Le Kenya reste plongé dans l’instabilité au lendemain d’une présidentielle tendue

Photo Jean-Marc Mojon

Photo Jean-Marc Mojon AFP

Le Kenya paraissait ce vendredi encore plus divisé que ces dernières semaines, au lendemain d’une présidentielle boycottée par l’opposition et endeuillée par la mort de plusieurs de ses partisans, des tensions qui ont entraîné le report du vote dans l’ouest du pays et largement entamé la crédibilité du scrutin.

Les opérations de compilation des résultats, entamées jeudi soir, se poursuivaient vendredi. Mais le résultat ne fait pas de doutes: le sortant Uhuru Kenyatta (de l’ethnie majoritaire kikuyu) est assuré de l’emporter, son rival historique, l’opposant Raila Odinga (un Luo), ayant décidé de ne pas participer à ce qu’il a qualifié de «mascarade» électorale.

Pays dynamique et première économie commerciale en Afrique de l’Est, le Kenya est plongé dans sa pire crise politique depuis 10 ans, depuis que la justice a annulé pour «irrégularités» (une première en Afrique) la présidentielle du 8 août, qui avait vu la réélection d’Uhuru Kenyatta face à Raila Odinga.

Un scrutin toujours jugé opaque

La Cour suprême avait justifié cette décision par des irrégularités dans la transmission des résultats, faisant peser la responsabilité de ce scrutin «ni transparent, ni vérifiable» sur la Commission électorale (IEBC). Galvanisé par ce jugement, Raila Odinga, 72 ans, déjà trois fois candidat malheureux à la présidence (1997, 2007, 2013), a fait pression pour obtenir une réforme de cette commission, qui a effectué certains changements jugés insuffisants par l’opposition.

Le président de l’IEBC avait lui-même admis que la commission ne pouvait pas garantir un scrutin crédible, confortant la décision de Raila Odinga de boycotter l’élection. D’emblée, la crédibilité de la présidentielle était donc entamée, faisant courir le risque d’une période d’instabilité encore plus longue.

Frustration et sentiment de marginalisation

Malgré les appels à la retenue des deux camps, des affrontements violents ont eu lieu jeudi dans de nombreux bastions de l’opposition, où les frustrations et le sentiment de marginalisation ont été exacerbés depuis des années. Le Kenya a connu depuis l’indépendance (1963) trois présidents sur quatre issus de l’ethnie kikuyu, qui domine également l’économie du pays.

Au moins quatre personnes ont été tuées par balle et une vingtaine d’autres blessées dans les bidonvilles de Nairobi et dans l’ouest du pays, dans des violences en marge du scrutin, selon des sources policières et hospitalières. Le pays était placé sous très haute sécurité, après des semaines de climat politique délétère. Au moins 44 personnes ont été tuées depuis le 8 août, la plupart dans la répression brutale des manifestations par la police.

Ces heurts ravivent les terribles souvenirs de la présidentielle de fin 2007 qui avait débouché sur les pires violences politico-ethniques depuis l’indépendance et fait au moins 1100 morts.

Un ras-le-bol général

Dans quatre des 47 comtés du pays (Homa Bay, Kisumu, Migori et Siaya), majoritairement peuplés par l’ethnie luo, l’élection a été reportée à samedi par la commission électorale, le vote n’ayant pas pu se tenir dans des conditions acceptables (pour cause de troubles sécuritaires, bureaux de vote fermés, matériel non acheminé, manifestants empêchant les opérations…).

Mais le gouverneur de Kisumu, Anyang’Nyong’o, une des figures de l’opposition, a répliqué dès jeudi qu’il n’y aurait aucun vote possible samedi dans son comté, où une semaine de deuil est organisée.

Epuisés par les rebondissements de cette saga présidentielle, une nouvelle fois prolongée avec le report à samedi, les Kényans s’enfoncent dans la morosité et l’angoisse de voir ces divisions devenir de plus en plus irréconciliables.

