Les violences en Afghanistan ont coûté la vie à 171 personnes, dont 106 insurgés talibans, 42 civils et 23 membres de la police nationale, au cours de la semaine passée, a fait savoir dimanche le porte-parole du ministère de l’Intérieur Zamarai Bashari. « Quelque 121 attaques terroristes (…) ont été enregistrées dans le pays la semaine écoulée, ce qui représente une augmentation de 6% par rapport la semaine précédente », a déclaré Bashari au cours d’une conférence de presse.
La plupart des incidents se sont produits à les régions du sud comme Helmand, Ghazni et Wardak, et la province de l’est Paktika où les militants talibans sont actifs, a-t-il précisé, affirmant que 119 bombes ont été découvetes et désamorcées par la police. A propos de la lutte contre la drogue, il a déclaré que des dizaines d’opérations de recherche avaient été menées par la police et 2.450 kg de stupéfiants saisis.
127 incidents criminels ont été enregistrés par la police à travers le pays depuis une semaine, soit une hausse de 8% en comparaison avec la semaine précédente. Par ailleurs, 14 sociétés de sécurité privées ont été dissoutes en raison du décret présidentiel qui interdit les entreprises privées, a indiqué le porte-parole.
Comme l’élection présidentielle de l’an dernier, le scrutin législatif de septembre 2010 en Afghanistan a été marqué par une faible participation et des fraudes massives. La multiplication des attentats témoigne aussi de l’impasse de la stratégie de l’OTAN, qui ignore le poids des Pachtounes écartelés entre l’Afghanistan et le Pakistan par une frontière héritée de la colonisation.
En 2009, 2 412 civils ont été tués en Afghanistan ; et le nombre total de morts — civils, militaires et insurgés — dans le seul nord-ouest pachtoune du Pakistan avoisine les douze mille. Les conclusions des conférences internationales de Londres (28 janvier 2010) et de Kaboul (20 juillet) sont d’évidence insuffisantes pour enrayer cette spirale mortifère et le risque d’éclatement de deux pays qui, ensemble, comptent deux cents millions d’habitants. Y a-t-il d’autres approches possibles que la main tendue aux talibans ? La recherche d’une solution de rechange entraîne sur des terrains sensibles — notamment celui des héritages coloniaux non soldés, objet de tous les non-dits entre Kaboul et Islamabad — et éloigne forcément des simplifications habituelles. Tout ou presque a été dit sur les erreurs stratégiques commises en Afghanistan depuis 2001. Peu l’a été, en revanche, sur un grand malentendu initial.
En 1986, M. Oussama Ben Laden s’installe dans l’est de l’Afghanistan, près de Khost, à quelques kilomètres des zones tribales pakistanaises du Waziristan. Au même moment, M. Jalaluddin Haqqani, originaire de Khost et grande figure pachtoune du mouvement Hezb-e-Islami Khales, structure ses forces à Miranshah, dans le Waziristan du Nord, d’où il met en échec la quarantième armée soviétique. Actuellement, cet axe Khost-Miranshah, qui coupe la ligne Durand — tracée en 1893 par un colonel britannique du même nom pour séparer l’empire des Indes de l’Afghanistan turbulent —, est le vecteur du terrorisme wahhabite porté à son point d’incandescence. Rien de tout cela n’est dû au hasard. En effet, les radicaux wahhabites érigent l’oumma (communauté des croyants) au rang de nation indivisible, et leur guerre sainte vise à casser les Etats-nations en vue d’ouvrir un territoire national musulman, le fameux « grand califat ». La stratégie du djihad global consiste à utiliser les nationalismes locaux pour mieux fragiliser les frontières et déstabiliser le pouvoir central des Etats.
Georges Lefeuvre Le Monde Diplomatique
* Georges Lefeuvre est anthropologue et diplomate, ancien conseiller politique de la Commission européenne au Pakistan.
Les dernières troupes combattantes américaines ont quitté l’Irak. C’est ce qu’annoncent les Etats-Unis, même si 50 000 de leurs soldats, regroupés sur des dizaines de bases, demeureront encore jusqu’à fin 2011, « en appui » à l’armée irakienne. Ce retrait s’opère conformément à l’accord-cadre stratégique signé par l’administration Bush sur le départ avec le gouvernement irakien à la fin 2008. Le président Obama a décidé de respecter ce texte et d’accélérer le désengagement.
