De Gauguin aux Nabis : Le renouveau artistique du primitivisme au symbolisme

denis-adam-et-eve

Maurice Denis, Adam et Eve, Huile sur toile 1924

 

Le Musée Fleury de Lodève présente jusqu’au 14 novembre une exposition dédiée à l’invention de l’art moderne. De Gauguin aux Nabis offre un riche aperçu de la force et la variété d’expression d’un mouvement de fin de siècle.

L’exposition estivale du Musée de Lodève « De Gauguin aux Nabis » marque une volonté de continuité dans la programmation exigeante du Musée Fleury. Elle a pourtant été montée en un temps record en partenariat avec le Musée-Jardin Maurice Denis de Saint-Germain–en-Laye. Le droit de tout oser, qui tient lieu de sous titre à cette invitation plastique, correspond on ne peut mieux à l’esprit des artistes qui se déploient dans le cadre de ce parcours. On y retrouve les œuvres de Gauguin, Bonnard, Bernard, Denis, Ranson, le cercle s’élargit à Vuillard, Roussel, Rippl-Ronaï, Verkade, Valotton, Lacombe, Maillol, Lautrec et Sérusier.

Dans la dernière décennie du XIXe, après les Impressionnistes, ces jeunes artistes partagent la même volonté de rompre avec l’académisme. Sur un peu plus d’une dizaine d’années, la force et la variété de leur expression sont à l’origine de nouvelles esthétiques et de nouveaux principes picturaux qui ouvrent le champ à un art nouveau. Les Nabis (de l’hébreu Nebiim,  » prophète « ,  » inspiré de Dieu « ) toutes obédiences confondues, s’attachaient à retrouver le caractère sacré de la peinture. Leur travail se caractérisait, entre autres, par l’utilisation de grands aplats de couleurs et la suppression de la perspective.

Maurice Denis le théoricien

L’exposition d’une grande densité rassemble 179 œuvres dont une centaine provient du musée Maurice Denis. L’artiste, dont on apprécie la richesse de l’œuvre à travers un parcours thématique qui part des premières années Nabis au Symbolisme en passant par le Japonisme et les arts décoratifs, est considéré comme une tête pensante du mouvement. Alors que Gambetta a annoncé l’arrivée des « Nouvelles couches », et que les élites bourgeoises de la troisième République n’en finissent plus de trouver des prétextes de rituels commémoratifs, Maurice Denis, le théoricien du mouvement Nabi, joue la rupture avec le cercle magique de la piété que les élites se vouent à elles-mêmes. En 1890, il dénonce :  » Les bons appareils infaillibles de rigoureuses exactitudes, qu’on a voulu fabriquer dans les académies.  »

Gauguin « le barbare » primitiviste

 

Gauguin Idôle à la Perle

Paul Gauguin : L'idole à la Perle, bronze non daté

Gauguin souffre lui aussi de la perte d’intensité du sentiment dans la civilisation européenne. Une civilisation dont il s’échappe à plusieurs reprises à la recherche d’une vie primitive. On connaît son expérimentation picturale à travers la capture des couleurs de l’Océanie. L’expo de Lodève met en lumière la puissance spirituelle du peintre voyageur avec une série de sculptures aux formes frustres mais à la présence intense. On reste en admiration devant l’idole à la perle et sa tête de lion sage. Dans les îles, l’artiste travaille la taille directe sur bois et reprend ses sculptures plus tard en bronze ou en céramique. Dès 1886 Gauguin séjourne régulièrement à Pont Aven, en Bretagne. Il y rencontre Emile Bernard qui a travaillé à Paris avec Lautrec, Van Gogh et Anquetin avec qui il partage l’esprit de rupture, la simplification des formes et des contours. Il aimait être considéré comme un barbare.

Au-delà de Denis et Gauguin, l’exposition du Musée Fleury donne un aperçu de la richesse et de la diversité d’une production éclatée partageant la volonté d’une certaine mise à distance, comme l’exprime la toile de Paul Ranson Regard vers l’avenir où l’on croise le visage effrayé d’une femme à son balcon entre la jungle angoissante des arbres et la ville qui prend l’apparence d’une forteresse.

On mesure de manière diffuse comment l’art se fait vecteur de contestation de la République bourgeoise. C’est une période passionnante, concomitante avec l’apparition de nouvelles forces politiques : anarchisme, socialisme, nationalisme. Une période où peinture et littérature entretiennent un dialogue croisé. La dimension pédagogique de l’exposition explorera cet aspect. Le parcours consacre un espace à la présentation de manuscrits, de livres illustrés et revus anciennes qui témoignent de la correspondance entre les Nabis et Verlaine, Mallarmé, Gide, Jarry ou encore comment ils sont entrés dans l’aventure du théâtre d’avant-garde. Un moment étonnant de l’histoire artistique où la création importait plus que le résultat.

Jean-Marie Dinh

De Gauguin aux Nabis, Musée de Lodève jusqu’au 14 novembre 2010.

