Christopher Crimes : « Une vraie menace plane sur la création en Europe »

Nommé par André Vezinhet Christopher Crimes est directeur du Domaine d’O depuis 2009. Il a participé à l’ouverture d’équipements culturels reconnus Le Quai d’Angers, La Filature de Mulhouse, ou la Maison de la culture du Havre …. Créatif, Christopher Crimes aime les symboles. Au cours de sa carrière, il a développé un vaste réseau au niveau européen.

Pouvez-vous évoquer les  grands axes de votre partition d’hiver…


« Nous poursuivons le parcours de découvertes dans le domaine de la création étrangère européenne, en accueillant Grace Ellen Barkey du collectif Needcompany basé à Bruxelles, tg Stan installé à Anvers ou encore l’artiste associée suisse Gisèle Sallin et le théâtre des Osses. La Belgique et la Suisse partagent certaines similitudes dans les esthétiques mais aussi une belle diversité. La question de l’identité constitue un autre axe de cette saison  avec le  spectacles Invisible de Nasser Djemaï que nous avons accueilli en résidence l’année dernière et Nous habitons ici, une rencontre théâtrale qui évoque tous les peuples qui sont en nous, proposée par l’artiste associé François Cervantes. Nous suivrons aussi la volonté d’approfondir la notion de conflit. D’évoquer à notre façon ce que l’on ressent en tant que citoyens dans ce monde plutôt malade. Dans cette idée de clarification nous reprenons le spectacle Radio Clandestine, mis en scène par Dag Jeanneret. Nous accueillons aussi Jean-Claude Fall pour une lecture du texte de Falk Richter « Le système » qui aborde les imbrications de la politique américaine avec le pouvoir de la finance.

Vous recentrez l’intérêt sur l’humain en vous éloignant des grands thèmes qui portaient votre volonté initiale comme l’Europe ou l’écologie qui sont aujourd’hui dans une impasse politique ?

Ces thèmes demeurent dans les strates de l’action que nous conduisons. En 2012, nous défendrons des projets autour du changement climatique. Mais en ces temps de grande incertitude, je pense en effet qu’il est important de se rapprocher des gens, de la façon dont ils vivent, de leurs préoccupations… Notre fête de fin d’année tournera autour des années 30, une période de crises, de conflits et d’appauvrissement de la population qui présente des similitudes avec notre époque. C’était en même temps un moment où les gens éprouvaient le besoin de faire la fête. Nous avons limité les entrées à 600 personnes pour vivre un moment créatif et conviviale en toute simplicité. C’est l’antithèse des réseaux sociaux, nous voulons permettre aux gens de partager et d’être ensemble.

Stan’s café, la compagnie anglaise associée au Domaine d’O est une des victimes de la crise ?

Oui nos amis ne peuvent plus travailler en Angleterre où la crise frappe de plein fouet les artistes. Ils n’ont pas pu monter de création cette année et doivent faire des animations scolaires pour survivre.

Comment la  crise financière et politique de l’UE impacte-t-elle la culture qui n’était déjà pas une de ses priorités ?

Il y a une vrai menace qui se fait sentir aussi aux Pays-bas et en Allemagne où l’on assiste à des coupes budgétaires qui ont lieu sans discernement. Cette année, on a imposé d’un coup au plus grand théâtre de Rotterdam d’arrêter toute production. Il ne font plus que de la diffusion. Dans certains pays on a tendance à réduire la culture à des spectacles populaires, voir populistes. Un peu comme si on se mettait ici à subventionner les spectacles de variétés commerciales. Ce n’est pas  le rôle des établissements publics.

L’UE a réalisé d’importants investissements dans le domaine culturel. Notamment à travers le programme des capitales de la culture européenne. Cela a profité à certaines villes. Dans d’autres cas les investissements n’ont pas toujours été bien employés. A Glasgow la ville a placé la culture au cœur de sa politique de régénération urbaine, économique et sociale. C’est aussi une réussite à Lille où Martine Aubry a eu l’intelligence de jouer la continuité avec Lille 3000.

Le domaine d’O est aussi un lieu de recherche. Quelles sont les expériences qui ont marché et celles qui n’ont pas abouti ?

