrique Asie centrale, Les Kirghizes votent pour la démocratie, Kirghizistan l’armée mobilisée, Bakiev : aucun pouvoir ne peut m’arrêter,