Mine G. Kirikkanat : " L'Europe a oublié l'histoire"
Mine G. Kirikkanat. Invitée dans le cadre du Festival International du Roman noir de Frontignan, l’auteur turque rappelle la place de sa culture dans l’identité européenne.
Mine G. Kirikkanat est née à Istanbul. Journaliste, sociologue et écrivain c’est une intellectuelle laïque qui a décidé de rester dans son pays pour défendre ses idées. Dans La Malédiction de Constantin (Métailié, 2006) et Le sang des rêves (1) qui vient de paraître, elle soutient une vision historique de la culture ottomane constitutive de l’identité européenne.
Le sang des rêves est un roman politique d’anticipation dont l’action principale se situe à Chypre. Istanbul est passé sous le contrôle des Nations Unies. La ville rebaptisée Nova Roma est devenue l’enjeu d’une nouvelle guerre froide. La Russie orthodoxe rivalise avec le Vatican et une hétéroclite union chrétienne occidentale. Trois agents européens d’origine turque sont chargés de retrouver des descendants d’un chef historiquement indiscutable afin de légitimer le pouvoir en place. La quête passe notamment par l’exploration des rêves de l’héritier supposé de Constantin le Grand qui porte la mémoire génétique du meurtre de son ancêtre.
Pourquoi réinstaurer la vision d’un affrontement entre deux blocs, alors que nous sommes sortis si péniblement de la guerre froide. L’idée d’une gouvernance mondiale multipolaire n’a-t-elle pas d’avenir à vos yeux ?
C’est mon côté métaphysique. Ying-Yang ou blanc noir si vous préférez, un jeu de forces contraires qui s’équilibrent. Cela vient aussi d’une analyse sociologique ; je pense que le bipolaire est une étape pour aller vers le multipolaire. Aujourd’hui, ce type de gouvernance nous conduirait objectivement vers beaucoup plus de guerres. Je considère la gouvernance bipolaire comme une période transitoire en attendant que les races soient suffisamment mélangées pour accéder aux multipolaires. Mais pour l’heure, l’histoire se répète. Le conflit génocidaire serbo-croate qui a secoué l’Europe dans les années 90, s’était déjà produit il y a un millénaire entre l’église d’Anatolie et l’église orthodoxe de Constantinople. Les Bosniaques (appelés Bogomiles) ont un lien de filiation avec les Cathares. Dans les Balkans, à l’époque de la première croisade, ils ont demandé la protection du sultan ottoman. Celui-ci les a laissés libres de choisir leur religion assurant qu’ils les protégeraient s’ils devenaient musulmans.
En ce début de XXIe siècle, la religion vous paraît-elle l’instrument du pouvoir politique ou directement à l’origine des conflits de pouvoir auxquels elle donne lieu ?
Je me suis beaucoup intéressée à la sociologie des religions et notamment à l’apparition de la religion. Au commencement, la religion est liée à la peur de la mort. S’étant forgé une conscience, il fallait que l’homme invente quelque chose face à ce vide, une vie dans l’au-delà, un espace magique, une religion… Les choses se sont gâtées avec l’apparition des religions monothéistes. C’est à partir de là que la religion est devenue une arme politique. C’est pour cette raison que la laïcité est si importante.
On constate en France un recul de la laïcité alors qu’elle est au cœur même du principe républicain…
C’est vrai que cet axe est mis à mal en France qui est le seul pays laïque de l’UE. De la même façon que les valeurs universelles qui n’occupent plus la même place. Tous les Etats ont mué pour devenir des structures économiques. De ce fait, les gens ont perdu le sens des choses. Aujourd’hui, l’UE est une machine kafkaïenne qui n’a aucune vision européenne.
Sur quoi se fonde, selon vous, l’identité européenne ?
L’identité européenne ne doit pas se construire sur les valeurs judéo-chrétiennes mais sur une vision séculaire laïque. La charte des droits fondamentaux dirigée par Guy Braibant et soutenue à l’époque d’une seule voix par Chirac et Jospin allait dans ce sens. L’Allemagne souhaitait faire figurer l’héritage judéo-chrétien. En définitive, pour faire adopter la constitution, on a déformé cette charte en faisant des concessions à tous les courants et en entamant l’identité même de l’Europe. En substance, la charte conditionnait l’entrée dans l’UE au fait de se déshabiller de ses relents fascistes et religieux. On connaît la suite. Avec l’élargissement aux pays de l’Est sous l’influence des Etats-Unis on a, au détriment de toute raison, obligé l’UE à devenir une machine à sous. L’OMC a imposé sa logique globale et glauque. D’ailleurs, cela a surtout servi la Chine et l’Inde, tant mieux pour eux. Les Etats-Unis qui croyaient sortir leaders de cette manœuvre mangent leur chapeau. C’est comme la ligne Maginot, on attend avec obstination les choses d’un côté et elles arrivent d’ailleurs.