Lors de mon arrivée un peu précipitée, je n’avais pas tous les moyens de compréhension. Je me suis rendu compte depuis, que mon objectif d’ouvrir vers de  nouveaux publics n’était pas forcément bien entré dans les esprits des spectateurs. Je me suis mis à l’écoute en découvrant parallèlement la richesse créative du territoire. Sans dévier du projet artistique nous sommes passés à un taux de remplissage de 85% pour la deuxième saison.

Pour les créations, j’invite des artistes. Je passe du temps, j’observe, j’accompagne différentes étapes dans la durée. A la fin, on fait le point ensemble et je prends la décision de poursuivre ou pas le projet. Ce qui n’a pas suffisamment marché, ce sont les rencontres du dimanche présentant des aspects scientifiques ou patrimoniaux. Nous les poursuivons cette année mais à un rythme mensuel. Il y a également de la philosophie, des lectures dramatiques ou poétiques, de la chanson et des spectacles jeunes publics ponctués d’ateliers pour découvrir l’envers du spectacle. Cet ensemble orienté vers le public réserve d’étonnantes rencontres. Le premier rendez-vous est fixé au 23 septembre avec la nuit des chercheurs où il sera question de vie et de fin du monde ! »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi :  Rubrique Politique culturelle, rubrique Festival,   rubrique Rencontre, Olivier Poivre d’ArvorJérome Clément,

Montpellier : Le retour des « Guitar Heroes » à tous vents.

Al Di Meola le 13 octobre au Rockstore

Les Internationales de la guitare, IG pour les familiers, figurent à Montpellier et dans l’Agglo comme le festival musical de la rentrée. La 16e édition qui se tiendra du 24 septembre au 15 octobre répond aux principes fondateurs de cette manifestation. Le cocktail artistique original  du directeur Talaat El Singaby fait recette. Il se compose d’une ouverture sur le monde tirée par des grandes pointures de l’instrument à six cordes relayé par une armée de petites mains. Ajoute un souci d’éclectisme qui associe des origines très diverses (treize pays sont représentés cette année) et une redistribution qui casse le cloisonnement des genres. Classique, rock, jazz, flamenco, blues, musique tzigane, world… se côtoient à l’affiche des IG avec la volonté affichée de cohérence. Autour des grands concerts, 24 cette année, le festival propose une myriade de concerts et manifestations associées. Le programme 2011 compte près de 300 propositions, réparties dans quatre départements de la Région concernant 19 communes de l’Hérault, et dix sept villes de l’agglo.

Pour bien marquer son implication territoriale, samedi 24 septembre, l’ouverture des  IG aura lieu simultanément avec le swing manouche de Sanseverino au théâtre municipal de Mende, un concert de l’ex chanteur de Louise Attaque, Gaetan Roussel à Aigues-Mortes et la présence exceptionnelle de l’Irlandais Neil Hannon de The Divine Comedy au Corum de Montpellier.

Des concerts pour tous

Talaat El Singaby souligne la place que le festival accorde à la création citant le duo flamenco  Chicuelo et Duquende, accompagné pour l’occasion par le danseur Maria Del Mars Fuentes, 5 musiciens et un chanteur (le 25 septembre à Sérignan, La Sigalière), ou encore le trio Renan Luce, Alexis HK et Benoît Dorémus réunis pour une aventure éphémère (le 4 oct au Corum). L’épisode III de Opéra Rom est programmé au Corum le 1er octobre afin d’explorer en profondeur « tous les paroxysmes de la musique tzigane » en compagnie de grands professionnels du genre.

On peut citer aussi  Paco Ibanez qui chantera Brassens  à Lunel (le 30 septembre), Elliott Murphy au chai du Terral de Saint-Jean de Védas  le 6 octobre, John Scolfield  dans le nouvel Espace Lattara à Lattes, le 7 octobre. Le Rockstore qui s’apprête à souffler ses 25 bougies, accueillera notamment : Catherine Ringer (11 octobre), Saul Williams (12 octobre), Al di Meola (13 octobre).  Le réseau des Maisons pour Tous ainsi que certaines associations de quartier relaieront les IG au quatre coins de la ville, les médiathèques feront de même dans l’Agglo. On entend déjà les bruits de fond, la machine s’apprête à faire sonner ses moteurs à grands coups de larsens contrôlés.

Rens : Programmation 04 67 66 36 55 ou www.les-ig.com

Billet. L’ambiance des grands jours.