Gilles Deleuze et les nouveaux philosophes

Après les nouvelles et récentes pressions de l’homme d’affaire et éditorialiste  BHL pour étouffer la critique, le rappel de ce texte de Gilles Deleuze, écrit en 1977, est une bouffée d’air.

7587_deleuze-gilles1Que penses-tu des « nouveaux philosophes » ?

Rien. Je crois que leur pensée est nulle. Je vois deux raisons possibles à cette nullité. D’abord ils procèdent par gros concepts, aussi gros que des dents creuses, LA loi, LE pouvoir, LE maître, LE monde, LA rébellion, LA foi, etc. Ils peuvent faire ainsi des mélanges grotesques, des dualismes sommaires, la loi et le rebelle, le pouvoir et l’ange. En même temps, plus le contenu de pensée est faible, plus le penseur prend d’importance, plus le sujet d’énonciation se donne de l’importance par rapport aux énoncés vides (« moi, en tant que lucide et courageux, je vous dis…, moi, en tant que soldat du Christ…, moi, de la génération perdue…, nous, en tant que nous avons fait mai 68…, en tant que nous ne nous laissons plus prendre aux semblants… ». Avec ces deux procédés, ils cassent le travail. Car ça fait déjà un certain temps que, dans toutes sortes de domaines, les gens travaillent pour éviter ces dangers-là. On essaie de former des concepts à articulation fine, ou très différenciée, pour échapper aux grosses notions dualistes. Et on essaie de dégager des fonctions créatrices qui ne passeraient plus par la fonction-auteur (en musique, en peinture, en audio-visuel, en cinéma, même en philosophie). Ce retour massif à un auteur ou à un sujet vide très vaniteux, et à des concepts sommaires stéréotypés, représente une force de réaction fâcheuse. C’est conforme à la réforme Haby : un sérieux allègement du « programme » de la philosophie.

Dis-tu cela parce que B.-H. Lévy vous attaque violemment, Guattari et toi, dans son livre Barbarie à visage humain ?

Non, non, non. Il dit qu’il y a un lien profond entre L’Anti-Œdipe et « l’apologie du pourri sur fumier de décadence » (c’est comme cela qu’il parle), un lien profond entre L’Anti-Œdipe et les drogués. Au moins, ça fera rire les drogués. Il dit aussi que le Cerfi est raciste : là, c’est ignoble. Il y a longtemps que je souhaitais parler des nouveaux philosophes, mais je ne voyais pas comment. Ils auraient dit tout de suite : voyez comme il est jaloux de notre succès. Eux, c’est leur métier d’attaquer, de répondre, de répondre aux réponses. Moi, je ne peux le faire qu’une fois. Je ne répondrai pas une autre fois. Ce qui a changé la situation pour moi, c’est le livre d’Aubral et de Delcourt, Contre la nouvelle philosophie. Aubral et Delcourt essaient vraiment d’analyser cette pensée, et ils arrivent à des résultats très comiques. Ils ont fait un beau livre tonique, ils ont été les premiers à protester. Ils ont même affronté les nouveaux philosophes à la télé, dans l’émission « Apostrophes ». Alors, pour parler comme l’ennemi, un Dieu m’a dit qu’il fallait que je suive Aubral et Delcourt, que j’aie ce courage lucide et pessimiste.

Si c’est une pensée nulle, comment expliquer qu’elle semble avoir tant de succès, qu’elle s’étende et reçoive des ralliements comme celui de Sollers ?

Il y a plusieurs problèmes très différents. D’abord, en France on a longtemps vécu sur un certain mode littéraire des « écoles ». Et c’est déjà terrible, une école : il y a toujours un pape, des manifestes, des déclarations du type « je suis l’avant-garde », (les excommunications, des tribunaux, des retournements politiques, etc. En principe général, on a d’autant plus raison qu’on a passé sa vie à se tromper, puisqu’on peut toujours dire « je suis passé par là ». C’est pourquoi les staliniens sont les seuls à pouvoir donner des leçons d’antistalinisme. Mais enfin, quelle que soit la misère des écoles, on ne peut pas dire que les nouveaux philosophes soient une école. Ils ont une nouveauté réelle, ils ont introduit en France le marketing littéraire ou philosophique, au lieu de faire une école. Le marketing a ses principes particuliers :

1. il faut qu’on parle d’un livre et qu’on en fasse parler, plus que le livre lui-même ne parle ou n’a à dire. A la limite, il faut que la multitude des articles de journaux, d’interviews, de colloques, d’émissions radio ou télé remplacent le livre, qui pourrait très bien` ne pas exister du tout. C’est pour cela que le travail auquel se donnent les nouveaux philosophes est moins au niveau des livres qu’ils font que des articles à obtenir, des journaux et émissions à occuper, des interviews à placer, d’un dossier à faire, d’un numéro de Playboy. Il y a là toute une activité qui, à cette échelle et à ce degré d’organisation, semblait exclue de la philosophie, ou exclure la philosophie.

