Etats généraux de l’alimentation : comprendre comment les prix, les marges et les subventions sont fixés

GP0STPP75-780x520

Les états généraux de l’alimentation se donnent pour but un partage plus équitable des marges entre producteurs, industriel et distributeur.

C’était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron : permettre aux agriculteurs de vivre dignement, freiner la guerre des prix dans la distribution et répondre aux nouvelles attentes des consommateurs à la recherche de qualité. Lancés le jeudi 20 juillet, les états généraux de l’alimentation tenteront de donner une réponse concrète à ces objectifs d’ici le mois novembre. Pour les producteurs, qui dénoncent cette situation depuis plusieurs années, il y a péril dans la demeure si un partage plus équitable des marges n’est pas trouvé.

1. Comment sont fixés les prix des produits agricoles ?

Le système est assez complexe et dépend du type de produit :

Porc : une bourse en Bretagne

Le prix du porc est fixé en Bretagne, au marché au cadran de Plérin – la Bretagne représente 60 % de la production de porc en France. Là, les éleveurs proposent leurs marchandises aux abattoirs, selon un principe d’enchères dégressives. L’acheteur propose un prix, c’est aux éleveurs de l’accepter ou non.

Le marché de Plérin établit ensuite la tendance nationale des prix. Puis les abattoirs revendent la viande achetée à la grande distribution, en fixant les prix de gré à gré. Enfin, la viande est vendue dans les super et hypermarchés, à un prix que fixe l’enseigne.

Deux importants transformateurs de viande, la coopérative Cooperl et la société Bigard-Socopa, ont boycotté plusieurs ventes en août car ils ont estimé que les hausses successives du prix du porc, convenues lors de l’accord avec les éleveurs, étaient en « total décalage avec le prix de marché européen ».

Bœuf : un prix moyen et libre

Pour le bœuf, le prix d’achat est négocié entre éleveurs et négociants ou abatteurs. C’est ensuite un organisme public, France AgriMer, qui calcule une tendance moyenne à partir des prix d’achat déclarés par les abatteurs. Mais la grande distribution peut aussi proposer des achats en grande quantité à un prix fixe, ce qui fait pression sur l’abatteur, qu’il répercute sur le livreur.

c7da39e_5051-tzqtmr

Lait : un double système

Le lait, lui, obéit à des règles plus complexes encore : près de la moitié des éleveurs travaille avec des entreprises sous la forme de contrats quinquennaux, quand l’autre vend à des coopératives. Depuis 2010 et 2012, une loi et une directive européenne renforcent le recours à des négociations entre acteurs de la filière pour, notamment, décider du prix d’achat au producteur. Une structure, le CNIEL (centre interprofessionnel de l’économie laitière) aide à la fixation de ces prix grâce à des grilles de référence et des indicateurs.

Parmi ceux-ci le prix de produits issus du lait (beurre, poudre de lait, fromages), qui est, lui, fixé au niveau mondial, mais aussi le prix de vente dans d’autres pays, en premier lieu l’Allemagne. Le prix fixé dans le cadre des accords peut également fluctuer régulièrement, notamment en fonction de la qualité du lait.

Evidemment, rien n’interdit à une enseigne de grande distribution de se fournir en viande ou en lait à l’étranger si elle le souhaite, même si des actions ont été mises en place pour favoriser l’achat de viande française, notamment un label qualité.

2. Qui touche quoi ?

Ce principe de prix crée des tensions récurrentes au sein de la filière : de l’éleveur au consommateur, en passant par l’équarrisseur ou la grande distribution, chacun essaye de tirer son épingle du jeu. Et en cas de crise, chacun se renvoie la balle.

En juin 2015, l’ensemble de la filière s’était déjà réuni pour se mettre d’accord sur le fait d’augmenter progressivement les prix, de manière à ce que les éleveurs puissent couvrir leurs coûts de production. Mais dès le mois de juillet 2015, les éleveurs et le médiateur désigné par le gouvernement ont constaté que certains autres acteurs n’ont pas joué le jeu.

Le rapport du médiateur semble pointer plusieurs points : d’une part, si la filière porcine a respecté l’accord et augmenté les prix, ce n’est pas le cas pour le bœuf, où seulement « la moitié du chemin a été fait », selon l’ancien président de la FNSEA, Xavier Beulin. Un constat corroboré par les chiffres du ministère : depuis 2012, la marge brute de l’industrie et de la grande distribution a bien augmenté.

3. Quelles subventions ?

A cela s’ajoute la question des subventions européennes et françaises. En moyenne, selon un rapport des services de statistiques du ministère de l’agriculture (Agreste), elles représentent 11 % du chiffre d’affaires de l’agriculture en 2012, mais peuvent aller jusqu’à 15 % (dans 30 départements), voire 20 % (13 départements).

