ONU : la coalition saoudienne a tué «deux fois plus de civils» au Yémen que les autres forces

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Les Nations unies ont qualifié de «carnage» les récentes frappes aériennes de la coalition arabe, menée par l’Arabie saoudite, au Yémen, accusant cette dernière d’avoir causé la grande majorité des morts civils dans le conflit.

«Ils ont frappé des marchés, des hôpitaux, des cliniques, des écoles, des usines, des réceptions de mariage et des centaines de résidences privées dans des villages, des villes, y compris Sanaa, la capitale. Malgré de nombreuses démarches internationales, ces terribles incidents continuent de se produire avec une régularité inacceptable», a dénoncé dans un communiqué le haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Zeid Ra’ad Al Hussein.

Alors que le conflit au Yémen a causé la mort de plus de 3 200 civils pour la seule année 2015, le Haut-commissaire de l’ONU a ajouté qu’«en regardant les chiffres, il semblerait que la coalition est responsable de deux fois plus de victimes civiles que toutes les autres forces réunies» présentes dans le pays.

Le 15 mars, la coalition arabe avait bombardé un marché populaire de la ville de Khamis, dans le nord du pays, causant la mort de 106 civils, dont 24 enfants, rapporte encore le responsable de l’ONU. Le porte-parole de la coalition avait affirmé viser un «rassemblement de miliciens».

C’est loin d’être la première cible civile visée par la coalition militaire, puisque des endroits comme des hôpitaux ou des mariages sont régulièrement frappés.

Alors que les rebelles chiites Houthis se sont emparés de larges parties du Yémen, dont la capitale Sanaa, la coalition arabe sunnite, dirigée par l’Arabie saoudite prête main forte au gouvernement en pratiquant une campagne de bombardements depuis mars 2015.

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Moyen-Orient, Yemen, Arabie Saoudite, On Line  Un rapport de l’ONU confirme que l’Arabie saoudite bombarde écoles, bus et mariages au Yémen, Crimes de guerre et transferts d’armes, le rapport d’Amnesty qui accuse la coalition arabe au Yémen,

«Radicalisations» et «islamophobie» : le roi est nu

Fatima al-Qaws berce son fils de 18 ans, Zayed, souffrant des effets des gaz lacrymogènes lancés lors d’une manifestation de rue à Sanaa, Yémen, 15 octobre 2011. Photo Samuel Aranda

Fatima al-Qaws berce son fils de 18 ans, Zayed, souffrant des effets des gaz lacrymogènes lancés lors d’une manifestation de rue à Sanaa, Yémen, 15 octobre 2011. Photo Samuel Aranda

Par,Gilles Kepel*

Le succès du slogan «Islamisation de la radicalité» et le refus des chercheurs, par peur d’être soupçonnés d’islamophobie, d’analyser la spécificité du jihadisme confortent la doxa médiatico-politicienne dans son ignorance de la réalité sociale et son arrogance intellectuelle.

 

L’une des premières victimes collatérales des attentats de 2015 est l’université française. Alors que les sciences humaines et sociales sont concernées au premier chef pour fournir les clés d’interprétation du phénomène terroriste d’une ampleur inouïe qui a frappé l’Hexagone, les institutions universitaires sont tétanisées par l’incapacité à penser le jihadisme dans notre pays. Cela provient pour une part d’une politique désinvolte de destruction des études sur le monde arabe et musulman – la fermeture, par Sciences-Po en décembre 2010, le mois où Mohamed Bouazizi s’immole par le feu à Sidi Bouzid, du programme spécialisé sur ces questions est l’exemple le plus consternant : ont été éradiqués des pans entiers de la connaissance et notamment la capacité des jeunes chercheurs à lire dans l’original arabe la littérature de propagande salafiste et jihadiste. Mais cela provient aussi d’un interdit idéologique : entre le marteau de la «radicalisation» et l’enclume de «l’islamophobie», il est devenu très difficile de penser le défi culturel que représente le terrorisme jihadiste, comme une bataille à l’intérieur même de l’islam au moment où celui-ci est confronté à son intégration dans la société française.