On peut certes prétendre que, par rapport à la situation existante à la fin 2006, avec une insurrection active et des attentats quotidiens meurtriers, le contexte actuel est meilleur. Il faut néanmoins prendre du recul par rapport à cette vision et essayer de dresser un bilan de cette guerre qui ne fut pas seulement une faute, mais un crime dont on aurait tort de dédouaner les Etats-Unis (lire « “Leurs” crimes et les “nôtres” »).
Cette guerre d’agression, non provoquée, déclenchée sous le faux prétexte de chercher des armes de destruction massive, est d’abord une violation des principes des Nations unies qui, le 14 décembre 1974, à travers leur assemblée générale, adoptaient un texte définissant l’agression (PDF). Son article 3 s’énonce ainsi :
« L’un quelconque des actes ci-après, qu’il y ait eu ou non déclaration de guerre, réunit, sous réserve des dispositions de l’article 2 et en conformité avec elles, les conditions d’un acte d’agression :
a) L’invasion ou l’attaque du territoire d’un Etat par les forces armées d’un autre Etat, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou toute annexion par l’emploi de la force du territoire d’un autre Etat ;
b) Le bombardement, par les forces armées d’un Etat, du territoire d’un autre Etat, ou l’emploi de toutes armes par un Etat contre le territoire d’un autre Etat ;
c) Le blocus des ports ou des côtes d’un Etat par les forces armées d’un autre Etat ;
d) L’attaque par les forces armées d’un Etat contre les forces armées terrestres, navales ou aériennes, la marine ou l’aviation civiles d’un autre Etat ».
Au-delà de cette dimension juridique et des querelles qu’elle peut susciter, le bilan de la guerre américaine, menée sans l’aval des Nations unies, est accablant :
— Destruction du pays, de ses structures étatiques et administratives. Il n’existe plus d’Etat irakien qui fonctionne. Sept ans après la guerre, l’électricité arrive à peine quelques heures par jour, la production pétrolière stagne, l’administration ne fonctionne pas, les écoles et les universités sont à l’abandon, etc. Reconstruire une structure unifiée et efficace nécessitera sans doute des décennies.
— Le confessionnalisme, encouragé dès les premiers jours par l’occupant, a été institué dans toutes les fonctions, et la répartition des postes se fait désormais en fonction de l’appartenance communautaire ou nationale. Les principales forces politiques sont « chiites », « sunnites » ou « kurdes ». Et demeurent une série de bombes à retardement, comme la délimitation des « frontières incertaines du Kurdistan ». La question de Kirkouk, où un référendum est prévu depuis décembre 2007 (et sans cesse reporté) pour décider du rattachement ou non de cette ville à la région autonome du Kurdistan, n’est pas le moindre des défis.
— Le bilan humain est terrible. Si on connaît précisément les pertes américaines (environ 4 400 tués), celles des Irakiens ont fait l’objet d’évaluations très diverses : on ne recense pas un mort « arabe » comme on recense un mort « occidental » ; seul ce dernier a un visage. Entre cent mille et plusieurs centaines de milliers de personnes tuées, des milliers de disparus, des centaines de milliers de personnes déplacées et de réfugiés (notamment en Syrie – lire Theodor Gustavsberg, « Silencieux exil des Irakiens en Syrie » – et en Jordanie), des centaines de milliers de blessés.
— Malgré les coups qui lui ont été portés depuis 2007, Al-Qaida, qui, rappelons-le, était absente d’Irak jusqu’en 2003, s’y est implantée. Elle garde des structures efficaces, comme le prouvent les attentats coordonnées de ce mois d’août 2010. Des milliers de combattants du monde arabe et musulmans ont transité ces dernières années par l’Irak et ont ensuite porté le combat en Afghanistan, en Somalie, au Liban, en Afrique du Nord.
Seul point positif, la chute de la dictature de Saddam Hussein, l’une des plus brutales de la région. On ne peut que s’en féliciter, mais cela valait-il de telles souffrances ? D’autant que le risque est grand de voir émerger un « pouvoir autoritaire à dominante chiite ».
Et la question que personne ne posera : qui sera jugé pour ce crime ? Comment s’étonner que nombre de pays ne suivent pas le Tribunal pénal international quand il inculpe le président soudanais Omar Al-Bachir, ou des criminels de tel ou tel petit pays africain, alors que MM. George W. Bush, Dick Cheney et Donald Rumsfeld continuent tranquillement à couler des jours heureux en donnant des conférences sur le monde libre, la démocratie et le marché pour quelques dizaines de milliers de dollars la prestation ?
Environs 660 000 irakiens sont morts. Qui sera jugé pour ce crime ?
