Bissière au Musée de Lodève. L’aventure picturale d’un artiste à redécouvrir

« Nu couché draperie brique », 1926.

Une mise en lumière du travail de Bissière au regard de la création artistique de son temps. Jusqu’au 2 novembre 2014 au Musée de Lodève.

Qui était Roger Bissière (1886-1964) dont on fête cette année le cinquantième anniversaire de sa mort ? Un peintre indépendant, un peu à part. Né dans le Lot, il suit les cours de l’Ecole de Beaux-Arts à Bordeaux et participe régulièrement aux salons artistiques bordelais.

Attiré par la modernité il partage un temps l’aventure des avant-gardes parisiennes. Aux débuts des années vingt, Bissière expose régulièrement au Salon des Artistes Indépendants et au Salon d’Automne avant de se retrancher dans sa maison familiale.

L’oeuvre très évolutive de cet artiste profondément humain traverse son époque en se confrontant aux temps et aux courants artistiques.

Le Musée de Lodève s’associe au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux pour suivre l’itinéraire de cet artiste méconnu. Si d’importantes rétrospectives de l’oeuvre ont été organisées au cours des vingt dernières années, l’exposition visible à Lodève jusqu’au 2 novembre se présente, elle, sous l’angle inédit de l’évolution de la place de la figure dans son œuvre.

« L’exposition se propose de questionner la lente maturation qui couvre la période allant de 1920 à la mort de l’artiste en 1964. On passe de la présence à la brutale disparition de la figure dans l’oeuvre.» commente la directrice du Musée de Lodève Ivonne Papin-Drastik qui partage le commissariat général de l’exposition avec son homologue bordelaise, Sophie Barthélémy.

Tradition et modernité

Bissière débute en tant que théoricien. Il s’exprime dans différentes revues dont L’Esprit Nouveau créée par Le Corbusier. Il cesse un jour son travail de critique pour se lancer dans ses propres recherches bien que l’ensemble de son oeuvre reste marquée par une approche théorique beaucoup plus intellectuelle qu’instinctive.

Dans les années 20 il entretient un dialogue critique avec le cubisme qu’il connaît bien. Son travail s’apparente au retour à la tradition picturale, inspiré par Corot, Cézanne, Braque. Bissière semble poussé par la volonté de faire pont entre tradition et modernité.
Dans le catalogue de l’exposition Robert Fleck évoque  : « une peinture pensée » en lien avec un des grands sujets du peintre : le temps. « La lumière et les couleurs autonomes rendent visible une idée du temps qui conjugue la durée des cycles naturels,et la rapidité de l’esprit qui arrive à penser ce temps par l’activité picturale.»

Vénus noire 1945. Huile sur toile avec reliefs en stuc peint 100 x 80 cm

Vénus noire 1945. Huile sur toile avec reliefs en stuc peint
100 x 80 cm

Evolution du vocabulaire

Roger Bissière se tient à distance des envolées lyriques. Marqué par la guerre, il quitte Paris en 1939 « pour retrouver l’essence des choses. » Retiré dans sa maison de Boissierette, il s’arrête de peindre, renoue avec la nature, l’activité agricole et s’inspire des dessins de son fils.

Au lendemain de la guerre l’artiste vit une forme de renaissance qui le pousse à restituer le monde et les émotions qu’il synthétise dans sa peinture. « J’ai oublié bien des choses inutiles. J’en ai appris d’essentielles. Peut-être ai-je appris à regarder en moi-même.» écrit-il en 1947.

L’exposition présente notamment un ensemble de tapisseries singulier composé de tissus taillés dans des tapis et vêtements usagers. L’artiste joue sur la diversité des couleurs et des matières pour opérer sa composition.

Chez Bissière la recherche permanente se conjugue avec l’évolution du vocabulaire. Son langage pictural traverse le temps comme sa Vénus noire.

Dans les années 50 la production de Bissière qui rencontre des problèmes de vue bascule dans une re création du monde. La théorie picturale semble oubliée, le peintre qui réduit sa palette travaille sur l’expressivité sensible.

«Bissière renoue avec la plus ancienne condition du langage et affirme au-delà de toute condition temporelle sa condition de primitif » observe le critique d’art Daniel Abadie.

En 1964, l’année de sa disparition, l’artiste représentera la France à la XXXIIe Biennale de Venise, époque qui voit le déclin de l’hexagone et la montée en puissance de la peinture américaine.

 Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise

 

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Biographie

1886

22 septembre naissance de Roger Bissière à Villeréal (Lot-et-Garonne) dans une famille de notaire.