Selon l’Insee, en 2006, les aides atteignaient 40 800 euros par an en moyenne pour les exploitations spécialisées en bovins à viande, et 26 300 euros pour les exploitations spécialisées en bovins laitiers. L’institut montre la progression inexorable du poids des subventions dans le résultat des exploitations. Depuis 2000, plusieurs secteurs affichent une part supérieure à 100 %, du fait du déficit chronique des exploitations.

Si les aides sont importantes, voire maintiennent en vie des filières agricoles qui ne s’en sortiraient pas sans, elles ne sont pas corrélées avec le revenu généré par les agriculteurs selon les filières, qui peut être très disparate. Comme on le voit dans le graphique ci-dessous, tiré d’une étude de l’Agreste en 2013, les céréaliers génèrent en moyenne un résultat largement supérieur à celui des éleveurs, particulièrement de vaches à viande. Les éleveurs de porc, eux, sont mieux lotis, sans atteindre les niveaux de résultat des céréaliers.

4. Une crise ancienne et complexe

L’agriculture française est en crise depuis des décennies, mais son état semble s’aggraver. Pourtant, il n’est pas évident de pointer une cause unique.

La taille des exploitations françaises, notamment face aux allemandes, mais aussi la multiplication des normes, des labels et des contraintes, qui obligent les agriculteurs à des investissements de plus en plus conséquents pour les mises aux normes, ou encore la variabilité des prix des matières premières (le soja ou le maïs qui servent à l’alimentation des bêtes, par exemple). Des critiques se font également jour au sein de la filière agricole contre certaines situations jugées privilégiées par rapport à d’autres (les grands céréaliers, notamment).

Mais les choses sont loin d’être si simples : certaines exploitations plus petites, qui n’ont pas eu besoin de grands investissements structurels, s’en sortent parfois aussi bien en termes de revenu que de gros agriculteurs ayant acheté beaucoup de matériel et ayant amassé des terres dont ils ont du mal à s’occuper seuls. De même, la production bio peut s’avérer plus rentable qu’une production plus classique.

Les éleveurs, eux, citent la chute des cours des produits et la hausse de leurs coûts (alimentation des animaux, cotisations sociales, engrais, etc.). Autre élément de difficulté, la météo, et la sécheresse, qui rend difficile de nourrir les animaux sans recourir au foin prévu pour l’hiver, et qu’il faudra donc racheter…

Une chose est certaine : on constate une double diminution sur long terme, à la fois du nombre d’exploitations pratiquant l’élevage bovin et sur le nombre de têtes de bétail.

Selon les chiffres du ministère, on comptait un peu moins de 515 000 exploitations agricoles en 2010, contre presque 700 000 en 2000, soit un quart de moins en dix ans.

La situation des filières d’élevage est pire : on compte 34 % d’exploitations laitières et 27 % des exploitations de vaches à viande de moins en 2010 qu’en 2000. Au total, ce sont environ 85 000 élevages bovins qui ont disparu en dix ans, dans des exploitations dont la taille a plutôt tendance à augmenter.

Le cheptel bovin a également diminué en France : il était de 20,3 millions de têtes de bétail en 2000, il n’est plus que de 19,5 millions aujourd’hui, soit presque 800 000 bêtes en moins.

La carte ci-dessous montre, pour chaque département, l’évolution du nombre d’exploitations d’élevage bovin et du nombre de têtes de bétail. L’ouest de la France, où se concentrent les actions des agriculteurs, fait partie des régions les plus touchées.

Dernier problème connu, le vieillissement des agriculteurs. Selon la mutuelle sociale agricole (MSA), en 2011, les chefs d’exploitation avaient un âge moyen de 47,8 ans. Les 50-54 ans représentent à eux seuls près de 20 % des chefs d’exploitation.

Jérémie Baruch et Samuel Laurent

Source Le Monde 20/07/2017

Voir aussi : Actualité France, rubrique Economie, rubrique UE, rubrique Politique, Politique économique, rubrique Société, Travail, Pauvreté,

Cambodge. Les dessous du business de la gestation pour autrui

Dans le village de de Puth Sar, dans le sud du Cambodge, où vit Chhum Long. Treize femmes, dont sa fille, ont loué leurs utérus pour porter l'enfant de parents étrangers . PHOTO AFP/ Tang Chhin Sothy TANG CHHIN Sothy / AFP

Dans le village de de Puth Sar, dans le sud du Cambodge, où vit Chhum Long. Treize femmes, dont sa fille, ont loué leurs utérus pour porter l’enfant de parents étrangers . PHOTO AFP/ Tang Chhin Sothy TANG CHHIN Sothy / AFP

L’imposition par le gouvernement d’un moratoire sur la gestation pour autrui laisse de nombreuses femmes ayant loué leur utérus dans une zone grise. Reportage.

