Agonie silencieuse de la Centrafrique

Plus de diamants ni de safaris, les chancelleries se désengagent.

centrafrique-250-02f5eDeux cent trente mille déplacés internes, soixante-deux mille réfugiés dans les pays voisins… Depuis le coup d’Etat du 24 mars, la Centrafrique s’enfonce dans le chaos. Les cris d’alarme lancés durant l’été par les Nations unies semblent enfin tirer les chancelleries de leur torpeur. Il est probable que la résolution préparée par Paris pour le Conseil de sécurité de la fin septembre ne suffira pas.

Mi-septembre 2013, les partisans du président François Bozizé, renversé par un coup d’Etat le 24 mars, lancent une offensive militaire à Bossangoa, dans le nord-ouest de la République centrafricaine (RCA). Ils affirment vouloir reprendre le contrôle du pays, tombé aux mains de la Seleka, une coalition de mouvements rebelles venus du nord (1). Cent personnes auraient péri dans l’attaque. Depuis mars, les combats ont fait des centaines de victimes et provoqué une vaste crise humanitaire affectant plus d’un million d’habitants. Pays pauvre — cent quatre-vingtième en 2013 au classement du Programme des Nations unies pour le développement —, la RCA ne dispose pas de ressources stratégiques. Mais, désormais, c’est l’effondrement de l’Etat tout entier qui se profile, avec à la clé l’apparition d’un vaste territoire d’instabilité et de non-droit en plein cœur du continent, aux frontières de grands voisins explosifs, République démocratique du Congo (RDC), Tchad, Ouganda et Soudan, et au carrefour de l’islam et de la chrétienté.

Silence radio. En mars 2013, les appels à l’aide désespérés de M. Bozizé ne reçoivent, pour la première fois, aucune réponse. La Seleka, maintenue aux portes de Bangui depuis novembre 2011, vient de fondre sur la capitale. Mieux équipée, plus organisée, avec environ quatre mille combattants, sa puissance militaire est supérieure à celle des Forces armées centrafricaines (FACA) sans formation, sans moyen logistique, et même… sans armes. Sur les cinq mille soldats réguliers, trois mille seulement disposeraient d’un fusil, les autres se voyant cantonnés au rôle de sapeurs-pompiers. Seuls les huit cents hommes de la garde présidentielle semblent en mesure de s’opposer à l’attaque rebelle. Mais ces soldats, redoutés pour avoir renversé le président Ange-Félix Patassé au profit de M. Bozizé en 2003, sont rapidement dépassés, après un court combat dans le nord de la capitale.

Le chef de l’Etat trouve à peine le temps de fuir : il franchit l’Oubangui pour se réfugier en RDC. De leur côté, les soldats africains de la Force multinationale de l’Afrique centrale (Fomac), envoyée en interposition par la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Ceeac) en 2008, et les six cents Français du détachement « Boali », déployé pour protéger les ressortissants lors du coup d’Etat de 2003, restent l’arme au pied. Alors qu’en mars 2007 une opération parachutiste française, appuyée par des éléments tchadiens, avait chassé les rebelles de Birao près de la frontière soudanaise (2), cette fois Paris et N’Djamena semblent avoir abandonné leur allié.

Un patchwork de factions politiques

Tombée aux mains de la Seleka, Bangui est aussitôt le théâtre de pillages et d’exactions, souvent dirigés contre tout individu suspecté d’avoir soutenu le président déchu. Les locaux de l’Organisation des Nations unies (ONU), notamment le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), sont dévalisés. Etrangement, l’ambassade de France se contente de mesures minimales pour protéger les mille deux cents expatriés, alors qu’ils sont directement menacés.

Présents depuis l’indépendance (lire « Une histoire violente ») en vertu d’un accord de défense, les parachutistes et marsouins français restent cantonnés dans leur camp de Mpoko. Il est vrai que les risques d’une intervention sont très nombreux : la Seleka se révèle un patchwork de factions politiques de toutes origines. Ainsi on y repère des rebelles tchadiens du colonel Aboud Moussa Mackaye, des janjawids soudanais échappés du conflit au Darfour, des troupes venues du nord, dont le Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC) et l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) — une coalition créée en 2006 dans le nord du pays par des partisans de M. Patassé, des déçus de M. Bozizé et des soldats en déshérence.

M. Michel Djotodia, musulman du Nord, culturellement proche du Soudan et chef de l’UFDR, est désigné chef de l’Etat par acclamation, et placé à la tête d’un Conseil national de transition (CNT) créé ad hoc. Sans grande légitimité populaire à Bangui, la Seleka fait preuve d’ouverture en accueillant au sein du CNT des membres de l’opposition et de l’ancien gouvernement, et en maintenant M. Nicolas Tiangaye au poste de premier ministre. Ce dernier — une figure de la défense des droits de l’homme — avait été nommé à l’issue des accords de Libreville (Gabon) de janvier 2013 entre la Seleka et le gouvernement de M. Bozizé.