Que pense le peuple turc de tout ça ?
La population turque n’est pas un bloc monolithique. Sur 75 millions d’habitants, nous avons 30% d’islamiques, 30% d’Alévis, un courant proche des traditions soufies et favorables à la laïcité, et 40% de laïques qui ne sont pas près de démordre des valeurs républicaines. Pour se faire élire le président Gül* a pris l’engagement de respecter les valeurs laïques mais il ne s’y tient pas vraiment. Une poignée d’intellectuels a tout de suite décelé la posture du président et dénoncé l’hypocrisie. Mais en Europe tout le monde a applaudi. Dès 2003, il fallait dire à la Turquie qu’elle serait intégrée à l’UE après le bannissement de l’enseignement coranique obligatoire et le respect intégral des règles démocratiques. Mais l’UE a temporisé. Avec la crise de Gaza, elle commence à prendre conscience de la situation. En feignant d’oublier que les Ottomans ont fait l’histoire de l’Europe avec les judéo-chrétiens, elle a joué avec le feu et aujourd’hui il y a le feu.
Que voulez-vous dire ?
Si les Turcs deviennent hostiles à l’UE qui pourra arrêter l’influence de l’Iran, de l’Afghanistan, et du Pakistan ? Les Turcs font aujourd’hui les cerbères aux portes de l’Europe, ils filtrent le flux migratoire en provenance de toute l’Asie centrale. L’UE est complètement dépendante de la Turquie. La population turque est jeune. La Turquie est un pays plein d’avenir et il constitue la seconde force armée de l’Otan.
La Turquie semble amenée à jouer un rôle de plus plus important dans le conflit israélo-palestinien ?
Je me considère personnellement comme une amie d’Israël, qui voulait être un exemple d’humanité et de démocratie au Moyen-Orient. Mais à la place de cela, les Israéliens ont mis leur existence en danger parce qu’ils sont entourés de haine dont ils sont en grande partie responsables. Et cela les rend fous. Aujourd’hui la stupidité de leur politique leur a fait perdre la notion de l’espace et du temps. La Turquie demeure un interlocuteur privilégié dans la région. Sur les tee-shirts des jeunes de Gaza, on voit plus l’effigie du Premier ministre turc Erdogan que celle des membres du Hamas. Là encore, l’UE ne mesure pas les enjeux qui concernent aussi ses relations avec le Maghreb. A travers l’intégration de la Turquie au sein de l’UE se joue aussi la reconnaissance identitaire des pays d’Afrique du nord. L’Europe a oublié l’Histoire.
Receuilli par Jean-Marie Dinh
* Abdullah Gül est membre du parti musulman de centre droit AKP il a été élu pour 4 ans en août 2007.
(1) Le sang des rêves, éditions Métailié 2010, 18 euros.
Les talibans attaquent la base de l’OTAN de Jalalabad en Afghanistan
Une importante base militaire de la force internationale de l’OTAN à Jalalabad, dans l’est de l’Afghanistan, est la cible d’une attaque revendiquée par les talibans. Selon un porte-parole de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan, « les assaillants n’ont pas pu entrer dans l’enceinte de la base ».
Un porte-parole régulier des talibans, Zabihullah Mujahed, a revendiqué l’attaque dans un appel téléphonique à l’AFP. La base de Jalalabad – une base et un aéroport militaires – est l’une des plus importantes de l’Alliance atlantique dans le pays, après celles de Kandahar (Sud) et de Bagram, dans la banlieue de Kaboul, toutes les deux cibles d’attaques d’insurgés, parfois kamikazes, ces derniers mois.
Les talibans ont promis en mai de lancer une série d’opérations de djihad (assauts, attentats et assassinats) visant les forces de l’OTAN et plus généralement les étrangers, en réponse à l’offensive en cours à Kandahar, berceau des talibans.