Personne n’affirme plus que les Etats-Unis ont gagné la guerre en Irak, surtout si l’on se reporte aux objectifs initiaux du président George W. Bush : installation à Bagdad d’un gouvernement allié, prêt à collaborer avec Washington, à lui accorder des bases et disposé à établir des relations diplomatiques avec Israël ; ouverture des ressources de l’Irak au marché libre ; démocratisation du Proche-Orient ; isolement du régime iranien.
Personne n’explique plus doctement que, certes, la guerre était une erreur, mais que si les Etats-Unis se retiraient ce serait encore pire. Il faut le répéter : c’est la présence américaine qui est la cause de l’instabilité, et non l’instabilité qui nécessite la présence américaine.
Les conséquences régionales de cette guerre sont aussi graves. Incontestablement et paradoxalement, elle a renforcé le poids de l’Iran, même s’il ne faut pas croire que les chiites irakiens regardent tous vers Téhéran, ni sous-estimer le poids du nationalisme irakien et arabe. L’absence de pouvoir central entraîne forcément l’ingérence des puissances voisines dans les affaires irakiennes : ni la Turquie, ni l’Arabie saoudite, ni la Syrie, ni bien évidemment l’Iran ne s’en privent. Ankara a ouvert plusieurs consulats, dont un à Bassorah, dans le sud chiite ; il a aussi développé ses relations avec le pouvoir autonome kurde, ce qui n’a pas mis un terme à ses bombardements contre les forces du PKK réfugiées au Kurdistan.
Quel est désormais le poids des Etats-Unis en Irak ? Les élections de mars 2010 ont débouché sur une impasse et le pays n’a toujours pas de gouvernement. Quatre forces se partagent le Parlement : un bloc kurde qui représente une région vivant sous autonomie de fait ; le bloc du premier ministre en exercice Nouri Al-Maliki, à majorité chiite ; le bloc de l’ancien premier ministre Iyad Allaoui, chiite qui a obtenu le vote de nombreux sunnites ; et, enfin, l’Alliance nationale composée de l’organisation de Moqtada Al-Sadr et du Conseil suprême islamique, deux formations chiites.
Joost Hiltermann, dans un article de la New York Review of Books (19 août 2010) intitulé « Iraq : The impasse », remarque :
« Ce qui est frappant avec l’approche actuelle de l’administration Obama n’est pas seulement sa préférence pour un parti donné, celui de Allaoui en l’occurrence, mais son manque de volonté inexplicable de pousser pour une solution donnée, un fait que tous les politiciens ont noté. Les Etats-Unis essaient d’exercer une forte pression uniquement de manière sporadique, sous la forme d’une visite du vice-président Joe Biden, l’envoyé spécial de facto de l’administration en Irak. » Mais leurs tentatives d’obtenir la formation d’un gouvernement d’unité entre Maliki et Allaoui avant leur retrait n’ont pas abouti. Et Hiltermann de conclure que les Etats-Unis sont « une puissance en déclin » en Irak.
Ce n’est pas l’avis de tous les commentateurs, comme en témoigne un éditorial de Seumas Milne dans le quotidien britannique The Guardian (4 août 2010), « The US isn’t leaving Iraq, it’s rebranding the occupation ». Pour Milne, les Etats-Unis donnent simplement un autre visage à une occupation qui se poursuit sous d’autres formes.
Alexander Cockburn lui répond vertement dans « Thank You, Glenn Beck ! » (CounterPunch, 27-29 août). Il reprend certains arguments de Rosen et explique aussi que, sur le pétrole, pour l’essentiel, ce ne sont pas les compagnies pétrolières américaines qui ont bénéficié des premiers contrats passés, mais des sociétés russe, norvégienne, chinoise, malaisienne, etc.
Alors, poursuite de l’occupation sous d’autres formes ou non ? Ce qui est sûr, c’est que, en ce XXIe siècle, aucune puissance ne peut gouverner durablement un pays étranger, lui imposer sa volonté. A ceux qui rêvaient d’un retour de l’empire, la guerre d’Irak a apporté un démenti flagrant. Un démenti qui sera confirmé demain en Afghanistan.
Alain Gresh*
*Alain Gresh est directeur adjoint du Monde Diplomatique, spécialiste du Proche Orient. Il est notamment l’auteur de Israël Palestine, vérités sur un conflit (Fayard 2007).
Mine G. Kirikkanat : " L'Europe a oublié l'histoire"
Mine G. Kirikkanat. Invitée dans le cadre du Festival International du Roman noir de Frontignan, l’auteur turque rappelle la place de sa culture dans l’identité européenne.