2. Et puis, du point de vue d’un marketing, il faut que le même livre ou le même produit aient plusieurs versions, pour convenir à tout le monde une version pieuse, une athée, une heideggerienne, une gauchiste, une centriste, même une chiraquienne ou néo-fasciste, une « union de la gauche » nuancée, etc. D’où l’importance d’une distribution des rôles suivant les goûts. Il y a du Dr Mabuse dans Clavel, un Dr Mabuse évangélique, Jambet et Lardreau, c’est Spöri et Pesch, les deux aides à Mabuse (ils veulent « mettre la main au collet » de Nietzsche). Benoist, c’est le coursier, c’est Nestor. Lévy, c’est tantôt l’imprésario, tantôt la script-girl, tantôt le joyeux animateur, tantôt le dise-jockey. Jean Cau trouve tout ça rudement bien ; Fabre-Luce se fait disciple de Glucksmann ; on réédite Benda, pour les vertus du clerc. Quelle étrange constellation.

Sollers avait été le dernier en France à faire encore une école vieille manière, avec papisme, excommunications, tribunaux. Je suppose que, quand il a compris cette nouvelle entreprise, il s’est dit qu’ils avaient raison, qu’il fallait faire alliance, et que ce serait trop bête de manquer ça. Il arrive en retard, mais il a bien vu quelque chose. Car cette histoire de marketing dans le livre de philosophie, c’est réellement nouveau, c’est une idée, il « fallait » l’avoir. Que les nouveaux philosophes restaurent une fonction-auteur vide, et qu’ils procèdent avec des concepts creux, toute cette réaction n’empêche pas un profond modernisme, une analyse très adaptée du paysage et du marché. Du coup, je crois que certains d’entre nous peuvent même éprouver une curiosité bienveillante pour cette opération, d’un point de vue purement naturaliste ou entomologique. Moi, c’est différent, parce que mon point de vue est tératologique : c’est de l’horreur.

Si c’est une question de marketing, comment expliques-tu qu’il ait fallu les attendre, et que ce soit maintenant que ça risque de réussir ?

Pour plusieurs raisons, qui nous dépassent et les dépassent eux-mêmes. André Scala a analysé récemment un certain renversement dans les rapports journalistes-écrivains, presse-livre. Le journalisme, en liaison avec la radio et la télé, a pris de plus en plus vivement conscience de sa possibilité de créer l’événement (les fuites contrôlées, Watergate, les sondages ?). Et de même qu’il avait moins besoin de se référer à des événements extérieurs, puisqu’il en créait une large part, il avait moins besoin aussi de se rapporter à des analyses extérieures au journalisme, ou à des personnages du type « intellectuel », « écrivain » : le journalisme découvrait en lui-même une pensée autonome et suffisante. C’est pourquoi, à la limite, un livre vaut moins que l’article de journal qu’on fait sur lui ou l’interview à laquelle il donne lieu. Les intellectuels et les écrivains, même les artistes, sont donc conviés à devenir journalistes s’ils veulent se conformer aux normes. C’est un nouveau type de pensée, la pensée-interview, la pensée-entretien, la pensée-minute. On imagine un livre qui porterait sur un article de journal, et non plus l’inverse. Les rapports de force ont tout à fait changé, entre journalistes et intellectuels. Tout a commencé avec la télé, et les numéros de dressage que les interviewers ont fait subir aux intellectuels consentants. Le journal n’a plus besoin du livre. Je ne dis pas que ce retournement, cette domestication de l’intellectuel, cette journalisation, soit une catastrophe. C’est comme ça : au moment même où l’écriture et la pensée tendaient à abandonner la fonction-auteur, au moment où les créations ne passaient plus par la fonction-auteur, celle-ci se trouvait reprise par la radio et la télé, et par le journalisme. Les journalistes devenaient les nouveaux auteurs, et les écrivains qui souhaitaient encore être des auteurs devaient passer par les journalistes, ou devenir leurs propres journalistes. Une fonction tombée dans un certain discrédit retrouvait une modernité et un nouveau conformisme, en changeant de lieu et d’objet. C’est cela qui a rendu possible les entreprises de marketing intellectuel.

Est-ce qu’il y a d’autres usages actuels d’une télé, d’une radio ou d’un journal ?