Cette nouvelle attaque intervient alors que les forces internationales vivent un mois de juin noir avec, pour la première fois depuis la chute des talibans fin 2001, la perte de cent soldats en un seul mois. Ce niveau de violence est comparable à celui qu’ont connu les forces internationales, notamment américaines, en Irak au pire de la guerre en 2007.
La coalition affiche par ailleurs ses dissensions après le limogeage la semaine dernière du général Stanley McChrystal, commandant des forces internationales en Afghanistan. Son successeur, le général américain David Petraeus, a cherché mardi à rassurer sur le cours d’une guerre de plus en plus impopulaire, tout en admettant s’attendre encore à « de rudes combats » dans les prochains mois.
AFP 30/06/10
AFP MUSTAFA TAUSEEF
Etats-Unis : vote du budget pour des renforts en Afghanistan, sur fond d’impopularité
La Chambre des représentants américaine a adopté jeudi soir un projet de budget 2010 supplémentaire pour le financement de renforts pour les opérations en Afghanistan, alors que la guerre devient de plus en plus impopulaire. Le texte, adopté à l’issue d’une série de votes jeudi soir, permet d’injecter plus de 30 milliards de dollars notamment pour financer l’envoi de 30 000 soldats supplémentaires décidé par le président Barack Obama.
L’adoption du texte intervient au lendemain de la confirmation par le Sénat à l’unanimité du général David Petraeus à la tête des forces internationales en Afghanistan. Le Sénat a déjà approuvé les fonds supplémentaires en mai. Mais le rajout par la Chambre de 10 milliards de dollars pour l’éducation, ainsi que pour le financement d’autres mesures non militaires va renvoyer le texte à la Chambre haute où il ne pourra être examiné qu’après les congés parlementaires de juillet, soit à partir du 12 juillet.
Le Congrès ne pourra donc pas approuver le financement des troupes avant le 4 juillet comme le demandait le secrétaire à la défense, Robert Gates, à court de fonds. En outre, le débat à la Chambre a été l’occasion pour les élus opposés à cette guerre, de plus en plus impopulaire dans l’opinion publique, de faire entendre leur voix.
AFP 02/07/10
Un général français convoqué après une interview sur la stratégie américaine
A la suite de l’entretien qu’il a accordé au Monde daté du vendredi 2 juillet, sur les difficultés de la stratégie américaine en Afghanistan, le général Vincent Desportes, directeur du Collège interarmées de défense, l’école de guerre française, a été convoqué par le chef d’état-major des armées, Edouard Guillaud. Celui-ci a demandé au ministre de la défense, Hervé Morin, de se prononcer sur une éventuelle sanction pour cette « faute ».
Dans l’interview, le général jugeait que le limogeage du général McChrystal, commandant de l’OTAN en Afghanistan, « ouvre un débat sur la tactique choisie », au moment où « la situation sur le terrain n’a jamais été pire ».
Expliquant que le président Obama avait « choisi une voie moyenne qui peine à fonctionner », il concluait : « Il faudra bien revoir la stratégie ». A la question de savoir si cela ne devait pas être un débat de la coalition internationale, il répondait : « c’est une guerre américaine ».
« Un premier bilan des résultats de la stratégie et de l’évolution d’ensemble de la situation sur le terrain sera réalisé lors du sommet de l’OTAN en novembre », a réagi le ministère des affaires étrangères. Auteur de nombreux ouvrages et articles, le général Desportes, 38 ans de carrière, doit prendre sa retraite dans quelques semaines.
AFP 02/07/10
Cent soldats étrangers tués en juin en Afghanistan
Juin 2010 a été le mois le plus meurtrier pour les forces internationales en huit ans et demi de guerre, avec cent soldats étrangers tués en Afghanistan, selon un décompte mardi de l’AFP après l’annonce par Washington de la mort d’un militaire américain. Le département de la défense américain a indiqué lundi soir qu’un de ses soldats était mort le 24 juin dans la province de Farah, dans l’est du pays.
Le bilan depuis le 1er juin, avec cent morts, a largement dépassé celui de 77 tués en août 2009, qui était jusqu’alors le mois le plus meurtrier depuis le début de l’offensive des forces internationales pour chasser les talibans du pouvoir fin 2001, selon un décompte basé sur celui du site Internet indépendant icasualties.org.