Les mains crispées sur sa longue jupe, Chhum Samphors se tient le bas-ventre au niveau de la cicatrice laissée par sa récente césarienne. Le 9 juin dernier, cette jeune femme de 34 ans, originaire du village de Puth Sar dans la province de Takeo [sud du Cambodge], a donné naissance à des jumeaux à Phnom Penh.

Elle aurait pourtant dû accoucher à Bangkok, comme l’avaient prévu les “parents d’intention”, un couple homosexuel, et leur agence de gestation pour autrui (GPA).

Le ministère cambodgien de la Santé a soudainement interdit cette pratique florissante en octobre 2016. Un procès sans précédent sur le sujet est également en cours [trois personnes sont inculpées, notamment la fondatrice d’une agence australienne de gestation pour autrui]. Mais, des bébés continuent à naître de la GPA au Cambodge.

Suite à cette interdiction – qui n’a pas encore force de loi –, beaucoup d’agences ont migré vers le Laos voisin, ne laissant qu’incertitudes sur leur chemin : certaines Cambodgiennes ont même déclaré ne pas avoir reçu tout l’argent qui leur avait été promis.

Trois fois le revenu moyen

L’accouchement en Thaïlande se fait dans de meilleures conditions médicales qu’au Cambodge, a-t-on dit à la jeune mère porteuse, Samphors. Mais cela permet également aux “parents d’intention” de contourner la fastidieuse procédure juridique pour obtenir la garde des enfants et ainsi les faire sortir du territoire.

Immédiatement après leur accouchement à Phnom Penh, certaines mères porteuses doivent aller remettre les nouveau-nés à leurs parents biologiques à Singapour.

Courant mai, Samphors s’est rendue dans la capitale thaïlandaise. Elle devait y rester jusqu’au terme de sa grossesse, installée dans un appartement perché au septième étage d’un immeuble. Elle est partie au bout d’une semaine.

“Les soins sont de meilleure qualité en Thaïlande, mais je ne parle pas la langue alors je suis revenue ici”, explique-t-elle.

À Phnom Penh, elle a accouché de jumeaux à tout juste sept mois de grossesse. Nés prématurément, ils ont été immédiatement transférés à l’hôpital Calmette [un établissement public mais réservé à une élite], et elle n’a donc pas vu leurs visages. Avec un grand sourire, Samphors affirme que les futurs parents ont été très bons avec elle.

Ils ont toujours versé les 300 dollars [260 euros environ] de revenu mensuel en temps et en heure. Le revenu moyen mensuel moyen était selon le FMI de 95 euros en 2016. Lorsque ses trois enfants aînés sont tombés malades, ils ont participé à l’achat des médicaments.

La jeune femme dit avoir touché la somme convenue (entre 10?000 et 11?000 euros), ce qui lui a permis d’acheter une parcelle, d’y construire une maison et de se lancer dans un commerce de fruits et légumes.

Elle n’imaginait pas gagner un jour tant d’argent. Lorsqu’elle était ouvrière dans une usine de textile, elle touchait environ 110 euros par mois. Son mari, ancien ouvrier en bâtiment, transporte et vend maintenant du bois de chauffage pour 7 euros par jour.

Des intermédiaires en fuite

La GPA n’a pas été à la hauteur des espoirs de certaines.

Sean Keo, mère porteuse originaire de la province de Kratie [dans l’est du Cambodge], affirme qu’elle n’a pas reçu l’intégralité du montant prévu sept mois après son accouchement. Et comme beaucoup d’autres, son agence a quitté le pays.

Ils avaient promis de me payer 7?400 euros en tout, en comptant les 260 euros par mois pendant la grossesse”, indique-t-elle.

Trois semaines après l’accouchement, elle a perçu 2?700 euros, soit un total de 4?800 euros : “Je n’ai reçu aucun autre paiement depuis sept mois. Je n’ai plus aucune nouvelle”.

Même lorsqu’elles ont bien été payées tout au long des neuf mois de leur grossesse, certaines femmes ne parviennent pas à sortir de la pauvreté comme elles l’avaient espéré.

Chhum Long, une femme de 60 ans également originaire de Puth Sar, raconte l’histoire de sa fille Va Tey, qui a été mère porteuse. Elle a été payée en plusieurs fois (un revenu mensuel, puis 3?400 euros à la naissance et un dernier versement de 1?700 euros), mais n’a pas réussi à rembourser toutes les dettes de la famille ni à acheter de terrain.

Elle a aussi dû assumer une dépense imprévue, l’achat de lait en poudre pour son bébé (qui a maintenant 20 mois), alors qu’elle portait celui d’un autre. Cette dernière grossesse lui a ensuite permis de recommencer à allaiter son enfant.

