Toshiki Okada. Les doutes d’un Japon post-Fukushima.

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Time’s Journey through a room de Toshiki Okada

Au CDN hTh la pièce scénarisée et mise en scène par Toshiki Okada s’insère dans la programmation entre le  bruit et la fureur. Reconnu aujourd’hui comme une figure majeure des arts de la scène dans le monde, Toshiki Okada met en scène les complexités et les doutes d’un Japon hyper contemporain post-Fukushima.

C’est à la suite du séisme qui frappa la côte pacifique du Japon en 2011 que la vision théâtrale du dramaturge s’est orientée vers l’exploration de la validité de la fiction. Mettant à profit la capacité japonaise d’une interrogation profonde post traumatique à l’instar du Butô qui s’inscrivait en rupture avec les arts vivants traditionnels du nô et du kabuki, impuissants à exprimer des problématiques nouvelles. Né en réaction aux traumatismes laissés par la Seconde Guerre mondiale.

Un demi siècle plus tard, la catastrophe de Fukushima semble demander un nouveau dépassement. «?Les émotions qui ont surgi dans le coeur des Japonais durant les jours qui ont suivi la catastrophe n’étaient pas seulement limitées à la douleur et au mal-être?; il y avait également une lueur d’espoir, l’idée que les choses allaient s’améliorer par la suite. Aujourd’hui, alors qu’il n’est plus possible d’espérer ceux qui continuent de vivre sont tourmentés par les fantômes de ceux qui, avant de disparaître, croyaient en l’avenir.

Avec Time’s journey through a room Toshiki Okada construit un espace temps commun au passé et au présent qui semble imperméable à l’avenir. Dans cette forme d’expression post Fukushima, plus aucun appui n’est possible, les corps parlent en suspension, l’existence se cherche entre l’ombre et la lumière.

JMDH

Source : La Marseillaise 21/10/2016

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Montpellier, rubrique Asie, Japon, Fukushima,

Dossier. Théâtre en péril, fin d’un modèle à Montpellier et dans l’Hérault ?

""Les choses paraissent fragiles mais, en fait, c'est toute la vie qui est fragile" Patrick Neu

«  »Les choses paraissent fragiles mais, en fait, c’est toute la vie qui est fragile » Patrick Neu

Déjà sous pression budgétaire, la vie théâtrale héraultaise et montpelliéraine subit les affres du redécoupage territorial et de la méconnaissance des politiques. Attention fragile !

Dossier Réalisé Par JMDH Source La Marseillaise 12/10/2016

 

 

 

 

Beziers : sortieOuest dissolution imminente de  l’association     

4602945_3_42fb_le-chapiteau-theatre-sur-le-domaine-de_8a80da1b9d2301c1d82328f8476cb8deLe lieu culturel populaire et parfaitement compatible avec les questionnements contemporains est menacé. Le Conseil départemental programme la fin de l’association, les spectateurs se mobilisent jeudi à 16h, jour du Conseil d’Administration.

 

Montpellier. Départ de Rodrigo Garcia

Le président de la Métropole Philippe Saurel botte en touche.

201504281637-full«  Il a porté à ma connaissance par courrier qu’il ne souhaitait pas renouveler son mandat. J’entretiens d’excellentes relations avec le directeur du CDN de Montpellier, Rodrigo Garcia. J’ai négocié avec beaucoup de doigté. Nous avons déjeuné ensemble. Il propose une programmation de qualité. C’est vrai que c’est un théâtre peut-être pas à la portée de tous les publics. Je l’ai soutenu. Dans les moments de crise, j’ai pris le parti de dire que le homard n’est pas un animal de compagnie. »

Nomination. Aurelie Filippetti s’adapte.
aurelie-filippetti-ministre-aux-ordres,M93849L’ancienne ministre de la culture qui avait nommé Rodrigo Garcia à la tête du CDN assure aujourd’hui la présidence du festival montpelliérain CINEMED. « Pour les artistes c’est toujours délicat. On a souvent le cas de personnes qui ne veulent jamais lâcher leur mandat , cette fois c’est le contraire. C’est lui qui annonce son départ

 

 

 

 

VIE ARTISTIQUE

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Déjà sous pression budgétaire,  la vie théâtrale héraultaise et montpelliéraine subit les affres du redécoupage territorial et de la méconnaissance des politiques. Attention fragile !

Depuis toujours, le théâtre se passionne pour le quotidien ordinaire des hommes et des femmes. Face à la crise planétaire que traverse l’humanité, il doit faire face aujourd’hui à la barbarie d’une radicalisation religieuse, politique, sociale et économique qui se présente sous les traits d’une violence aux multiples facettes. A Montpellier, dans la Région et au-delà, cette violence quotidienne questionne les artistes et les acteurs culturels de façon aiguë. Comment l’éducation à la consommation qui va de concert avec la paupérisation des connaissances et la montée de la violence pourrait-elle ne pas peser de tout son poids sur les politiques culturelles et plus particulièrement le théâtre ?

Le théâtre est un art politique, non par son contenu idéologique, mais à travers la progression régulière de l’action qui fonde l’intensité dramatique, politique aussi, à travers la contestation des valeurs données comme intangibles. Certains artistes, c’est le cas de Rodrigo Garcia, annonçant vendredi qu’il ne briguera pas un second contrat à la direction du CDN de Montpellier, ont fait du consumérisme le tremplin d’une mutation des formes dramatiques et scéniques. Ils proposent un travail artistique affirmé plein d’ambivalence. Et le désordre s’empare du plateau, parce que le quotidien qui se présente résiste à toute forme de sens. La scène devient le lieu où se renouvelle l’espace.

Le public jeune perçoit l’expression d’une rupture 

« Mes choix artistiques peuvent paraître radicaux si on les compare aux autres. Moi, je n’ai pas ce sentiment. La majorité de ce qui est programmé dans les CDN est radicalement conservateur, dans ce contexte, ma propre radicalité ouvre une fenêtre pour l’expression plurielle », formulait ily a peu, le directeur d’hTh.

Le public cultivé traditionnel ne voit pas dans «l’insignifiance» enchanteresse un moyen de relever le défi. Il peut éprouver dans cette transgression le sentiment d’un espace qu’on lui retire. A l’inverse, le public nouveau, plus jeune, perçoit  dans cette inquiétante étrangeté l’expression d’une rupture liée à la violence de l’histoire contemporaine. Une alternative aussi à la culture high-tech que lui propose la société de consommation.