Mine G. Kirikkanat est née à Istanbul. Journaliste, sociologue et écrivain c’est une intellectuelle laïque qui a décidé de rester dans son pays pour défendre ses idées. Dans La Malédiction de Constantin (Métailié, 2006) et Le sang des rêves (1) qui vient de paraître, elle soutient une vision historique de la culture ottomane constitutive de l’identité européenne.
Le sang des rêves est un roman politique d’anticipation dont l’action principale se situe à Chypre. Istanbul est passé sous le contrôle des Nations Unies. La ville rebaptisée Nova Roma est devenue l’enjeu d’une nouvelle guerre froide. La Russie orthodoxe rivalise avec le Vatican et une hétéroclite union chrétienne occidentale. Trois agents européens d’origine turque sont chargés de retrouver des descendants d’un chef historiquement indiscutable afin de légitimer le pouvoir en place. La quête passe notamment par l’exploration des rêves de l’héritier supposé de Constantin le Grand qui porte la mémoire génétique du meurtre de son ancêtre.
Pourquoi réinstaurer la vision d’un affrontement entre deux blocs, alors que nous sommes sortis si péniblement de la guerre froide. L’idée d’une gouvernance mondiale multipolaire n’a-t-elle pas d’avenir à vos yeux ?
C’est mon côté métaphysique. Ying-Yang ou blanc noir si vous préférez, un jeu de forces contraires qui s’équilibrent. Cela vient aussi d’une analyse sociologique ; je pense que le bipolaire est une étape pour aller vers le multipolaire. Aujourd’hui, ce type de gouvernance nous conduirait objectivement vers beaucoup plus de guerres. Je considère la gouvernance bipolaire comme une période transitoire en attendant que les races soient suffisamment mélangées pour accéder aux multipolaires. Mais pour l’heure, l’histoire se répète. Le conflit génocidaire serbo-croate qui a secoué l’Europe dans les années 90, s’était déjà produit il y a un millénaire entre l’église d’Anatolie et l’église orthodoxe de Constantinople. Les Bosniaques (appelés Bogomiles) ont un lien de filiation avec les Cathares. Dans les Balkans, à l’époque de la première croisade, ils ont demandé la protection du sultan ottoman. Celui-ci les a laissés libres de choisir leur religion assurant qu’ils les protégeraient s’ils devenaient musulmans.
En ce début de XXIe siècle, la religion vous paraît-elle l’instrument du pouvoir politique ou directement à l’origine des conflits de pouvoir auxquels elle donne lieu ?
Je me suis beaucoup intéressée à la sociologie des religions et notamment à l’apparition de la religion. Au commencement, la religion est liée à la peur de la mort. S’étant forgé une conscience, il fallait que l’homme invente quelque chose face à ce vide, une vie dans l’au-delà, un espace magique, une religion… Les choses se sont gâtées avec l’apparition des religions monothéistes. C’est à partir de là que la religion est devenue une arme politique. C’est pour cette raison que la laïcité est si importante.
On constate en France un recul de la laïcité alors qu’elle est au cœur même du principe républicain…
C’est vrai que cet axe est mis à mal en France qui est le seul pays laïque de l’UE. De la même façon que les valeurs universelles qui n’occupent plus la même place. Tous les Etats ont mué pour devenir des structures économiques. De ce fait, les gens ont perdu le sens des choses. Aujourd’hui, l’UE est une machine kafkaïenne qui n’a aucune vision européenne.
Sur quoi se fonde, selon vous, l’identité européenne ?
L’identité européenne ne doit pas se construire sur les valeurs judéo-chrétiennes mais sur une vision séculaire laïque. La charte des droits fondamentaux dirigée par Guy Braibant et soutenue à l’époque d’une seule voix par Chirac et Jospin allait dans ce sens. L’Allemagne souhaitait faire figurer l’héritage judéo-chrétien. En définitive, pour faire adopter la constitution, on a déformé cette charte en faisant des concessions à tous les courants et en entamant l’identité même de l’Europe. En substance, la charte conditionnait l’entrée dans l’UE au fait de se déshabiller de ses relents fascistes et religieux. On connaît la suite. Avec l’élargissement aux pays de l’Est sous l’influence des Etats-Unis on a, au détriment de toute raison, obligé l’UE à devenir une machine à sous. L’OMC a imposé sa logique globale et glauque. D’ailleurs, cela a surtout servi la Chine et l’Inde, tant mieux pour eux. Les Etats-Unis qui croyaient sortir leaders de cette manœuvre mangent leur chapeau. C’est comme la ligne Maginot, on attend avec obstination les choses d’un côté et elles arrivent d’ailleurs.