Évidemment, mais ce n’est plus la question des nouveaux philosophes. Je voudrais en parler tout à l’heure. Il y a une autre raison. Nous sommes depuis longtemps en période électorale. Or, les élections, ce n’est pas un point local ni un jour à telle date. C’est comme une grille qui affecte actuellement notre manière de comprendre et même de percevoir. On rabat tous les événements, tous les problèmes, sur cette grille déformante. Les conditions particulières des élections aujourd’hui font que le seuil habituel de connerie monte. C’est sur cette grille que les nouveaux philosophes se sont inscrits dès le début. Il importe peu que certains d’entre eux aient été immédiatement contre l’union de la gauche, tandis que d’autres auraient souhaité fournir un brain-trust de plus à Mitterrand. Une homogénéisation des deux tendances s’est produite, plutôt contre la gauche, mais surtout à partir d’un thème qui était présent déjà dans leurs premiers livres : la haine de 68. C’était à qui cracherait le mieux sur mai 68. C’est en fonction de cette haine qu’ils ont construit leur sujet d’énonciation : « Nous, en tant que nous avons fait mai 68 ( ?? ), nous pouvons vous dire que c’était bête, et que nous ne le ferons plus. » Une rancœur de 68, ils n’ont que ça à vendre. C’est en ce sens que, quelle que soit leur position par rapport aux élections, ils s’inscrivent parfaitement sur la grille électorale. A partir de là, tout y passe, marxisme, maoïsme, socialisme, etc., non pas parce que les luttes réelles auraient fait surgir de nouveaux ennemis, de nouveaux problèmes et de nouveaux moyens, mais parce que LA révolution doit être déclarée impossible, uniformément et de tout temps. C’est pourquoi tous les concepts qui commençaient à fonctionner d’une manière très différenciée (les pouvoirs, les résistances, les désirs, même la « plèbe ») sont à nouveau globalisés, réunis dans la fade unité du pouvoir, de la loi, de l’État, etc. C’est pourquoi aussi le Sujet pensant revient sur la scène, car la seule possibilité de la révolution, pour les nouveaux philosophes, c’est l’acte pur du penseur qui la pense impossible.

Ce qui me dégoûte est très simple : les nouveaux philosophes font une martyrologie, le Goulag et les victimes de l’histoire. Ils vivent de cadavres. Ils ont découvert la fonction-témoin, qui ne fait qu’un avec celle d’auteur ou de penseur (voyez le numéro de Playboy : c’est nous les témoins…). Mais il n’y aurait jamais eu de victimes si celles-ci avaient pensé comme eux, ou parlé comme eux. Il a fallu que les victimes pensent et vivent tout autrement pour donner matière à ceux qui pleurent en leur nom, et qui pensent en leur nom, et donnent des leçons en leur nom. Ceux qui risquent leur vie pensent généralement en termes de vie, et pas de mort, d’amertume et de vanité morbide. Les résistants sont plutôt de grands vivants. Jamais on n’a mis quelqu’un en prison pour son impuissance et son pessimisme, au contraire. Du point de vue des nouveaux philosophes, les victimes se sont fait avoir, parce qu’elles n’avaient pas encore compris ce que les nouveaux philosophes ont compris. Si je faisais partie d’une association, je porterais plainte contre les nouveaux philosophes, qui méprisent un peu trop les habitants du Goulag.

Quand tu dénonces le marketing, est-ce que tu milites pour la conception vieux-livre, ou pour les écoles ancienne manière ?

Non, non, non. Il n’y a aucune nécessité d’un tel choix : ou bien marketing, ou bien vieille manière. Ce choix est faux. Tout ce qui se passe de vivant actuellement échappe à cette alternative. Voyez comme les musiciens travaillent, comme les gens travaillent dans les sciences, comme certains peintres essaient de travailler, comment des géographes organisent leur travail (cf. la revue Hérodote). Le premier trait, c’est les rencontres. Pas du tout les colloques ni les débats, mais, en travaillant dans un domaine, on rencontre des gens qui travaillent dans un tout autre domaine, comme si la solution venait toujours d’ailleurs. Il ne s’agit pas de comparaisons ou d’analogies intellectuelles, mais d’intersections effectives, de croisements de lignes. Par exemple (cet exemple est important, puisque les nouveaux philosophes parlent beaucoup d’histoire de la philosophie), André Robinet renouvelle aujourd’hui l’histoire de la philosophie, avec des ordinateurs ; il rencontre forcément Xenakis. Que des mathématiciens puissent faire évoluer ou modifier un problème d’une tout autre nature ne signifie pas que le problème reçoit une solution mathématique, mais qu’il comporte une séquence mathématique qui entre en conjugaison avec d’autres séquences. C’est effarant, la manière dont les nouveaux philosophes traitent « la » science. Rencontrer avec son propre travail le travail des musiciens, des peintres ou des savants est la seule combinaison actuelle qui ne se ramène ni aux vieilles écoles ni à un néo-marketing. Ce sont ces points singuliers qui constituent des foyers de création, des fonctions créatrices indépendantes de la fonction-auteur, détachées de la’ fonction-auteur. Et ça ne vaut pas seulement pour des croisements de domaines différents, c’est chaque domaine, chaque morceau de -domaine, si petit soit-il, qui est déjà fait de tels croisements. Les philosophes doivent venir de n’importe où : non pas au sens où la philosophie dépendrait d’une sagesse populaire un peu partout, mais au sens où chaque rencontre en produit, en même temps qu’elle définit un nouvel usage, une nouvelle position d’agencements – musiciens sauvages et radios pirates.