1905

Bissière est inscrit à l’École des Beaux-arts de Bordeaux jusqu’en 1909.

1909-1910

Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris. Il expose pour la première fois au Salon des Artistes français.

1912

A partir de décembre, il rédige des comptes-rendus d’expositions dans l’hebdomadaire parisien L’Opinion.

1919

23 janvier, il épouse Catherine Lucie Lotte, qu’il surnomme Mousse.
Il cesse sa collaboration avec L’Opinion. Entre 1918 et 1920, il peint quelques tableaux cubistes.

1920

19 janvier Bissière participe à une exposition collective à la Galerie Berthe Weill, il vend son premier tableau. A partir de cette date, il exposera régulièrement aux Salon des Artistes Indépendants et au Salon d’Automne jusqu’en 1923.
Il rédige la préface d’un livre sur Georges Braque publié par Léonce Rosenberg aux éditions de l’Effort moderne. En octobre, le premier numéro de la revue L’Esprit Nouveau créée par Le Corbusier-Jeanneret et Ozenfant publie ses Notes sur l’Art de Seurat, puis en 1921, pour le n° 4, il publie des Notes sur Ingres et dans le n° 9 des Notes sur Corot.

1921

Avril à mai, la galerie Paul Rosenberg lui consacre une exposition personnelle de vingt tableaux.

1923

Novembre, il accepte un poste de professeur de peinture et de croquis à l’Académie Ranson.
Sur la recommandation de Maurice Denis, il est intégré dans le 4ème groupe de peintres de la galerie Eugène Druet et participe régulièrement à ces expositions collectives jusqu’en 1937.

1924

10 mars, la galerie Eugène Druet présente une exposition personnelle de Bissière ; renouvelée en décembre 1925

1926

15 juillet, naissance de son fils Marc-Antoine, qu’il surnomme Loutre et qui peindra sous le nom de Louttre. B.
Juin, exposition personnelle à la Galerie Druet.

1928

6 mars, exposition personnelle à la galerie Eugène Druet.
Une série de paysages évoque, comme un pressentiment, l’œuvre à venir.

1931

Janvier, la Leicester Gallery à Londres lui organise une exposition personnelle, elle lui en organisera une seconde en janvier 1934.

1934

Septembre, il ouvre un atelier de fresque à l’Académie Ranson.
Il rencontre le critique d’art Jacques Lassaigne qui le soutiendra durant toute la suite de sa carrière.

1937

Il participe à l’Exposition Internationale pour les décorations du pavillon des chemins de fer et celui de la marine. Pour vivre, il multiplie les travaux de commande.

1939

A la déclaration de la guerre, Bissière se réfugie dans sa maison du Lot, et terriblement affecté par ce drame humain, cesse de peindre.

1944

11 février, à l’instigation d’Alfred Manessier, il expose deux pastels à la galerie de France. C’est son retour à la création.

1945

Décembre, il compose des tapisseries à l’aide de morceaux de tissus et de vêtements usagés. Après un assemblage rapide, chaque élément est cousu et brodé par Mousse.
Il reprend la peinture à l’huile.

1947

5 décembre 1947 au 5 janvier 1948, la galerie René Drouin expose trente peintures et sept tapisserieS.
Si la critique reste dubitative, des peintres, tel Jean Dubuffet, lui affirment leur estime.

1950

Juin, il est opéré avec succès d’un double glaucome des yeux, la menace de la cécité s’éloigne. Il peint une série de petits tableaux (Hommage à Angelico, Île de Ré) avec de l’œuf pour médium qui est exposée à partir du 19 octobre 1951 à la galerie Jeanne-Bucher, à Paris.
L’exposition rencontre un vif succès.

1952

6 décembre, 25 grandes toiles (Jaune et gris, Croix du Sud) sont exposées à la galerie Jeanne-Bucher. Le 23 décembre, le Grand Prix National des Arts lui est décerné.

1954

Il redécouvre la peinture à l’huile et réalise la maquette du livre François d’Assise, Cantique au Soleil de François d’Assise. Le livre est gravé sur bois puis imprimé en couleurs, en taille-douce, par Fiorini.

1955

15 juillet, il participe à la première Documenta de Cassel avec 6 œuvres.

1956

26 avril, la galerie Jeanne-Bucher expose 41 huiles, le catalogue est préfacé par Jacques Lassaigne.