Que pense le peuple turc de tout ça ?
La population turque n’est pas un bloc monolithique. Sur 75 millions d’habitants, nous avons 30% d’islamiques, 30% d’Alévis, un courant proche des traditions soufies et favorables à la laïcité, et 40% de laïques qui ne sont pas près de démordre des valeurs républicaines. Pour se faire élire le président Gül* a pris l’engagement de respecter les valeurs laïques mais il ne s’y tient pas vraiment. Une poignée d’intellectuels a tout de suite décelé la posture du président et dénoncé l’hypocrisie. Mais en Europe tout le monde a applaudi. Dès 2003, il fallait dire à la Turquie qu’elle serait intégrée à l’UE après le bannissement de l’enseignement coranique obligatoire et le respect intégral des règles démocratiques. Mais l’UE a temporisé. Avec la crise de Gaza, elle commence à prendre conscience de la situation. En feignant d’oublier que les Ottomans ont fait l’histoire de l’Europe avec les judéo-chrétiens, elle a joué avec le feu et aujourd’hui il y a le feu.
Que voulez-vous dire ?
Si les Turcs deviennent hostiles à l’UE qui pourra arrêter l’influence de l’Iran, de l’Afghanistan, et du Pakistan ? Les Turcs font aujourd’hui les cerbères aux portes de l’Europe, ils filtrent le flux migratoire en provenance de toute l’Asie centrale. L’UE est complètement dépendante de la Turquie. La population turque est jeune. La Turquie est un pays plein d’avenir et il constitue la seconde force armée de l’Otan.
La Turquie semble amenée à jouer un rôle de plus plus important dans le conflit israélo-palestinien ?
Je me considère personnellement comme une amie d’Israël, qui voulait être un exemple d’humanité et de démocratie au Moyen-Orient. Mais à la place de cela, les Israéliens ont mis leur existence en danger parce qu’ils sont entourés de haine dont ils sont en grande partie responsables. Et cela les rend fous. Aujourd’hui la stupidité de leur politique leur a fait perdre la notion de l’espace et du temps. La Turquie demeure un interlocuteur privilégié dans la région. Sur les tee-shirts des jeunes de Gaza, on voit plus l’effigie du Premier ministre turc Erdogan que celle des membres du Hamas. Là encore, l’UE ne mesure pas les enjeux qui concernent aussi ses relations avec le Maghreb. A travers l’intégration de la Turquie au sein de l’UE se joue aussi la reconnaissance identitaire des pays d’Afrique du nord. L’Europe a oublié l’Histoire.
Receuilli par Jean-Marie Dinh
* Abdullah Gül est membre du parti musulman de centre droit AKP il a été élu pour 4 ans en août 2007.
(1) Le sang des rêves, éditions Métailié 2010, 18 euros.
Les talibans attaquent la base de l’OTAN de Jalalabad en Afghanistan
Une importante base militaire de la force internationale de l’OTAN à Jalalabad, dans l’est de l’Afghanistan, est la cible d’une attaque revendiquée par les talibans. Selon un porte-parole de la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan, « les assaillants n’ont pas pu entrer dans l’enceinte de la base ».
Un porte-parole régulier des talibans, Zabihullah Mujahed, a revendiqué l’attaque dans un appel téléphonique à l’AFP. La base de Jalalabad – une base et un aéroport militaires – est l’une des plus importantes de l’Alliance atlantique dans le pays, après celles de Kandahar (Sud) et de Bagram, dans la banlieue de Kaboul, toutes les deux cibles d’attaques d’insurgés, parfois kamikazes, ces derniers mois.
Les talibans ont promis en mai de lancer une série d’opérations de djihad (assauts, attentats et assassinats) visant les forces de l’OTAN et plus généralement les étrangers, en réponse à l’offensive en cours à Kandahar, berceau des talibans.
Cette nouvelle attaque intervient alors que les forces internationales vivent un mois de juin noir avec, pour la première fois depuis la chute des talibans fin 2001, la perte de cent soldats en un seul mois. Ce niveau de violence est comparable à celui qu’ont connu les forces internationales, notamment américaines, en Irak au pire de la guerre en 2007.
La coalition affiche par ailleurs ses dissensions après le limogeage la semaine dernière du général Stanley McChrystal, commandant des forces internationales en Afghanistan. Son successeur, le général américain David Petraeus, a cherché mardi à rassurer sur le cours d’une guerre de plus en plus impopulaire, tout en admettant s’attendre encore à « de rudes combats » dans les prochains mois.