bhl_tarteEh bien, chaque fois que les fonctions créatrices désertent ainsi la fonction-auteur, on voit celle-ci se réfugier dans un nouveau conformisme de « promotion ». C’est toute une série de batailles plus ou moins visibles : le cinéma, la radio, la télé sont la possibilité de fonctions créatrices qui ont destitué l’Auteur ; mais la fonction-auteur se reconstitue à l’abri des usages conformistes de ces médias. Les grandes sociétés de production se remettent à favoriser un « cinéma d’auteur » ; Jean-Luc Godard trouve alors le moyen de faire passer de la création dans la télé ; mais la puissante organisation de la télé a elle-même ses fonctions-auteur par lesquelles elle empêche la création. Quand la littérature, la musique, etc., conquièrent de nouveaux domaines de création, la fonction-auteur se reconstitue dans le journalisme, qui va étouffer ses propres fonctions créatrices et celles de la littérature. Nous retombons sur les nouveaux philosophes : ils ont reconstitué une pièce étouffante, asphyxiante, là où un peu d’air passait. C’est la négation de toute politique, et de toute expérimentation.

Bref, ce que je leur reproche, c’est de faire un travail de cochon et que ce travail s’insère dans un nouveau type de rapport presse-livre parfaitement réactionnaire : nouveau, oui, mais conformiste au plus haut point. Ce ne sont pas les nouveaux philosophes qui importent. Même s’ils s’évanouissent demain, leur entreprise de marketing sera recommencée. Elle représente en effet la soumission de toute pensée aux médias ; du même coup, elle donne à ces médias le minimum de caution et de tranquillité intellectuelles pour étouffer les tentatives de création qui les feraient bouger eux-mêmes. Autant de débats crétins à la télé, autant de petits films narcissiques d’auteur, d’autant moins de création possible dans la télé et ailleurs. Je voudrais proposer une charte des intellectuels, dans leur situation actuelle par rapport aux médias, compte tenu des nouveaux rapports de force : refuser, faire valoir des exigences, devenir producteurs, au lieu d’être des auteurs qui n’ont plus que l’insolence des domestiques ou les éclats d’un clown de service. Beckett, Godard ont su s’en tirer, et créer de deux manières très différentes : il y a beaucoup de possibilités, dans le cinéma, l’audio-visuel, la musique, les sciences, les livres… Mais les nouveaux philosophes, c’est vraiment l’infection qui s’efforce d’empêcher tout ça. Rien de vivant ne passe par eux, mais ils auront accompli leur fonction s’ils tiennent assez la scène pour mortifier quelque chose.

Ce texte de Gilles Deleuze a été publié comme Supplément au n°24, mai 1977, de la revue bimestrielle Minuit, et distribué gratuitement.

Voir aussi : Rubrique Médias, Rubrique Philosophie Le philosophe qui censure la critique rubrique Livre, Lewis Caroll, rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie,

Un cran à gauche

Orwell : journaliste, témoin, militant, analyste et penseur.  Photo DR.

Les Écrits politiques d’Orwell, confirment l’auteur de La ferme des animaux comme un penseur politique de premier plan. Le recueil publié aux éditions Agone rend accessible en français un certain nombre de textes que sa veuve Sonia, qui n’appréciait pas le positionnement politique de son mari, avait jugé bon d’écarter. Organisé en six parties, ce livre retrace l’engagement passionné de l’auteur de 1928 à 1949.

Tout au long de sa vie, Eric Arthur Blair (1903/1950) puisera son inspiration dans les engagements liés à son expérience personnelle. On en trouve les premières traces dans quatre articles publiés entre 1928 et 1929. L’auteur, qui partage les conditions laborieuses des classes populaires londoniennes, y défend la liberté d’expression et une certaine idée de la littérature. Il s’attache aussi à décrire la condition humaine des ouvriers devenus chômeurs sans omettre de mentionner les mensonges d’Etat entretenus par la presse. « Les statistiques officielles se rapportant au chômage sont à dessein réglées de façon à induire en erreur (…) Une légende absurde circule dans la presse conservatrice d’après laquelle le chômage est uniquement dû à la paresse et à la rapacité des travailleurs. »

Entre dix-neuf et vingt-quatre ans, Eric Blair s’engage comme policier de la couronne d’Angleterre en Birmanie. Cette expérience de jeunesse fera d’Orwell (pseudonyme qui apparaît en 1933) un des plus virulent adversaire de l’impérialisme britannique. « Le racisme est avant tout une manière de pousser l’exploitation au-delà des limites normalement possibles en prétendant que les exploités ne sont pas des êtres humains (…) Hitler n’est que le spectre de notre passé qui s’élève contre nous. »

Expérience traumatique de la guerre d’Espagne

Au début de la guerre d’Espagne, Orwell combat six mois dans les milices du POUM*, et échappe de peu aux geôles communistes. Touché à la gorge par une balle franquiste, il retourne en Angleterre. S’en suit une série d’articles sur les mécanismes de la pensée totalitaire et les mesquineries de la politique de puissance.