Le CDN hTh occupé en avril 2016

Le CDN hTh occupé en avril 2016

Le projet hTh se caractérise par un esprit d’ouverture sans frou-frou. Le hall du théâtre est devenu lieu de création et d’échanges tous azimuts.  Rodrigo Garcia n’a jamais revendiqué le statut d’artiste engagé politiquement. Il a eu maille à partir avec le conflit des intermittents du spectacle. En 2014, il annule les représentations de Golgota Picnic au Printemps des Comédiens. S’il affirme à l’époque son soutien aux intermittents et précaires en lutte,  il se fend d’une lettre où il fait référence aux artistes étrangers victimes de la grève. «Les intermittents français défendent leurs droits avec un égoïsme prononcé et ne se préoccupent pas de ce qui se passe autour d’eux.»  En avril dernier, alors que le CDN est occupé il déclare «Je partage le point de vue des travailleurs. Perdre des droits correspond à un retour en arrière.» Cette fois, les spectacles se poursuivent et le combat trouvera une issue favorable.

Au-delà de la représentation esthétique, force est de constater que le communiqué de Rodrigo Garcia ne focalise pas sur le contenu de ses propositions mais sur l’étroitesse financière de son budget artistique, 350 000 euros, que l’on peut mettre en regard avec le budget d’une ZAT  (Zone artistique temporaire), 500 000 euros pour deux jours. Le directeur du CDN hTh pointe notamment le refus de la Métropole de mettre à disposition un bus pour accéder au Domaine de Grammont qui n’est pas desservi par les transports en commun.

Enfin le projet de transfert du CDN au Domaine d’O proposé par le maire de Montpellier et président de la Métropole, Philippe  Saurel, apparaît comme un élément majeur dans la décision de Rodrigo Garcia de ne pas prolonger son mandat. «Pour ce qui nous concerne, nous ne refuserons jamais de grandir. Toute initiative qui viserait à faire du CDN un projet plus important, j’y serai favorable »,  indiquait-il en avril dernier.

Il ne s’est rien passé depuis, qu’une stérile lutte de pouvoir sans l’ombre d’un projet artistique. Jean Varela directeur de sortieOuest et grand défenseur de l’action publique l’a dit d’un autre endroit : « La seule question est de savoir comment les politiques conçoivent un service public de qualité. »

Jean-Marie Dinh

 

PRODUCTION hTh 2016
Markus Ohrn  s’attaque à l’ancien testament

markus-1168x350Rodrigo Garcia l’a souligné, il remplira son contrat. Et qu’on se le dise, la saison hTh 2016/2017 mérite le détour. Elle se compose d’une succession de propositions internationales, mais pas seulement, parfaitement décoiffantes. Le coup d’envoi a été donné avec To Walk the Infernal Field, une création post bourgeoise, de l’artiste visuel suédois Markus Ohrn en collaboration avec le dramaturge Pär Thörn, qui s’inspire librement de l’Ancien Testament relu au gré d’un univers Hard metal.

Un retour à la genèse reposant sous la forme d’une série de 70 épisodes en 10 chapitres. L’aventure, pour le moins risquée, a débuté à Montpellier où les trois premières soirées ont été données du 5 au 7 octobre. L’inventivité débridée et le principe performatif adapté à celui de la série produisent pour beaucoup un effet addictif. Qu’ils se rassurent, le chapitre 2 se tiendra à hTh du 1er au 3 décembre. Pour les suivants, il faudra surveiller les programmations des théâtres et festivals des grandes villes européennes.

To walk the infernal fields donne une interprétation des Livres de Moïse en tant que doctrine d’économie politique, construction d’une identité nationale et des lois terrestres autant que religieuses. « Je trouve pertinent de procéder à un examen de la Bible dans une époque au cours de laquelle tout le monde est obsédé par l’interprétation du Coran », indique Markus Ohrn.

Autre parti pris radical exprimé par l’auteur face au public après l’une de ses représentations « Je ne veux pas créer une performance qui puisse être envisagée comme un produit à vendre ou à acheter. Je veux  que l’expérience soit réellement ressentie comme l’ici et maintenant. C’est pourquoi, il n’y aura pas d’autre opportunité de la voir ensuite, car elle disparaîtra

Dans le public, auquel on a fourni à l’entrée des boules-Quies afin qu’il préserve son audition, une dame interroge le metteur en scène « Moi j’ai 80 ans, et je me demande si vous pensez au public quand vous faites vos spectacles ?                                                   – Oui bien-sûr, répond l’artiste, je considère que c’est un don que je vous fais.»

Cette dame reviendra le jour suivant et répondra à l’invitation faite à l’ensemble de la salle d’investir le plateau…

PROGRAMMATION : CDN hTh

 

 

ECRITURES

La Baignoire : Elément indispensable au paysage artistique

Béla Czuppon capitaine de  La Baignoire , 7 rue Brueys à Montpellier

Béla Czuppon capitaine de La Baignoire , 7 rue Brueys à Montpellier


La Baignoire débute sa saison. Le petit laboratoire montpelliérain  consacré aux écritures contemporaines résiste modestement au tsunami qui ravage la création en Région.

Elle n’est pas insubmersible mais tient son cap, comme une petite bête d’eau qui se propulse sans raison apparente à la surface des eaux pas très claires, dans la bassine du mondillo culturel. Chaque saison, la Baignoire accueille des artistes, des auteurs et des compagnies.

« Chaque année la situation s’empire et les demandes s’accroissent, constate le capitaine Béla Czuppon qui sait de quoi il parle puisqu’il est aussi  comédien et metteur en scène.   Nous participons au glissement général. L’adaptabilité  qui encode les solutions aux problèmes nous fait devenir coproducteurs en proposant des résidences dotées de 2 000 ou 3 000 euros » évoque-t-il avec dépit.

Ce lieu, il le  tient, avec un budget de fortune, par passion, par goût, et aussi nécessité, celle d’offrir un lieu de travail et de découverte. A la Baignoire, les propositions et les formes sont diverses mais toujours qualitatives.

Lydie Parisse ouvre la saison avec L’Opposante (voir ci-dessous). La Comédienne et metteur en scène Marion Coutarel prendra le relais  avec Si ce n’est toi, une sortie de chantier du 17 au 19 nov avant une création programmée au Périscope à Nîmes. Une virée poétique d’Andréa d’Urso sera conduite par le collectif marseillais Muerto Coco accueilli le 24 nov en partenariat avec la Cave Poésie à Toulouse. A découvrir aussi l’installation sonore immersive La Claustra de Marc Cals qui fait causer les meubles, et les micro-concerts de l’Oreille Electrique qui rythmeront la saison, ainsi que les lectures-déjeuners proposées par Hélène de Bissy qui feront la part belle aux nouvelles.