Le célèbre dessinateur kényan Gado a croqué ce Kenya de plus en plus fracturé dans un dessin: on y voit une électrice, le corps coupé en deux, mettre un bulletin de vote dans une urne en grimaçant, pendant que ses jambes avancent dans la direction opposée.

Repeat Elections 2017 – Gado https://t.co/ZnPPWmn6AA pic.twitter.com/lX1onzAlxa

— Gado Cartoons (@iGaddo) 26 octobre 2017

Pour Mulinge Mwende, jeune femme de 29 ans de l’ethnie minoritaire kamba, qui travaille dans le secteur bancaire, «ces divisions sur des lignes ethniques ne font que s’aggraver».

Interrogée par l’AFP à Nairobi, elle explique qu’en ce moment il «devient difficile de faire des affaires avec des gens qui ne sont pas de ta communauté»: «Je ne peux pas évoquer mes opinions politiques ouvertement, les clients sont aussi très prudents et susceptibles» sur ces sujets, déplore-t-elle.

Uhuru Kenyatta, fils de Jomo Kenyatta, le père de l’indépendance, pourrait pâtir d’une lassitude de plus en plus prégnante face aux turpitudes de l’élite politique de ces dernières années, et d’un ras-le-bol de la gestion de la crise électorale qui plombe le pouvoir d’achat des Kényans.

Source AFP 27/10/2017

Voir sur tweeter . Incredible #pictures today by @AFPAfrica #photo team covering #Kenya vote @AFPphoto pic.twitter.com/KivG8dHwnA

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Afrique, Kenya, Un besoin «d’hommes d’Etat» et «d’institutions fortes»,

En Egypte, les artistes sous la férule de l’Etat

 Une scène du film "Les derniers jours d'une ville" du réalisateur égyptien Tamer El Said, avec l'acteur Khalid Abdalla afp.com/HO

Le Caire – Salles obscures, scènes de concert ou spectacles de rue, les autorités égyptiennes observent à la loupe le moindre espace culturel, imposant parfois de lourdes restrictions.

Jadis phare culturel du monde arabe, l’Egypte, contrôlée d’une main de fer par le président Abdel Fattah al-Sissi, soumet les artistes à une censure qui tend à s’amplifier.

Projeté dans 60 pays et 91 festivals, fort de plus de 10 récompenses internationales, « Les derniers jours d’une ville » n’a pas obtenu de visa d’exploitation en Egypte.

« Cela (…) ne vient pas, cela me tue« , confie son réalisateur Tamer el-Saïd.

Le tournage du film, consacré en grande partie à la capitale égyptienne, s’est achevé six semaines avant la révolution du 25 janvier 2011 qui a provoqué la chute du dictateur Hosni Moubarak et plongé l’Egypte dans l’instabilité politique.

« Le film essaie de capturer ce sentiment que nous avions avant la révolution, que quelque chose d’énorme allait arriver« , raconte M. Saïd.

Le réalisateur a demandé une licence en octobre 2016. L’autorité égyptienne de la censure l’a inondé de demandes de documents puis a finalement cessé de répondre à ses appels.

Après avoir initialement accepté de répondre à l’AFP, le président de l’autorité de la censure, Khaled Abdel-Geleel, n’a pas donné suite.

– ‘Très mauvaise idée’ –

Le film n’a pas été autorisé car « il y a une forte ressemblance entre ce qu’il se passait à l’époque (sous Moubarak) et ce que la situation semble être aujourd’hui« , analyse Hossam Fazulla, chargé du programme sur la liberté des créations artistiques à l’Association pour la liberté de penser et d’expression (AFTE).

Après une phase de liberté après la révolution de 2011, le monde de la culture a en effet subi, comme les opposants politiques ou les défenseurs des droits de l’Homme, la même intransigeance de la part du régime au pouvoir depuis 2013, après la destitution par l’armée du président islamiste Mohamed Morsi.