Les forces internationales n’avaient jamais atteint un tel niveau de pertes en Afghanistan. Le rythme vertigineux des pertes est comparable aux pires mois de la guerre en Irak, entre avril et juin 2007. Durant le mois, les forces internationales ont connu à trois reprises des journées avec dix soldats tués, en majorité dans des explosions de mines artisanales, l’arme de prédilection des talibans. Depuis 2005, l’insurrection des talibans s’intensifie considérablement, et chaque année s’achève sur un nouveau record de pertes dans les rangs des troupes étrangères comme pour les civils afghans.
Mais avec la mise en place d’une nouvelle stratégie de contre-insurrection fin 2009, le lancement d’une vaste offensive en février à Marjah, dans la province du Helmand — la plus importante depuis la chute des talibans — et l’opération en cours à Kandahar, les forces internationales ambitionnent d’inverser le cours de la guerre.
Mais le limogeage du général américain Stanley McChrystal, commandant des forces internationales en Afghanistan, et son remplacement par le général David Petraeus, considéré aux Etats-Unis comme un « héros » de la guerre en Irak, ont assombri le tableau en cette année considérée comme cruciale.
L’enlisement avant la défaite
Neuf ans de guerre en Afghanistan n’y ont rien changé. Les troupes occidentales semblent incapables de regagner le terrain perdu.
Il faut saluer l’esprit de décision dont a fait preuve le président Obama lorsqu’il a limogé, le 23 juin, Stanley McChrystal, un général chroniquement insubordonné. Mais nous avons toujours sur les bras une guerre désastreuse en Afghanistan, qui ne peut être gagnée et que l’ensemble du pays ne soutiendra jamais.
A Washington, personne n’a l’honnêteté d’exposer la situation réelle au peuple américain. On nous rebat les oreilles avec la contre-insurrection. Rien n’indique cependant que cette stratégie marchera en Afghanistan. Jusqu’à présent, elle s’est révélée inefficace. Et, même si nous arrivions à mettre en place les pièces du puzzle, les plus farouches partisans de la contre-insurrection dans l’armée nous diraient qu’il faut entre dix et quinze ans d’efforts soutenus pour qu’elle porte vraiment ses fruits.
Voilà près d’une décennie que nous nous trouvons en Afghanistan. C’est l’un des pays les plus corrompus de la planète et l’épicentre de la production mondiale d’opium. Notre allié officiel, le président Hamid Karzai, est convaincu que les Etats-Unis ne peuvent l’emporter : aussi cherche-t-il à tout prix à s’entendre directement avec l’ennemi taliban. L’opinion américaine ne croit plus à cette guerre depuis longtemps, et il n’est pas du tout certain que, pour le président Obama également, le cœur y soit.
L’idée même que nous puissions envisager de rester quelques années de plus en Afghanistan pour nous battre et mourir est démentielle. D’autant plus que nul ne sait combien de milliards de dollars supplémentaires le contribuable américain devra payer.
Tous ceux que la contre-insurrection fascine tant – au premier chef, son plus ardent défenseur, le général David Petraeus [nommé par Obama pour remplacer McChrystal] – ont visiblement perdu de vue un aspect fondamental de la guerre : on ne fait pas la guerre à moitié. On fait la guerre pour écraser l’ennemi. On la fait à fond et aussi rapidement que possible. Si on s’embarrasse de scrupules ou si on ne sait pas comment la faire, alors on ne la fait pas.
Les soldats qui ont débarqué sur les plages de Normandie n’essayaient pas de gagner le cœur et l’esprit de quiconque. En Afghanistan, nous jouons un jeu dangereux, sans enthousiasme, dans lequel le président Obama dit au peuple américain qu’il s’agit d’une guerre nécessaire et qu’il fera tout ce qu’il faut pour réussir. Puis, dans un même souffle, il veut nous rassurer en promettant que le retrait des troupes américaines commencera selon le calendrier prévu, dans un an. Aucune de ces affirmations n’est conforme à la vérité. En réalité, nous ne sommes pas en train de nous battre avec acharnement. Les partisans de la contre-insurrection ne veulent pas trop malmener l’ennemi parce qu’ils craignent, à juste titre, qu’un nombre excessif de pertes civiles n’aliène “les cœurs et les esprits” et ne sape l’édification d’une nation, deux notions au cœur de cette stratégie.