Couvert d’éloges pour son parcours atypique à la tête des IG, le frêchiste Talaat El Singaby affirme la cohérence de son projet. 

Talaat El Singaby

Il y avait du beau monde pour la présentation des IG 2011, mercredi. Artistes, partenaires économiques et médiatiques, acteurs culturels, emplissaient la salle de réception de la Maison des relations internationales de la ville pour cette rencontre protocolaire accessoirement baptisée conférence de presse. Cette présence immédiate à laquelle les journalistes n’ont pas vraiment accès pour exercer leur métier, les plongent parfois dans des visions oniriques intenses. Au côté de Philippe Saurel qui inaugurait ses nouvelles fonctions municipales en tant que délégué à la culture, le directeur Talaat El Singaby jubilait intérieurement de cette pleine reconnaissance. Il est en effet rarissime pour une structure associative d’accueillir à sa table l’ensemble des institutions culturelles que compte la décentralisation. Mais au-delà des répercutions en terme de financements croisés qui abondent et valident le projet, après un été mouvementé*, la plus grande satisfaction a sans doute été symbolique pour cet homme de réseau. On n’a finalement très peu parlé  d’organisation, de politique culturelle ou de programmation artistique  au cours de cette présentation. On s’est en revanche étendu sur les mérites, l’adhésion du public et la cohérence de la démarche.

« Les IG cultivent les traits qui ont fait sa marque de fabrique. Mais elles cultivent davantage leur mutation perpétuelle en prenant de court les accélérations flagrantes qui bouleversent notre monde , y compris  les arts et la culture. Elles cultivent la continuité et la rupture», affirme le directeur du festival à l’adresse du public. Ce qui replace la notion de cohérence dans une vision de confort, non dans la confrontation à un besoin concret ou exprimé, mais dans l’idée ou dans la perception qu’on s’en fait. Le directeur des IG se compte parmi les héritiers de Frêche. Il cite Nietzsche : « Je compte mes privilèges au nombre de mes devoirs ». Est-il pour autant un authentique héritier du prophète de « la mort de Dieu »  qui a cassé les systèmes ?

Jean-Marie Dinh

* En juillet, le Conseil des prud’hommes condamne l’association Confluence qui gère le personnel des IG pour non paiement d’heures supplémentaires et rupture anticipée du CDD d’une salariée. En Août, Talaat El Singaby reçoit la distinction honorifique de Chevalier des Arts et des lettres des mains du ministre de la Culture.

Voir aussi :  rubrique Musique, rubrique Montpellier Culture : Le bilan Koering, Les grandes expos à ne pas manquer en ville, rubrique Festival,   Festival de Radio France, Koering : Le public est devenu connaisseur,  rubrique Politique culturelle, rubrique Politique locale, On line Montpellier Journal IG : 390 000 euros de subvention et des interrogations ,

Visa pour l’Image : Le plus grand magazine du monde

Guatemala : Une Paix bien plus violente que la guerre. Rodrigo ABD, Associated Press

Festival. Visa pour l’Image est aujourd’hui le lieu de rassemblement majeur des acteurs internationaux de la presse et du photojournalisme. Quelques raisons de ce succès.

Après La gare de Dali, Visa pour l’Image fait de Perpignan le centre du monde à la différence,  que depuis 23 ans, on est passé en mode réaliste. Pendant deux semaines jusqu’au 11 septembre, le festival revient sur « l’actu » de l’année. Les visiteurs* se succèdent continuellement pour découvrir les 28 expositions gratuites de la manifestation. Nombre de regards traduisent un intérêt acéré. Au-delà de l’esthétisme qui demeure au rendez-vous, ils décryptent l’écriture photographique comme une expérience signifiante qui s’offre à leurs yeux.

C’est peu dire que cette forme d’expression n’a rien de commun avec la télévision et les autres médias tant la puissance des reportages sélectionnés emporte. La vision d’actualité du photojournalisme défendue par le fondateur du festival, Jean-François Leroy, refuse la course médiatique pour rester en phase avec ce qui se passe. Une qualité d’exigence rare qui se heurte aux pratiques d’aujourd’hui. Celles qui bradent les valeurs professionnelles, comme la rigueur, l’engagement pour un sujet, et la crédibilité de l’information sous couvert de l’évolution technologique. Comme si rapidité et rentabilité rimaient avec authenticité. Ce sujet  reste au cœur du débat des rencontres professionnelles.