La Baignoire reste un lieu essentiel à l’écosystème du travail artistique local, les artistes et le public le savent déjà, il y aurait-il d’autres personnes à convaincre ?
Rens 06 01 71 56 27

PROGRAMMATION : La Baignoire

 

SPECTACLE

Baignoire.  L’opposante mise en scène par Lydie Parisse et Yves Goumelon

Lydie_LightC’est à partir d’une histoire réelle que l’auteure a élaboré le récit de cette femme – morte à 97 ans – qui a enfoui dans le secret de son âme un amour interdit. Elle a aimé un Allemand durant la seconde guerre mondiale avant d’en être séparée, sans jamais l’avoir oublié. Depuis le jour de sa mort elle se met à parler pour un compte à rebours avant de s’enfoncer à jamais dans la brume. Lydie Parisse signe un texte saisissant de liberté, celle d’une femme morte un dimanche, jour où la France entre en guerre au Mali. Rapport de la petite histoire à la grande, rapport à une guerre du silence qui forge le destin de l’opposante. La pièce met en lumière une vie  sous forme de confidences emportées. La simplicité intense et sincère d’Yves Gourmelon porte l’interprétation à un niveau de sensibilité rare. Le texte est touchant, drôle et jubilatoire quand il bouscule les tabous et les simagrées commémoratives. Pour ceux qui restent, la mort est un grand théâtre. La mise en scène présentée à Avignon, accueille le public dans une quasi-obscurité permettant aux spectateurs d’entrer dans un espace d’entre deux mondes où l’acuité s’aiguise. « C’est comme ça et pas autrement. »

                                                                                                                                                                   L’opposante à La Baignoire les 14 et 15 oct

 

 LIEU MENACÉ

sortieOuest dans la tourmente

 

Le poumon culturel du Biterrois en proie aux intrigues  politiciennes  dr

Le poumon culturel du Biterrois en proie aux intrigues politiciennes dr

Créée il y a dix ans par le Conseil départemental et cultivée par son directeur Jean Varela et son équipe, sortieOuest  est devenue  un espace de diffusion pluridisciplinaire, un lieu privilégié d’élaboration de projets culturels pensés en collaboration avec les acteurs locaux. Une réussite totale remise aujourd’hui en question...
Après le quasi-avis de décès du festival la Terrasse et del Catet, c’est au tour des spectateurs-amis de sortieOuest, qui viennent de se monter en association, de manifester une vive inquiétude quant à l’avenir de leur théâtre « attaqué sur ses missions de service public de la culture par sa propre tutelle : le conseil départemental de l’Hérault

Victime des dégâts collatéraux  liés au bras de fer qui oppose  le Conseil départemental de l’Hérault  à la Métropole de Montpellier à propos de la compétence culturelle métropolitaine, le lieu a vu sa présentation de saison repoussée, puis annulée. Aucun programme n’a été édité, ce qui renforce l’inquiétude du public fidélisé autour d’une programmation accessible de grande qualité.

Le directeur artistique Jean Varela, par ailleurs directeur du Printemps des Comédiens garde le silence. Il avait évoqué lors de la présentation à la presse de la saison d’hiver du Domaine D’o « l’impatience du public biterrois» et les répercutions néfastes de la loi NOTRe sur les territoires ruraux : « cette loi pose la question des politiques en milieu rural. Le populisme est partout…»

Depuis la situation n’a pas évolué, des spectacles programmés ont été annulés et rien ne s’éclaircit si ce n’est que l’équipe qui compte dix salariés ne peut plus faire son travail. SortieOuest est en théorie à l’abri du conflit impliquant la Métropole Montpelliéraine mais se retrouve concernée dans un projet alambiqué notamment défendu par le président de la structure Philippe Vidal, qui consisterait à élargir l’Epic du Domaine d’O à d’autre structures dont sortieOuest.

Dans cette perspective, le Conseil départemental a annoncé la dissolution de l’association. Un Conseil d’administration de l’association se tiendra demain à Béziers, précédé d’un rassemblement du public qui s’est approprié la démarche artistique et la convivialité de ce lieu incontournable. Le flou n’est cette fois pas artistique mais bien politique.

PROGRAMMATION : sortieOuest

 

THÉATRE UNIVERSITÉ
Au coeur de la fac La Vignette consolide sa mission

GetAttachmentThumbnailLes problèmes du théâtre seraient-ils inhérents au marasme politique ? La question mérite d’être posée si l’on se réfère à la bonne santé du Théâtre universitaire montpelliérain La Vignette, qui évolue partiellement hors de cette arène.

L’université Paul Valéry a bien compris l’intérêt d’assumer pleinement sa mission culturelle figurant au cahier des charges de toutes les universités françaises. Elle dispose d’un Centre culturel très actif et d’un théâtre qui développe les échanges intra-universitaires et inter-universitaires tout en restant ouvert au public extérieur.

Douze ans après sa création La Vignette est devenue une scène conventionnée pour l’émergence et la diversité. «Cette année, Patrick Gilli, le nouveau président est venu approuver  la place du théâtre en tant que lieu d’échanges et de recherches, se félicite le Directeur Nicolas Dubourg, le théâtre s’est affirmé comme un outil de rayonnement sur le territoire, nous poursuivons maintenant  sur la voie de la professionnalisation en tissant des liens qui favorisent l’insertion des étudiants dans le monde actif.»

Le Théâtre s’inscrit  par ailleurs comme partenaire du nouveau Master Création Spectacle Vivant du département Cinéma&Théâtre en participant à la formation des étudiants en études théâtrales. En tant que représentant régional du Syndeac, Nicolas Dubourg n’est pas insensible à la crise actuelle.

«Les attaques contre la liberté de programmation par les maires  ou par le public via des débats participatifs tronqués se multiplient, il faut que la profession se mobilise. Ici nous ne sommes pas concernés car notre théâtre n’est pas un simple lieu de diffusion. Il y a une  différence entre programmer un spectacle et voir ce qui se passe avant et après, pour nous le spectacle n’est pas un événement mais un parcours où interviennent professionnels, chercheurs, étudiants et public.»

La programmation de cette saison réserve de très bonnes surprises ; elle se décline cette année autour de l’engagement et de l’intention de réaffirmer un théâtre de texte contemporain.

PROGRAMMATION : Théâtre La Vignette

 

 

SORTIR ENCORE

 Théâtre.  Sélection de trois spectacles qui ouvrent les esprits sur le monde

L’offre théâtrale montpelliéraine de cette saison demeure globalement qualitative à l’instar de ces trois spectacles à découvrir prochainement. Les spectateurs citoyens doivent se manifester s’ils ne veulent pas mesurer les répercutions du désastre qui s’annonce dans les années à venir.

