Auteur. Frédéric Beigbeder était l’invité du Forum FNAC vendredi.
La personnalité de Frédéric Beigbeder peut agacer, surtout quand il n’arrive pas à l’heure. Son côté nombriliste exacerbé en fait un modèle des princes irrévérencieux de notre époque. Notre héros apocalyptique s’affiche moderne. Il cultive son image de dandy inspiré en dilettante mais serait plutôt du genre bosseur. Il n’appartient pas au clan des usurpateurs qui encombrent au mois de septembre les gondoles des supermarchés culturels comme des stocks de parasols en solde.
Pour rire on le marierait volontiers à la sombre princesse Nothomb avec qui il a des points communs. « Nous avons dîné ensemble dernièrement. Elle s’améliore, elle ne mange plus n’importe quelle saloperie. Nous avions commandé un plateau de fruits de mer, elle a juste mangé les algues. » Voilà peut-être le début d’une histoire d’amour.
A son crédit, l’homme n’a pas que la mèche rebelle et il sait rire de lui-même. La foule de jeunes lycéens faisant le pied de grue devant la (trop) petite salle du Forum Fnac de Montpellier peut en témoigner. La préface en forme d’alibi, de son dernier livre Premier bilan après l’apocalypse prend l’allure d’un augure sinistre où l’auteur annonce la mort du livre. Cette réflexion n’est pas infondée d’autant qu’elle se nourrit de son expérience dans l’édition, chez Flammarion. « Le livre c’est une aventure qui dure depuis six siècles. Ce serait dommage qu’elle disparaisse sans débat comme c’est arrivé avec le disque. » Il a raison. Ceux qui s’intéressent au monde du livre le savent, on court à la catastrophe.
Voilà pourquoi Super Beigbeder sauve dans son ouvrage les 100 œuvres qu’il souhaiterait conserver au XXIe siècle. Il parle de la littérature mais une fois encore, c’est une forme d’autobiographie. « En parlant des autres, je me retrouve encore à parler de moi ce qui est un enfermement terrifiant », dit-il.
Pour le lecteur c’est plutôt l’inverse car la liste évidemment subjective de l’auteur compte plein d’auteurs méconnus qui donnent envie de lire. On y trouve des auteurs classiques comme Paul-Jean Toulet, F.S. Fitzgerald, Jean Cocteau, ou J.D. Salinger. Mais on trouve aussi de grands auteurs contemporains, tels que, Régis Jauffret, Patrick Modiano, Jean-Jacques Schuhl, ou Philip Roth.
Il y a peu de femme et pas mal d’américains comme Bret Easton Ellis qui figure en tête du hit parade de Beigbeder pour son roman déjanté Américan psycho. « C’est le meilleur roman du XXe siècle car il a digéré tous les autres. Mais la littérature n’a pas vocation à être toujours nihiliste. » dit l’auteur de 99 fr et il le prouve en classant L’Année de l’amour de Paul Nizon en seconde position, un autre romantique dont toute l’implication littéraire consiste à écrire sur lui-même avec une grande liberté.
Jean-Marie Dinh
Premier bilan après l’apocalypse, éditions Grasset, 20,5 euros.
Danse. Grace Ellen Barkey sur les traces sans rivage du surréalisme. Le Domaine d’O a ouvert sa saison en beauté.
On peut penser que Cette porte est trop petite pour un ours … la dernière création de Grace Ellen Barkey, chorégraphe attitrée de la Needcompany, c’est du grand n’importe quoi ou que le mérite de son spectacle est de décaper nos neurones anesthésiés. La pièce qui ouvrait la saison du Domaine D’O la semaine dernière a en effet laissé quelques spectateurs dubitatifs. Et pour cause, dès la première scène, le ballet pour machine à laver nous plonge dans un moment de folie furieuse où les plaques tectoniques font du tac-tac.
S’il fallait donner sens à ce bordel magnifique, on pourrait trouver quelques similitudes entre une laverie qui s’emballe et l’orientation d’un parlement victime d’un essaim de lobbyistes. La Needcompany est installée à Bruxelles. Grace Ellen Barkey, qui est née en Indonésie, connaît le théâtre d’ombres, le choix de l’absurde pourrait être celui du miroir d’un monde où la superposition des intérêts individuels aux commandes brouille les pistes en permanence.