« Cette période a connu plus de restrictions que la précédente« , rappelle M. Fazulla. A ses yeux, « le gouvernement essaie de façonner un modèle de citoyen obéissant, dompté, qui convient à ce régime« .

Selon M. Fazulla, ces restrictions ont provoqué l’extinction de certaines formes d’art qui ont pullulé après le soulèvement populaire de 2011.

Les arts de rues et les concerts ont notamment souffert de la loi de 2013 qui interdit les manifestations non autorisées au préalable, a-t-il assuré.

« Le Caire confidentiel« , du réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh, dont les affiches ont inondé les rues de Paris, a pour sa part été interdit de tournage en Egypte.

S’inspirant d’un épisode fameux de l’Egypte de Moubarak, le film évoque la corruption dans la police à travers l’affaire d’un magnat de l’immobilier Hicham Talaat Moustafa. Ce proche de l’ancien raïs a été condamné en 2010 pour le meurtre de sa maîtresse Suzanne Tamim, une jeune chanteuse libanaise.

Vouloir filmer en Egypte était « une très mauvaise idée« , a dit M. Saleh dans une interview diffusée sur la chaîne YouTube du Festival du film de Munich, en Allemagne.

« Nous avons été expulsés trois jours avant que nous ne commencions à filmer, alors nous sommes partis à Casablanca« , au Maroc, a-t-il expliqué.

– ‘Adorateurs du diable’ –

L’autorité de la censure n’a pas non plus épargné la musique. En juillet, le très populaire groupe de pop-rock Cairokee, connu pour ses hymnes à la liberté, a révélé l’interdiction de plusieurs titres de leur dernier album « Une goutte de blanc« .

Sur Facebook, le groupe a ironisé en soulignant que la décision ne s’appliquait pas à internet, où les morceaux interdits ont circulé librement.

Le Syndicat des musiciens, reconnu par l’Etat, a aussi imposé des restrictions aux artistes, selon l’AFTE.

Parmi les dernières cibles, la musique métal. Une controverse est née après une tentative de faire annuler un concert en février 2016.

Le très conservateur président de ce syndicat Hany Shaker, lui-même chanteur de variétés, avait annoncé à la chaîne Al Assema avoir dénoncé à la police « une soirée avec des adorateurs du diable portant des vêtements étranges« .

« Notre rôle se limite à informer la sécurité. Et la sécurité égyptienne est très alerte« , a déclaré à l’AFP le porte-parole du Syndicat des musiciens Tarek Mortada, se refusant à tout autre commentaire.

Source AFP 29/10/2017

Aurélie Filippetti : «Il faut savoir qui on veut défendre»

Aurélie Filippetti chez elle, à Paris, le 24 octobre. Photo Frédéric Stucin pour «Libération»

Aurélie Filippetti chez elle, à Paris, le 24 octobre. Photo Frédéric Stucin pour «Libération»

L’ex-ministre PS de la culture souhaite une analyse de l’échec du quinquennat et une refonte collective de la gauche.

Un pied à l’intérieur, un autre à l’extérieur : Aurélie Filippetti, qui vient d’être exclue de sa section (Moselle), regarde le PS de loin. A l’entendre, ce n’est pas une mauvaise chose. L’ancienne députée et ministre de la Culture profite de sa nouvelle vie sans mandat pour chercher des solutions afin que la «gauche se relève collectivement». Elle s’oppose à Emmanuel Macron, «l’incarnation triomphante du néolibéralisme».

Vous êtes la dernière socialiste à passer sur le divan de Libération. Avant vous, vos camarades ont expliqué qu’il fallait tourner définitivement la page du quinquennat pour passer à autre chose. Vous êtes d’accord ?

Ceux qui disent «on ne va pas refaire le match, on ne va pas regarder en arrière…» se trompent. Nous devons faire l’inventaire. Actuellement, les principaux artisans du quinquennat sont en train d’essayer de cacher le bilan sous le tapis pour mieux recommencer dans une hypothétique alternance automatique.