 

142-illustration-hearing-amir-reza-koohestani_1-1450362282Hearing texte et mise en scène de l’artiste iranien Amir Reza Koohestani qui conçoit ses récits comme des jeux de miroirs pour évoquer le rapport aux autres et la distance entre les individus. Proposé par le Théâtre La Vignette les 15 et 16  novembre prochain.

portfolio_pleine_hd02marc-ginotPleine Texte et mise en scène de Marion Pellissier par la cie montpelliéraine La Raffinerie. Une femme qui n’accouche pas, une sage-femme et un médecin inquiétants, un foetus qui observe la vie de l’intérieur…Spectacle proposé par le Domaine d’O du 13 au 15 oct.

 

ATMEN-5159 Time’s Journey Through a Room scénario et mise en scène de la japonaise Toshiki Okada reconnue comme une figure majeure des arts de la scène.  Les 18 et 19 oct à hTh.

Voir aussi : Rubrique Théâtre, hTh 2017 Libre saison de bruit et de fureur, SortieOuest archivesBéziers, le débat déconstruit la mystification, Sortieouest. Des spectacles vraiment vivants ! , Un théâtre de toile et d’étoiles reconnu et défendu, rubrique Politique, Politique culturelleDernière saison d’hiver au Domaine d’O ?, Politique Locale, rubrique Danse,  rubrique Montpellier, rubrique Rencontre, Rodrigo Garcia : «Vivre joyeusement dans un monde détestable»,

Révisionniste, nationaliste, voici Tomomi Inada, ministre de la Défense du Japon

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En présentant son nouveau gouvernement le 3 août 2016, le Premier ministre japonais Shinzo Abe en a surpris plus d’un-e avec l’arrivée d’une très proche à la Défense, la très conservatrice, ultra-nationaliste et  bien peu féministe Tomomi Inada.

Parfois, la foi en la parité vacille. Est-on bien sûre de toujours vouloir que les femmes accèdent aux plus hautes fonctions ? Mais bien sûr on se remémore la célèbre phrase de la journaliste et écrivaine Françoise Giroud :  « La femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente. » Et donc, on se dit tant pis… Parce que c’est bien ce qui fait frémir avec le nouveau gouvernement japonais annoncé le 3 août 2016 : au poste crucial de ministre de la Défense, sur fond de tirs de missiles coréens, de partage des eaux avec la Chine et de révisions historiques tous azimuts, arrive donc Tomomi Inada, 57 ans, arqueboutée à des certitudes terrifiantes :  pour elle le massacre de Nankin est un mensonge et les femmes de réconfort chinoises ou coréennes données en esclaves aux soldats japonais, un aimable conte pour enfants.

L’ère des mères-patries

Si dans un premier temps l’avènement de femmes dans le sérail politique japonais, et au plus hautes fonctions, peut réjouir, après coup, c’est un peu l’effet « gueule de bois ». Que ce soit la toute nouvelle gouverneure de Tokyo, ou cette ministre de la Défense, ces  « élues » du peuple ou de leur chef brillent par leur manières guerrières, et sont comme un écho lointain à toutes ces cheffes de file de l’extrême droite européenne (Marine Le Pen en France, Frauke Petry en Allemagne, Erna Solberg en Norvège, etc),  ou nord américaine , en particulier dans le « tea party » ultra conservateur du côté républicain (Katrina Pierson – porte parole de Donald Trump), Michele Bachmann, ou Sarah Palin) : des Walkyries, mères nourricières, mères patries, défenderesses de la tradition, voire de l’obscurantisme…

Tomomi Inada partage beaucoup de points de vue avec l’autre Japonaise du moment, Yuriko Koike (64 ans) qui fut elle aussi une (éphémère) ministre de la Défense en 2007, la première femme à occuper cette fonction, et qui vient de prendre la tête du gouvernorat de Tokyo, cette capitale dont l’économie dépasse celle de l’Indonésie voisine toute entière. Le même culte de la nation japonaise, des vues belliqueuses vis-à-vis du géant chinois, une volonté de réécrire l’histoire en gommant toutes les atrocités commises  par le Japon allié aux nazis pendant la Seconde guerre mondiale.

Mais la nouvelle ministre de la Défense y ajoute une aversion pour le féminisme qui se traduit à l’extrême par un virulent refus d’admettre la réalité des femmes de réconfort, esclaves sexuelles chinoises ou coréennes livrées aux armées japonaises entre 1937 et 1945. « Ces soi-disant femmes de réconfort travaillaient comme prostituées volontaires, ce qui était commun partout dans le monde à cette époque » a-t-elle sobrement répondu à une question sur le sujet.

Mais le diable se cache aussi dans les détails. La fiche Wikipedia de Tomomi Inada nous apprend que, comme avocate, elle « considère que les deux membres d’un couple marié doivent adopter le même nom, ce qui, généralement, signifie que les femmes ne peuvent garder leur nom de jeune fille après leur mariage« .

Cette anicroche semble une vétille face aux positions et gestes extrêmes de cette fondamentaliste. Elle n’hésite pas à se rendre régulièrement au très controversé sanctuaire Yasukuni-jinja (dernière visite en date, en août 2015 à l’occasion de la fin de la Seconde guerre mondiale en Asie pacifique, tandis que d’autres fêtaient la paix retrouvée) qui honore les criminels de guerre des conflits du 19ème et 20ème siècle entre le Japon et ses voisins. Le Japan Times et l’édition anglophone de l’Asahi Shimbum, le plus grand quotidien du pays, nous apprennent en outre qu’elle fréquente Kazunari Yamada qui se proclame lui même chef suprême du parti néo-nazi japonais, une photo faisant foi de ces liens, même si Tomomi Inada affirme, mollement, ne pas partager les vues de ce personnage nauséabond.

Une guerrière pour faire la paix ?

Dans l’un de ses livres “Watakushi Wa Nihon Wo Mamoritai” (Je veux protéger le Japon), où elle développe sa profession de foi et ses points de repère idéologiques, elle écrit : « Si vous regardez objectivement (sic) les relations entre le Japon et ses voisins, la situation entre la mer de la Chine Est et la mer du Japon sont tout sauf pacifiques Les chimères énoncées telles ‘faites de la mer de Chine Est une zone de paix et d’amitié’ ne servent qu’à mettre le Japon en danger.« 

Ce qui fait dire au correspondant à Tokyo du quotidien El Mundo sur son compte twitter : « La nomination de Tomomi Inada n’est pas vraiment de nature à apaiser les relations du Japon avec la Chine« . Un euphémisme n’est-il pas ?