Kesennuma : The man with a dog 22 mars 2011, Issey Kato Reuter

A travers plusieurs séquences, le festival revient sur les événements qui ont mobilisé les grands médias, comme la manifestation sismique au Japon ou la vague du printemps arabe, mais il ouvre surtout sur le hors champ. Des reportages comme celui de Valerio Bispuri qui a sillonné pendant dix ans les prisons d’Amérique Latine, ou de d’Alvaro Ybarra Zavala sur la guerre civile en Colombie témoignent de l’engagement de ce métier. La moisson mondiale des crises écologiques, économiques, démocratiques, et sociales de l’année écoulée a le goût du sang et de l’abandon. Elle suscite aussi de l’espoir à travers la nécessité absolue qui s’impose pour trouver des limites.

* 190 000 visiteurs en  2010

Lima, Pérou, décembre 2006. Détenus dansant dans la cour de la prison. Valéro Bispuri.

A Perpignan le versant Occident n’est pas épargné

A Perpignan l’hémisphère Sud apparaît en première ligne mais  Visa pour l’Image ne fait pas l’impasse sur les dérives sociétales de l’Occident. Shaul Schwarz signe un symptomatique reportage sur la culture narco qui se propage au sein de la communauté latino américaine aux Etats-Unis. Les film narco et les clubs narcocorridos y font fureur sur la côte Ouest, comme les chansons composées à la gloire des trafiquants. « C’est l’expression d’un mode de vie qui s’oppose à la société », explique le photographe américain.

Construction de tombes monumentales au cimetière Jardine del Humaya, Mexique juillet 2009.

 

Une mode  en forme de bras d’honneur à la mort et à la guerre de la drogue qui emporte 35 000 vies par an. Le reportage donne un nouveau visage à la drogue comme instrument de contrôle social. Les images pimpantes du luxe narco sont à rapprocher de celles tout aussi réelles qu’a ramenées Alvaro Ybarra Zavala de Colombie.

Tumaco, Colombie,  2009. La police interroge les occupants d’un bar. Alvaro Ybarra Zavala / Getty Images

 

Avec son travail sur les classes sociales défavorisées en Israël, Pierre Terdjman lutte également contre les idées reçues en touchant du doigt une réalité oubliée. A Lod, dans la banlieue de Tel Aviv, on ne lutte pas contre les « terroristes » mais pour survivre, manger, se soigner, où se payer sa dose dans l’indifférence totale de L’Etat.

Made in England

L’édition 2011 propose aussi deux reportages Made in England, dont l’un des mérites est de faire un peu baisser la tension. Avec « Angleterre version non censurée », Peter Dench porte un regard sans complaisance sur le monde ordinaire de ses compatriotes. « Accoutrements grotesques, mal bouffe et manque de savoir vivre : beaucoup d’Anglais s’obstinent à se rendre ridicules » observe le photographe. Il démontre ses dires à travers un voyage convivial et humoristique où l’alcool, mais peut-être pas seulement, semble tenir un rôle prépondérant.

Jocelyn Bain Hogg s’est lui replongé dans le milieu pour suivre la vie intime des mafieux britanniques. Ce photographe très british a commencé son travail sur la pègre en 2001 avec un reportage intitulé  « The Firm ». Sept ans plus tard il y retourne en axant son sujet sur la famille. « Ce choix m’a permis d’être validé, confit-il, car depuis mes premières visites une bonne part de mes anciens contacts avaient passé l’arme à gauche. » « The Family » débute par une série de portraits tout droit sortis d’un film de Scorsese. Quand on lui demande s’il n’a pas forcé un peu le trait pour que la réalité rejoigne le mythe, Jocelyn Bain Hogg trouve la réponse qui tue : « Ils ont des têtes de gangsters parce qu’ils sont gangsters. On peut penser au cinéma, mais qui était là les premiers: les films ou les gangsters ? »

Ici, on n’est pas dans un film, mais à l’enterrement du père de Teddy Bambam. Jocelyn Bain Hogg VII Network

Le parcours en noir et blanc nous entraîne dans les salles de combats de boxe clandestins que la famille utilise comme autant de business center pour parler affaires, drogue et prostitution… Les expressions de la famille Pyle expriment un mélange de machisme et de violence teinté de culpabilité. On suit Joe, Mitch, Mick, qui font faire leur première communion à leur fils Cassis et Sonny : « Malgré leurs mauvais côtés, ceux sont des êtres humains qui aiment et sont croyants », commente Jocelyn Bain Hogg qui brosse le portrait d’un milieu en perdition détrôné par les mafias de l’Est qui règnent désormais en Angleterre.