Après la signature du pacte germano-soviétique, Orwell rompt avec la famille d’extrême gauche anglaise. En 1941, il approfondit la conception du socialisme qu’il appelle de ses vœux : « Une alliance entre les ouvriers et les membres des couches moyennes modernes, réunis sous la figure de l’homme ordinaire et partageant les valeurs de la décence commune. »

Le socialisme démocratique d’Orwell intègre la revendication de l’autonomie de l’individu au sein du socialisme. Sans exclure le recours à la violence, « si la minorité privilégiée s’accroche à son pouvoir. » L’auteur prend aussi le contre-pied d’une idée répandue à gauche selon laquelle le fascisme ne serait qu’une forme particulièrement agressive de capitalisme. « La démocratie bourgeoise ne suffit pas, mais elle vaut bien mieux que le fascisme. (…) Les gens ordinaires le savent, même si les intellectuels l’ignorent. »

Suite aux interprétations erronées qui font suite à la publication de 1984, paru le 8 juin 1949, Orwell fait la lumière sur sa démarche : « Mon roman n’a pas été conçu comme une attaque contre le socialisme mais comme une dénonciation des perversions auxquelles une économie centralisée peut être sujette et qui ont été partiellement réalisées dans le communisme et le fascisme. (…) Je crois que les idées totalitaires ont partout pris racine dans les esprits intellectuels, et j’ai essayé de pousser ces idées jusqu’à leurs conséquences logiques. »

Jean-Marie Dinh

*POUM : Parti ouvrier d’unification marxiste créé à Barcelone en septembre 1935. Fusion entre Izquierda Communista d’origine trotskiste et du Bloque Obreto ( bloc ouvrier et paysan)

Georges Orwell, Écrits politiques (1928-1949) éditions Agone, 25 euros.

Voir aussi : Rubrique Débat Le conservatisme en politique, Rubrique Justice, soutien à Baltazar Carzon,

La voix de Polanyi toujours actuelle ?

jeromemaucourantMaître de conférence de sciences économiques à l’université de Saint-Étienne, Jérome Maucourant revient sur les idées historiques, politiques et sociales de Karl Polanyi

« Si l’on dit que la redistribution rend la dette acceptable, cela veut dire que le politique qui est le vecteur de la redistribution doit intervenir. »


« Dans l’œuvre multiforme de Polanyi, certaines grandes idées se dégagent. Celle par exemple que le marché ne serait pas naturel ?

Effectivement, le paradigme que nous connaissons depuis vingt cinq ans est celui de la naturalité du marché. Le marché est pensé comme une institution qui ne proviendrait pas d’un dessein conscient. En réfléchissant à la montée des fascismes, à l’échec de l’étalon-or et à la crise des années 30, Polanyi en arrive à l’idée que le marché est une construction sociale et politique mise en place par des desseins délibérés.

Quelles sont les conséquences de cette construction?

Il a une formule assez forte qui dit que le laissé faire est planifié et la planification est spontanée. Il veut dire par-là que des politiques très particulières ont constitué des marchés et que les conséquences imprévues du fonctionnement de ces marchés ont crée des contre mouvements de protection de la société, qui ont rendu possible pour un temps, la société de marché. Sans cela la société n’aurait jamais supporté les conséquences du point de vue humain, social, culturel d’une fiction aussi grossière qui consiste à faire en sorte que, la terre, la monnaie et le travail soient constitués comme marchandises.

En quoi la fin de l’étalon-or s’avère-t-elle déterminante ?

Si la crise des années 30 a expulsé l’étalon-or des institutions, sa fin programmée s’annonce dès le XIXème en Grande-Bretagne puis aux Etats-Unis quand les banques centrales se constituent. C’est-à-dire que dès qu’on a voulu instituer la monnaie comme une marchandise, – la monnaie n’étant qu’une image de la marchandise alors que l’étalon-or était pensé comme un bien pouvant être échangé contre d’autres biens – les désordres économiques ont été tels, que les banque centrales sont entrées dans la politique. Dans les années 20, on assiste à une régulation de la macroéconomie pour essayer de mettre en œuvre la monnaie parce que cela ne marche pas tout seul et qu’il faut une intervention. Et très vite, les interventions prennent différentes formes ; monétaire budgétaire, etc.

Polanyi souligne que la gestion monétaire porte sur un contenu de classe…

Il y a effectivement un contenu de classe et plus globalement un contenu social. Polanyi montre que ce qui est fondamental dans toute société humaine c’est la question de la circulation de la dette. Ici, on se rend compte de l’importance de la politique monétaire. C’est elle qui permet d’assurer une bonne évaluation et circulation des dettes. Si l’on admet que la perpétuation des dettes et leur négociation permettent à la société de tenir debout, on réalise que la monnaie n’est plus quelque chose de purement technique mais permet de gérer les équilibre sociaux.

On pense à la crise actuelle…

Il est évident que l’effondrement de la finance est tout simplement l’effondrement d’un certain mode social d’accumulation des richesses. Il suffit de voir que la croissance américaine ne favorise qu’un pour mille de la population. Et la seule façon qu’on ait trouvé pour perpétuer ce système, est l’explosion de la dette dans les classes inférieures et moyennes de la société. Un compromis existait à la fois aux Etats-Unis et dans les pays émergents pour financer une dette qui était un peu le socle social de l’accumulation mondial du capital.

