Pourquoi se pencher sur le sort d’une femme morte ?

David Peace. Photo

Né en 1967 dans le West Yorkshire, David Peace s’est fait connaître en France avec la publication du Quatuor du Yorkshire (Rivages Noir). Quatre romans d’une grande noirceur se déroulant dans les banlieues thachériennes. Le Festival International du Roman noir, qui s’est terminé hier à Frontignan, proposait cette année d’en découvrir l’adaptation cinématographique The Red Riding Triogy qui participe au renouveau du cinéma noir britannique. « Comme Ellroy, David Peace est un auteur très soucieux des détails et de la vraisemblance du climat où se déroule l’action, indique François Guérif qui a signé les deux auteurs dans les collections dont il assure la direction (Rivage/ Noir, Rivage/Thriller). David ne veut surtout pas écrire un livre sur les années 80 avec la langue de 2002. C’est difficile parce que la langue évolue en permanence. Lorsqu’il prépare un livre il s’immerge totalement dans l’époque qu’il va traiter. » L’écrivain qui a vécu 9 ans à Tokyo écrit actuellement une trilogie sur le Japon de l’après-guerre. Le premier livre Tokyo année zéro est paru au printemps. Rencontre.

Quel est le phénomène déclencheur qui vous a poussé à écrire sur le Japon ?

Je vivais au Japon depuis plusieurs années, mon fils est né là-bas. Je voulais qu’il connaisse l’histoire du pays. Comment il a été détruit et comment il s’est reconstruit. Le premier volume débute en 1946 dans une ville en ruine.

Dans ce vaste cimetière où le pays abdique, l’inspecteur Minami découvre un cadavre et il va poursuivre son travail comme si de rien n’était…

A l’image de son pays, le personnage de Minami est désagrégé. Il tente de recoller les morceaux à travers l’exercice de son métier. Concernant le meurtre, je me suis inspiré d’une affaire réelle. On peut s’étonner de l’attitude de ce policier. Dans une ville où l’on compte les cadavres par centaines, à quoi bon s’intéresser au sort de cette femme morte ? Minami cherche à trouver l’assassin mais sa quête est aussi identitaire. A la fin, le problème de l’identité n’est pas résolu.

La période où vous nous plongez est celle où les forces d’occupation américaines mettent un terme à la culture japonaise. On assiste à l’éradication de la gauche réalisée avec l’aide des clans yakuzas, à la mise en place dune constitution et à l’imposition par la force des valeurs occidentales…

L’occupation américaine, qui s’est poursuivie jusqu’en 1952, a refaçonné complètement le pays et dessiné le Japon actuel. C’est la fin d’une culture millénaire. La même histoire s’est répétée en Irak. Pour le Japon on était dans le contexte de la guerre froide. La mafia japonaise a en effet largement participé à nettoyer le terrain au profit des grandes familles japonaises qui ont continué d’exercer le contrôle de l’économie. A une plus petite échelle, dans la France de l’après-guerre, la CIA a fait appel à la mafia corse pour briser les grèves.

Pourquoi s’appuyer sur des faits divers pour aborder l’histoire ?

Le fait de parler des crimes permet d’envisager un contexte politique plus global. Les gens sont fascinés par les crimes. C’est une façon de s’allier des lecteurs dans l’espoir qu’ils s’intéresseront à ce qui se passe derrière les meurtres. C’est le travail de l’écrivain ou du journaliste de relier les faits divers à des choses plus importantes.

Quel regard portez-vous sur la conscience politique des populations britannique et japonaise à la lumière des élections et de la démission du Premier ministre japonais faute d’avoir pu fermer la base militaire US d’Okinawa ?