Nous sombrons de plus en plus profondément dans le fétide bourbier afghan, et ni le président, ni Petraeus, ni personne d’autre n’a la moindre idée de la manière d’en sortir. Les fanatiques de la contre-insurrection réclament des renforts et ils veulent que le président oublie son calendrier, déjà peu plausible, fixant à juillet 2011 le début du retrait des troupes. Nous sommes comme le joueur invétéré qui accumule les dettes pour miser dans un jeu où les dés sont pipés. Il n’y a pas de victoire possible en Afghanistan, seulement des souffrances. Nous sommes en train de raser Detroit, tout en essayant de bâtir des métropoles modèles à Kaboul et à Kandahar. Nous dépensons des milliards pour cette terrible guerre, mais nous ne sommes pas capables de prolonger le versement des allocations chômage pour les Américains en fin de droits.
La différence entre la situation actuelle et un cauchemar, c’est qu’au réveil un mauvais rêve prend fin. Ce que nous vivons actuellement en Afghanistan est malheureusement tragiquement réel.
The New York Times (02/07/10)
» Les civils et une solution politique ne sont pas la priorité des Américains «
Mariam Abou-Zahab, chercheuse rattachée au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri), analyse la divulgation par le site Wikileaks de plus de 90.000 fichiers classés sur la guerre en Afghanistan.
Quels éléments ont retenu votre attention dans la gigantesque quantité de données révélées par le site Wikileaks?
Pour ceux qui suivent le conflit en Afghanistan, on n’apprend pas grand chose dans ces «carnets de guerre». Ils viennent confirmer beaucoup d’éléments sur les pertes civiles, et nous révèlent de nouveaux incidents dont on n’avait jamais fait état. Mais beaucoup de cas restent inconnus. Il se passe des choses au fin fond de l’Afghanistan qui ne remontent même pas. Selon les données réunies par le Guardian , au moins 195 civils ont été tués par les soldats de la coalition, en majorité américains. C’est un chiffre sous-estimé.
Les médias, notamment français et américains, mettent en avant le rôle du Pakistan pour ne pas parler du reste (l’allié de Washington est accusé d’autoriser des membres de ses services de renseignement à traiter directement avec les talibans, ndlr). Il est très facile de dire que c’est de la faute des Pakistanais, mais il y a beaucoup d’intox là-dedans. Selon cette version, l’insurrection serait menée de l’extérieur. L’objectif est de justifier les attaques des Américains au Pakistan, notamment avec les drones. Il faut noter que celles-ci sont deux fois plus nombreuses sous Obama que sous Bush.
Je reste donc prudente sur ce qui relève du renseignement. En revanche, il y a des éléments factuels que l’on ne peut pas nier.
Lesquels vous semblent les plus déterminants pour expliquer les difficultés de la coalition en Afghanistan?
D’abord, la question des bombardements aériens. Les troupes y ont recours dès qu’elles sont en difficulté. Le problème, c’est qu’on ne sait pas très bien où les bombes vont tomber. Ce scénario s’est d’ailleurs encore produit dans le Helmand vendredi (au moins 45 civils auraient été tués dans une attaque à la roquette menée depuis un hélicoptère, ndlr). Dans ce genre de cas, la coalition dit au début: «on ne sait pas». Puis, elle détaille et affirme avoir «tué des talibans».
Mais désormais, les journalistes afghans se rendent sur place et peuvent recueillir des témoignages circonstanciés. Cela entraîne une protestation du gouvernement d’Hamid Karzaï. Une enquête est déclenchée, mais elle traîne, et la coalition conclut finalement que les pertes civiles sont de la faute des talibans. Parfois, la coalition propose de l’argent comme dédommagement. Cela mine les relations avec les civils, car c’est reconnaître qu’il y a bien eu bavure.
Les raids de nuit des forces spéciales, notamment ceux de la Task Force 373 (lire l’article du Guardian sur le sujet), posent aussi problème. Leur mission est de tuer – même pas capturer – insurgés, talibans, ou membres d’Al-Qaeda. Ces commandos débarquent de nuit dans les maisons. Mais ils se trompent parfois, car les renseignements ne sont pas toujours fiables. Il peut très bien s’agir d’un règlement de comptes entre voisins. Pour les Afghans, ce genre d’opération est culturellement insupportable. Le traumatisme et l’humiliation provoquent des désirs de vengeance.