Après son accouchement en février, Va Tey est allée remettre le nouveau-né aux futurs parents, un couple homosexuel, à Singapour. Au départ, elle s’était installée à Phnom Penh pour travailler dans le bâtiment, explique sa mère Chhum Long, qui admet avoir eu quelques regrets :

J’avais l’impression que c’était mon petit-fils. Il était très mignon, il avait les cheveux bouclés. C’était un garçon, et j’aime bien les garçons. S’ils me l’avaient confié, je l’aurais élevé”.

Chhum Long déclare cependant qu’elle soutiendrait sa fille si celle-ci souhaitait faire une nouvelle GPA (ce qui ne sera pas possible avant trois ans).

Début juin, la nièce de Chhum Long est allée à Phnom Penh pour accoucher. Et une autre de ses filles a aussi essayé, sans succès, de devenir mère porteuse.

Le chef de Puth Sar, Ouk Savouen, précise qu’il y a eu au moins 13 mères porteuses dans son seul village. Il explique que malgré l’afflux d’argent, la plupart d’entre elles sont toujours aussi pauvres car elles ne savent pas gérer leurs revenus. “Je suis inquiet de voir cette pratique persister dans mon village… Et je suis inquiet pour la santé des mères et des enfants”, confie-t-il.

Ouk Savouen a récemment appris que deux nouvelles femmes étaient devenues mères porteuses, mais elles refusent d’en parler devant lui : “Elles craignent de ne pas être payées si elles nous le disent”.

Des pratiques douteuses

Cette peur leur est transmise par les agents, qui prélèvent une commission d’environ 1?700 euros auprès des “parents d’intention” et d’environ 870 euros auprès des mères porteuses.

Au Comité national contre la traite des personnes (NCCT), Chou Bun Eng souligne que le gouvernement a accordé une amnistie temporaire [jusqu’en janvier 2018] aux “parents d’intention” et aux mères porteuses, mais qu’il ne sera pas aussi clément avec les intermédiaires. Elle ajoute :

Nous ne voulons pas de ces intermédiaires qui tentent d’exploiter les femmes et de les tromper en les poussant vers cette pratique. Ils ne pensent qu’à leurs commissions et méprisent la vie de ces femmes”.

“Je pense, dit-elle, que les agents et intermédiaires qui essayent de convaincre les mères d’accoucher en dehors du Cambodge – en Thaïlande par exemple – ne le font que pour contourner la procédure légale ou pour échapper aux enquêtes de la justice”.

Depuis le mois d’avril, les Cambodgiennes peuvent s’enregistrer auprès du gouvernement pour signaler leur statut de mère porteuse, mais elles ne seront protégées que jusqu’au 8 janvier 2018, indique encore Chou Bun Eng :

Les femmes qui accoucheront avant cette date bénéficieront de notre aide, et les parents pourront quitter le pays avec leur enfant en suivant la procédure légale. Nous pensons que les femmes sont victimes de cette pratique et qu’elles n’ont pas accès aux informations nécessaires… [Mais] si elles continuent à devenir mères porteuses après la date annoncée, nous considérerons qu’elles ont agi en connaissance de cause et elles risqueront donc d’être poursuivies en justice”.

 

La pauvreté en fait des proies

Selon Ros Sopheap de l’ONG Gender and Development for Cambodia, la GPA commerciale est “une violation des droits des femmes” et ce n’est en aucun cas une solution durable pour les aider à sortir de la pauvreté – surtout quand elles ne reçoivent pas l’intégralité du montant convenu.

“Beaucoup ont été exploitées… Tout le corps de la femme, des pieds à la tête, est utilisé par d’autres pour se faire de l’argent. Ils les trompent. Ce sont des gens qui trompent des femmes vulnérables que personne n’écoute. Elles sont tellement pauvres qu’elles ne peuvent qu’accepter”.

Ros Sopheap a fait pression auprès du gouvernement pour que les mères porteuses soient protégées et que la loi tant débattue sur la GPA soit enfin adoptée et appliquée. Elle interroge aussi la capacité des femmes à séparer l’expérience de la grossesse de la pure activité commerciale :

Lorsqu’une femme porte un enfant dans son ventre, elle communique avec lui à chaque instant”.

Pour sa part, Samphors affirme ne pas avoir de regrets. Elle admet cependant, alors qu’elle se relève avec précaution, être un peu triste d’avoir perdu tout lien avec les jumeaux qu’elle a portés.