Pourtant, la majorité des socialistes semblent conscients que le mécanisme du balancier, c’est terminé…

Peut-être, mais on ne va pas reconstruire la gauche sans s’interroger sur les raisons de l’échec. Il ne faut pas oublier qu’il y a peine cinq ans nous avions toutes les cartes en main. Toutes ! Départements, régions, Sénat, Assemblée nationale… C’était une conjoncture exceptionnelle. Aujourd’hui, nous ne devons pas nous comporter comme des enfants gâtés qui attendent Noël pour avoir un nouveau jouet après avoir cassé l’ancien.

L’échec du quinquennat ne vient donc pas d’un problème de pédagogie ?

Il faut arrêter avec ça ! Dire qu’on n’a pas fait de pédagogie, c’est sous-entendre que le peuple est trop stupide pour comprendre. Et c’est refuser la remise en question. Il faut également arrêter de croire qu’on sortira de la crise en se repliant localement. Le PS est en train de mourir de son effondrement idéologique, intellectuel et éthique. Un parti politique n’est pas juste fait pour être meilleur que les autres au niveau local.

Mais le socialisme local peut permettre de reconstruire, de repartir…

Il faut être réaliste : le PS n’a plus beaucoup de militants, les sections sont vides. Moi, j’attends d’un parti qu’il donne du sens, organise des débats sur les grands sujets. A gauche, notre priorité, c’est de combattre les inégalités. Ces dernières années, on s’est complètement laissé piéger par la droite sur «l’égalitarisme» . Nous devons l’assumer : l’égalité, c’est notre raison d’être.

Pour vous, le quinquennat de Hollande était inégalitaire ?

Il ne s’est pas attaqué à bras-le-corps à cette question. Il s’est coulé dans le moule idéologique imposé par le néolibéralisme. Le gouvernement a été pris au piège de la fameuse légende qu’il y aurait trop d’impôts pour les riches en France. On a fait des économies avant de créer des richesses. Et la classe ouvrière a été oubliée.

La classe ouvrière oubliée, c’est le titre de votre livre en 2003…

Oui. A l’époque je parlais des années 70 et 80. Malheureusement, rien n’a changé depuis et j’ai vécu des épisodes que je ne pensais jamais vivre, comme la mauvaise gestion du site de Florange. C’est terrible. Nous devons redonner du sens à la gauche. Nous sommes dans un moment où l’offensive du néolibéralisme est terrible, inouïe. Sa propagande est sans limites. Oui, il y a des conflits de classes et la gauche doit savoir de quel côté elle se place. L’écrivaine Virginie Despentes a récemment déclaré : «Les riches nous ont déclaré la guerre.» Elle a raison. Cette offensive, en plus, vise à faire porter la faute sur ceux qui la subissent. C’est inacceptable. On ne peut pas dire à un ouvrier de GM&S : «C’est de ta faute, tu n’as qu’à bouger.» Ça, c’est le pire de ce qu’on peut faire quand on est président. C’est une faute morale et politique, et cela révèle une méconnaissance de ce qu’est le travail, la dignité au travail, la fierté, le savoir-faire…

Macron, qui n’a jamais été élu de terrain, ne connaît-il pas assez la France ?

Ce qui m’étonne, c’est qu’il est intelligent, cultivé, construit mais qu’il n’a aucune distance par rapport à son propre milieu. Il en est l’incarnation et le porte-voix totalement triomphant. Or, pour moi, la modernité c’est l’ère du doute. Douter de soi-même, c’est fécond, fertile, stimulant. En politique le doute amène à l’humilité qui amène à l’écoute. Il faut organiser des délibérations collectives pour prendre en compte les besoins de chacun, alors que le Président multiplie les références à la monarchie, au pouvoir vertical qu’autorise la Ve République. Il ne doute jamais. A gauche, tous les matins on doit se demander comment faire pour que le pouvoir ne vienne pas d’en haut.

Vous voulez dire la démocratie continue ou participative ?