Tomomi Inada no parece que vaya a mejorar la situación en el pacífico siendo derechona rancia nipona pic.twitter.com/6THdCHDH00

— Ego? (@fmvfmv1) 4 août 2016

C’est donc cette guerrière qui devra accompagner la nouvelle interprétation, voulue par son mentor Shinzo Abe, d’une partie de la charte fondamentale sur les questions militaires en vue de renforcer les prérogatives des forces armées japonaises à l’extérieur. L’article de ce texte constitutionnel, héritage post bombe atomique, qui doit être revu et corrigé expose : « Les forces armées de terre, mer et air, ainsi que d’autres moyens de guerre, ne doivent pas être maintenus.« 

Son arrivée coïncide avec un tir de missile nord-coréen tombé en mer du Japon. Pas de chance…

La base américaine d’Okinawa, épine dans le pied du premier ministre japonais

 Shinzo Abe au mémorial de la paix d'Itoman, près d'Okinawa, le 23 juin.

Sous prétexte de s’émanciper des Etats-Unis, M. Abe Shinzo veut contourner la Constitution pacifiste de son pays. Le premier ministre japonais masque ainsi sa volonté de renforcer l’armée, malgré une forte opposition de la population. Du reste, il a accepté l’extension des bases militaires réclamée par Washington dans l’île d’Okinawa, qui abrite déjà les deux tiers des troupes américaines déployées au Japon.

par Gavan McCormack   

Si les tensions entre le Japon et la Chine, ou entre la Chine et des pays voisins, font couler beaucoup d’encre, le conflit qui oppose l’archipel d’Okinawa à Tokyo et à Washington est, lui, bien moins médiatisé. Depuis dix-huit ans, les habitants de cette préfecture japonaise s’insurgent contre le projet de construction, décidé par les deux gouvernements, d’une nouvelle base militaire de marines américains à Henoko, dans le Nord. Le premier ministre Abe Shinzo, qui a entamé son second mandat en décembre 2012, considère ce projet comme prioritaire. Mais il fait face à des adversaires plus déterminés que jamais.

En avril 2015, devant un Congrès américain conquis, il a proclamé son attachement aux « valeurs partagées » de démocratie, de respect de la légalité et des droits humains, ainsi qu’à certains objectifs particuliers, tels que la base militaire de Henoko. Un mois après sa visite, le gouverneur d’Okinawa, M. Onaga Takeshi, arrivait à son tour à Washington pour le contredire : pas question de tolérer la construction d’une nouvelle base.

Entre Taïwan et l’île japonaise méridionale de Kyushu, l’archipel que recouvre la préfecture d’Okinawa s’étire sur quelque 1 000 kilomètres. Pour la Chine, il constitue potentiellement un « grand mur maritime » commandant l’accès au Pacifique. C’est dire s’il joue un rôle essentiel dans l’équilibre des forces en Asie de l’Est.

Avant d’être intégrées au Japon, ces îles formaient le royaume de Ryukyu ; elles dépendaient à la fois des Etats pré-modernes chinois et nippon, et connurent cinq siècles de voisinage paisible en mer de Chine orientale, dans le cadre du système du tribut chinois (1). Dans les années 1850, le royaume jouissait d’une indépendance qui lui permit de négocier des traités avec les Etats-Unis, la France et les Pays-Bas.

Mais cette relative autonomie prit fin dans les années 1870. L’Etat japonais moderne, établi en 1868, abolit le royaume de Ryukyu pour le punir d’avoir tenté de conserver ses liens avec la Chine. Il annexa les îles, qui devinrent la préfecture d’Okinawa, et fit du château de Shuri, surplombant la capitale, Naha, la première base militaire de l’archipel. Les Okinawaïens se virent interdire l’usage de leur langue ; ils furent contraints d’employer des noms japonais et d’adopter la religion impériale shintoïste.

De la part du Japon, cette annexion de l’archipel représentait un signe d’hostilité envers la Chine, puis envers les Etats-Unis, ce qui conduisit à la catastrophe de 1945 : un Okinawaïen sur quatre trouva la mort dans le cyclone américain d’acier et de napalm qui s’abattit entre fin mars et fin juin (2). Nombre d’habitants, accusés d’espionnage, furent exécutés ou contraints par les forces japonaises de se « suicider » collectivement (ce fut le cas parfois de familles entières). Le traumatisme a profondément marqué l’âme d’Okinawa.

Soixante-dix ans après la défaite du Japon lors de la seconde guerre mondiale, l’armée américaine occupe encore 20 % du territoire de l’île, où se concentrent les trois quarts de ses forces présentes dans le pays. Elle exerce une autorité souveraine (extraterritoriale) à peine moins étendue qu’à l’époque où les Etats-Unis administraient directement l’archipel — une période qui a duré jusqu’en 1972, soit vingt ans après la fin de l’occupation du reste du Japon.

En théorie, la base prévue à Henoko doit remplacer celle de Futenma, qui s’étend au beau milieu de la ville de Ginowan, dans le sud de l’île. Les hangars et les pistes y jouxtent les écoles, les hôpitaux et les zones d’habitation, ce qui en fait « la base la plus dangereuse du monde » pour la population, comme l’a reconnu l’ancien secrétaire américain à la défense Donald Rumsfeld. Chacun se souvient encore de l’hélicoptère qui s’est écrasé en 2004 sur l’université internationale d’Okinawa, fort heureusement en août, donc sans faire de victimes.

Les installations de remplacement (Futenma Replacement Facility, FRF), bien plus vastes et aux fonctions encore plus diverses, doivent comporter des infrastructures terrestres, maritimes et aériennes, dont un port en eau profonde, sur un site de 160 hectares qui doit être gagné sur la mer, face à la baie de Henoko au sud et à celle d’Oura au nord. La base consiste en une masse de béton s’élevant à 10 mètres au-dessus de la mer, avec deux pistes d’atterrissage de 1 800 mètres et un quai de 272 mètres de longueur.

 

Adieu, coraux, tortues et crustacés

Or il s’agit de l’une des plus belles zones côtières du pays, théoriquement protégée — le ministre de l’environnement japonais veut même obtenir son classement au Patrimoine mondial de l’Organisation des Nations unies pour la science et la culture (Unesco)… Le site recèle une biodiversité particulièrement riche. Il abrite de multiples formes de vie : coraux, crustacés, concombres de mer et algues, des centaines d’espèces de crevettes, d’escargots, de poissons, de tortues, de serpents et de mammifères, dont beaucoup sont rares ou menacées de disparition.

Si cette base voit le jour, elle figurera probablement parmi les plus importantes concentrations de puissance militaire du XXIe siècle en Asie de l’Est, ce qui en fera un élément-clé du « pivot » cher à M. Barack Obama (3). Constat amer pour les Okinawaïens : le déplacement de Futenma a été promis en 1996 sans aucune condition. Le gouvernement Abe affirme que les marines jouent un rôle essentiel dans la défense du pays et ont donc toute leur place à Henoko ; mais le ministre de la défense Nakatani Gen a lui-même concédé, début 2014, qu’il n’y avait aucune raison militaire ou stratégique de ne pas transférer la base en plusieurs autres endroits, dont Kyushu, par exemple ; seule l’empêche l’opposition de Tokyo (4).