Pourtant, malgré ces signes apaisants, une autre réalité s’impose sur tout le territoire : les soldats de la Seleka font régner la terreur sous divers prétextes, dont le désarmement de la population. Des cas de haine religieuse sont apparus. Les ex-rebelles importent avec eux l’islam du Nord dans un Sud majoritairement catholique. En prêtant serment, le 18 août dernier, M. Djotodia est ainsi devenu le premier président musulman du pays. Mais en cette fin d’été, les incidents et meurtres se sont multipliés dans la capitale. Le 7 septembre, la conquête de Bossangoa par les partisans de M. Bozizé, qui s’en prenaient aux musulmans soutiens du pouvoir, a provoqué des batailles à répétition et une répression antichrétienne meurtrière par la Seleka.

La Centrafrique se trouve au point mort. La mécanique instable des microéchanges vivriers qui tissent jour après jour la survie de la plupart des quatre millions cinq cent mille Centrafricains est grippée par l’insécurité. De son côté, échaudée par les événements du printemps, l’ONU n’a redéployé qu’une partie de son dispositif. Le 14 septembre, M. Djotodia annonce même la dissolution de la Seleka sans préciser qui contrôlera ses quinze mille hommes. Renforcés par l’enrôlement de toutes sortes de supplétifs armés (3), les « seigneurs de la guerre » n’ont que faire d’un fantomatique pouvoir central.

D’ailleurs à quoi bon ? En dehors de la capitale, l’Etat n’existe plus. Suivant les régions, cet effondrement ne date pas d’hier. En 2013, ce pays, plus étendu que la France, voit la majorité de son territoire dénué de toute infrastructure. A l’exception de celles qui vivent aux abords de Bangui, les populations sont livrées à elles-mêmes, y compris pour se protéger de toutes sortes de prédateurs armés, comme les coupeurs de route (zaraguinas) venus du Cameroun… Très peu d’écoles, quasiment pas de routes, des services de santé embryonnaires, pas d’énergie, des fonctionnaires souvent impayés dans un contexte de corruption généralisée.

Ainsi, à mille cinq cents kilomètres, à la frontière du Tchad et du Soudan, les habitants de Birao, isolés par l’absence de route, n’ont absolument aucun échange avec la capitale. Cette région de la Vakaga a toujours tenu lieu de base arrière des rebellions nationales. Mais le reste du territoire est à peine plus équipé, et les hordes de la Seleka trouvent là un terrain propice à leur prédation. Les Nations unies relèvent deux cent trente mille déplacés internes, soixante-deux mille réfugiés en RDC et au Cameroun, et cinq cent mille personnes en situation de détresse alimentaire. Les bailleurs de fond ne se précipitent pas : les « appels de fonds consolidés » d’OCHA ne sont financés qu’à 30 %. L’oubli du pays est manifeste, symptôme tragique de son absence d’intérêt, y compris dans le champ humanitaire. Car la Centrafrique reste un cas de « basse intensité » : pas de massacres à grande échelle, pas d’embrasement total, pas de famine généralisée. Le malheur du pays demeure à l’image de son poids économique : négligeable.

Pour la France, cette indifférence est neuve. Depuis l’époque de l’Oubangui-Chari, la discrétion du pays avait aidé à dissimuler les enjeux tricolores locaux (diplomatiques, stratégiques et industriels). Mais le gel pour deux ans de l’exploitation de la mine d’uranium de Bakouma, annoncé par Areva en novembre 2011 (4), a provisoirement libéré la France de ses intérêts immédiats sur place. Les maîtres locaux peuvent changer, ils se satisferont toujours des redevances minières le moment venu. Si les perspectives d’exploitation des forêts du Sud sont connues, l’enjeu industriel du moment est le pétrole de Gordil, à la frontière tchadienne, mais le gisement a été concédé en 2012 aux Chinois de la China National Petroleum Corporation (CNPC). Le reste des échanges économiques entre les deux pays est infime. Au moins sur un plan officiel, car la Centrafrique est le pays de tous les trafics. Sa déliquescence entretenue a favorisé l’extraction de pierres, de minerais et l’exportation d’ivoire hors de tout contrôle. Il en est de même pour les marchés du bois et de l’hévéa, concédés à des individus en mal d’aventures tropicales, généralement français, dans une logique de « comptoir ». Quant à la dimension stratégique de la RCA, les nouveaux moyens de projection et la redéfinition de la politique française de la région font désormais largement préférer le Gabon. Les deux bases historiques de Bouar et Bangui, camps de base de toutes les opérations équatoriales postindépendances (Rwanda, RDC, Tchad, Congo), ont été abandonnées en 1998.

Sur le plan diplomatique, la situation apparaît tout aussi sombre. Aucun des « amis » de M. Bozizé (France, Tchad, Afrique du Sud, Ouganda) ne lui est venu en aide, et la « communauté internationale » a brillé par son silence. Il est vrai que la France est, depuis janvier 2013, engagée sur un autre terrain africain, le Mali. Pourtant, l’armée tricolore a toujours façonné la vie politique de la Centrafrique en plaçant ses protégés, quitte parfois à les destituer par la suite. Le « lâchage » de M. Bozizé ne s’accompagne pas d’une once d’intérêt pour l’avenir du pays. Au Mali, Paris a tout fait pour donner un cadre légal à la transition, en obtenant, par le truchement de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la nomination de M. Dioncounda Traoré, président par intérim, avant d’imposer les élections de juillet 2013. Rien de tout cela pour la Centrafrique, si ce n’est un blanc-seing accordé à la médiation de la Ceeac, menée par les présidents Idriss Déby (Tchad) et Denis Sassou Nguesso (République du Congo), dans le dos de l’Union africaine. A la tête de régimes autoritaires, les deux chefs d’Etat sont des alliés historiques de Paris.