Au début du XXe siècle, les Dadaïstes avait déjà remis radicalement en cause l’art et la culture européens, fruits d’une civilisation qui a conduit au chaos de la « Grande guerre ». En ce début de XXI siècle le recours aux principes des surréalistes s’avère tout aussi pertinent. Rappelons qu’il ne s’agit pas de fuir le réel mais de l’approcher avec des moyens qui dépassent les limites du réalisme traditionnel.
On blanchit tout dans cette fameuse première scène sauf l’ours qui ne peut entrer dans la machine parce que la porte est trop petite. L’ours, ce résidu irrationnel, échappe à la catégorisation utilitaire. Il est porteur de l’humanité qui se déploie avec une grande liberté dans la suite de la pièce. Les textes surprenants, décalés et drôles parlent au spectateur. Il s’adressent à l’enfant qui est en eux. La mise en scène maîtrisée et le potentiel comique des danseurs comédiens captivent. La scène des chapeaux n’est pas sans rappeler le théâtre masqué balinais évoqué par Artaud dans sa quête d’un théâtre du rêve. Le dernier tableau où les danseurs à demi visibles s’animent avec passion est de toute beauté. Ce spectacle affirme son originalité de bout en bout.
Rencontre . L’auteur Delphine de Vigan présente son livre « Rien ne s’oppose à la nuit » à la librairie Sauramps.
« La douleur de Lucile, ma mère, a fait partie de notre enfance et plus tard de notre vie d’adulte, la douleur de Lucile sans doute nous constitue, ma soeur et moi, mais toute tentative d’explication est vouée à l’échec. L’écriture n’y peut rien, tout au plus me permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire.
La famille de Lucile, la nôtre par conséquent, a suscité tout au long de son histoire de nombreuses hypothèses et commentaires. Les gens que j’ai croisés au cours de mes recherches parlent de fascination ; je l’ai souvent entendu dire dans mon enfance. Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre.
Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence. Le livre, peut-être, ne serait rien d’autre que ça, le récit de cette quête, contiendrait en lui même sa propre genèse, ses errances narratives, ses tentatives inachevées. Mais il serait cet élan, de moi vers elle, hésitant et inabouti. »
Dans cette enquête éblouissante au coeur de la mémoire familiale, où les souvenirs les plus lumineux côtoient les secrets les plus enfouis, ce sont toutes nos vies, nos failles et nos propres blessures que Delphine de Vigan déroule avec force.
Delphine de Vigan est notamment l’auteur du best seller « No et moi », Prix des Libraires 2008, adapté au cinéma par Zabou Breitman, et des « Heures souterraines » (2009), traduit dans le monde entier. Elle faisait partie de la dernière sélection du Goncourt.
19 octobre à 19h : Rencontre avec Delphine de Vigan suivie d’une discussion avec l’auteurà la librairie Sauramps.
La danseuse et chorégraphe Latifa Laâbissi dont le travail ausculte la question du déterminisme social et culturel des minorités, investit actuellement le Domaine du Centre national chorégraphique Montpellier L.R dirigé par Mathilde Monnier. Les Domaines sont des propositions ouvertes permettant à des artistes de se saisir d’un espace de recherche nécessaire à la construction et à la réalisation de leur projet, tout en offrant au public la possibilité de circuler et de pénétrer dans le dispositif de la création chorégraphique. Depuis lundi, Latifa Laâbissi a animé un atelier avec la chanteuse Dalila Khabir. Elle propose au public d’assister à différentes projections qui nourrissent son travail, et présente ce soir son spectacle Loredreamsong à 20h dans le studio Bagouet.
On vous sent plutôt à l’aise face à cette proposition du Domaine ?
Oui je sors d’un atelier mené sur la matière mixte corps et voix avec la chanteuse Dalila Khabir. Le dispositif des Domaines me paraît tout à fait adapté. Cette possibilité d’aller à la rencontre d’autres projets artistiques de manière large me semble être au cœur des enjeux de la création contemporaine. Moi qui me nourris beaucoup du cinéma, cela me permet de faire partager ma recherche, sur le plan théorique, mais aussi en faisant émerger des associations inattendues qui font sens.