L’alternative appelle-t-elle une régulation ?

Oui, ce qui signifie une chose très simple, si l’on dit que la redistribution rend la dette acceptable, cela veut dire que le politique, qui est le vecteur de la redistribution, doit intervenir. Et le faire plus massivement qu’il ne le faisait.

essaiskarlpolanyi-df3f5

Les essais de Karl Polanyi, éd du Seuil

Effectivement, cette idée contredit certains historiens qui évoquent le terme de démocratie de marché. La survie de la société moderne est liée à une articulation fonctionnelle entre la sphère politique et économique. La sphère politique est fondée démocratiquement par le vote des citoyens selon l’idéal d’égalité et doit nécessairement se confronter à l’économie qui ne fonctionne pas sur ce principe. Il y a donc un risque de clash permanent. C’est tellement vrai que Polanyi invitait à prendre Hitler au sérieux quand celui-ci pose dans son discours de 1934, l’impossibilité de la coexistence de la propriété des moyens de production et du principe démocratique.

Polanyi s’inspire du Capital, comment se distingue-t-il de Marx ?

Son œuvre serait incompréhensible sans la lecture de Marx. Les textes qui sont publiés essayent de mettre en valeur une réactualisation du marxisme que Polanyi a pu faire dans les années 30 en tentant de saisir pleinement ce moment historique. Ce qui influence Polanyi c’est le Marx de l’aliénation, en revanche Polanyi est plus critique sur l’idée que l’économie serait le squelette de toute une société. Il concède cependant au marxisme ce fait dans la société capitaliste.

En quoi son œuvre peut-elle être utile à la gauche ?

Polanyi c’est toujours considéré comme un socialiste. Il a eu pleinement conscience, avant même son échec, de l’impossibilité d’une économie planifiée. S’il y a un message à donner aux gauches actuelles c’est que, si l’anticapitalisme se traduit par la négation absolue du marché, on court irrémédiablement à l’échec. Il y a énormément de confusions qu’il faudrait lever. Certains anticapitalistes sont peu conscients que le marché peut avoir une place dans une société qui n’est pas globalement capitaliste. Polanyi nous invite à penser au fonctionnement de la société à partir des méthodes de marché, de redistribution, et de réciprocités qui renvoient à l’économie solidaire.

Un autre message que l’on peut lancer à la gauche qui se dit libérale, c’est de créer un socialisme qui prenne en compte les problèmes de notre époque comme la question de l’environnement, de la brevatibilité du vivant et généralement de l’écologie. Il est évident que cela ne peut pas être résolu par des procédures marchandes. Or une bonne partie de la gauche libérale justement par son adhésion sans faille au traité européen, qui est un projet de privatisation de la société par le marché, n’est pas en mesure de proposer une alternative. Il serait bon que les socialistes libéraux tirent les conclusions de l’histoire et de leur échec au moment même où le capitalisme financier s’effondre. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

avez-vous-polanyi

Jérome Maucourant « Avez-vous lu Polanyi ?», éd. La dispute

Marx est-il d’actualité ? Entretien avec Jacques Attali

jacques-attali

Dans sa biographie, Jacques Attali s’attelle à la vie du grand penseur et s’intéresse à son apport théorique, qu’il replace dans le cadre de la mondialisation.

D’où provient votre intérêt pour Karl Marx ?

Au départ, c’est une curiosité intellectuelle. C’est évidemment un des plus grand  » monstre  » de l’histoire de la pensée occidentale. Les conséquences politiques de sont œuvre ont été déterminantes.

En vous lisant, on constate votre attachement à la rigueur des faits, quelle a été votre méthode de travail ?

C’est la troisième biographie que j’écris. Pour moi, une biographie doit permettre de resituer le personnage dans son histoire personnelle, le raconter comme un roman, de façon aussi rigoureuse que possible, en le replongeant dans son contexte historique. On ne peut comprendre ni la psychologie ni l’œuvre de quelqu’un, sans connaître le cadre dans lequel il évolue.

Vous soulignez le rapprochement entre le contexte historique du XIX éme et le notre …

En effet, c’est un contexte qui ressemble beaucoup à celui d’aujourd’hui. Le XIX éme voit à la fois la percée de nouvelles techniques et de bouleversements sociaux, l’émergence de nouveaux pays dans l’économie, d’idéaux politiques nouveaux et surtout, c’est la première fois dans l’histoire où l’on commence à parler de mondialité.

En quoi Marx apparaît-il, comme vous le dite, comme le premier penseur de la mondialisation ?

Je me suis penché sur des écrits qui ont été assez occultés. Des textes où Marx parle de l’importance du libre échange et de l’international. Il y décrit notamment le fait que le déploiement du capitalisme n’est pas de nature limitée, mais extrêmement vaste et que le socialisme viendra après le capitalisme mondial et pas à sa place.