AFP 30/06/10
AFP MUSTAFA TAUSEEF
Etats-Unis : vote du budget pour des renforts en Afghanistan, sur fond d’impopularité
La Chambre des représentants américaine a adopté jeudi soir un projet de budget 2010 supplémentaire pour le financement de renforts pour les opérations en Afghanistan, alors que la guerre devient de plus en plus impopulaire. Le texte, adopté à l’issue d’une série de votes jeudi soir, permet d’injecter plus de 30 milliards de dollars notamment pour financer l’envoi de 30 000 soldats supplémentaires décidé par le président Barack Obama.
L’adoption du texte intervient au lendemain de la confirmation par le Sénat à l’unanimité du général David Petraeus à la tête des forces internationales en Afghanistan. Le Sénat a déjà approuvé les fonds supplémentaires en mai. Mais le rajout par la Chambre de 10 milliards de dollars pour l’éducation, ainsi que pour le financement d’autres mesures non militaires va renvoyer le texte à la Chambre haute où il ne pourra être examiné qu’après les congés parlementaires de juillet, soit à partir du 12 juillet.
Le Congrès ne pourra donc pas approuver le financement des troupes avant le 4 juillet comme le demandait le secrétaire à la défense, Robert Gates, à court de fonds. En outre, le débat à la Chambre a été l’occasion pour les élus opposés à cette guerre, de plus en plus impopulaire dans l’opinion publique, de faire entendre leur voix.
AFP 02/07/10
Un général français convoqué après une interview sur la stratégie américaine
A la suite de l’entretien qu’il a accordé au Monde daté du vendredi 2 juillet, sur les difficultés de la stratégie américaine en Afghanistan, le général Vincent Desportes, directeur du Collège interarmées de défense, l’école de guerre française, a été convoqué par le chef d’état-major des armées, Edouard Guillaud. Celui-ci a demandé au ministre de la défense, Hervé Morin, de se prononcer sur une éventuelle sanction pour cette « faute ».
Dans l’interview, le général jugeait que le limogeage du général McChrystal, commandant de l’OTAN en Afghanistan, « ouvre un débat sur la tactique choisie », au moment où « la situation sur le terrain n’a jamais été pire ».
Expliquant que le président Obama avait « choisi une voie moyenne qui peine à fonctionner », il concluait : « Il faudra bien revoir la stratégie ». A la question de savoir si cela ne devait pas être un débat de la coalition internationale, il répondait : « c’est une guerre américaine ».
« Un premier bilan des résultats de la stratégie et de l’évolution d’ensemble de la situation sur le terrain sera réalisé lors du sommet de l’OTAN en novembre », a réagi le ministère des affaires étrangères. Auteur de nombreux ouvrages et articles, le général Desportes, 38 ans de carrière, doit prendre sa retraite dans quelques semaines.
AFP 02/07/10
Cent soldats étrangers tués en juin en Afghanistan
Juin 2010 a été le mois le plus meurtrier pour les forces internationales en huit ans et demi de guerre, avec cent soldats étrangers tués en Afghanistan, selon un décompte mardi de l’AFP après l’annonce par Washington de la mort d’un militaire américain. Le département de la défense américain a indiqué lundi soir qu’un de ses soldats était mort le 24 juin dans la province de Farah, dans l’est du pays.
Le bilan depuis le 1er juin, avec cent morts, a largement dépassé celui de 77 tués en août 2009, qui était jusqu’alors le mois le plus meurtrier depuis le début de l’offensive des forces internationales pour chasser les talibans du pouvoir fin 2001, selon un décompte basé sur celui du site Internet indépendant icasualties.org.
Les forces internationales n’avaient jamais atteint un tel niveau de pertes en Afghanistan. Le rythme vertigineux des pertes est comparable aux pires mois de la guerre en Irak, entre avril et juin 2007. Durant le mois, les forces internationales ont connu à trois reprises des journées avec dix soldats tués, en majorité dans des explosions de mines artisanales, l’arme de prédilection des talibans. Depuis 2005, l’insurrection des talibans s’intensifie considérablement, et chaque année s’achève sur un nouveau record de pertes dans les rangs des troupes étrangères comme pour les civils afghans.
Mais avec la mise en place d’une nouvelle stratégie de contre-insurrection fin 2009, le lancement d’une vaste offensive en février à Marjah, dans la province du Helmand — la plus importante depuis la chute des talibans — et l’opération en cours à Kandahar, les forces internationales ambitionnent d’inverser le cours de la guerre.
Mais le limogeage du général américain Stanley McChrystal, commandant des forces internationales en Afghanistan, et son remplacement par le général David Petraeus, considéré aux Etats-Unis comme un « héros » de la guerre en Irak, ont assombri le tableau en cette année considérée comme cruciale.