1957

Juin à novembre, une exposition rétrospective s’enchaîne à la Kestner Gesellschaft de Hanovre puis au Stadtische Kunsthalle de Recklinghausen et enfin au St. Annnen-museum de Lubeck ; 82 œuvres sont présentées, la préface du catalogue est de Werner Schmalenbach. En décembre, c’est le Stedelijk van-Abbemuseum de Eindhoven puis le Stedelijk Museum d’Amsterdam qui présentent 88 numéros. Bissière écrit la préface du catalogue, reprenant dans un texte ses idées-forces.

1958

10 juin, la galerie Jeanne-Bucher présente une série de 34 huiles sur papier sur le thème des «Quatre saisons». Bissière exécute les maquettes des deux verrières pour les tympans nord et sud de la cathédrale Saint-Étienne de Metz.

1959

9 avril, Jean Cassou inaugure une exposition rétrospective au Musée national d’art moderne de Paris avec 121 œuvres.

1960

Dans Quadrum 9, Roger van Gindertael illustre son article «Réflexions sur l’École de Paris» par un tableau de Bissière. Il le considère comme l’artiste emblématique de l’École de Paris contemporaine.

1962

11 mai au 23 juin, exposition personnelle à la galerie Jeanne-Bucher, Dora Vallier signe la préface du catalogue.
Mousse meurt en octobre, après l’exposition. S’intéresse à la gravure.

1964

Depuis la mort de Mousse, Bissière peint son Journal en Images.
Une cinquantaine de ces huiles, souvent rehaussées de crayons feutres, sont exposées à la galerie Jeanne-Bucher à partir du 8 mai(Journal 20 août 63, Journal 20 mars 64).
20 juin, ouverture de la XXXIIe Biennale de Venise, Jacques Lassaigne, commissaire de l’exposition pour la France, invite Bissière à occuper la grande salle du pavillon français. Il remporte une mention d’honneur en raison  » de l’importance historique et artistique de son œuvre ».
Bissière meurt le 2 décembre 1964 à Boissierette.

Biographie : Isabelle Bissière

Voir aussi : Rubrique Art, rubrique Exposition,

Musée de Lodève Gleizes et Metzinger.Culture et curiosité sur l’échiquier du cubisme

Jean Metzinger, Femme nue à la lettre, 1946

Jean Metzinger, Femme nue à la lettre, 1946

Modernité. Gleizes – Metzinger du cubisme et après  : L’exposition d’été du Musée de Lodève est consacrée à deux figures marquantes du cubisme restées dans l’ombre de Picasso et Braque.

A Lodève, dans l’arrière pays héraultais on peut tromper pour quelques heures l’idéal moderne de la culture bling bling en poussant la porte du musée municipal qui propose une lecture approfondie des idées et des oeuvres de Gleizes et Metzinger autour du cubisme.

A propos du cubisme, on cite généralement le duo formé par Braque et Picasso et on élargit parfois les représentants de ce courant à un trio en y adjoignant Juan Gris, quand on ne se contente pas d’évoquer Les demoiselles d’Avignon pour solde de tout compte. Cette oeuvre de 1907, symbolise certes une rupture stylistique et conceptuelle sans précédent et pourrait suffire à exhiber ses connaissances en la matière.

L’intérêt de l’exposition du Musée Fleury est justement d’aller plus loin en soulignant à travers un parallèle entre les oeuvres d’Albert Gleizes et Jean Metzinger connus pour leur opuscule de 1912, Du Cubisme*, la variété des courants qui sont intervenus dans l’émergence du cubisme. Que l’on se rassure, l’expo qui se compose de trois parties, ne se limite pas à la connaissance circulaire des théories contenues dans cet ouvrage.

Le parcours didactique réunit 80 tableaux et dessins. Dans un espace un peu trop restreint, le cubisme s’expose sous tous les angles. La première partie de l’exposition présente un choix d’oeuvres de Gleizes et de Metzinger réalisées avant 1911, avant que les artistes ne basculent dans le cubisme. Gleize décompose les formes, optant pour un style massif et sombre (L’écluse de Suresnes, 1908) tandis que les toiles néo-impressionnistes de Metzinger font appel à une palette lumineuse, les touches de peintures révélant des paysages vivants et oniriques (Paysage Bleu, 1906,1907).

Albert Gleizes, Femmes assises devant une fenêtre, 1914, huile sur carton, 70 x 104.5 cm. Collection privée Solange Landau New York © photo maison de vente Aguttes

Albert Gleizes, Femmes assises devant une fenêtre, 1914.

A la faveur d’une suite d’innovations liées à la vie moderne qui se succèdent à partir de la seconde moitié du XIXème siècle, le monde de l’art se transforme. L’école de Barbizon et de Courbet, l’usage nouveau des couleurs introduit par les Impressionnistes, le synthétisme de Gauguin et de l’Ecole de Pont-Aven et les audaces obstinées de Cézanne sont autant de révolutions à l’origine d’une nouvelle sensibilité collective qui permettra l’avènement du Cubisme.