Jean-Marie Dinh (La Marseillaise)

Voir aussi : Rubrique Photo, rubrique Médias, rubrique Festival, Visa pour l’Image Cédric Gerbehaye: un regard engagé,

La poésie sensible et silencieuse de Juan Gris au Musée Paul Valéry

Le joueur de Guitare (1918)

L’exposition Juan Gris, « Rime de la forme et de la couleur », appelle une escale sétoise cet été.  A proximité du cimetière marin, le bleu azur inonde la partie haute de la ville. Tout là haut perché, le Musée Paul Valéry répond aux principes architecturaux peu esthétiques de Le Corbusier. Il lui permet cependant de disposer d’intéressants volumes intérieurs. Jusqu’au 31 octobre on peut y (re) découvrir l’œuvre rare de Juan Gris (1887/1927).

Le peindre espagnol est le moins connu des trois grandes figures du cubisme. Après avoir suivi la voie ouverte par ses aînés, Braque et Picasso, Gris a  indéniablement contribué au mouvement par son apport personnel. En France, la dernière exposition que lui a consacré le Musée Cantini de Marseille remonte à une quinzaine d’années. Plus récemment, la rétrospective du Musée national de la Reina Sofia à Madrid en 2005, fait référence au niveau international. L’exposition de Sète rassemble une cinquantaine d’œuvres provenant de nombreux musées tel le Minneapolis Institut off Art, le Musée néerlandais d’Art d’Otterlo, le Musée d’Arts moderne de Paris… Elle a également sollicité plusieurs collectionneurs particuliers. « L’exposition s’apparente à une mise en relation d’œuvres permettant de cerner le propos de Gris sur la poésie », indique la Directrice du Musée Paul Valéry, Maïthé Vallès Bled, qui assure le commissariat général de l’exposition.

Fin du culte de la nature

Le parcours propose quelques œuvres de jeunesse, époque où l’artiste se trouve un atelier au Bateau Lavoir sur la butte Montmartre qu’il a rejoint en 1906.  A Paris, pour gagner sa vie, Juan Gris réalise des dessins humoristiques qu’il place dans les journaux illustrés comme L’assiette au beurre ou Le cri de Paris. Avec Picasso dans son voisinage, le jeune homme qui a suivi une formation d’ingénieur, s’imprègne  des procédés cubistes tel le renversement des plans, ou la variation des angles de vue.

Dès 1907, dans la perspective de solidifier les formes ouvertes par Cézanne, Les Demoiselles d’Avignon (ou Bordel d’Avignon) opposent des volumes cubiques aux effets lumineux des impressionnistes. A partir de 1910, Picasso et Braque consomment la rupture avec la vision classique en vigueur ouvrant jusqu’en 1912 la seconde phase du cubisme dite analytique. Ils abandonnent définitivement l’unicité du point de vue de la perspective albertienne. Leur démarche reçoit le soutien d’Apollinaire qui associe à cette évolution picturale la fin du culte de la nature (celle du Dieu créateur terrestre), auquel il oppose la grandeur des formes métaphysiques, les deux artistes multiplient les angles de vision des objets pour en donner une nouvelle représentation. Ne cherchant pas à affirmer une esthétique personnelle, Juan Gris se distingue dès cette époque de ses initiateurs par une construction plus affirmée. Mais c’est vraiment dans la troisième phase du mouvement, le cubisme synthétique qui voit jour à partir de 1913, que la sensibilité de Gris s’illustre.