Montée en puissance du Tchad

Le président tchadien fut l’un des instigateurs de la prise de pouvoir de M. Bozizé en 2003 et pendant dix ans son principal soutien régional en alimentant de ses troupes les forces d’interposition locales, dont celles de la Fomac. Pourtant, la reconnaissance de la légitimité de la Seleka, alors même que des rebelles tchadiens auraient été le fer de lance de l’assaut sur Bangui, traduit la montée en puissance de M. Déby. En outre, en participant à la guerre malienne aux cotés des Français et en s’imposant comme un interlocuteur majeur en RCA, celui-ci se positionne comme le grand leader de la sous-région. Il redore ainsi son blason terni par la pluie de critiques que lui adressent les défenseurs des droits humains. Bien entendu, M. Bozizé, réfugié à Paris, a beau jeu de rappeler qu’il a été élu « démocratiquement » et qu’il reviendra au pouvoir… Mais la page semble tournée. En reconnaissant le CNT dès le mois de juin, puis en dressant un calendrier de retour à la démocratie avec l’instauration d’élections dans dix-huit mois, la Ceeac entérine le coup d’Etat.

Cependant, à la mi-juillet 2013, les rapports de la mission conjointe de l’Union européenne et de l’ONU, dirigée par Mme Kristalina Georgieva, commissaire européenne à la coopération et aux affaires humanitaires, et Mme Valerie Amos, secrétaire générale adjointe des Nations unies chargée des affaires humanitaires, ainsi que les déclarations du représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, le général sénégalais Babacar Gaye, commencent à secouer les chancelleries. L’Union africaine annonce le remplacement, d’ici la fin de l’année, de la Fomac par la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca), dotée cette fois de trois mille six cents hommes (5). De son côté, Mme Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale (CPI), fait part, le 7 août, de « sa préoccupation pour les crimes perpétrés en RCA ».

Le 23 août, alors que la tension internationale monte à propos d’une intervention militaire en Syrie, Paris semble se réveiller. Après avoir reçu les représentants d’associations mobilisées à Bangui, le président François Hollande insiste sur « la nécessité absolue de rétablir la sécurité pour l’accès de l’aide humanitaire aux populations » et annonce son intention de saisir le Conseil de sécurité fin septembre. Une prise de position face au désastre humanitaire en cours, contenant en filigrane le danger de « somalisation » du pays. La RCA est d’ores et déjà un immense territoire hors de tout contrôle. Faudra-t-il se satisfaire de voir s’installer au centre de l’Afrique un no man’s land supplémentaire, livré à toutes sortes de groupes extrémistes, religieux ou émanations de puissances étrangères, trouvant là un espace de repli ? De Boko Haram à l’Armée de résistance du Seigneur (6), sans omettre Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), les prétendants sont légion…

Vincent Munié

(1) L’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) de M. Michel Djotodia, le Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC) de M. Abdoulaye Miskine, la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) de M. Abdoulaye Hissène et la Convention patriotique du salut du Kodro (CPSK) de M. Mohamed Moussa Dhaffane.

(2) Lire « En Centrafrique, stratégie française et enjeux régionaux », Le Monde diplomatique, février 2008.

(3) Dont une estimation de trois mille cinq cents enfants-soldats selon l’OCHA, 6 septembre 2013.

(4) A la suite de la chute des cours consécutive à la catastrophe de Fukushima.

(5) Depuis quinze ans, la RCA connaît la présence de forces d’interposition aux acronymes labyrinthiques, d’origines multilatérales diverses, mais bien souvent inoffensives : Minurca, Fomuc, Fomac, Eufor, Micopax et Misca.

(6) Lord’s Resistance Army (LRA) de M. Joseph Kony, issue de l’Ouganda, et installée de longue date dans l’est du pays.

Source : Le Monde diplomatique Octobre 2013

Voir aussi : Rubrique International, rubrique Afrique, République Centrafricaine, rubrique Politique, Politique internationale,

Alimentation : la faillite organisee

Faim. Photo Sousal

Depuis le 1er janvier, la FAO – organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture – a un nouveau directeur général : José Graziano da Silva. L’ex sous-directeur de cette même structure par ailleurs monsieur « faim zéro » – programme mené au Brésil pour le président Lula – a d’emblée affirmé que « l’élimination totale de la faim et de la sous-alimentation dans le monde » était sa priorité. Un objectif louable et finalement normal pour cette organisation intergouvernementale créée en 1945 dont le mandat est précisément de «  veiller à ce que les êtres humains aient un accès régulier à une nourriture de bonne qualité qui leur permette de mener une vie saine et active. « 

Pourtant, on ne peut qu’avoir une sensation de déjà entendu. Au sein de cette FAO ou à l’occasion des journées mondiales contre la faim du 16 octobre. Mais pas seulement. En 2000, les 193 Etats qui s’engagent sur les objectifs du millénaire pour le développement actent au premier chapitre, la réduction de moitié de la population souffrant de la faim en 2015.