Entre 1907 et 1914, ce mouvement bouleverse la notion de représentation. Des peintres comme Léger, Delaunay, Gris, Duchamp-Villon, Gleizes, Metzinger et d’autres s’émancipent de leur modèle. Le mouvement touche simultanément la littérature (Apollinaire, Reverdy…), la musique (Stravinsky, Schoenberg…), et le cinéma (Fernand Léger…). Le groupe de Puteaux animé par les frères Duchamp, fréquenté par Kupka, Léger et Picabia se réunit pour jouer aux échecs et débattre de théories mathématiques.

La seconde section de l’exposition en constitue le coeur. Elle rend compte de la diversité du mouvement cubiste. En complément des créations de Gleizes et Metzinger sont exposés les oeuvres de la Section d’Or, trois célèbres expositions dont la mythique Section d’or de 1912. Ces expositions montées à l’initiative des artistes voulaient rendre compte d’une esthétique commune avec des variantes singulières. La modernité d’un Léopold Sauvage (L’oiseau, 1915), ou la maîtrise du triangle d’un Jacques Villon (L’homme au canotier, 1913) en sont de remarquables exemples. La dernière section montre les trajectoires esthétiques différentes prises par chacun des deux artistes après 1914.

La rencontre entre Gleizes et Metzinger s’est faite autour du cubisme en 1910 et culmine avec le traité de 1912. La première et la troisième sections de l’exposition maintiennent cette rencontre sur des passerelles un peu bancales mais l’idée de parallèle ouvre des possibilités.

Si l’exposition de Lodève ne présente pas d’oeuvre majeure, son grand mérite est de nous renvoyer à la naissance du modernisme et à la grande diversité des appropriations. Le cubisme révolutionne l’ordre de l’art figuratif et insuffle une nouvelle conscience dans toute pratique de relation avec le réel.

Jean-Marie Dinh

*Premier livre jamais édité sur le mouvement cubiste.

Fernand Léger Le ballet mécanique

Léger Le ballet mécanique

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Visible dans le cadre de l’exposition, le film expérimental de Fernand Léger donne une idée de l’éclectisme du cubisme. Réalisé en 1924 « Le Ballet mécanique » date de l’époque où les architectes ont parlé de la civilisation machiniste. « L’erreur de la peinture c’est le sujet, l’erreur du cinéma c’est le scénario » dira Léger qui figure comme le premier artiste à réaliser un film sans scénario. « I l y a dans cette époque un nouveau réalisme que j’ai personnellement utilisé dans mes tableaux et dans ce film. Ce film est surtout la preuve que les machines et les fragments, que les objets usuels fabriqués sont possibles et plastiques (…) Des successions d’images rythmées,c’est tout (…). Nous insistons jusqu’à ce que l’oeil et l’esprit du spectateur ne l’acceptent plus. Nous épuisons sa valeur spectacle jusqu’au moment où il devient insupportable. Créer le rythme des objets communs dans l’espace et le temps , (…)  les présenter dans leur beauté plastique »…

Gleizes – Metzinger du cubisme et après à Lodève jusqu’au 3 novembre.

Source : La Marseillaise 07/08/2013

Voir aussi : Rubrique Expositions, rubrique Art,

La poésie sensible et silencieuse de Juan Gris au Musée Paul Valéry

Le joueur de Guitare (1918)

L’exposition Juan Gris, « Rime de la forme et de la couleur », appelle une escale sétoise cet été.  A proximité du cimetière marin, le bleu azur inonde la partie haute de la ville. Tout là haut perché, le Musée Paul Valéry répond aux principes architecturaux peu esthétiques de Le Corbusier. Il lui permet cependant de disposer d’intéressants volumes intérieurs. Jusqu’au 31 octobre on peut y (re) découvrir l’œuvre rare de Juan Gris (1887/1927).

Le peindre espagnol est le moins connu des trois grandes figures du cubisme. Après avoir suivi la voie ouverte par ses aînés, Braque et Picasso, Gris a  indéniablement contribué au mouvement par son apport personnel. En France, la dernière exposition que lui a consacré le Musée Cantini de Marseille remonte à une quinzaine d’années. Plus récemment, la rétrospective du Musée national de la Reina Sofia à Madrid en 2005, fait référence au niveau international. L’exposition de Sète rassemble une cinquantaine d’œuvres provenant de nombreux musées tel le Minneapolis Institut off Art, le Musée néerlandais d’Art d’Otterlo, le Musée d’Arts moderne de Paris… Elle a également sollicité plusieurs collectionneurs particuliers. « L’exposition s’apparente à une mise en relation d’œuvres permettant de cerner le propos de Gris sur la poésie », indique la Directrice du Musée Paul Valéry, Maïthé Vallès Bled, qui assure le commissariat général de l’exposition.