La démocratie en rhizome, comme diraient Gilles Deleuze et Félix Guattari. On n’a jamais raison tout seul parce qu’on est le chef. Tout part de l’égalité : si tous les citoyens sont égaux, on ne peut plus s’estimer élu de droit divin.

Il faut donc changer les institutions ? Le PS le dit toujours dans l’opposition mais ne le fait jamais au pouvoir…

C’est vrai, mais je reste persuadée qu’on peut exercer le pouvoir différemment. Nous, on nous a appelés les frondeurs à l’Assemblée parce qu’on tirait la sonnette d’alarme. Or quand il y avait des propositions acceptables, qui allaient dans le bon sens, on les votait fièrement. Mais il y avait certaines choses qu’on n’acceptait pas de faire. Un élu ne doit pas voter le matin et rentrer chez soi en ayant honte le soir…

La fronde a échoué ?

On pourrait faire le bilan de nos oppositions : la déchéance ? Aujourd’hui, tout le monde dit que c’était bien sûr une erreur. Le CICE ? Il a permis aux énormes groupes, notamment la grande distribution, de gonfler leurs marges et n’a pas créé d’emplois. La loi travail… Bref, je ne regrette aucune des positions que j’ai prises.

L’analyse qui voudrait que les frondeurs aient fait échouer le quinquennat et renvoyé la gauche dans l’opposition serait donc fausse ?

Ça, c’est juste une blague ! Ça s’appelle tuer le porteur de mauvaises nouvelles ! On était 35 ! A 35, on aurait tué la gauche ? On est vraiment très forts. Bon, c’est un retournement assez pervers de l’histoire. Au fond, nous, tout ce qu’on a dit pendant cinq ans c’est : il y a des problèmes, les gens se sentent trahis, les classes populaires ne se sentent pas considérées. Nous n’avons pas été entendus.

Quelles sont les différences entre Hollande et Macron sur le plan économique ?

Une différence de degré : beaucoup de choses étaient déjà en germe sous Hollande, par exemple la loi travail, la volonté de donner des gages aux libéraux, et la mainmise de la technocratie. Et ils ont travaillé ensemble en parfaite intelligence, sans aucun conflit sur le fond. Le départ de Macron du gouvernement, c’était pour son ambition personnelle, pas un désaccord idéologique. François Hollande a mis en place le CICE et aujourd’hui, Macron, le président des riches, nous parle des premiers de cordée… Mais Hollande n’aurait jamais prononcé certaines paroles qu’a osées Macron vis-à-vis des classes populaires.

Quelle est votre situation au PS ?

J’ai été exclue de ma fédération sans procédure, sur un prétexte. J’ai déposé un recours par principe, mais ce genre de méthode en dit long… Surtout quand on sait que les macronistes, eux, siègent toujours au bureau national.

Le PS peut-il se relever ?

Il ne sait plus où il est, donc il ne peut plus être une force d’innovation politique. Si le PS, c’est ce qui n’est pas Macron et ce qui n’est pas Mélenchon, ça n’est rien. Aujourd’hui, au sein du parti, il y a tellement de désaccords que je ne vois pas comment on peut construire ensemble. Je ne crois plus au congrès et au changement du parti de l’intérieur. Ce qui me préoccupe, c’est la gauche. Je souhaite qu’elle se relève collectivement. Mais il faudra un peu de temps pour que les choses se décantent.

Avec par exemple le mouvement de Benoît Hamon ? Vous pourriez le rejoindre ?

J’ai beaucoup de sympathie pour Benoît et son mouvement. Pour le moment j’ai besoin de prendre du recul, de réfléchir, car ce qui s’est passé est aussi le désaveu des partis traditionnels.

Comment fait-on de la politique sans mandat ?

On s’engage au quotidien dans des associations, avec ses proches. Ce n’est pas une militance mais des actions concrètes. Je donne des cours à des réfugiés, j’écris, je discute avec des collègues européens. Dernièrement, tout le monde a vu Yanis Varoufákis, eh bien moi aussi (rires). On l’oublie un peu, mais la question européenne est primordiale.