Et pourtant. En 2007/2008 l’explosion des prix des produits alimentaires provoque une crise énorme : 40 millions de personnes supplémentaires souffrent désormais de la faim. Ce qui porte le total à 963 millions. L’été dernier, c’est la Corne de l’Afrique qui est menacée de famine. 12 millions de personnes sont en danger. Les pays riches réagissent, multiplient les conférences de donateurs… pour mieux peiner à obtenir 50% de promesses de dons sur le milliard et demi de dollars estimé comme nécessaire par l’ONU. L’actualité propose de nouvelles déclinaisons de cette faim dans le monde : une étude montre que 42% des enfants de moins de 5 ans en Inde sont sous-alimentés. Et ce, malgré la croissance impressionnante du PIB. Au Congo, le chiffre est de 26% : plus d’un quart des enfants de moins de 5 ans touchés par la malnutrition dénonce l’Unicef . Reste encore le Tchad à qui l’ONU vient d’allouer 6 millions de dollars d’aide d’urgence le 11 janvier dernier pour faire face à une crise alimentaire.

Cacao contre sorgho

Misère, guerre et sécheresse font, évidemment, parties des explications à cette faim dans le monde. Mais pas seulement. Il ne faut en effet surtout pas oublier que dans les quarante dernières années, le FMI et la Banque Mondiale ont fait en sorte que les gouvernements des pays du Sud détruisent les silos à grains qui alimentaient les marchés intérieurs en cas de crise ; qu’ils les ont poussé à supprimer les agences publiques de crédit aux agriculteurs ; qu’ils les ont convaincu de troquer les productions de blé, de riz, de maïs ou de sorgho pour des cultures de cacao, café ou thés qui s’exportent si bien ; qu’ils les ont enfin contraints à ouvrir leurs frontières aux exportations de pays occidentaux subventionnées massivement. Tout cela pour leur permettre d’obtenir les précieux dollars nécessaires au remboursement de la dette. Ces dernières années, la mode des biocarburants aidés par les pays du Nord ont eu raison de nouveaux hectares de cultures vivrières.

Il ne faut pas oublier non plus que la crise alimentaire de 2007/2008 résulte du boursicotage de quelques spéculateurs quittant la bulle immobilière qui venait d’exploser aux Etats-Unis. Il ne faut pas oublier enfin que depuis la crise financière, le G 20 tente de remettre le FMI en selle avec, cette fois, l’Europe pour terrain de jeu.

Dernier élément a aussi prendre en compte : les réformes agraires jamais menées dans certains pays d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie qui interdisent à des milliards de paysans d’avoir un accès direct à la terre et en font les première victime de la faim dans le monde.

Ceci posé, la FAO peut donc ambitionner d’éradiquer la faim dans le monde. De jolies phrases qui rendent plus supportable l’idée que, chaque année, de 3 à 5 millions d’enfants meurent à cause de la malnutrition dans le monde. Mais comment prendre au sérieux une lutte contre la faim qui fait l’impasse sur les causes de cette faim ?

Angélique Schaller (La Marseillaise)

Jean Ziegler : « L’ordre cannibale du monde peut être détruit »

Somalie

Les experts le savent bien, l’agriculture d’aujourd’hui serait en mesure de nourrir normalement 12 milliards d’êtres humains, soit près du double de la population mondiale.

Le 17 janvier dernier sur le campus de la Gaillarde, Montpellier SupAgro a accueilli  un des plus éminents défenseurs du droit à l’alimentation Jean Ziegler pour une conférence-débat animée par Damien Conaré, secrétaire général de la Chaire UNESCO Alimentations du monde, partenaire de cette rencontre exceptionnelle, co-organisée avec la librairie Sauramps.

 

jean ziegler

Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation de 2000 à 2008, Jean Ziegler est aujourd’hui vice-président du comité consultatif du conseil des droits de l’homme de l’ONU. Il a consacré l’essentiel de son oeuvre à dénoncer les mécanismes d’assujettissement des peuples du monde. Professeur émérite de sociologie à l’Université de Genève, il a publié L’Empire de la honte (2005) et La Haine de l’Occident (2008). Dans son nouvel essai intitulé Destruction massive : géopolitique de la faim (Seuil, octobre 2011) le sociologue a dressé un état des lieux de la faim dans le monde et analysé les raisons de l’échec des moyens mis en œuvre depuis la deuxième guerre mondiale pour l’éradiquer. Il critique les ennemis du droit à l’alimentation aujourd’hui, à savoir la production d’hydro-carburants et la spéculation sur les biens agricoles.

Version intégrale d’un entretien avec Jean Ziegler publié dans La Marseillaise

Globalement, l’état des lieux que vous dressez de la situation fait pâlir. Quels sont les nouveaux paramètres de la sous-alimentation qui frappe notre planète au XXIe ?