Comment peut-on s’expliquer le rejet de cet apport théorique aujourd’hui ?

Il y a eu une formidable captation d’héritage par les socio-démocrates allemands puis, les communistes allemands enfin, les communistes russes, qui a entraîné à la fois, une déviation nazie et une déviation soviétique dont il n’est que partiellement responsable. C’est un peu normal qu’après ces deux caricatures construites en son nom, que son œuvre ait été mise à l’écart. Mais quand on la relit, on s’aperçoit qu’il était lui-même très hostile à cela. Sa conception du socialisme est avant tout fondée sur la liberté, sur la démocratie, et la mondialisation et pas du tout sur le parti unique.

Cela ne relève-t-il pas également, d’une volonté de non débat sur le capitalisme moderne?

Enormément de choses s’écrivent sur le capitalisme moderne. Simplement, cela repose souvent sur une pensée antimondialiste ou sur une pensée euphorique de la mondialisation, pas sur la nécessité d’un capitalisme triomphant pour en finir avec le capitalisme. Ce qui est la posture très intéressante de Marx, qui voyait la mondialisation du capitalisme comme la condition de sa disparition.

Selon-vous le libéralisme serait une idée de gauche et l’individualisme une idée de droite…

Le libéralisme est une idée de gauche dans la mesure où il repose sur une idée beaucoup plus vaste que ce qu’on entend par le libéralisme économique. C’est d’abord la démocratie, la liberté de chacun de s’exprimer et d’avoir les moyens de développer la liberté. Donc c’est une valeur de gauche. Mais naturellement, elle ne peut se réaliser qu’à condition d’avoir des institutions, des infrastructures et en particulier des mécanismes collectifs qui permettent au libéralisme, intellectuel, culturel, et social de se développer. Tandis qu’évidemment, la liberté individuelle fondée sur l’égoïsme du chacun pour soi, est une idée de droite.

On constate cependant, là aussi, deux réalités entre la définition théorique du libéralisme et sa mise en œuvre pratique …

Pour moi, le libéralisme ne doit pas s’entendre dans sa définition économique mais dans une dimension globale. D’autre part, je pense, comme Marx, que l’au-delà du capitalisme n’est pas dans la protection du système antérieur.

Où situez-vous la notion de pouvoir chez Marx ?

Pour Marx, le pouvoir appartient à ceux qui détiennent les équipements de production, c’est-à-dire, la terre et le capital. Les appareils d’Etat ne sont que les représentants ou les acteurs de ces forces. Pour lui, l’enjeu de pouvoir se situe dans l’affrontement entre ceux qui disposent du capital et ceux qui devraient l’avoir. Le seul système politique qui prévaut, c’est la démocratie parlementaire.

Quand il aborde ce sujet vers 1871, vous écrivez :  » la social-démocratie est née « . Où situeriez-vous la social- démocratie actuelle dans la conception du penseur ? Un détournement du socialisme ?

Sans vouloir faire tourner les tables, je pense qu’aujourd’hui Marx trouverait à l’échelle de chaque pays une forme de social-démocratie acceptable en terme d’organisation sociale. Mais il trouverait aussi qu’elle est très très insuffisante, puisqu’elle n’organise pas les conditions de la lutte à l’échelle mondiale. Donc, Marx serait certainement partisan d’une coalition des syndicats et des partis de gauche à l’échelle mondiale, pour créer les conditions d’un gouvernement mondial.

Ce que l’on constate c’est justement, l’inexistence d’organisation d’un pouvoir mondial. Hormis l’argent et les armes, qu’elles alternatives ?

Les idées. Pour développer par exemple le micro crédit, tout ce qui se fait avec les ONG, comme le mouvement de la gratuité… Il faut aussi s’appuyer sur le développement technologique qui aide beaucoup. Les évolutions technologiques cassent les pouvoirs et les remplacent par des options beaucoup plus décentralisées et foncièrement subversives.

Peut-on croire à une hypothétique régulation interne de l’économie ?

On peut l’organiser en tout cas. Je crois qu’un gouvernement mondial est possible. Il passe, en premier lieu par les gouvernements continentaux, d’où l’importance d’une démocratie véritablement politique et sociale en Europe.

Quels sont les héritiers de la pensée de Marx aujourd’hui ?

Il y a quelques grands économistes qui se réfèrent à lui. Il y a dans le mouvement international socialiste et dans une petite partie du mouvement alter mondialiste des courants qui renvoient à son analyse. Ce que Marx aurait voulu aujourd’hui, c’est la construction d’un grand mouvement syndical et politique planétaire.

Recueilli par Jean-Marie DINH

A l’invitation conjointe de la Librairie Sauramps et de l’association Economie, développement et citoyenneté, Jacques Attali était  à Montpellier vendredi 27 janvier où il a  participé à un débat présidé par Jean-Claude Gayssot.

Voir aussi : Rubrique Livre Politique, Rencontre surréaliste entre Marx et le père noël,