«Radicalisation» comme «islamophobie» constituent des mots écrans qui obnubilent notre recherche en sciences humaines. Le premier dilue dans la généralité un phénomène dont il interdit de penser la spécificité – fût-ce de manière comparative. Des Brigades rouges et d’Action directe à Daech, de la bande à Baader à la bande à Coulibaly ou Abaaoud, il ne s’agirait que de la même «radicalité», hier, rouge, aujourd’hui, peinturlurée du vert de l’islamisation. Pourquoi étudier le phénomène, apprendre des langues difficiles, mener l’enquête sur le terrain dans les quartiers déshérités où les marqueurs de la salafisation ont tant progressé depuis trente ans, puisqu’on connaît déjà la réponse ? Cette posture intellectuelle, dont Olivier Roy est le champion avec son slogan de «L’islamisation de la radicalité», connaît un succès ravageur car elle conforte la doxa médiatico-politicienne dans son ignorance de la réalité sociale et son arrogance intellectuelle – toutes deux suicidaires. Le corollaire de la dilution du jihadisme dans la radicalisation est la peur de «l’islamophobie» : l’analyse critique du domaine islamique est devenue, pour les nouveaux inquisiteurs, haram – «péché et interdit». On l’a vu avec l’anathème fulminé lors du procès en sorcellerie intenté au romancier algérien Kamel Daoud pour ses propos sur les violences sexuelles en Allemagne, par une douzaine de chercheurs auxquels le même Olivier Roy vient d’apporter sa caution (1).

Le rapport que vient de publier le président du CNRS sous le titre «Recherches sur les radicalisations» participe de la même démarche. On aurait pu s’attendre, de la part d’une instance scientifique, à une définition minimale des concepts utilisés. Il n’en est rien. Le postulat des «radicalisations» est à la fois le point de départ et d’arrivée d’un catalogue des publications et des chercheurs où la pondération des noms cités montre, sans subtilité, le parti pris idéologique des scripteurs. Emile Durkheim, bien oublié par une sociologie française dont il fut pourtant le père fondateur, avait établi l’identité de la démarche scientifique par sa capacité à distinguer les concepts opératoires des «prénotions». Il qualifiait ces dernières de «sortes de concepts, grossièrement formés», qui prétendent élucider les faits sociaux, mais contribuent, en réalité, à les occulter car ils sont le seul produit de l’opinion, et non de la démarche épistémologique de la recherche. Or, l’usage ad nauseam des «radicalisations» (le pluriel en renforçant la dimension fourre-tout) illustre à merveille le fonctionnement des prénotions durkheimiennes par ceux-là mêmes qui en sont les indignes – fussent-ils lointains – héritiers.

Cette prénotion-ci est d’origine américaine. Diffusée après les attentats du 11 septembre 2001, elle prétendait rendre compte des ruptures successives du «radicalisé» par rapport aux normes de la sociabilité dominante. Les analyses qui s’en réclament partent du même postulat propre à la société libérale – celui d’un individu abstrait, sans qualités, atome détaché de tout passé et de tout lien social. L’interrogation initiale porte la marque de l’école américaine des choix rationnels : pourquoi pareil individu décide-t-il de tuer et de mourir ? Son intérêt bien compris n’est-il pas plutôt de vivre le bonheur de l’American Way of Life ? Un commencement d’explication relève des aléas de la biographie individuelle. On présume que l’intéressé a vécu une rupture initiale (humiliation, racisme, rejet…) à l’origine de sa «radicalité», voire de son basculement ultérieur. La révolte attend alors sa mise en forme idéologique.

Pour résoudre l’énigme, l’analyse se tourne alors vers le rôle de l’offre. C’est ici que les postulats de la sociologie individualiste coïncident avec les fiches signalétiques de l’analyse policière. En effet, l’offre en question est incarnée par des «cellules de recrutement» sophistiquées, animées par des «leaders charismatiques» dont le savoir-faire repose sur un jeu subtil d’incitations religieuses, d’explications politiques et de promesses paradisiaques. Resocialisé par l’organisation réseau, l’individu adopte progressivement les modes de perception et d’action qui lui sont proposés. A la fin, il est mûr pour le passage à l’acte. Il est «radicalisé». Le recours fréquent au lexique de la «dérive sectaire» ou de la «conversion religieuse» (même lorsque l’individu en question est déjà musulman) inscrit le phénomène dans un continuum absurde reliant le terroriste Abaaoud au «Messie cosmo-planétaire» Gilbert Bourdin. La messe est dite, si l’on ose dire. Et les crédits de recherches dégagés par l’administration américaine sont allés aux think tanks de Washington où personne ne connaît un mot d’arabe ni n’a jamais rencontré un salafiste.