Le massacre annuel de dizaines de millions d’être humains par la faim est le scandale de notre siècle. Toutes les cinq secondes, un enfant âgé de moins de dix ans meurt de faim, 37 000 personnes meurent de faim tous les jours et un milliard – sur les 7 milliards que nous sommes – sont mutilés par la sous-alimentation permanente… Et cela sur une planète qui déborde de richesses !

Le même rapport sur l’insécurité alimentaire dans le monde de la FAO qui donne les chiffres des victimes dit que l’agriculture mondiale dans l’étape actuelle de ses forces de production pourrait nourrir normalement (2 200 calories/ individu adulte par jour) 12 milliards d’êtres humains, donc presque le double de l’humanité actuelle.

Au seuil de ce nouveau millénaire, il n’existe donc aucune fatalité, aucun manque objectif. Un enfant qui meurt de faim est assassiné.

Pendant huit ans, j’ai été rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation. Ce livre est le récit de mes combats, de mes échecs, des mes occasionnelles fragiles victoires, de mes trahisons aussi.

Les populations les plus exposées sont les pauvres des communautés rurales des pays du Sud où se cumulent aux conditions environnementales une violence physique et économique ?

Un fléau particulier qui frappe les paysans depuis peu est l’accaparement des terres arables dans les pays du Sud – surtout en Afrique – par les sociétés transcontinentales privées.

Selon la Banque mondiale, l’année dernière, 41 millions d’hectares de terres arables ont été accaparés par des fonds d’investissements et des multinationales uniquement en Afrique. Avec pour résultat, l’expulsion des petits paysans. Ce qu’il faut dénoncer, c’est le rôle de la Banque mondiale, mais aussi celui de la Banque africaine de développement, qui financent ces vols de terre. Pour se justifier, elles ont une théorie pernicieuse qui est de dire que la productivité agricole est très basse en Afrique. Ce qui est vrai. Mais ce n’est pas parce que les paysans africains sont moins compétents ou moins travailleurs que les paysans français. C’est parce que ces pays sont étranglés par leur dette extérieure. Ils n’ont donc pas d’argent pour constituer des réserves en cas de catastrophes ni pour investir dans l’agriculture de subsistance. Il est faux de dire que la solution viendra de la cession des terres aux multinationales.

3,8 % des terres arables d’Afrique sont irriguées. Sur tout le continent, il n’existe que 250 000 animaux de trait et quelques milliers de tracteurs seulement. Les engrais minéraux, les semences sélectionnées sont largement absents.

Ce qu’il faut faire, c’est mettre ces pays en état d’investir dans l’agriculture et de donner à leurs paysans les instruments minimaux pour augmenter leur productivité : les outils, l’irrigation, les semences sélectionnées, les engrais…

Un autre scandale dont souffrent les populations rurales dans l’hémisphère sud est le dumping agricole pratiqué par les États industriels. L’année dernière, les pays industriels ont versé à leurs paysans 349 milliards de dollars à titre de subsides à la production et à l’exportation. Résultat : sur n’importe quel marché africain, on peut acheter des fruits, des poulets et des légumes français, grecs, portugais, allemands, etc. au tiers ou à la moitié du prix du produit africain équivalent. Face au dumping agricole, le paysan africain qui cultive son lopin de terre n’a pas la moindre chance de vendre ses fruits ou ses légumes à des prix compétitifs.

Or, de 54 pays africains 37 sont des pays presque purement agricoles.

L’hypocrisie des commissaires de Bruxelles est abyssale : d’une part, ils organisent la faim en Afrique et, d’autre part, ils rejettent à la mer, par des moyens militaires, des milliers de réfugiés de la faim qui, chaque semaine, tentent d’atteindre la frontière sud de la forteresse Europe.

Face à ce drame de chaque instant, vous évoquez la notion de faim structurelle et de faim conjoncturelle ainsi que les notions d’Histoire visible et invisible comme les effets de la malnutrition…

La faim structurelle est celle qui tue quotidiennement à cause des forces de production insuffisamment développées dans les campagnes de l’hémisphère sud. La faim conjoncturelle par contre frappe lorsqu’une économie s’effondre brusquement par suite d’une catastrophe climatique ou de la guerre.

Regardons ce qui se passe aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique. Certains pays comme la Somalie, le nord du Kenya, Djibouti, l’Érythrée et l’Éthiopie se trouvent dans une situation de cauchemar. Ils doivent faire face à une faim à la fois conjoncturelle, liée à la sécheresse ou à la guerre, et structurelle en raison de l’explosion des prix mondiaux des denrées alimentaires. Impossible donc pour eux d’acquérir suffisamment de nourriture pour alimenter toutes leurs populations. Dans la Corne de l’Afrique, des dizaines de milliers de personnes sont mortes de faim ou de ses suites immédiates depuis avril 2011.

Cette conscience que vous faites émerger se heurte souvent à une opinion publique indifférente. Comment peut-on s’expliquer la disproportion insensée d’implications entre les 2 700 victimes du WTC et les centaines de millions de morts de la faim ?

Vous avez raison. L’opinion publique dans son immense majorité, en Europe, oppose son indifférence au meurtre collectif par la faim qui se déroule dans l’hémisphère sud.