 

Verre et journal (1916)

Chemins oniriques

Désormais, la technique cubiste est explorée dans la capacité qu’elle offre de concevoir les rapports du sujet à l’objet. La majeure partie des œuvres de Gris présentées à Sète sont issues de la décennie 1916-1926. Une période où l’artiste est à la recherche d’un contenu spirituel. « Ce côté sensible et sensuel qui, je pense, doit exister toujours, je ne lui trouve pas de place dans mes tableaux » écrivait-il en 1915 à son marchand Daniel-Henry Kahnmeiler. Pourtant, une toile comme Verre et journal (1916), apparaît au visiteur fortement empreinte de la conscience de l’objet de celui qui le représente. De même, Le joueur de guitare (1918) dont la musique qui le traverse fait vibrer le corps et l’espace, démontre la sensibilité tactile et fantaisiste qui habitent l’artiste.

Gris n’a de cesse de trouver l’équilibre parfait entre la richesse du contenu spirituel et les nécessités architecturales. Il se distingue de ses illustres aînés dans l’usage de la couleur en poussant le regard par le jeu des contrastes. La vue sur la baie  (1921) offre une idée de son champ de recherches qui part d’une maîtrise pour s’ouvrir sur des chemins oniriques. Dans ce télescopage des espaces intérieur extérieur, on peut voir la liberté saisir l’âme des objets qui s’échappent. Sur la toile Mère et enfant, 1922, les personnages ne se donnent pas à l’image. Les lignes ondulantes et les masses rondes s’entrecroisent mettant en évidence l’intériorité fusionnelle de la relation par la lumière.

De l’intentionnalité

Le parcours propose également une captivante série de natures mortes réalisées entre 1924 et 1925 où l’on mesure l’interprétation qu’a pu faire Gris du phénoménologue Husserl notamment sur le rôle de l’intentionnalité dans la perception des objets quotidiens. On n’y trouve pas de coquillage même si Gris y développe une poésie silencieuse qui le rapproche du poète montpelliérain Francis Ponge. Il faut pousser la porte du Musée Paul Valéry pour découvrir l’intuition sensible de Gris qui prolonge la pensé cubiste et quelque part l’aboutit. Le mérite de « Rime de la forme et de la couleur » pourrait être de réconcilier certains amateurs d’art éloignés du cubisme par l’intransigeante rigueur de ses premiers pas.

Jean-Marie Dinh

« Rimes de la forme et de la couleur » Musée Paul Valéry, jusqu’au 31 octobre.

Voir aussi : Rubrique  Exposition, rubrique Art,

Montpellier Arts numériques: Instants sensibles sous les voûtes de Pétrarque

 

Festival ISI. Le rendez-vous des arts numériques s’achève ce soir salle Pétrarque avec Vladislav Delay.

Remplacement de décor et de public à la salle Pétrarque où l’on a changé de rituel en troquant les conférenciers avec des artistes porteurs de nouveaux symboles. Depuis jeudi, le festival d’Arts numériques ISI habite le lieu qui « moove » bizarrement sous d’autres horizons. Quand on bouge ainsi les choses, le plus important est de ne pas froisser les croyances

De la soirée de jeudi on retient le concert minimaliste et inspiré d’Arendel, dont le concepteur refuse l’idée de personnage comme celle de groupe. « Tout part de l’idée de créer un dogme sonore qui serait à la musique ce que le Dogma 95 de Lars Von Trier est au cinéma. » Arandel s’impose comme règle fondamentale de ne recourir qu’aux sons produits lors de ses propres enregistrements. On navigue en eau pure. Le goût de l’authentique livre des plages musicales hypnotiques avec des mugissements de sax et des écorchure de voix.

Vendredi c’est la performance pour machine à coudre et ordinateur de Cécile Babiole qui donne le La. Ce qui frappe dans cette liaison entre outils d’hier et aujourd’hui c’est que les contremaîtres où les managers opérationnels, comme l’on dit aujourd’hui, ont toujours la même gueule d’égout. Ce soir on attend entre autres le lunaire Vladislav Delay. Ce type n’a rien d’un merle siffleur. A l’origine, il était batteur de jazz. Il paraît qu’il arrive de Finlande pour nous faire flotter. C’est bon à savoir, même si aujourd’hui tout le monde se tape bien des frontières pour lesquelles on a empli les tranchés de poilus. Il suffit d’ouvrir son col et d’attendre le départ pour le cosmos. On aurait tort de s’en priver, l’entrée est libre…

Jean-Marie Dinh

Festival ISI à partir de 18h salle Pétrarque. Rens : http://isi.cellanova.org/