Venus d’outre-Atlantique et hâtivement mariés par une partie de la recherche universitaire française généraliste et ignorante de la langue arabe elle aussi, le couple «radicalisation – islamophobie» empêche de penser la manière dont le jihadisme tire profit d’une dynamique salafiste conçue au Moyen-Orient et porteuse d’une rupture en valeurs avec les sociétés européennes. L’objet «islamophobie» complète le dispositif de fermeture de la réflexion, car son objectif vise à mettre en cause la culture «blanche néocoloniale» dans son rapport à l’autre – source d’une prétendue radicalité – sans interroger en retour les usages idéologiques de l’islam. Il complète paradoxalement l’effort de déconstruction de la République opéré par les religieux salafistes, main dans la main avec les Indigènes de la République et avec la bénédiction des charlatans des «postcolonial studies» – une autre imposture qui a ravagé les campus américains et y a promu l’ignorance en vertu, avant de contaminer l’Europe.

Quelle alternative, face au défi jihadiste qui a déclenché la terreur dans l’Hexagone ? Le premier impératif est, pour la France, de prendre les études du monde arabe et de sa langue au sérieux. Les mesurettes du ministère de l’Enseignement supérieur, qui vient de créer quelques postes dédiés à «l’analyse des radicalisations» (la doxa triomphe rue Descartes) et aux «langues rares» (sic – l’arabe compte plusieurs centaines de millions de locuteurs) – relèvent d’une thérapie de l’aspirine et du sparadrap (et une opacité de mauvais aloi a orienté le choix des heureux bénéficiaires). Pourtant, c’est en lisant les textes, et en effectuant des enquêtes de terrain dans les langues locales que l’on peut mettre en perspective les événements des décennies écoulées, comprendre comment s’articulent les mutations du jihadisme, depuis le lancement américano-saoudien du jihad en Afghanistan contre l’URSS en 1979 jusqu’à la proclamation du «califat» de Daech à Mossoul en 2014, avec celles de l’islam en France, puis de France. Repérer les articulations, les charnières, comme cette année 2005 où Abou Moussab al-Souri publie son «Appel à la résistance islamique mondiale» qui érige l’Europe, ventre mou de l’Occident, en cible par excellence du jihad universel, et où les grandes émeutes de l’automne dans les banlieues populaires permettent, à côté de la participation politique massive des enfants de l’immigration musulmane, l’émergence d’une minorité salafiste visible et agissante qui prône le «désaveu» (al bara’a) d’avec les valeurs de l’Occident «mécréant» et l’allégeance exclusive (al wala’) aux oulémas saoudiens les plus rigoristes. Analyser les modes de passage de ce salafisme-là au jihadisme sanglant, qui traduit en acte les injonctions qui veulent que le sang des apostats, mécréants et autres juifs soit «licite» (halal).

A cette fin, toutes les disciplines doivent pouvoir contribuer – à condition d’aller aux sources primaires de la connaissance, et non de rabâcher des pages Wikipédia et des articles de presse. Les orientalistes, médiévistes comme contemporanéistes, les sociologues, les psychologues et cliniciens, les historiens, les anthropologues, mais aussi les spécialistes de datascience ont devant eux un champ immense à défricher – qui ne concerne pas seulement l’étude des ennemis de la société qui ont ensanglanté la France, mais aussi l’étude de la société même dont les failles ont permis à ces derniers de s’y immiscer et d’y planter leurs racines. Il est temps d’en finir avec la royale ignorance qui tétanise les esprits et fait le jeu de Daech.

(1) Libération du 10 mars.

*Gilles Kepel Professeur des universités, Sciences-Po – Ecole normale supérieure (dernier ouvrage paru : «Terreur dans l’Hexagone, genèse du djihad français», éd. Gallimard, 2015, 352 pp., 21 €) et Bernard Rougier, Professeur des universités Sorbonne-Nouvelle

Source Libération : 14/03/2016

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Un cadre d’idées vivantes en grand format

3e volet de La France vue d’ici pour la 8e édition du festival sétois qui se tiendra 4 au 22 mai. Photo Patrice Terraz

3e volet de La France vue d’ici pour la 8e édition du festival sétois . Photo Patrice Terraz

Image-Singulières. Le festival poursuit sa vocation autour de la photographie. De l’aristocratie à la classe ouvrière il aiguise notre regard et notre esprit. A Sète du 4 au 22 mai 2016.