En réalité, depuis le départ, l’occupation de Futenma par les marines est illégale, la base ayant été installée sur des terres extorquées à leurs propriétaires par la force « des baïonnettes et des bulldozers », selon la formule gravée dans la mémoire de tous les Okinawaïens. Et ce en violation de l’article 46 de la Convention de La Haye, qui interdit à des armées d’occupation de confisquer des biens privés. Cette considération devrait conduire sur-le-champ à la fermeture de Futenma, sans même que l’on ait besoin d’invoquer le danger, le bruit et les nuisances.

La résistance locale englobe une majorité de la population, le gouverneur de la préfecture, les assemblées préfectorale et municipale, les sections préfectorales des principaux partis politiques nationaux ainsi que les deux plus grands journaux, Ryukyu Shimpo et Okinawa Times. Au cours des premières années, elle a réussi à bloquer le projet. Mais, à partir de 2013, le second gouvernement Abe n’a eu de cesse de la neutraliser. Le premier ministre a d’abord persuadé les cinq parlementaires d’Okinawa de sa propre formation, le Parti libéral-démocrate (PLD), de s’aligner sur ses positions, puis la section préfectorale du PLD elle-même, et enfin, en décembre, le gouverneur, M. Nakaima Hirokazu.

Outrés par ces défections successives, les opposants à la base militaire ont pris leur revanche en remportant une série d’élections tout au long de l’année 2014 : la mairie et l’assemblée de la ville de Nago, dans le nord de l’île, en janvier et en septembre, puis le poste de gouverneur en novembre et les quatre sièges de la chambre basse de la Diète en décembre. A l’élection pour le poste de gouverneur, le conservateur Onaga Takeshi préconisait une politique du « tout Okinawa » — un slogan qui rassemble tous les partis, des communistes aux conservateurs, autour de la défense de l’île — et promettait de « faire tout ce qui était en [son] pouvoir » pour stopper le projet. Il a remporté une victoire décisive avec 100 000 voix d’avance sur le candidat sortant (360 800 voix contre 261 000) et une participation record, supérieure à 64 %.

Cela n’a pas empêché le secrétaire du cabinet — qui a rang de ministre —, M. Suga Yoshihide, d’affirmer que les dés étaient jetés et que le gouvernement allait s’atteler « de façon sérieuse et appropriée », selon son expression favorite, à la construction de la base. Les travaux d’études préliminaires, entamés en juillet 2014 et interrompus durant la période qui a précédé les élections législatives de novembre, ont repris en janvier 2015. Mobilisant la police anti-émeutes et des navires garde-côtes, M. Abe a alors adopté une stratégie du choc et de la terreur contre les manifestants. Le 4 mars, par exemple, lors de la journée nationale du sanshin (le luth d’Okinawa), vingt-neuf musiciens rassemblés à l’extérieur du site de la FRF pour donner un concert de musique classique en faveur de la lutte contre la base militaire ont été brutalement interrompus par la police anti-émeutes, qui a détruit l’abri de fortune destiné à les protéger de la pluie.

En janvier 2015, M. Onaga a nommé une commission d’experts dite « de la troisième voie », chargée d’examiner les étapes qui avaient conduit son prédécesseur à autoriser le déplacement de la base de Futenma. Il voulait savoir si la procédure s’était déroulée correctement ou s’il existait un moyen de l’annuler. Il a aussi demandé aux autorités de Tokyo d’interrompre les travaux d’études qu’elles avaient commandités, en soulignant qu’ils avaient endommagé les coraux.

Au cours des quatre mois qui ont suivi son élection, le gouvernement a refusé ne serait-ce que de lui parler. « A quoi cela servirait-il ? », a interrogé le ministre de la défense Gen Nakatami (5). Lorsque, enfin, en avril et mai 2015, il a pu rencontrer le secrétaire du cabinet, le premier ministre et le ministre de la défense, le fossé séparant les deux camps n’avait fait que se creuser davantage. « Plus vous emploierez des termes condescendants, plus les Okinawaïens se détourneront de vous et plus leur colère grandira », a martelé M. Onaga —des paroles qui ont eu un grand retentissement dans l’île. « Rien ne serait plus scandaleux que d’affirmer que les Okinawaïens, dont la terre a été confisquée pour y construire une base aujourd’hui obsolète, la plus dangereuse du monde, devraient supporter ce fardeau et que, si cela ne leur plaît pas, ils n’ont qu’à proposer une solution de rechange », a-t-il prévenu en ouverture de sa rencontre avec M. Abe. Il a alors été interrompu, après ne s’être exprimé en public que trois minutes sur les cinq convenues, et les journalistes ont été priés de quitter la salle.

Le premier ministre japonais exerce un contrôle sans précédent sur la Diète ; l’opposition est divisée et affaiblie, et les médias nationaux sont en grande partie acquis au pouvoir — ce n’est pas pour rien que M. Abe soigne les magnats de la presse, qu’il côtoie sur les terrains de golf et dans les réceptions mondaines. Mais, au-delà de la Diète et des salles de rédaction, la sympathie pour Okinawa et sa résistance grandit.

Lors de sa visite de 2013 à Washington, M. Abe n’avait pas reçu un accueil très chaleureux. Aucun dîner ni conférence de presse n’avait été prévu avec le président Obama. « Le Japon revient », « En finir avec le régime d’après-guerre » ou encore « Enseigner une histoire digne de ce nom, dont les gens seront fiers » : ses mots d’ordre ne pouvaient qu’offenser ses interlocuteurs, à la fois par l’hostilité qu’ils manifestaient envers l’Etat d’après-guerre que façonna l’occupant américain et par l’attachement qu’ils révélaient aux valeurs du Japon d’hier, militariste et fasciste.

Deux ans plus tard, cependant, le premier ministre japonais s’est vu dérouler le tapis rouge, et il a prononcé un discours devant les deux chambres du Congrès réunies. La raison de ce retournement est simple : il s’était au préalable engagé à mettre en œuvre le calendrier réclamé par les conseillers « experts » du Japon de Washington. Revenant sur la ligne qui avait prévalu durant les six décennies précédentes, son gouvernement avait revu son interprétation de la Constitution japonaise pour étendre le champ d’intervention des forces d’autodéfense et leur permettre de se joindre à de futures « coalitions de volontaires » n’importe où dans le monde, comme le réclament les Etats-Unis. Il s’apprêtait à intégrer les 225 000 militaires japonais sous commandement américain et promettait de continuer à payer pour conserver les forces américaines au Japon. Les chiffres sont gardés secrets, mais on peut estimer le coût de ce maintien à plus de 8,6 milliards de dollars (7,8 milliards d’euros) par an (6). Enfin, outre la nouvelle base militaire promise à Henoko, M. Abe s’était engagé à construire et à financer en majeure partie de nouvelles bases militaires américaines à Guam et dans les îles Mariannes du Nord, soit un versement direct de 2,8 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros). Si l’on y ajoute les frais de déménagement de 8 000 marines et leurs familles (au moins 9 000 personnes), la subvention totale sera de 6,09 milliards de dollars.