L’enlisement avant la défaite
Neuf ans de guerre en Afghanistan n’y ont rien changé. Les troupes occidentales semblent incapables de regagner le terrain perdu.
Il faut saluer l’esprit de décision dont a fait preuve le président Obama lorsqu’il a limogé, le 23 juin, Stanley McChrystal, un général chroniquement insubordonné. Mais nous avons toujours sur les bras une guerre désastreuse en Afghanistan, qui ne peut être gagnée et que l’ensemble du pays ne soutiendra jamais.
A Washington, personne n’a l’honnêteté d’exposer la situation réelle au peuple américain. On nous rebat les oreilles avec la contre-insurrection. Rien n’indique cependant que cette stratégie marchera en Afghanistan. Jusqu’à présent, elle s’est révélée inefficace. Et, même si nous arrivions à mettre en place les pièces du puzzle, les plus farouches partisans de la contre-insurrection dans l’armée nous diraient qu’il faut entre dix et quinze ans d’efforts soutenus pour qu’elle porte vraiment ses fruits.
Voilà près d’une décennie que nous nous trouvons en Afghanistan. C’est l’un des pays les plus corrompus de la planète et l’épicentre de la production mondiale d’opium. Notre allié officiel, le président Hamid Karzai, est convaincu que les Etats-Unis ne peuvent l’emporter : aussi cherche-t-il à tout prix à s’entendre directement avec l’ennemi taliban. L’opinion américaine ne croit plus à cette guerre depuis longtemps, et il n’est pas du tout certain que, pour le président Obama également, le cœur y soit.
L’idée même que nous puissions envisager de rester quelques années de plus en Afghanistan pour nous battre et mourir est démentielle. D’autant plus que nul ne sait combien de milliards de dollars supplémentaires le contribuable américain devra payer.
Tous ceux que la contre-insurrection fascine tant – au premier chef, son plus ardent défenseur, le général David Petraeus [nommé par Obama pour remplacer McChrystal] – ont visiblement perdu de vue un aspect fondamental de la guerre : on ne fait pas la guerre à moitié. On fait la guerre pour écraser l’ennemi. On la fait à fond et aussi rapidement que possible. Si on s’embarrasse de scrupules ou si on ne sait pas comment la faire, alors on ne la fait pas.
Les soldats qui ont débarqué sur les plages de Normandie n’essayaient pas de gagner le cœur et l’esprit de quiconque. En Afghanistan, nous jouons un jeu dangereux, sans enthousiasme, dans lequel le président Obama dit au peuple américain qu’il s’agit d’une guerre nécessaire et qu’il fera tout ce qu’il faut pour réussir. Puis, dans un même souffle, il veut nous rassurer en promettant que le retrait des troupes américaines commencera selon le calendrier prévu, dans un an. Aucune de ces affirmations n’est conforme à la vérité. En réalité, nous ne sommes pas en train de nous battre avec acharnement. Les partisans de la contre-insurrection ne veulent pas trop malmener l’ennemi parce qu’ils craignent, à juste titre, qu’un nombre excessif de pertes civiles n’aliène “les cœurs et les esprits” et ne sape l’édification d’une nation, deux notions au cœur de cette stratégie.
Nous sombrons de plus en plus profondément dans le fétide bourbier afghan, et ni le président, ni Petraeus, ni personne d’autre n’a la moindre idée de la manière d’en sortir. Les fanatiques de la contre-insurrection réclament des renforts et ils veulent que le président oublie son calendrier, déjà peu plausible, fixant à juillet 2011 le début du retrait des troupes. Nous sommes comme le joueur invétéré qui accumule les dettes pour miser dans un jeu où les dés sont pipés. Il n’y a pas de victoire possible en Afghanistan, seulement des souffrances. Nous sommes en train de raser Detroit, tout en essayant de bâtir des métropoles modèles à Kaboul et à Kandahar. Nous dépensons des milliards pour cette terrible guerre, mais nous ne sommes pas capables de prolonger le versement des allocations chômage pour les Américains en fin de droits.
La différence entre la situation actuelle et un cauchemar, c’est qu’au réveil un mauvais rêve prend fin. Ce que nous vivons actuellement en Afghanistan est malheureusement tragiquement réel.
The New York Times (02/07/10)
» Les civils et une solution politique ne sont pas la priorité des Américains «
Mariam Abou-Zahab, chercheuse rattachée au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri), analyse la divulgation par le site Wikileaks de plus de 90.000 fichiers classés sur la guerre en Afghanistan.