Pourquoi ? A cause de la théorie néolibérale qui empoisonne l’opinion. Or, les ennemis du droit à l’alimentation sont la dizaine de sociétés transcontinentales privées qui dominent complètement le marché alimentaire. Elles fixent les prix, contrôlent les stocks et décident qui va vivre ou mourir puisque seul celui qui a de l’argent a accès à la nourriture. L’année dernière, par exemple, Cargill a contrôlé plus de 26 % de tout le blé commercialisé dans le monde. Ensuite, ces trusts disposent d’organisations mercenaires : l’Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Ce sont les trois cavaliers de l’Apocalypse. S’ils reconnaissent que la faim est terrible, ils estiment que toute intervention dans le marché est un péché. A leurs yeux, réclamer une réforme agraire, un salaire minimum ou le subventionnement des aliments de base, par exemple, pour sauver les vies des plus pauvres est une hérésie. Selon les grands trusts qui, ensemble, contrôlent près du 85 % du marché alimentaire, la faim ne sera vaincue qu’avec la libéralisation totale du marché et la privatisation de tous les secteurs publics.

Cette théorie néolibérale est meurtrière et obscurantiste. L’Union soviétique a implosé en 1991 (c’était une bonne chose). Jusque-là, un homme sur trois vivait sous un régime communiste et le mode de production capitaliste était limité régionalement. Mais en vingt ans, le capitalisme financier s’est répandu comme un feu de brousse à travers le monde. Il a engendré une instance unique de régulation : le marché mondial, la soi-disant main invisible. Les États ont perdu de leur souveraineté et la pyramide des martyrs a augmenté. Si les néolibéraux avaient raison, la libéralisation et la privatisation auraient dû résorber la faim. Or, c’est le contraire qui s’est produit. La pyramide des martyrs ne cesse de grandir. Le meurtre collectif par la faim devient chaque jour plus effrayant.

L’ONU devrait soumettre à un contrôle social étroit les pieuvres du commerce mondial agroalimentaire.

Le rapport FAO estime que l’agriculture mondiale pourrait nourrir 12 milliards de personnes. Évoque-t-il les modalités de mise en œuvre d’un plan réaliste pour faire face à ce fléau ?

Non. La FAO est exsangue. Elle se contente de la mise en œuvre de quelques programmes de coopération régionale. Elle n’a pas la force ni d’affronter les pieuvres du négoce alimentaire ni les spéculateurs boursiers.

Le développement des biocarburants qui s’impose comme « une arme miracle » ne répond pas aux défis environnementaux et accentue de manière catastrophique la famine dans le monde affirmez-vous ?

Vous avez raison de poser la question des agrocarburants, car il existe en cette matière une formidable confusion. La théorie généralement diffusée est la suivante : le climat se détériore et la principale raison en est l’utilisation de l’énergie fossile. Il faut donc diminuer sa consommation. Mais, je le dis avec force, les agrocarburants ne sont pas la solution. Pour réduire la consommation d’énergie fossile, il faut drastiquement économiser l’énergie, favoriser les transports publics, développer les énergies solaires, éoliennes, géothermiques. L’année dernière, les États-Unis ont brûlé 138 millions de tonnes de maïs et des centaines de millions de tonnes de blé, pour produire des agrocarburants. En Suède, près de la moitié des voitures roulent au bioéthanol. Le réservoir moyen d’une voiture est de 50 litres. Il faut brûler 352 kilos de maïs pour produire 50 litres de ce carburant. Or, ces 352 kilos de maïs permettraient à un enfant en Zambie ou au Mexique, où le maïs est la nourriture de base, de manger et de vivre pendant un an !

Brûler des plantes nourricières sur une terre où 35 millions de personnes meurent tous les ans de la faim ou de ses suites immédiates est inadmissible.

Vous mettez en lumière les incidences géopolitiques de la folie spéculatrice, en mettant en parallèle la flambée des cours du blé avec les révolutions du monde arabe qui est la première région importatrice de céréales du monde ou encore l’utilisation de la faim comme une arme politique de destruction en Afghanistan, en Somalie, à Gaza…

Les fonds spéculatifs (hedge funds) et les grandes banques ont migré après 2008, délaissant des marchés financiers pour s’orienter vers les marchés des matières premières, notamment celui des matières premières agricoles. Si l’on regarde les trois aliments de base (le maïs, le riz et le blé), qui couvrent 75 % de la consommation mondiale, leur prix ont explosé. En 18 mois, le prix du maïs a augmenté de 93 %, la tonne de riz est passée de 105 à 1 010 dollars et la tonne de blé meunier a doublé depuis septembre 2010, passant à 271 euros. Cette explosion des prix dégage des profits astronomiques pour les spéculateurs, mais tue dans les bidonvilles des centaines de milliers de gens. De plus, la spéculation provoque une autre catastrophe. En Afrique le Programme alimentaire mondial (PAM) ne peut plus acheter suffisamment de nourriture pour l’aide d’urgence en cas de famine : comme aujourd’hui dans la Corne de l’Afrique où les fonctionnaires de l’ONU refusent chaque jour l’entrée à des centaines de familles, réfugiées de la faim, devant les 17 camps d’accueil installés dans la région. Il faudrait transférer ces spéculateurs, dont les actions aboutissent au désastre actuel, devant un tribunal de Nuremberg et les juger pour crime contre l’humanité.