Pasolini, Alice Diop, Spike Lee, Kara Walker, les œuvres que vous mettez en résonance révèlent par différents endroits la colonisation et l’agressivité de la culture occidentale…
On observe cependant une différence entre le regard porté sur la situation afro-américaine par les artistes et la pensée critique américaine qui va au bout des choses, et la position française qui traite la question de la colonisation de façon très refoulée. Ici on reste plutôt dans un impensé et en voulant atténuer les phénomènes on oublie. Outre-atlantique, le statut critique permet de « problématiser » les questions, sans tomber dans le binaire du bon et du méchant, pour toucher la complexité. Et c’est profitable.
Où situez-vous la politique dans votre démarche artistique ?
Pour moi, l’art n’est pas un lieu de propagande. Mais il est concerné par la question politique au sens platonicien, celle d’une réelle mutation. Cela n’a rien de manichéen. L’art s’attache à la question de la responsabilité, de l’organisation collective. Il participe à la nécessité de se prendre en charge collectivement, de se légitimer, de s’auto-légitimer… Je porte intrinsèquement ces questions dans mon travail.
Distinguez-vous vos responsabilités artistiques et citoyennes ?
Il n’y a pas de dichotomie à l’endroit de l’art. C’est une autre nature avec laquelle je joue. Pour moi il ne s’agit pas de se départir d’un camp. Je sais que dans cette société je m’ « auto-capitalise ». Ma responsabilité est toujours engagée. En ce sens je ne me sens jamais victime. Je n’ai pas peur des lieux communs. Je travaille beaucoup sur les clichés où s’infiltre l’idéologie pour les tordre.
Est-ce que le désir d’altérité vous amène aussi à tordre le langage de la danse ?
J’ai été formée à l’école abstraite américaine avec Cunningham, mais certaines données se révélant intraduisibles « chorégraphiquement », la parole est arrivée dans mon travail. Je ne me sens plus assignée au solfège de la danse. Je fais feu de tout bois, je parle, je chante, ma construction dramaturgique répond au choc des hétérogénéités. J’ai beaucoup à le défendre dans le milieu de la danse, mais bizarrement le public saisit les enjeux d’une chorégraphie qui choque le réel. »
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Ce soir à 19h installation vidéo de Kara Walker suivi du spectacle Loredreamsong de Latifa Laâbissi à 20h.
Le documentaire de Christian Rouaud présenté hier au cinéma Diagonal met du baume au cœur. Il conte l’histoire tumultueuse et humaine des 103 paysans du Larzac en lutte contre la grande muette pour préserver leur territoire et leur mode de vie. Comme dans son dernier film Lip, l’imagination au pouvoir, Christian Rouaud appuie son propos sur un triptyque historique politique et social. Le film repose sur le témoignage des principaux protagonistes qui relatent avec distance et honnêteté un combat qui a bouleversé leur vie en profondeur. « Avant j’étais normal, je votais à droite et j’allais à la messe. Ca a changer depuis », confie avec un rien d’ironie Léon Maille, un paysan installé depuis trois générations sur le site.
Marizette Targuier
On suit par le menu le combat non violent qui commence le 11 octobre 1970 avec le projet d’extension du camp militaire du Larzac pour se finir avec l’élection de Mitterrand en 1981. Le parcours interpelle par sa nature. Il part de paysans isolés dans leur ferme qui se regardaient en chiens de faïence pour aboutir à une lutte collective qui intègre dans le temps des militants de tous les horizons, syndicats agricoles, gauche ouvrière et paysanne, maoïstes, communauté de l’Arche, anars, militants occitans, prêtres de campagne… Cette union improbable doit beaucoup à la personnalité de l’agriculteur Guy Tarlier dont la veuve Marizette, qui ne ménageait pas la teneur de son engagement, apporte un témoignage lumineux.
Avec ses images, le réalisateur fait également parler la nature qui donne à comprendre, pour ceux qui y sont nés comme pour ceux qui l’on rejointe, à quel point cette terre du Larzac est au centre de l’expérience humaine. Et par extension, à quel point, elle a pu agréger et canaliser le puissant attachement des Français à un certain type de continuité sociale et culturelle.
« Ce qui a caractérisé les luttes de cette période, n’est pas comme on l’a dit parfois, le dogmatisme gauchiste, mais une liberté d’invention et de ton, une fierté, une insolence, une imagination sans borne,» affirme le réalisateur. Christian Rouaud ne veut pas nous proposer un modèle, il nous invite à porter un regard neuf sur les luttes à entreprendre.