Avec qui faut-il «relever» la gauche française ?

Franchement, avec tous ceux qui reconnaissent la différence entre la gauche et la droite. Et surtout avec la gauche d’autres pays, pour nous donner de l’air.

Vous êtes surprise par la gauche portugaise, des communistes et socialistes qui travaillent ensemble, respectent les engagements européens tout en augmentant les salaires…

Et en refusant l’austérité ! C’est donc bien possible ! Il faut être inventif, imaginatif et courageux. Le monde politique et libéral fonctionne constamment dans le rapport de force. Quand les gens en face comprennent que vous ne lâcherez pas, ils vous respectent davantage. Il faut savoir qui on veut défendre, et nous, la gauche, on doit défendre les gens qui ne sont pas gâtés par la naissance, la fortune, l’héritage. On a trop renoncé sur ce terrain-là.

Au-delà de la critique du néolibéralisme, la gauche n’a-t-elle pas un problème de combats, de nouveaux droits à ouvrir ?

Mais rien n’est acquis ! Regardez l’écologie, le débat sur les biens communs ou le droit à un environnement sain, qui ne nous empoisonne pas, ne nous rend pas malade. Ces questions sont loin d’avoir abouti. Le droit au logement, il n’existe toujours pas, sans parler du droit à la santé qui est de moins en moins acquis. Le droit au respect des données privées ; le droit de se soigner dans des bonnes conditions quel que soit son revenu recule à cause des politiques d’austérité dans les hôpitaux… Le dernier budget de la Sécu est terrifiant. A l’université, on est dans un moment de bascule. Les catégories ultradominantes envoient leurs enfants à l’étranger, juste en dessous, ils les mettent dans des grandes écoles très chères, la bourgeoisie éclairée va dans les classes préparatoires et l’université est laissée à elle-même, seul choix pour les classes populaires. Le discours néolibéral consiste à utiliser un mot positif – l’autonomie – pour les universités mais, en réalité, c’est une rupture d’engagement républicain. Ceux qui parlent toujours de République, ça devrait être leur seule priorité. Cette promesse n’est plus tenue, les gens le sentent, le ressentent. Et la colère s’installe.

Que pensez-vous du mouvement «balance ton porc» et de la libération de la parole des femmes ?

Voilà encore un combat qui n’est pas terminé, loin de là, l’égalité femmes-hommes. Le mouvement actuel concerne tous les pays, toutes les classes sociales. Et comme à chaque fois, il y a un retournement : on lance des injonctions aux femmes. Elles doivent porter plainte, elles doivent dire, parler. Mais elles ont toujours parlé ! C’est qu’elles ne sont pas entendues ! On se pince quand on entend certains dire : «Il n’aurait pas fallu prendre ce hashtag.» Le débat ce n’est pas le hashtag, le problème, c’est qu’il y a des dizaines milliers de femmes qui ont subi une agression. En Italie, aux Etats-Unis, en France. C’est un tsunami, un phénomène écrasant aux conséquences sociales énormes.

Changer les comportements, ça passe par l’éducation ou la loi ?

Il faut se battre tous azimuts. Plus j’avance, plus je suis féministe. Quand j’étais ministre de la Culture, j’ai commencé à nommer des femmes à la tête des institutions et des théâtres publics. Et certains, des hommes ont dit que c’était une «saloperie». Pas la peine de vous dire ce que ce mot contient… Pour que ça change, il faut une présence massive de femmes, partout, à tous les niveaux. Il y a une urgence. Elle est planétaire.

Rachid Laïreche , Laure Bretton

Source Libération 30/10/2017

La jeune garde du cinéma Algérien. Une dynamique à transformer

La jeune garde du cinéma algérien au Cinemed  Photo dr

La jeune garde du cinéma algérien au Cinemed à Montpellier Photo dr

Cinemed
Ce que le festival méditerranéen a nommé la jeune garde du cinéma algérien  se retrouve au Corum pour débattre du présent et de l’avenir.