Fin du culte de la nature

Le parcours propose quelques œuvres de jeunesse, époque où l’artiste se trouve un atelier au Bateau Lavoir sur la butte Montmartre qu’il a rejoint en 1906.  A Paris, pour gagner sa vie, Juan Gris réalise des dessins humoristiques qu’il place dans les journaux illustrés comme L’assiette au beurre ou Le cri de Paris. Avec Picasso dans son voisinage, le jeune homme qui a suivi une formation d’ingénieur, s’imprègne  des procédés cubistes tel le renversement des plans, ou la variation des angles de vue.

Dès 1907, dans la perspective de solidifier les formes ouvertes par Cézanne, Les Demoiselles d’Avignon (ou Bordel d’Avignon) opposent des volumes cubiques aux effets lumineux des impressionnistes. A partir de 1910, Picasso et Braque consomment la rupture avec la vision classique en vigueur ouvrant jusqu’en 1912 la seconde phase du cubisme dite analytique. Ils abandonnent définitivement l’unicité du point de vue de la perspective albertienne. Leur démarche reçoit le soutien d’Apollinaire qui associe à cette évolution picturale la fin du culte de la nature (celle du Dieu créateur terrestre), auquel il oppose la grandeur des formes métaphysiques, les deux artistes multiplient les angles de vision des objets pour en donner une nouvelle représentation. Ne cherchant pas à affirmer une esthétique personnelle, Juan Gris se distingue dès cette époque de ses initiateurs par une construction plus affirmée. Mais c’est vraiment dans la troisième phase du mouvement, le cubisme synthétique qui voit jour à partir de 1913, que la sensibilité de Gris s’illustre.

 

Verre et journal (1916)

Chemins oniriques

Désormais, la technique cubiste est explorée dans la capacité qu’elle offre de concevoir les rapports du sujet à l’objet. La majeure partie des œuvres de Gris présentées à Sète sont issues de la décennie 1916-1926. Une période où l’artiste est à la recherche d’un contenu spirituel. « Ce côté sensible et sensuel qui, je pense, doit exister toujours, je ne lui trouve pas de place dans mes tableaux » écrivait-il en 1915 à son marchand Daniel-Henry Kahnmeiler. Pourtant, une toile comme Verre et journal (1916), apparaît au visiteur fortement empreinte de la conscience de l’objet de celui qui le représente. De même, Le joueur de guitare (1918) dont la musique qui le traverse fait vibrer le corps et l’espace, démontre la sensibilité tactile et fantaisiste qui habitent l’artiste.

Gris n’a de cesse de trouver l’équilibre parfait entre la richesse du contenu spirituel et les nécessités architecturales. Il se distingue de ses illustres aînés dans l’usage de la couleur en poussant le regard par le jeu des contrastes. La vue sur la baie  (1921) offre une idée de son champ de recherches qui part d’une maîtrise pour s’ouvrir sur des chemins oniriques. Dans ce télescopage des espaces intérieur extérieur, on peut voir la liberté saisir l’âme des objets qui s’échappent. Sur la toile Mère et enfant, 1922, les personnages ne se donnent pas à l’image. Les lignes ondulantes et les masses rondes s’entrecroisent mettant en évidence l’intériorité fusionnelle de la relation par la lumière.

De l’intentionnalité

Le parcours propose également une captivante série de natures mortes réalisées entre 1924 et 1925 où l’on mesure l’interprétation qu’a pu faire Gris du phénoménologue Husserl notamment sur le rôle de l’intentionnalité dans la perception des objets quotidiens. On n’y trouve pas de coquillage même si Gris y développe une poésie silencieuse qui le rapproche du poète montpelliérain Francis Ponge. Il faut pousser la porte du Musée Paul Valéry pour découvrir l’intuition sensible de Gris qui prolonge la pensé cubiste et quelque part l’aboutit. Le mérite de « Rime de la forme et de la couleur » pourrait être de réconcilier certains amateurs d’art éloignés du cubisme par l’intransigeante rigueur de ses premiers pas.

Jean-Marie Dinh

« Rimes de la forme et de la couleur » Musée Paul Valéry, jusqu’au 31 octobre.

Voir aussi : Rubrique  Exposition, rubrique Art,