Dans les deux cas, il me semble qu’aujourd’hui le problème principal concerne l’abandon de l’Etat providence. L’extrême droite est très puissante au Japon. La droite est au pouvoir depuis l’après-guerre hormis une petite parenthèse en 1993 et l’arrivée du centre gauche avec l’élection du Premier ministre Yukio Hatoyama qui n’a tenu que neuf mois. L’échec du déménagement de la base américaine sur l’île d’Okinawa qui faisait partie de son programme a lourdement pesé dans l’opinion publique. Les Japonais s’étaient mobilisés pour le départ des Américains à la suite du viol d’une fillette de neuf ans par un GI américain. En Grande-Bretagne, personne n’a voté pour la coalition des libéraux-démocrates et des conservateurs actuellement au pouvoir. Aujourd’hui ils proposent une politique imposée par les banquiers qui ne figurait dans aucun de leur programme respectif. Nous sommes les moins révolutionnaires du monde. Nous avons coupé la tête du roi et ensuite nous l’avons recollé. Aujourd’hui les Britanniques ne se préoccupent que de la World Cup !

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Roman noir : Ellroy dépasse le mur du crime, Rubrique Japon, le PJD perd le Sénat, Rubrique livre Yakuza ed Philippe Picquier, Rubrique Grande Bretagne, L’impasse britannique est liée à la crise,

La parole donnée au noir

Au-delà des séances de dédicaces qui gardent pleinement leur vocation, le Firn est un lieu où l’on forge sa pensée critique. Les nombreuses tables rondes organisées permettent d’approfondir la noire parole souvent bien plus édifiante que les austères critiques.

Samedi à l’heure où le soleil touchait à son zénith, un beau plateau d’auteurs mettait le couvert autour de la question : crime social et crime historique. Lorsqu’on demande à l’auteur américain Adam Braver, dont l’ouvrage 22 novembre 1963 sur l’assassinat de JF. Kennedy vient d’être traduit, s’il a du nouveau sur cette affaire, il répond que ce n’est pas ce qui l’intéresse. « Ce meurtre est un pavé dans la mare. Moi je m’attache aux petites ondes sur la surface de l’eau.  Il s’agit davantage de parler du présent que de dénoncer quoi que ce soit. Parce qu’aux États-Unis tout devient très vite un mythe et se retrouve, de la sorte, gravé dans le marbre. Avec ce livre je m’intéresse à ce qui se passe dans la société autour de cet événement. Je voulais lui redonner une dimension humaine. »

daeninckxLe roman noir est ici envisagé comme un moyen d’échapper à l’usine à rêve. Pour David Peace, il permet d’écrire une histoire qui n’est pas officielle : « Si on ne s’intéresse pas aux répercussions économiques sociales et politiques d’un fait on ne comprend pas ce qui se passe. » Didier Daeninckx dont l’œuvre confirme une volonté d’ancrer ses intrigues dans la réalité explique comment cela lui est venu : « L’histoire de ma rencontre avec la mémoire mondiale a débuté par l’assassinat par la police de Papon de quelqu’un qui m’était proche. » L’auteur de Meurtre pour mémoire a signé depuis une quarantaine d’ouvrages. Son dernier livre Galadio narre l’histoire d’un jeune Allemand, né à Duisbourg en 1920, qui découvre qu’il est également Galadio Diallo, l’enfant d’un tirailleur de l’armée française originaire du Mali et part à la recherche de ses origines africaines.

denis_robert_poingLe journaliste Denis Robert engagé dans la lutte contre le crime financier témoigne des difficultés qu’il a rencontrées dans son enquête sur l’affaire Clearstream. « Ce que je n’avais jamais mesuré auparavant, c’est la faiblesse des hommes, des journalistes, et des juges… Après un de mes procès perdus en appel, on a retiré un de mes livres des mains des lecteurs qui venaient l’acheter dans les Virgin et les Fnac. Le plus incroyable, dans un pays comme la France, c’est que personne n’en a vraiment parlé. » Le livre documentaire et le roman noir demeurent néanmoins de l’avis général un espace d’expression privilégié pour aborder des sujets dont on ne peut parler ailleurs. Même s’il faut lutter contre la censure à l’image de la journaliste et auteur turque laïque Mine G.Kirikkanat qui trouve dans la fiction un moyen de la dépasser.

Jean-Marie Dinh