Ils sont nombreux, Lyes Salem, Hassem Ferhani, Djamel Kerbar, Sofia Djama, Damien Ounouri et Adila Bendimerad, Hassen Ferhani, Karim Moussaoui, Mohamed  Yargui,  Anima Hadad, Amel Blidi… Ils se croisent, s’influencent, entretiennent des liens plus ou moins forts les uns envers les autres, mais se retrouvent rarement ensemble sur un même plateau. Après la Tunisie en 2016, Cinemed qui rend hommage cette année au jeune cinéma algérien crée cette occasion et propose au public une trentaine de films récents.

Ce public ne se comporte pas en simple consommateur d’images, il exprime une volonté de confrontation, il veut en savoir plus en répondant massivement à ce type de rencontre. Beaucoup des réalisateurs présents peuvent témoigner du soutien apporté par le Cinemed pour en avoir bénéficié. Dans la diffusion de leurs films, mais aussi à travers les prix et les aides à la création, les mises en relation…

On le sait, la richesse du cinéma algérien se compose de plusieurs facettes, du film de guerre (soutenu par l’État autour de la libération en particulier) à la comédie loufoque en passant par les satires sociales et les drames. Tout cela dans différentes langues : arabe dialectal, kabyle, français ou un mélange des trois. Durant les années 1970 il acquiert un statut international. En 1975, Mohammed Lakhdar-Hamina remporte la palme d’or à Cannes avec Chronique des années de braise. Un an plus tard, Merzak Allouache ouvre la voie contemporaine avec son film Omar Gatlato. Tout était bien parti mais le cinéma algérien sombre avec le pays dans les années noires.

Génération 2000
La génération présente à Montpellier émerge à partir des années 2000. « Nous avions besoin de sortir du non-dit. Quand les mots manquent, surgit l’image » analyse Amel Blidi, réalisatrice et journaliste pour le quotidien El Watan. « Je n’ai pas commencé à écrire pour parler de l’Algérie  mais depuis l’Algérie », souligne Lyes Salem qui a notamment réalisé Mascarades et L’Oranais. « Qu’est-ce qui façonne l’identité d’un cinéma, questionne-t-il, la nationalité du réalisateur ? Le lieu où il est produit ? Ou la spontanéité artistique ? »

  Le débat aborde ces trois volets sous différents angles. A commencer par celui de la production. Les structures institutionnelles existent pour soutenir la production cinématographique en Algérie, mais leur accès demeurent difficile pour cette génération plus sensible à la vie d’aujourd’hui qu’aux héros de l’indépendance.

Les films se montent avec des participations croisées parfois internationales, mais pas toujours. « On progresse pas à pas, explique la productrice Anima Hadad. Les Régions font avancer par des apports en logistique, certains entrepreneurs ont conscience que faire des films c’est important pour un pays et ils les financent. » A Alger, chaque film qui sort est un événement. « C’est vrai qu’il y a actuellement une dynamique, indique Karim Moussaoui, mais il faut la transformer afin qu’elle porte ses fruits. »

Sur les 400 salles de cinéma que compte l’Algérie, 95% d’entre elles sont fermées et non exploitées, révélait le ministre de la Culture Azzedine Mihoubi en 2015. Cette situation peut pousser les réalisateurs vers l’international, d’autant que le Centre algérien de développement du cinéma (CADC) manque de lisibilité. « On ne connaît même pas les dates des commissions, ni le budget annuel » explique Sofia Djama.

En terme de contenu, le cinéma algérien d’aujourd’hui apparaît comme une source d’une grande diversité. Les jeunes réalisateurs présents au festival sont des individus qui ont envie de faire du cinéma, de raconter, de se raconter, d’exprimer leur subjectivité.