C’est ce que le premier ministre appelle un « pacifisme positif », censé supplanter le pacifisme inscrit dans la Constitution et qui prévaut au Japon depuis 1947. Au cas où cela ne serait pas suffisamment clair, M. John McCain, président du comité des forces armées du Sénat américain, a précisé dans Japan Times ce qu’il fallait entendre par là : l’envoi des forces d’autodéfense japonaises en Corée, au Proche-Orient et dans la mer de Chine méridionale (7).

Le Japon est peut-être bien gouverné aujourd’hui par le dirigeant national le plus activement proaméricain de son histoire. L’attitude de M. Abe envers Washington se caractérise par un curieux mélange de soumission servile et d’hostilité profonde. Il se retrouve prisonnier de la contradiction fondamentale de l’Etat japonais moderne : devoir conjuguer asservissement clientéliste et affirmation nationaliste (8).

Un problème immédiat se pose à lui : celui d’Okinawa, pour lequel il n’a aucune réponse. Devant l’effritement de sa base sociale dans tout le Japon (lire « Une Constitution pacifiste en péril »), le gouvernement temporise. Bien que les premiers contrats pour la construction de Henoko, d’un montant de 460 millions de dollars, aient été signés, il hésite toujours à donner le coup d’envoi des travaux, d’autant que, le 16 juillet dernier, la commission d’experts « de la troisième voie » a rendu son rapport et constaté plusieurs irrégularités dans les processus de décision de l’ex-gouverneur. Dans le même temps, M. Onaga a annoncé son intention de porter l’affaire dès septembre devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies à Genève.

Puis, le 4 août, à la surprise générale, le gouvernement Abe a annoncé un accord en quatre parties avec le gouverneur d’Okinawa : ouverture de négociations, suspension de tous les travaux entre le 10 août et le 9 septembre, suspension de toute action juridique de la part d’Okinawa et autorisation de l’enquête d’impact — réclamée par le gouverneur — sur le corail de la baie d’Oura.

Certes, le gouvernement ne prend pas trop de retard dans ses projets, la saison des typhons étant peu propice aux travaux. Mais, politiquement, cela confirme que l’affrontement avec l’île lui pose un problème qu’il ne peut complètement ignorer.

Après cette trêve d’un mois, peut-être réussira-t-il à imposer sa volonté à la préfecture. Mais le peuple okinawaïen pourrait alors ne plus se contenter de demander l’arrêt de la construction d’une nouvelle base, et aller jusqu’à réclamer la fermeture de toutes les bases militaires.

Gavan McCormack

Professeur émérite à l’université nationale d’Australie, coordinateur du site Japan Focus. Dernier ouvrage paru (avec Satoko Oka Norimatsu) : Resistant Island : Okinawa Confronts Japan and the United States, Rowman & Littlefield, Lanham (Etats-Unis), 2012.

(1) La Chine, au centre de l’Asie de l’Est, proposait aux pays voisins un système d’allégeance en contrepartie de droits commerciaux.

(2) Les actes les plus horribles de la bataille d’Okinawa se déroulèrent dès le 26 mars dans les îles Kerama. Les combats durèrent jusqu’au 22 juin 1945. Les troupes américaines débarquèrent dans l’île, qui leur servit de base arrière pour bombarder puis occuper le reste du Japon.

(3) Lire Michael T. Klare, « Quand le Pentagone met le cap sur le Pacifique », Le Monde diplomatique, mars 2012.

(4) Okinawa Taimusu, Naha, 25 décembre 2014.

(5) Okinawa Times, Naha, 13 mars 2015.

(6) Estimations de 2012.

(8) Lire Bruce Cumings, « Le couple nippo-américain à l’heure du soupçon », Le Monde diplomatique, avril 1999.

Source : Le Monde Diplomatique Septembre 2015

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Japon. Une Constitution pacifiste en péril

Les forces de défense de la navy japonaise

Les forces de défense de la navy japonaise

Mobilisation populaire contre le projet militariste de M. Abe Shinzo

Soixante-dix ans après la fin de la seconde guerre mondiale, nul ne pouvait imaginer une telle mobilisation des Japonais — des plus âgés, qui ont vécu la guerre, jusqu’aux plus jeunes, qui n’ont même pas vu la chute du mur de Berlin. Refusant le « coup d’Etat parlementaire » du gouvernement de M. Abe Shinzo, ils manifestent devant la Diète tous les jours depuis plus d’un an, y compris cet été, en pleine canicule. Rien que le 18 juillet dernier, plus de cent mille personnes sont descendues dans la rue.

Le premier ministre veut faire passer un projet de loi sur la sécurité qui autorise les Forces d’autodéfense (le nom officiel de l’armée) à participer à des opérations extérieures — ce qu’il appelle l’« autodéfense collective » — dans deux cas : quand le Japon ou l’un de ses alliés est attaqué et quand il n’existe pas d’autre moyen de protéger le peuple (1). Pourtant, la Constitution japonaise affirme, dans son article 9 : « Le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu’à la menace ou à l’usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux. Pour atteindre ce but, il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes, ou autre potentiel de guerre. Le droit de belligérance de l’Etat ne sera pas reconnu. » C’est ce droit que le gouvernement Abe veut rétablir. Mais la Constitution ne peut être modifiée qu’avec les deux tiers des voix de chacune des chambres de la Diète (Chambre des représentants et Chambre des conseillers), approbation qui doit elle-même être obligatoirement suivie d’un référendum. Ce dernier serait impossible à remporter aujourd’hui, tant la population reste traumatisée par la guerre.

M. Abe ne s’est pas attaqué directement à l’article 9. Au cours de son premier mandat, il a cherché à obtenir une plus grande souplesse parlementaire en modifiant l’article 96, afin de pouvoir faire adopter des « amendements constitutionnels » à la majorité simple. Ayant échoué, il s’est lancé dans une « réinterprétation » de l’article 9, exposée dans le projet de loi sur la sécurité et qui conduit à son abrogation de fait. C’est « une trahison de la Constitution et une trahison de l’histoire », estime le constitutionnaliste Higuchi Yoichi, traduisant l’opinion de la majorité des juristes : selon une enquête de Nippon Hoso Kyokai (NHK), le groupe public audiovisuel, 90 % des juristes de droit public interrogés en juin dernier jugeaient « anticonstitutionnel » le projet d’autodéfense collective (2).