Yon Sineat et Erin Handley

 

Source : The Phnom Penh Post – Phnom Penh Le Courrier International 14/07/2017

Voir aussi : Actualité Internationale , Rubrique Asie, Cambodge, Rubrique Société, Consommation, Droit des Femmes,

Budgets « culture » : en baisse dans 59 % des collectivités territoriales

culturemasque-img-dossierL’Observatoire des politiques culturelles (OPC) a publié le 23 février 2017 une « note de conjoncture sur les dépenses culturelles territoriales » pour la période 2015-2016. Si la tendance à la baisse des crédits se confirme, elle n’est pas généralisée et tous les secteurs ne sont pas touchés de la même façon.

Pour la première fois, une étude fait le point sur les budgets « culture » des collectivités sur une période récente : 2015-2016. Habituellement, les enquêtes du ministère de la Culture portent sur des données remontant à 4 ans. Cette fois, l’Observatoire des politiques culturelles (OPC) associé au ministère de la Culture, produit une  « note de conjoncture sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales » sur la période 2015-2016, qui permet de visualiser des évolutions dont les impacts sont en train de faire sentir sur le terrain.

Fléchissement

L’implication financière des collectivités (crédits de fonctionnement), tous échelons confondus, a fléchi sur la période 2015-2016. 59% d’entre elles ont fait le choix de baisser leur budget culturel. 30% seulement, l’ont augmenté. Selon les échelons, les comportements financiers s’avèrent différents, tant pour la tendance que pour les secteurs jugés prioritaires.

opc-evolutions-globcapture-640x377

Régions : le soutien aux associations préservé

En moyenne, la baisse des crédits culturels des régions’établit à 4%. Les arts visuels et plastiques constituent le secteur le plus sévèrement touché. Meilleure nouvelle, en revanche, pour l’éducation artistique et culturelle (EAC), dont les crédits sont stabilisés dans 4 des 9 régions étudiées et même en hausse dans 2 d’entre elles. De même, le soutien des régions aux structures et aux associations culturelles sortent, durant la période étudiée, quasi-indemnes des turbulences budgétaires.

Départements : repli sur les missions historiques

Du côté des départements, la tendance est au désengagement financier, en moyenne, à hauteur de de 5%. Mais pour un tiers d’entre eux, la coupe dépasse les 10%. « Un mouvement contenu depuis 2008 », soulignent les auteurs de la note de conjoncture. Et qui donne encore plus de relief au choix d’autres conseils départementaux qui décident d’intensifier leur engagement financier pour la culture : soit un quart des départements étudiés.

« Ces écarts sont révélateurs d’une disparité croissante des politiques culturelles départementales, souligne l’OPC. Tandis que certains continuent d’assumer un rôle moteur dans la gouvernance culturelle territoriale, en particulier en milieu rural, d’autres, plus nombreux, semblent se retirer fortement du jeu de la coopération entre collectivités. »

Parmi les premiers sacrifiés figurent les associations, touchées dans plus de 60% des départements. Egalement lourdement frappés, les événements, à commencer par les festivals, le spectacle vivant et, plus généralement, la création artistique. A contrario, les bibliothèques, les archives et le patrimoine,  trois missions historiques, et même obligatoires (à travers les bibliothèques départementales de prêt et les services d’Archives départementales pour les deux premières) restent préservés.

Grandes villes : baisse modérée, mais impact «saisissant»

Environ la moitié des villes de plus de 100 000 habitants (catégorie étudiée) a réduit son budget culturel de fonctionnement. Mais dans une amplitude plus faible que dans les départements : – 7% en moyenne, avec quelques cas seulement à – 10%.

Un constat que l’OPC explique par la nature des dépenses des villes : charges de gestion de structures et charges de personnel, ces dernières ayant d’ailleurs augmenté sur la période étudiée. « Du fait de la place majoritaire des villes dans le financement culturel, l’impact sur les politiques territoriales d’une telle tendance à la baisse est particulièrement saisissant, que ce soit du point de vue des moyens, de la vitalité culturelle ou de la spirale de désengagement que cela peut susciter », s’alarme l’OPC.

Là encore, c’est l’événementiel qui trinque. L’EAC, le spectacle vivant, la création artistique étant moins touchés.

Source OPC

Source OPC

Horizon budgétaire incertain

En 2017, la moitié des régions compte stabiliser leurs budgets culturels. Du côté des départements et des villes de plus de 100 000 habitants, les dés ne sont pas encore jetés, entre stabilité pour les uns (34% des départements et 36% des grandes villes) ou baisse pour les autres (27% des départements et 29% des grandes villes).