A l’écran, cette mise en abîme des vécus s’absout des contraintes sociales, politiques ou morales algériennes, mais aussi de celles induites par les financements européens. « En Europe après avoir présenté mon projet, temoigne Damien Ounouri, je me souviens m’être entendu dire, oui très bien, mais quel est le lien avec le printemps arabe ? Mais moi je ne suis pas journaliste, et j’avais envie de faire un film sur une femme méduse. »

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 28/10/2017

Voir aussi : Rubrique, Cinéma ,Cinemed, rubrique Algérie, rubrique Festival,  rubrique Montpellier, rubrique Rencontre, Kaouther Ben Hania, Merzak Allouache,

Marchés financiers les dangers de la Bulle. La BCE continue à gonfler les ballons des marchés financiers

188440-5x3-newsletter580x348_0717bc105fLa Banque centrale européenne entend diviser par deux ses rachats d’actifs à compter de janvier 2018. De janvier à septembre 2018, elle se propose de limiter à 30 milliards d’euros le montant mensuel de ses rachats d’obligations d’Etats. La banque d’émission a laissé inchangé son taux directeur. Si certains commentateurs approuvent le virage prudemment amorcé par Mario Draghi à la tête de la BCE, d’autres trouvent qu’il ne va pas assez vite.

 

La stimulation permanente des marchés est risquée, met en garde De Tijd

«La BCE appuie moins fort sur l’accélérateur, mais elle ne relève pas le pied. … L’économie réelle pourrait se passer des mesures d’aide extraordinaires. Mais cette analyse s’applique-t-elle également aux marchés financiers ? … Ceux-ci sont devenus comme dépendants de l’argent à taux zéro. Si jamais la BCE arrêtait net ses injections de moyens financiers dans les marchés, ceux-ci pourraient présenter de graves symptômes de sevrage. Mario Draghi n’a aucun intérêt à causer sur les marchés financiers un crash qui pourrait avoir des conséquences négatives sur l’économie réelle. … Mais sa démarche n’est pas sans risques. La BCE continue à gonfler les ballons déjà bien remplis des marchés financiers.»

Source De Tijd (quotiden boursier Belge)

 

 

Draghi doit redresser la barre plus rapidement

Le virage pris par la BCE est bien trop timoré

«Les ménages achètent des logements qu’ils ne seront pas en mesure de rembourser. Les Etats de la zone euro perdent la motivation d’assainir leur budget. Et une bulle menace de se former sur les marchés des capitaux. Que fera-t-on si elle explose ? Et étant donné que la BCE ne trouve plus les volumes suffisants pour ses achats qu’auprès d’Etats européens lourdement endettés, la part des pays comme l’Italie, la France et l’Espagne continue d’augmenter sur la valeur totale des portefeuilles d’obligation de la BCE. … Les gardiens de la monnaie encourent d’énormes risques, tellement énormes que même certains des protagonistes en ont les jambes flageolantes. C’est pourquoi il est bon de faire une pause. … Il faudra attendre de nombreuses années d’ici à ce que les dangers soient circonscrits et que l’argent et les intérêts aient retrouvé leur fonction de contrôle de la bonne marche de l’économie. Il aurait été préférable de tirer le frein plus franchement et plus rapidement.»

Source Süddeutsche Zeitung : (quotidien All)

 

Un changement de cap prudent et bien avisé

Le journal Les Echos salue l’action de Draghi

«Les Etats-Unis avaient resserré trop vite leur politique monétaire dans les années 1930, accentuant alors la grande dépression. Le Japon a fait la même erreur dans les années 1990. La Fed prend tout son temps en ce moment pour relever ses taux et réduire son bilan. Mario Draghi a bien compris la leçon : il va prendre tout son temps avant de sonner la fin de l’ère de l’argent facile. Il est même possible que l’italien n’ait jamais à relever lui-même les taux de la BCE. Son mandat prendra fin dans deux ans très exactement. Et la question de sa succession va rapidement se poser.»

Source Les Echos

Voir aussi :  Rubrique Finance, rubrique Economie, rubrique Politique, Politique Economique, rubrique International, Rubrique UE, Commission Juncker la finance aux manettes,