L’affiche de la 8e édition d’imageSingulières signée Patrice Terraz est extraite du projet collaboratif La France Vue d’Ici que le festival mène en partenariat avec Médiapart depuis 2014. On y voit une jeune apprentie en bleu de travail dont le visage laisse entrer la lumière. Une de ses mains est occupée par un soda tandis que l’autre dresse un doigt oblique. Malgré toute l’énergie qui émane de cette jeune fille, il est fort improbable qu’elle soit un jour décorée de la Légion d’honneur. Ce projet conduit par 24 photographes et 4 journalistes s’est fixé la mission d’explorer la France d’aujourd’hui afin de produire un état des lieux d’ici 2017. Cette année le troisième volet de la série prendra d’assaut la Gare de Sète. Pour l’intégralité des reportages rendez-vous en 2017…

Particules artistiques

On ne connaît précisément les vertus de la poussière d’eau qui couvre les habitants des villes portuaires mais l’on sait que les ports brassent les populations qui entrent, circulent, et sortent et que cela influe sur la vie quotidienne. Le festival associe ses embruns depuis 2015 avec la Festival international de photographie de Valparaiso, première ancre d’une idée panoramique qui pourrait tracer ses escales dans les grands ports du monde. Pour cette édition quatre photographes chiliens tireront le portrait de Sète. ImageSingulières invite par la même occasion deux géants de la photographie en résidence dans le port du bout du monde à rejoindre l’île singulière. La confrontation inédite des regards entre l’espagnol Alberto Garcia-Alix et Le Suèdois Anders Petersen donne lieu à la production d’une exposition dont la première se tiendra à Sète avant qu’elle ne parcoure l’Europe.

Au Crac on pourra suivre l’évolution du travail photographique de Guillaume Herbaut dans un parcours ukrainien qui débute par une approche contemporaine de photojournaliste pour passer à celle du documentaire d’auteur. La Maison de l’image Documentaire met le cap sur la Belgique du bas avec les prisons vues et vécues par Sébastien Van Malleghem, et la Belgique du haut que donne à voir l’anglais Rip Hopkins à travers ses portraits d’aristocrates.

La classe ouvrière n’est pas oubliée avec l’exposition collective Working Class Heroes, au Boulodrome. Les photographes Flavio Tarquinio, Mehdi Ahoudig, Samuel Bollendorff évoquent la joyeuse déliquescence du Nord de la France, tandis que Kirill Golovchenko s’attache au profond désordre ukrainien. Enfin, aux Chais des Moulins, seront fêtés les 30 ans de l’agence VU à travers un coup de projecteurs sur 7 grands photographes espagnols qui ont trouvé à travers l’agence un soutien pour signifier leur travail à l’étranger. En bref, le festival conserve une détermination qui l’honore.

JMDH

Source La Marseillaise14/03/2016

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Sommet UE-Turquie sur les réfugiés : un accord « moralement insupportable »

Dessin de Mix & Remix, publié dans Le Matin

Dessin de Mix & Remix, publié dans Le Matin

Dans la nuit du 7 au 8 mars, les Vingt-Huit et la Turquie sont parvenus à un accord censé endiguer l’afflux vers l’UE de réfugiés en provenance du Moyen-Orient. Le texte, qui doit être entériné lors d’un sommet européen le 17 mars, prévoit entre autres, le renvoi vers la Turquie des Syriens candidats à l’asile débarqués illégalement en Grèce (et l’accueil de ceux qui auront déposé une demande en Turquie), le versement d’une aide de 3 milliards d’euros supplémentaires à Ankara pour gérer les réfugiés, des patrouilles maritimes mixtes UE-OTAN en Mer Egée et la réouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE. Si la presse turque fait preuve de réalisme, les journaux européens s’indignent de ce que l’UE se soit pliée aux exigences d’Ankara, au moment où le régime marque une dérive autoritaire sans précédent.