Au total, tous échelons confondus, ce sont près de 25% des collectivités qui envisagent une baisse des crédits pour la culture, et un peu plus de 30% qui espèrent les stabiliser. Un autre tiers n’a pas encore déterminé la tendance qui sera suivie. Seulement 3% des collectivités affirment avoir l’intention d’augmenter ces dépenses.

opc-tendances-2017capture-640x392

Coopération renforcée contre l’« affaissement » des ambitions politiques

Globalement, l’OPC parle de baisse « dans des proportions qui restent contenues ». Sa note de conjonctuure avance  deux raisons pour expliquer ces coupes budgétaires imposées aux politiques culturelles territoriales. Pour la première – la baisse des dotations de l’Etat aux collectivités, ces dernières ne font que subir de plein fouet une décision qui leur est extérieure. Et cette explication peut malgré tout laisser espérer une réflexion des collectivités pour limiter autant que faire se peut l’impact de cette pénurie de fonds publics.

En revanche, la seconde a de quoi inquiéter : «l’affaissement de l’ambition politique dans ce domaine. Bref, la culture n’a plus la même évidence dans les politiques territoriales. » Et l’OPC de faire un rappel historique qui sonne comme une exhortation : « les politiques culturelles en France ont progressé lorsqu’elles faisaient l’objet d’une ambition partagée entre État et collectivités territoriales et entre pouvoirs locaux eux-mêmes. C’est cette perspective du renforcement des coopérations qui peut redonner un élan à la culture dans les territoires. »

La nécessité d’un suivi rapproché

Avec cette « note de conjoncture » établie sur les deux dernières années, 2015-2016, l’Observatoire des politiques culturelles (OPC) veut mettre fin à un suivi trop espacé des évolutions enregistrées par les budgets culturels des collectivités territoriales. En effet, les études, complètes et détaillées, réalisées par le Département des études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la Culture, ne sont publiées que tous les 4 ans. Pendant longtemps, explique l’OPC, « l’absence d’un repérage réactif des budgets culturels des collectivités territoriales n’était pas un problème majeur dans la mesure où la France a connu, dans la dynamique de l’essor de la décentralisation, une longue période de progression ou de consolidation de l’effort des pouvoirs locaux en matière culturelle. » Et de préciser que la crise budgétaire apparue à la fin des années 2000 provoquent des « fluctuations rapides » de ces dépenses, que les acteurs de terrain ont besoin de connaître pour opérer négociations et arbitrages.

Hélène Girard

Source La Gazette.fr 23/02/2017

Voir aussi : Actualité France rubrique Politique, Politique culturelle, Politique économique, Macron met les collectivités au régime sec, Politique locale, Les réformes qui ont bouleversé les collectivités territoriales en dix ans,

 

Les réformes qui ont bouleversé les collectivités territoriales en dix ans

fotolia_96467418_m371Le gouvernement a annoncé, lundi, que les collectivités locales devraient économiser 13 milliards d’euros d’ici à 2022. Ces dernières ont dû faire de nombreux efforts ces dernières années.

Les collectivités locales vont encore devoir dépenser moins durant ce quinquennat. A l’occasion de l’ouverture de la conférence des territoires, lundi 17 juillet, le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé qu’elles devront réaliser 13 milliards d’euros d’économies d’ici à 2022. Soit 3 milliards de plus que prévu dans le programme présidentiel d’Emmanuel Macron.

« On ne peut pas s’essuyer une nouvelle fois les pieds sur les collectivités locales », a réagi le président de l’Association des maires de France (AMF), François Baroin, estimant que l’effort supplémentaire demandé « fait qu’on passerait sous la ligne de flottaison ».

« Sur les trois dernières années, les collectivités ont réalisé 34 % d’économie à l’échelle de toutes les dépenses nationales, alors que 80 % de la dette est de la responsabilité de l’Etat (…). Nous nous sommes donc déjà beaucoup serré la ceinture. Là je dis que trop, c’est trop », considère M. Baroin.

Retour sur les principales mesures prises au cours des deux derniers quinquennats.

  • La taxe professionnelle supprimée puis remplacée

En réformant la taxe professionnelle, en 2009, Nicolas Sarkozy voulait en finir avec cet impôt « injuste, néfaste pour nos entreprises, pour la croissance et pour l’emploi » et facteur de délocalisations. Cette taxe payée par les entreprises et calculée sur leur chiffre d’affaires constituait alors près de la moitié des revenus des collectivités territoriales et représentait en brut près de 33 milliards d’euros.

Cette suppression avait été saluée par la présidente du Medef à l’époque, Laurence Parisot : « Nous savons que la taxe professionnelle, c’est ce qui pénalise l’industrie française. Aucun pays industrialisé n’a un impôt de ce type qui pénalise l’investissement, le futur. »

Mais cette réforme amputait les collectivités locales d’une importante rentrée d’argent. Pour compenser cette perte, la taxe professionnelle avait été remplacée par une nouvelle taxe, la contribution économique territoriale versée par les entreprises aux collectivités. En 2012, un premier bilan a été fait sur cette suppression. Le président du comité des finances locales, André Laignael, affirmait alors qu’« un fonds de compensation relais » mis en place avait évité une trop grande chute des ressources fiscales pour les collectivités locales. Mais cette manne financière s’était toutefois « érodée » au fil des années, avait-il annoncé.