Il y avait pourtant eu un changement de stratégie restreignant les règles d’engagement pour les soldats de la coalition, non?
Entre ce qui se décide au niveau du commandement et le terrain, ça ne suit pas forcément. Dans le sud du pays, les Américains et même les Canadiens sont très frustrés de ne pas pouvoir ouvrir le feu quand on leur tire dessus. Et désormais, la priorité de Petraeus (le nouveau commandant en chef de la coalition en Afghanistan, ndlr) semble être de gagner la guerre…
Quel impact ces fuites peuvent-elles avoir?
La sortie des ces informations risque d’ennuyer les Américains, qui ont déjà des relations délicates avec le Pakistan. Cela arrive à un moment où les opinions publiques sont de plus en plus hostiles à cette guerre, en tout cas dans les pays où il y a un débat. Aux Etats-Unis, on s’interroge de plus en plus sur le coût de ce conflit, et il y a fort à parier que certains vont se dire: «voilà une raison de plus pour s’en aller».
D’autant que l’on se rend bien compte que l’armée et la police afghanes ne sont pas du tout au point, et qu’elles sont loin d’être fiables. Aujourd’hui, les Américains cherchent une porte de sortie qui ne dit pas son nom. L’«afghanisation» du conflit, c’est un terme différent, mais ça n’a rien de nouveau: cela veut dire réarmer des milices. On se rend compte que la protection des civils et la recherche de solutions politiques sont loin d’être la priorité des Américains.
Né en 1967 dans le West Yorkshire, David Peace s’est fait connaître en France avec la publication du Quatuor du Yorkshire (Rivages Noir). Quatre romans d’une grande noirceur se déroulant dans les banlieues thachériennes. Le Festival International du Roman noir, qui s’est terminé hier à Frontignan, proposait cette année d’en découvrir l’adaptation cinématographique TheRed Riding Triogy qui participe au renouveau du cinéma noir britannique. « Comme Ellroy, David Peace est un auteur très soucieux des détails et de la vraisemblance du climat où se déroule l’action, indique François Guérif qui a signé les deux auteurs dans les collections dont il assure la direction (Rivage/ Noir, Rivage/Thriller). David ne veut surtout pas écrire un livre sur les années 80 avec la langue de 2002. C’est difficile parce que la langue évolue en permanence. Lorsqu’il prépare un livre il s’immerge totalement dans l’époque qu’il va traiter. » L’écrivain qui a vécu 9 ans à Tokyo écrit actuellement une trilogie sur le Japon de l’après-guerre. Le premier livre Tokyo année zéro est paru au printemps. Rencontre.
Quel est le phénomène déclencheur qui vous a poussé à écrire sur le Japon ?
Je vivais au Japon depuis plusieurs années, mon fils est né là-bas. Je voulais qu’il connaisse l’histoire du pays. Comment il a été détruit et comment il s’est reconstruit. Le premier volume débute en 1946 dans une ville en ruine.
Dans ce vaste cimetière où le pays abdique, l’inspecteur Minami découvre un cadavre et il va poursuivre son travail comme si de rien n’était…
A l’image de son pays, le personnage de Minami est désagrégé. Il tente de recoller les morceaux à travers l’exercice de son métier. Concernant le meurtre, je me suis inspiré d’une affaire réelle. On peut s’étonner de l’attitude de ce policier. Dans une ville où l’on compte les cadavres par centaines, à quoi bon s’intéresser au sort de cette femme morte ? Minami cherche à trouver l’assassin mais sa quête est aussi identitaire. A la fin, le problème de l’identité n’est pas résolu.
La période où vous nous plongez est celle où les forces d’occupation américaines mettent un terme à la culture japonaise. On assiste à l’éradication de la gauche réalisée avec l’aide des clans yakuzas, à la mise en place dune constitution et à l’imposition par la force des valeurs occidentales…
L’occupation américaine, qui s’est poursuivie jusqu’en 1952, a refaçonné complètement le pays et dessiné le Japon actuel. C’est la fin d’une culture millénaire. La même histoire s’est répétée en Irak. Pour le Japon on était dans le contexte de la guerre froide. La mafia japonaise a en effet largement participé à nettoyer le terrain au profit des grandes familles japonaises qui ont continué d’exercer le contrôle de l’économie. A une plus petite échelle, dans la France de l’après-guerre, la CIA a fait appel à la mafia corse pour briser les grèves.