L’Europe brisée en deux au grand bal du Sultan

Il Sole 24 Ore, Milan, 8 mars Pour Adriana Cerretelli, le « pacte de fer » signé avec le pouvoir de Recep Tayyp Erdo?an a « érigé tout à coup la Turquie en 29e Etat membre de l’Union. De fait, si ce n’est de droit. » Qui plus est, après « un volte-face retentissant qui brise les résistances que l’on croyait insurmontables et, surtout, qui ignore les conditions minimales requises, à savoir le respect des valeurs fondamentales européennes, comme la liberté d’information et d’expression, l’égalité des sexes, la protection des minorités. » Ce n’est pas la première fois que les Européens font preuve d’une « amnésie sélective », poursuit la journaliste : « mais il n’était jamais arrivé qu’un candidat à l’adhésion, houspillé encore il y a peu parce qu’il ne remplissait systématiquement pas les conditions essentielles pour devenir un partenaire, rédige carrément un nouvel accord bilatéral dans lequel il multiplie par deux la demande de concessions en échange de l’endiguement des flux migratoires. C’est l’Europe habituelle, cynique et sans scrupules, mais pas plus lucide pour autant. Affaiblie par le triomphe de ses propres nationalismes, elle demeure prisonnière du risque habituel d’être incongrue. Même lorsqu’elle joue avec sa propre identité et qu’elle accepte de voltiger au grand bal du Sultan. On verra avec quels résultats à la fin. »

Culbute

Die Tageszeitung, Berlin, 8 mars « Pervers, fou, juridiquement contestable et moralement insupportable » : Eric Bonse ne mâche pas ses mots. Et sa virulente critique s’adresse avant tout contre la chancelière allemande Angela Merkel : « D’abord une roulade arrière, et maintenant une culbute ? Les méandres de la politique des réfugiés de l’UE laissent pantois. […] Tout d’un coup, non seulement la route des Balkans devrait être bloquée pour les réfugiés. Mais la mer Egée tout entière doit devenir une zone sans passeurs. Et encore plus fou : pour chaque migrant ‘illégal’ que la Grèce renvoie en Turquie, un [migrant] ‘légal’ doit venir en Europe. Ce soi-disant principe un-pour-un, serait, dit-on, une idée du Premier ministre turc Davuto?lu. En vérité, il porte la signature de Merkel – comme d’ailleurs tout ce sommet, qui a été convoqué à la demande de la Chancelière juste avant les élections régionales. Ce principe pervers signifie une rupture radicale avec le droit d’asile tel que nous le connaissons en Europe. Auparavant, ce droit était individuel, maintenant il sera éludé par l’expulsion massive des réfugiés. C’est juridiquement contestable; moralement, c’est insupportable. »

Le pacte de la honte

El País, Madrid, 8 mars Pour l’éditorialiste Rubén Amón, « l’Europe se renie elle-même, offrant à Erdogan l’adhésion de la Turquie à l’UE » : « Ne pouvant et ne voulant pas résoudre la crise des migrants, l’UE a décidé de la sous-traiter. Elle l’a externalisée. Elle a engagé la gendarmerie turque, pas tellement en échange de 6 milliards d’euros – le double de la somme prévue initialement – mais au prix incalculable du reniement des principes fondateurs de l’Union. Soit parce que l’Europe s’exempte de toute responsabilité humanitaire. Soit parce que l’accord entérine des expulsions à chaud. Soit encore parce que l’UE brade les conditions d’adhésion de la Turquie à l’UE. Le grand paradoxe étant qu’Ankara a avancé ses aspirations à l’intégration au moment où elle sape le plus ses standards démocratiques. »

Source : Voxeurop

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L’empire industriel des Hariri vacille en Arabie saoudite

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Le géant du BTP, qui ne paie plus les salaires, pâtit de la crise pétrolière et du refroidissement entre Beyrouth et Riyad

La coïncidence n’est sûrement pas fortuite. Au moment où l’Arabie saoudite et ses alliés du Golfe prennent leurs distances avec le Liban, en signe de protestation contre l’emprise du Hezbollah pro-iranien sur ses institutions, l’empire politico-économique de l’ancien premier ministre Saad Hariri, un protégé de Riyad, tremble sur ses bases.

Dimanche, un article de RFI révélait que la maison mère du groupe, l’entreprise Saudi Oger, fondée en Arabie saoudite à la fin des années 1970 par Rafic Hariri, le père de Saad assassiné en 2005, se trouve en cessation de paiement de fait depuis la fin de l’été. Les 39?000 employés de ce géant du BTP, bâtisseur quasi attitré des palais de la famille royale, ont passé tout l’automne et le mois de janvier sans salaire. Ce n’est qu’à la mi-février qu’ils ont touché leur paye de septembre  2015, avec une promesse de régularisation à partir de mars.