La dotation globale de fonctionnement en baisse constante

La dotation globale de fonctionnement (DGF), c’est-à-dire l’enveloppe allouée par l’État aux collectivités territoriales, a baissé constamment durant le dernier quinquennat. Elle est passée de 41,5 milliards en 2013 à 30,8 milliards en 2017, ce qui a provoqué la grogne des maires.

Il ne s’agit pas d’une seule dotation mais de plusieurs, notamment pour les communes :

  • une dotation « de base » ;
  • une « dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale » pour les communes urbaines avec de lourdes charges mais peu de ressources ;
  • une « dotation de solidarité rurale » pour les petites communes de milieu rural avec peu de ressources ;
  • une « dotation nationale de péréquation », mécanisme de « solidarité » entre collectivités dans lequel les plus riches vont reverser une partie de leurs ressources aux plus défavorisées après un calcul complexe.

François Hollande avait promis de réformer cette DGF, de simplifier l’architecture complexe de la dotation forfaitaire des communes, en réduisant le nombre de composantes des critères d’attribution. Mais cette réforme a été sans cesse repoussée et n’a finalement jamais été mise en place.

En ouverture de la conférence des territoires, lundi, le premier ministre, Edouard Philippe, a déclaré :

« Plutôt que de parler directement et spontanément de baisse des dotations, nous devons essayer, et c’est un exercice délicat, de trouver un mécanisme assurant la baisse de la dépense publique, la baisse de l’endettement public, plus intelligemment que par l’imposition brutale d’une baisse des dotations. »

  • Des régions qui passent de 22 à 13

C’est la réforme phare de François Hollande en matière de collectivités territoriales. La réduction de 22 à 13 régions en France métropolitaine a été adoptée en décembre 2014 et est entrée en vigueur début 2016. Par ce redécoupage, le chef de l’Etat souhaitait redessiner la France pour plusieurs décennies avec « des régions de taille européenne » et moteurs du développement économique.

Les députés de l’UMP et des sénateurs de droite notamment avaient saisi le Conseil constitutionnel, estimant que le gouvernement aurait dû recueillir « l’avis consultatif préalable des collectivités concernées ». Mais « ce grief » a été écarté par les juges constitutionnels en avril 2016.

  • De moins en moins de communes en France

C’est l’autre réforme importante engagée sous François Hollande pour les collectivités locales : la loi NOT, pour Nouvelle organisation territoriale de la République. Ce texte adopté en juillet 2015 a redéfini les compétences de chaque échelon territorial. Aux régions, l’économie et les grandes orientations stratégiques, aux départements, la solidarité, et au bloc communal, les services de proximité.

La clause de compétence générale, qui permettait à une collectivité territoriale de se saisir de tout sujet ne relevant pas de l’Etat, a été supprimée pour les départements et les régions.

Cette loi a provoqué un bouleversement pour les quelque 36 000 communes. Si, depuis 2010, elles étaient obligées d’adhérer à un groupement de communes, la loi de 2015 a fixé le seuil minimal des intercommunalités à 15 000 habitants contre 5 000 auparavant. Ce qui a provoqué une accélération des regroupements.

Selon une étude de l’AMF, rendue publique en mars, 542 « communes nouvelles » ont été créées depuis cinq ans, à partir du regroupement de 1 820 villes ou villages. En début d’année, la France ne comptait plus que 35 498 communes.

Après ces nombreuses réformes, l’actuel gouvernement souhaite laisser la liberté aux territoires de prendre des initiatives locales en ce qui concerne les créations de communes nouvelles ou les regroupements de départements.

  • La suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages

C’est l’une des promesses phares du candidat Macron. La suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages sera étalée entre 2018 et 2020. Dans une interview aux Echos le 11 juillet, Edouard Philippe a annoncé qu’une première étape aura lieu dès 2018, soit une baisse d’impôts évaluée à 3 milliards d’euros.

Au bout du compte, sur la vingtaine de milliards d’euros que cette taxe rapporte aux communes chaque année, ce sont 8,5 milliards qui n’entreront plus, à terme, dans leurs caisses, selon le chiffrage du ministère des comptes publics.

Si M. Macron a promis de compenser cette perte « à l’euro près », « on ne laissera rien passer qui ne soit pas calculé, prévu », a prévenu, dans Le Journal du dimanche du 16 juillet, le président (LR) du Sénat, Gérard Larcher.

Les collectivités devraient être soumises à d’autres économies. Le candidat Macron a évoqué la suppression d’environ 70 000 postes dans la fonction publique territoriale.