Malgré l’opposition suscitée, y compris dans les rangs du Parti libéral-démocrate (PLD), le parti du premier ministre, le texte a été approuvé par la majorité de la Chambre des représentants le 16 juillet dernier. Même si celle des conseillers vote différemment, ou si elle ne vote pas dans les soixante jours, c’est-à-dire d’ici au 14 septembre, le projet pourrait être adopté à la majorité des deux tiers par la Chambre des représentants, qui a le dernier mot (3). M. Abe a prolongé la session parlementaire jusqu’au 27 septembre. Mais son impopularité n’a jamais été aussi grande. Selon un sondage effectué à la fin de juillet par le journal économique Nikkei Asian Review, 57 % des personnes interrogées sont contre l’adoption du projet de loi sécuritaire en session parlementaire ordinaire (26 % y étant favorables) et 50 % désapprouvent l’ensemble de la politique du premier ministre (contre 38 % qui l’approuvent) (4).

L’ampleur du rejet et la ténacité des protestations rappellent les manifestations de 1960 contre la ratification du traité de sécurité (et de renforcement du poids militaire) américano-japonais, concocté par le premier ministre d’alors, Kishi Nobusuke. Celui-ci, qui fut contraint à la démission, n’était autre que le grand-père de M. Abe… Toutefois, la forme comme la nature de la contestation actuelle diffèrent à plusieurs égards. Celle-ci rassemble la population dans sa diversité, tant à Tokyo que dans les autres grandes villes, alors que la lutte des années 1960 était menée essentiellement par des groupes d’étudiants, et notamment par la Zengakuren (Fédération japonaise des associations d’autogestion étudiante), souvent appuyés par les partis d’opposition et par les grands syndicats. De plus, ces mouvements affrontaient fréquemment les forces de l’ordre, et beaucoup dans leurs rangs croyaient aux lendemains qui chantent, au socialisme.

A l’inverse, les manifestants d’aujourd’hui sont non violents, soucieux de démocratie, et ils multiplient les formes de contestation : percussions, déguisements et slogans en tout genre. Ils se battent aussi bien contre le contenu du projet de loi que contre la façon dont le pouvoir veut l’imposer. Traumatisés par l’accident nucléaire de Fukushima du 11 mars 2011, précarisés dans leur vie quotidienne, ces jeunes forment une génération pour laquelle « il n’y a pas d’avenir heureux », comme nous l’explique M. Okuda Aki, l’un des principaux membres du très actif réseau Action étudiante urgente pour la démocratie libérale (Students Emergency Action for Liberal Democracy, SEALDs).

Beaucoup inscrivent cette loi sécuritaire dans le projet de société du premier ministre, ce que M. Abe nomme « le beau Japon », pour reprendre le titre de son livre (5) : nouvelle loi fondamentale sur l’éducation, avec une forte connotation nationaliste insistant sur « l’amour du pays natal » ; loi de « protection des secrets d’Etat » de décembre 2013, qui restreint la liberté au nom de la lutte contre les « ennemis de l’intérieur » (6)…

En somme, le premier ministre veut réaliser le vieux rêve des conservateurs d’en finir avec une Constitution qui aurait été imposée par les Américains, force d’occupation des Alliés après la défaite dans la guerre du Pacifique et d’Asie. Il s’agirait d’un pas indispensable à franchir pour un Japon souverain, redevenu un pays « normal ». Mais c’est oublier les circonstances historiques. Au cours de cette guerre, le Japon a subi la perte de plus de trois millions de vies humaines, y compris les victimes des bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki ; sans oublier les dizaines de millions de morts dans les autres pays d’Asie et chez les Alliés. Même si la Constitution a été écrite par les Américains, c’est bien le peuple qui l’a voulue, réclamant le droit de vivre en paix, comme le montrent les enquêtes d’alors (7).

Avec la nouvelle loi, le Japon, loin de s’émanciper des Etats-Unis, aura l’obligation de seconder militairement son allié américain à travers le monde. « Sans l’article 9, les dirigeants japonais n’auraient pas pu dire “non” à la guerre d’Irak », rappelle Higuchi (8). D’autant que, lors de son voyage à Washington, en mai dernier, M. Abe a accepté le principe d’une « transformation de l’alliance américano-japonaise » dans le sens d’une plus grande coopération (9).

A l’inverse, la Constitution de 1947, unanimement acceptée par les Japonais, commence par ce préambule : « Nous, le peuple japonais (…), décidés à ne jamais plus être les témoins des horreurs de la guerre du fait de l’action du gouvernement, proclamons que le pouvoir souverain appartient au peuple. » Dans le même esprit, la Charte des Nations unies, née dans les cendres de la seconde guerre mondiale, vise à « préserver les générations futures du fléau de la guerre qui, deux fois en l’espace d’une vie humaine, a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances ».

Aux yeux de certains — japonais ou étrangers —, cette Constitution apparaît naïve et obsolète, voire idéaliste. Mais, dans le contexte actuel, ce volontarisme pacifiste ne devrait-il pas, au contraire, devenir une norme internationale ? L’Asie aurait tout à y gagner, au lieu de se livrer à des exercices militaires mimant une confrontation armée.

Katsumata Makoto

Economiste, professeur émérite à l’université Meiji Gakuin (Tokyo), chercheur au Centre d’études internationales pour la paix.

(1) « National security strategy » (PDF), ministère de la défense, Tokyo, 2013.

(2) Sondage mené auprès de 1 146 juristes. Yahoo News Japan, 7 août 2015.

(3) La coalition du PLD et du parti Komei, parti bouddhiste en principe pacifiste, a obtenu 326 sièges sur 480.

(4) « Nikkei poll : Half of Japonese electorate gives Abe government thumbs down », Nikkei Asian Review, Tokyo, 27 juillet 2015.

(5) Paru au Japon en 2006, le livre a été traduit en anglais : Abe Shinzo, Towards a Beautiful Country : My Vision for Japan, Vertical, New York, 2007.

(6) « State secrecy law takes effect amid protests, concerns over press freedom », The Japan Times, Tokyo, 10 décembre 2014.

(7) Cf. Higuchi Yoichi, Constitutionalism in a globalizing world : Individual rights and national identity, University of Tokyo Press, 2002.

(9) Cf. Jeffrey W. Hornung, « US-Japan : a Pacific Alliance transformed », The Diplomat, Tokyo, 4 mai 2015.

Source : Le Monde Diplomatique Septembre 2015

Voir aussi : Actualité Internationale , Rubrique Asie, Japon, La base américaine d’Okinawa, épine dans le pied du premier ministre japonais, Les enjeux cachés des législatives, Etats-Unis, Rubrique Politique, Politique Internationale,