Pourquoi s’appuyer sur des faits divers pour aborder l’histoire ?
Le fait de parler des crimes permet d’envisager un contexte politique plus global. Les gens sont fascinés par les crimes. C’est une façon de s’allier des lecteurs dans l’espoir qu’ils s’intéresseront à ce qui se passe derrière les meurtres. C’est le travail de l’écrivain ou du journaliste de relier les faits divers à des choses plus importantes.
Quel regard portez-vous sur la conscience politique des populations britannique et japonaise à la lumière des élections et de la démission du Premier ministre japonais faute d’avoir pu fermer la base militaire US d’Okinawa ?
Dans les deux cas, il me semble qu’aujourd’hui le problème principal concerne l’abandon de l’Etat providence. L’extrême droite est très puissante au Japon. La droite est au pouvoir depuis l’après-guerre hormis une petite parenthèse en 1993 et l’arrivée du centre gauche avec l’élection du Premier ministre Yukio Hatoyama qui n’a tenu que neuf mois. L’échec du déménagement de la base américaine sur l’île d’Okinawa qui faisait partie de son programme a lourdement pesé dans l’opinion publique. Les Japonais s’étaient mobilisés pour le départ des Américains à la suite du viol d’une fillette de neuf ans par un GI américain. En Grande-Bretagne, personne n’a voté pour la coalition des libéraux-démocrates et des conservateurs actuellement au pouvoir. Aujourd’hui ils proposent une politique imposée par les banquiers qui ne figurait dans aucun de leur programme respectif. Nous sommes les moins révolutionnaires du monde. Nous avons coupé la tête du roi et ensuite nous l’avons recollé. Aujourd’hui les Britanniques ne se préoccupent que de la World Cup !
Le juge qui enquête sur l’attentat de Karachi en 2002 a confirmé vendredi que le mobile de cet acte terroriste – qui a tué 11 Français – était probablement lié à l’arrêt du versement de commissions, pouvant elles-mêmes avoir donné lieu à des malversations financières en France.
Le juge Marc Trévidic a également suggéré, au cours d’une rencontre avec les familles de victimes, que le président Nicolas Sarkozy savait que l’ancien président Jacques Chirac avait ordonné l’interruption des versements de commissions peu après son élection en 1995, car il soupçonnait l’existence de rétro-commissions vers des décideurs français.
Depuis plus d’un an, l’enquête du juge antiterroriste s’est réorientée vers l’hypothèse de représailles pakistanaises à l’arrêt du versement de ces commissions pour expliquer l’attentat du 8 mai 2002 qui a coûté la vie à 15 personnes, parmi lesquelles 11 salariés français de la Direction des Constructions navales (DCN).
Financement de la campagne balladurienne en 1995?
Les commissions versées sur le contrat de vente de trois sous-marins Agosta en 1994 au Pakistan pourraient elles-mêmes avoir donné lieu à des rétro-commissions illégales pour financer la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995, selon des témoignages et rapports versés au dossier.
Ce que l’ancien Premier ministre conteste formellement. «La piste que le juge Trévidic privilégie est celle d’infractions financières qui auraient permis à un certain nombre d’hommes politiques de bénéficier de rétro-commissions illicites», a rapporté l’un des avocats des parties civiles, Me Olivier Morice, à l’issue de la rencontre.
Selon le juge, des documents internes de DCN versés au dossier démontrent «l’existence de rétro-commissions illicites», a ajouté l’avocat qui a déposé mardi au nom de six familles une nouvelle plainte, notamment pour corruption, dans l’espoir de voir désigné un juge d’instruction financier.
Intermédiaire libanais
Il est également avéré, selon de nouveaux documents versés au dossier, qu’un intermédiaire libanais Ziad Takieddine, imposé dans le contrat par le cabinet du ministre de la Défense, François Léotard, selon plusieurs témoignages, a perçu quatre pour cent du montant du contrat, soit environ 216 millions de francs. Si la destination finale de cette somme n’est pas encore connue, «il est clair qu’au plus haut niveau de l’Etat français on sait parfaitement les motifs qui ont conduit à l’arrêt du versement des commissions», a rapporté Me Morice.