Quels éléments ont retenu votre attention dans la gigantesque quantité de données révélées par le site Wikileaks?
Pour ceux qui suivent le conflit en Afghanistan, on n’apprend pas grand chose dans ces «carnets de guerre». Ils viennent confirmer beaucoup d’éléments sur les pertes civiles, et nous révèlent de nouveaux incidents dont on n’avait jamais fait état. Mais beaucoup de cas restent inconnus. Il se passe des choses au fin fond de l’Afghanistan qui ne remontent même pas. Selon les données réunies par le Guardian , au moins 195 civils ont été tués par les soldats de la coalition, en majorité américains. C’est un chiffre sous-estimé.
Les médias, notamment français et américains, mettent en avant le rôle du Pakistan pour ne pas parler du reste (l’allié de Washington est accusé d’autoriser des membres de ses services de renseignement à traiter directement avec les talibans, ndlr). Il est très facile de dire que c’est de la faute des Pakistanais, mais il y a beaucoup d’intox là-dedans. Selon cette version, l’insurrection serait menée de l’extérieur. L’objectif est de justifier les attaques des Américains au Pakistan, notamment avec les drones. Il faut noter que celles-ci sont deux fois plus nombreuses sous Obama que sous Bush.
Je reste donc prudente sur ce qui relève du renseignement. En revanche, il y a des éléments factuels que l’on ne peut pas nier.
Lesquels vous semblent les plus déterminants pour expliquer les difficultés de la coalition en Afghanistan?
D’abord, la question des bombardements aériens. Les troupes y ont recours dès qu’elles sont en difficulté. Le problème, c’est qu’on ne sait pas très bien où les bombes vont tomber. Ce scénario s’est d’ailleurs encore produit dans le Helmand vendredi (au moins 45 civils auraient été tués dans une attaque à la roquette menée depuis un hélicoptère, ndlr). Dans ce genre de cas, la coalition dit au début: «on ne sait pas». Puis, elle détaille et affirme avoir «tué des talibans».
Mais désormais, les journalistes afghans se rendent sur place et peuvent recueillir des témoignages circonstanciés. Cela entraîne une protestation du gouvernement d’Hamid Karzaï. Une enquête est déclenchée, mais elle traîne, et la coalition conclut finalement que les pertes civiles sont de la faute des talibans. Parfois, la coalition propose de l’argent comme dédommagement. Cela mine les relations avec les civils, car c’est reconnaître qu’il y a bien eu bavure.
Les raids de nuit des forces spéciales, notamment ceux de la Task Force 373 (lire l’article du Guardian sur le sujet), posent aussi problème. Leur mission est de tuer – même pas capturer – insurgés, talibans, ou membres d’Al-Qaeda. Ces commandos débarquent de nuit dans les maisons. Mais ils se trompent parfois, car les renseignements ne sont pas toujours fiables. Il peut très bien s’agir d’un règlement de comptes entre voisins. Pour les Afghans, ce genre d’opération est culturellement insupportable. Le traumatisme et l’humiliation provoquent des désirs de vengeance.
Il y avait pourtant eu un changement de stratégie restreignant les règles d’engagement pour les soldats de la coalition, non?
Entre ce qui se décide au niveau du commandement et le terrain, ça ne suit pas forcément. Dans le sud du pays, les Américains et même les Canadiens sont très frustrés de ne pas pouvoir ouvrir le feu quand on leur tire dessus. Et désormais, la priorité de Petraeus (le nouveau commandant en chef de la coalition en Afghanistan, ndlr) semble être de gagner la guerre…
Quel impact ces fuites peuvent-elles avoir?
La sortie des ces informations risque d’ennuyer les Américains, qui ont déjà des relations délicates avec le Pakistan. Cela arrive à un moment où les opinions publiques sont de plus en plus hostiles à cette guerre, en tout cas dans les pays où il y a un débat. Aux Etats-Unis, on s’interroge de plus en plus sur le coût de ce conflit, et il y a fort à parier que certains vont se dire: «voilà une raison de plus pour s’en aller».
D’autant que l’on se rend bien compte que l’armée et la police afghanes ne sont pas du tout au point, et qu’elles sont loin d’être fiables. Aujourd’hui, les Américains cherchent une porte de sortie qui ne dit pas son nom. L’«afghanisation» du conflit, c’est un terme différent, mais ça n’a rien de nouveau: cela veut dire réarmer des milices. On se rend compte que la protection des civils et la recherche de solutions politiques sont loin d’être la priorité des Américains.