C’est vrai ce que vous dites : l’explosion des prix des aliments de base – surtout du blé – a joué un rôle crucial dans les révolutions notamment tunisienne et égyptienne. La faim comme arme de guerre : les Israéliens l’utilisent à Gaza, les Shebabs musulmans en Somalie.

Peut-on envisager un mouvement social international qui puisse faire reculer la Banque mondiale, l’OMC et le FMI que vous qualifiez de cavaliers de l’Apocalypse ? La lutte pour la vie ne se joue-t-elle pas au niveau des États sur le terrain de la politique intérieure ?

Malgré son titre – Destruction massive – mon livre est un livre d’espoir. La faim est faite de main d’homme. Elle peut être éliminée par les hommes. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. La France est une grande, vivante démocratie. II existe des mesures concrètes que nous, citoyens et citoyennes des États démocratiques d’Europe, pouvons imposer immédiatement ; interdire la spéculation boursière sur les produits alimentaires ; faire cesser le vol de terres arables par les sociétés multinationales; empêcher le dumping agricole ; obtenir l’annulation de la dette extérieure des pays les plus pauvres pour qu’ils puissent investir dans leur agriculture vivrière ; en finir avec les agrocarburants… Tout cela peut être obtenu si nos peuples se mobilisent. J’ai écrit Destruction massive, géopolitique de la faim pour fortifier la conscience des citoyens. Il n’y a pas d’impuissance en démocratie. Je le répète, pendant que nous discutons, toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Les charniers sont là. Et les responsables sont identifiables.

De plus, de formidables insurrections paysannes – totalement ignorées par la grande presse en Occident – ont lieu actuellement dans nombre de pays du Sud : aux Philippines, en Indonésie, au Honduras, au nord du Brésil. Les paysans envahissent les terres volées par les sociétés multinationales, se battent, meurent souvent, mais sont aussi parfois victorieux.

Georges Bernanos a écrit: « Dieu n’a pas d’autres mains que les nôtres ». L’ordre cannibale du monde peut être détruit et le bonheur matériel assuré pour tous. Je suis confiant : en Europe l’insurrection des consciences est proche.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Jean Ziegler, auteur de Destruction massive, géopolitique de la faim, Éditions du Seuil ; et aussi : L’or du Maniema, roman, réédition dans la coll. Points, Seuil).

Voir aussi : Rubrique Politique Internationale, rubrique Géopolitique, rubrique Rencontre

Fiest’ A Sète : La secousse Staff Benda Bilili

La générosité du cœur et le rythme au ventre.

Entre l’épidémie de choléra qui sévit en RDC et celle de la corruption qui gangrène le pays, tout porterait à penser que le moral est au plus bas dans le royaume dit démocratique de Joseph Kabila. Lundi, dans un Théâtre de la mer archi comble, la soirée de musique congolaise de Fiest’A Sète réunissait les deux rives du grand fleuve. Elle a offert au public captivé une belle leçon de savoir-vivre. Les deux groupes invités, Zao (Congo Brazzaville) et Staff Benda Bilili (Congo Kinshasa), cultivent l’esprit d’une joie communicative, celle que l’on tire simplement de se trouver en vie…

En ouverture le groupe Zao devait donner le « la » d’une soirée qui s’annonçait bien colorée. Entouré de jeunes musiciens, le charismatique Casimir Zoba chauffe le public à petit feu assez peu soutenu par une rythmique un peu basique, hormis le percussionniste dont l’expérience tempère les plaqués métalliques des synthés. On se prend parfois à regretter la présence des cuivres… La soixantaine passée, Casimir tient toujours la scène, sa reprise de Ancien Combattant, titre de son premier tube antimilitariste créé en 1984, s’avère toujours d’actualité comme pour rappeler la violence  figée d’Afrique centrale. On retrouve avec bonheur la patte provocatrice du chanteur avec le titre « Moustique » qui figure sur l’incontournable compile de l’édition 2011 du festival.

Changement de rive et de rythmes avec l’arrivée de Staff Benda Bilili. L’histoire de  cet orchestre de rue du Congo Kinshasa débute en 2005. Dans la perspective des premières élections démocratiques tenues depuis les années 60, le groupe formé de musiciens atteints de poliomyélite dans leur jeunesse, crée la chanson « Allons voter » qui fait un tabac dans tout le pays. Suit le film Benda Bilili réalisé par leurs producteurs, Florent de La Tullaye et Renaud Barret qui est présenté à Cannes en 2010. Dans la foulée paraît le disque « Très très fort » qui consacre le groupe en Europe.

Ce que l’histoire ne dit pas c’est la force scénique du groupe. Staff Benda Bilili diffuse toute la subtilité de la musique congolaise qui intègre la musique traditionnelle, la rumba et des sources afro cubaine, dans un cocktail ahurissant qui mêle l’énergie puissante du funk et du rythme’ n blues. Leur soukous (déformation du mot secousse) généreux emporte tous les suffrages. Staff Benda Bilili soutient que le handicap est principalement psychologique, il suffit de les voir pour s’en convaincre. Sur scène le groupe s’impose comme une grande figure de la world music à ne pas manquer.