Les plus pénalisés sont les ouvriers d’Asie du Sud-Est – Philippins, Indiens, Népalais ou Pakistanais, incontournables dans les chantiers de construction du Golfe. Le retard de paiement affecte aussi le personnel encadrant, dont quelque 200 expatriés français. Leurs difficultés financières ont incité l’ambassadeur de France en Arabie saoudite à écrire à deux reprises à Saad Hariri, le président du conseil d’administration de Saudi Oger.

Mais la crise se fait sentir bien au-delà des frontières saoudiennes. Elle fragilise l’ensemble du camp Hariri au Liban: non seulement le Parti du futur, locomotive de l’Alliance du 14-Mars, pro-occidentale et adversaire de la Coalition du 8-Mars emmenée par le Hezbollah; mais aussi la myriade d’entités – médias, fondations, dispensaires… – financées par Saudi Oger. «Toutes les branches du groupe sont touchées», maugrée un journaliste de Future TV qui dit recevoir son salaire «irrégulièrement». «Ça fait quelque temps que ça ne tourne pas rond», euphémise un employé du parti, privé de rémunération depuis près de six mois.

Excès de masse salariale

Officiellement, il ne s’agit que d’une mauvaise passe. Un responsable du groupe familial, contacté par Le Monde, l’impute à la «situation régionale» et au «ralentissement économique» généré par l’effondrement des prix du pétrole, la principale source de recettes de l’Etat saoudien, qui a enregistré en 2015 un déficit record (87  milliards d’euros), équivalent à 16% de son PIB. «Il y a une baisse des commandes publiques, dont le groupe Ben Laden, le principal rival de Saudi Oger, souffre également», affirme un homme d’affaires français installé à Riyad.

Selon un cadre de la société, joint par Le Monde, celle-ci pâtit aussi d’une masse salariale excessive. C’est le produit du récent achèvement de deux chantiers pharaoniques, dont celui de l’université Princesse Noura à Riyad, qui avait nécessité l’embauche de milliers d’ouvriers supplémentaires. «La restructuration est en cours, mais ça prend du temps», explique ce cadre.

Mais au sein de l’entreprise comme en dehors, d’autres facteurs sont évoqués. Certaines sources parlent d’erreurs de gestion et de malversations, ce que dément formellement la direction. «Il y a trop de fuites, de fausses factures, de budgets gérés à tort et à travers», accuse un sous-traitant contacté à Riyad.

Un bon connaisseur des milieux économiques saoudiens, qui a collaboré avec Saudi Oger, impute sa dérive au mélange des genres institué par Rafic Hariri: «Il est notoire que l’argent des contrats lui servait autant à régler ses fournisseurs qu’à payer ses campagnes électorales. C’est le Moyen-Orient, ici.»

Etoile déclinante

Les déboires de Saudi Oger sont aussi emblématiques de l’étoile déclinante de la maison Hariri en Arabie saoudite. Saad l’héritier n’a ni l’aura ni le crédit illimité dont jouissait son père à Riyad. En témoignent les mesures de désengagement du Liban, récemment prises par le palais royal. Après avoir suspendu il y a dix jours son programme d’aide à l’armée libanaise, le pouvoir saoudien a demandé mardi 23  février à ses ressortissants de quitter le pays du cèdre.

Pour Riyad et les partisans du 14-Mars, il s’agit de représailles après le refus du ministre libanais des Affaires étrangères, allié au mouvement chiite Hezbollah, de condamner le saccage de l’ambassade saoudienne en Iran, au début de l’année. Pour les tenants du 8-Mars, l’argument n’est qu’un prétexte pour déguiser la crise budgétaire saoudienne. Dans tous les cas, Saad Hariri n’a pu s’opposer à ces mesures, qui le pénalisent pourtant au premier chef.

«Les gens du 14-Mars se sentent abandonnés, au moment où leurs adversaires du 8-Mars donnent l’impression d’être de plus en plus sûrs d’eux, s’inquiète un journaliste de Future TV. On sait que l’Iran est loin d’être sorti de sa crise économique et que les médias pro-Hezbollah ont traversé eux aussi des difficultés financières. Mais l’élément psychologique est important.»

En interne, les employés de l’empire Hariri s’efforcent de relativiser. «C’est déjà arrivé il y a quelques années que l’on se retrouve sans salaire pendant huit mois, soupire un membre du parti. La plupart des gens restent loyaux, ils savent que cela finit toujours par s’arranger.»

Benjamin Barthe, Beyrouth

Source Le Temps 29/02/2016

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