Or, le juge accuse l’Etat de freiner son enquête et a déploré devant les familles «le fait d’être seul et de manquer de moyens pour enquêter», a ajouté Me Morice. Le juge a ainsi «regretté (…) un certain manque de coopération de la DCRI» (Direction centrale du Renseignement intérieur, NDLR), selon l’avocat.
«Absence totale de coopération de l’exécutif»
De même, il ne reçoit plus l’aide d’Yves Jannier, le magistrat à la tête du pôle antiterroriste du tribunal de Paris, pourtant saisi avec lui sur ce dossier. Ce juge, absent de la rencontre avec les familles, ne «croit pas à la thèse d’un mobile financier pour expliquer l’attentat» et a par conséquent «décidé de ne pas travailler sur cette thèse», a déploré Magali Drouet, fille d’une victime de l’attentat.
«On a un peu l’impression qu’on se moque de nous. Michèle Alliot-Marie (ministre de la Justice) et les membres du gouvernement disent qu’ils veulent donner les moyens de faire la lumière sur cette affaire mais on voit bien que ce n’est pas le cas», a regretté une proche de victimes, Sandrine Leclerc. En mai, le député socialiste Bernard Cazeneuve, rapporteur d’une mission parlementaire sur Karachi, avait déjà déploré que le travail de la mission ait été entravé par «une absence totale de coopération de l’exécutif et du gouvernement».
Le vice-Premier ministre Naoto Kan pourrait lui succéder. Yukio Hatoyama est le quatrième chef de gouvernement à démissionner en 4 ans au Japon .
Yukio Hatoyama a démissionné de son poste de Premier ministre du Japon (AFP)
Le Premier ministre japonais de centre-gauche Yukio Hatoyama a annoncé sa démission mercredi 2 juin, après avoir atteint un niveau d’impopularité impressionnant en moins de neuf mois à la tête du pays. L’actuel vice-Premier ministre et ministre des Finances, Naoto Kan, 63 ans, apparaît, selon les médias, comme le candidat le mieux placé pour lui succéder.
Lors d’une réunion des principaux responsables de sa formation, le Parti Démocrate du Japon (PDJ), le désormais ex-Premier ministre a déclaré qu’il avait également demandé la démission du secrétaire-général du parti Ichiro Ozawa, inquiété à plusieurs reprises par la justice pour financement occulte. « Le travail du gouvernement n’a pas été bien compris du public. Nous avons perdu son écoute », a-t-il reconnu.
Héritier d’une richedynastie politico-industrielle souvent comparée aux Kennedy, il avait remporté triomphalement les élections législatives en août dernier et avait été élu au poste de Premier ministre le 16 septembre. Crédité d’un taux de popularité de plus de 70% au début de son mandat, il a très rapidement entamé une dégringolade dans les sondages en raison essentiellement de ses volte-face et de sonmanque de décision.
Lâché par le PDJ
Il a cité deux raisons à son départ: la gestion désastreuse du déménagement de la base américaine de Futenma sur l’île d’Okinawa (sud) et les scandales de financement occulte qui ont également éclaboussé son entourage. Selon l’agence de presse Jiji, le PDJ devrait se réunir vendredi pour élire un nouveau président, qui sera ensuite soumis au vote des deux Chambres du Parlement. La pression montait depuis plusieurs jours sur Yukio Hatoyama, dont la cote de popularité avait chuté en dessous des 20% d’opinions favorables. Plusieurs responsables du PDJ réclamaient son départ afin de sauver les chances des candidats de la majorité aux élections sénatoriales du 11 juillet.
« Supporter le fardeau »
Le plus grand reproche que lui font les Japonais est d’avoir rompu sapromesse électorale de retirer la base de Futenma d’Okinawa. Ce renoncement a fait voler en éclats la coalition gouvernementale tripartite de centre-gauche formée entre le PDJ et deux petites formations. Le Parti Social-Démocrate (PSD), opposé au maintien de la base aérienne de Futenma, a quitté le gouvernement vendredi et rejoint l’opposition.
« La coopération entre le Japon et les Etats-Unis est indispensable pour la paix et la sécurité dans l’Asie de l’Est et j’ai été contraint de demander aux habitants d’Okinawa, à mon grand regret, de supporter le fardeau », a-t-il dit. « Il est extrêmement regrettable que les Sociaux-Démocrates aient été obligés de quitter le gouvernement », a-t-il ajouté.