Jean-Marie Dinh

Fiest’A Sète : La virée Africaine se poursuit ce soir au Théâtre de La mer sur le rythme de l’Afrobeat  avec le ghanéen Ebo Taylor et Seun Kuti,

Voir aussi : Rubrique Musique, Ethiopie Mahmoud Ahmed, rubrique Festival, Fiest’A Sète, La secousse Belili, rubrique, Rencontre, Mory Kanté, Seun Kuti, rubrique Afrique, La Françafrique se porte bien, rubrique RDC, Joseph Kabila, Mobutu light ?, rubrique Congo Brazaville

Fiesta sète : 15 jours de territoires musicaux

 

 

La seconde semaine du Festival Fiesta Sète débute demain au Théâtre de la mer. Une programmation musicale de haut niveau qui explore les zones méconnues mêlant artistes de renommée et découvertes.

« Nous poursuivons notre mission de prospection en direction des musiques du monde. Vers des cultures qui ne sont pas les nôtres pour les faire découvrir » a rappelé le directeur José Bel. La manifestation élargit cette année sa programmation en passant à 15 soirées.

Le festival débute par une  série d’escales musicales dans le bassin de Thau et les quartiers sétois du 25 juillet au 1er août. Un compromis a été trouvé pour coordonner les programmations avec le Festival de poésie des Voix Vives qui se déroule du 22 au 30 juillet. 75% du budget de Fiesta Sète (600 000 euros)  sont assurés sur fonds propres ce qui rend d’autant plus méritoire le parti pris de la gratuité pour lequel opte le festival.

La seconde semaine ouvre le 2 août au Théâtre de la mer par une soirée très hot avec le retour des Congolais de Staff Benda Bilili de Kinshasa plébiscités lors de leur passage l’an dernier qui se produiront ce soir là avec leur voisin congolais Zao. Afrique toujours très chaude, avec la soirée du 4 août qui met en présence le Ghanéen Ebo Taylor (musique trad et l’Afrobeat), et Seun Kuti, le digne descendant de l’afroking Fela (Nigéria).

L’art de la programmation se perçoit à travers les recherches  croisées. Celles-ci aboutissent au concert imprévu du 5 août avec la rencontre de Lo Cor  de la Plana et de Danyel Waro (La Réunion). Les spectateurs de cette soirée percevront, à n’en pas douter, la concordance de conscience multiculturelle entre les démarches. Le groupe marseillais Lo Cor  de la Plana renouvelle le patrimoine populaire occitan en y injectant du swing et du groove tandis que le défenseur invétéré de la culture créole revient dans l’hexagone pour partager sa très vibrante passion.

Figurent également au programme deux soirées cubaines et une soirée sous le signe des Balkans. La soul&funk revue concoctée par Coosmic Groove conclura la danse avec un concert exceptionnel de Betty Harris suivi d’un petit dernier, confié à Maceo Parker. Excusez du peu !

JMDH

Fiesta Sète du  25 juillet au 8 août, rens et résa 04 67 74 48 44.

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Les deux Mario Vargas Llosa

Mario Vargas Llosa. Photo DR 2010

Le nouveau roman de l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, lauréat du prix Nobel de littérature 2010 , sort opportunément en librairie dans les pays de langue espagnole le 3 novembre. Son titre : El Sueño del Celta (Le Rêve du Celte). Son héros : Roger Casement, un personnage (réel) exceptionnel. Consul britannique en Afrique, il fut le premier à dénoncer, dès 1908, les atrocités du colonialisme d’extermination (dix millions de morts) pratiqué au Congo par Léopold II, le roi belge qui avait fait de cet immense pays et de ses populations sa propriété personnelle… Dans un autre rapport, Casement révéla l’abominable détresse des Indiens de l’Amazonie péruvienne. Pionnier de la défense des droits humains, Casement, né près de Dublin, s’engagea par la suite dans les rangs des indépendantistes irlandais. En pleine Grande Guerre, partant du principe que « les difficultés de l’Angleterre sont une chance pour l’Irlande », il rechercha l’alliance de l’Allemagne pour lutter contre les Britanniques. Il fut inculpé pour haute trahison. Les autorités l’accusèrent aussi de « pratiques homosexuelles » sur la base d’un prétendu journal intime dont l’authenticité est contestée. Il fut pendu le 3 août 1916.

Le roman n’étant pas encore disponible, on ignore comment Vargas Llosa en a construit l’architecture. Mais nous pouvons lui faire confiance. Nul autre romancier de langue espagnole ne possède comme lui l’art de captiver le lecteur, de le ferrer dès les premières lignes et de le plonger dans des trames haletantes où les intrigues se succèdent, pleines de passions, d’humour, de cruauté et d’érotisme. Ce roman a déjà un mérite : tirer de l’oubli Casement, « l’un des premiers Européens à avoir eu une idée très claire de la nature du colonialisme et de ses abominations ». Idée que l’écrivain péruvien (pourtant hostile aux mouvements indigénistes en Amérique latine) partage : « Nulle barbarie n’est comparable au colonialisme, tranche-t-il dans le débat sur les prétendus “bienfaits” de la colonisation. (…)

Igniacio Ramonet Le Monde Diplomatique