Source Le Monde AFP 17/07/2017

Voir aussi : Actualité France rubrique PolitiquePolitique économique, Macron met les collectivités au régime sec, Politique locale, rubrique Finance, rubrique Société, Macron, le spasme du système, Réforme territoriale : quels enjeux pour le réseau de solidarité ?,

Macron met les collectivités au régime sec

shadocks

Le chef de l’État veut diminuer le nombre des élus locaux et promet une refonte de la fiscalité locale.

Amadouer sans se renier. Emmanuel Macron, Édouard Philippe et une dizaine de membres du gouvernement ont réuni, lundi au Sénat, les élus locaux pour une première «conférence nationale des territoires». Le menu? L’élaboration d’«un pacte» et d’une méthode de travail entre l’État et les collectivités afin de traiter de tous les sujets, et surtout de ceux qui fâchent. Les élus locaux abordaient l’exercice avec méfiance, tant ils se sont vu imposer d’en haut, ces dernières années, les desiderata de l’État. Dès l’ouverture le matin de cette grand-messe, qui se réunira tous les six mois, le premier ministre a donc promis «qu’aucune décision affectant les collectivités locales ne soit prise sans être discutée» au sein de ces «conférences».

13 milliards d’économies

Sur le fond, l’exécutif n’a pas essayé de cacher les désaccords. Emmanuel Macron a annoncé, dans l’après-midi, qu’il voulait réduire le nombre d’élus locaux. Il faut «engager une réduction du nombre des élus locaux, comme nous allons engager une réduction du nombre de parlementaires», a-t-il expliqué. Les élus ont ensuite eu confirmation que l’exécutif leur demandera non pas 10, mais 13 milliards d’euros d’économies ces cinq prochaines années. La douche est glaciale pour les élus locaux, qui ont déjà vu leur dotation, c’est-à-dire le chèque réglé par l’État aux chefs des exécutifs locaux, amputée de 9,5 milliards d’euros les trois dernières années du quinquennat Hollande.

Pas de concession sur le fond, mais sur la méthode. «Nous ne procéderons pas par une baisse brutale des dotations», a promis le président de la République. Et ce, a-t-il ajouté, alors que «la logique budgétaire consisterait à diminuer les dotations en 2018»… pour aussitôt exclure cette voie. À la place, le chef de l’État préfère responsabiliser les élus locaux en leur demandant de réduire d’eux-mêmes les dépenses de leur collectivité. D’où l’idée du «pacte». Ceux qui ne joueraient pas le jeu, a-t-il toutefois prévenu, verraient leurs dotations baisser l’année suivante.

Suppression totale de la taxe d’habitation

Sur le front fiscal, les maires devront aussi faire le deuil de la quasi-totalité de la taxe d’habitation. Emmanuel Macron a rappelé sa volonté de tenir sa promesse d’exonérer de cette taxe 80 % des ménages. Allant plus loin, il a créé la surprise en laissant entrevoir la suppression totale, à terme, de la taxe d’habitation. «Un impôt payé par 20 % de la population n’est pas un bon impôt», a-t-il ainsi reconnu. Il est vrai que, durant la campagne, le candidat d’En marche! avait caressé l’idée d’une suppression totale, avant de renoncer, pour ne pas braquer les maires qui le soutenaient alors.

Devant les élus locaux réunis au Sénat, le président a annoncé un groupe de travail qui planchera, jusqu’au printemps prochain, sur une refonte de la fiscalité locale, «en particulier en substitution de la taxe d’habitation». En échange, il a laissé miroiter aux participants une part de recette fiscale nationale. Et pas n’importe laquelle: une fraction de la CSG ou de la CRDS, qui financent jusqu’ici exclusivement la Sécurité sociale – c’est même leur raison d’exister.

Emmanuel Macron a toutefois aussi entendu les demandes des élus ruraux. Reprenant les idées poussées par François Baroin, le président de l’Association des maires de France, il a promis un moratoire sur la fermeture des classes dans les écoles primaires des communes rurales, le développement accéléré du très haut débit dans les zones qui en sont toujours privées ainsi que la création d’une «agence nationale de la cohésion des territoires» pour venir en aide aux communes et départements ruraux.

Que ce soit en matière de réduction du déficit, de baisse des impôts ou de lutte contre la fracture territoriale, a rappelé Emmanuel Macron aux élus locaux, «vos problèmes, ce sont les miens, mais croyez bien que les miens, ce sont un peu les vôtres aussi».

Guillaume Guichard

Source Le Figaro 17/07/2017

Voir aussi : Actualité France rubrique PolitiquePolitique économique, Politique locale, Les réformes qui ont bouleversé les collectivités territoriales en dix ans, rubrique Finance,