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D’où provient votre intérêt pour Karl Marx ?
Au départ, c’est une curiosité intellectuelle. C’est évidemment un des plus grand » monstre » de l’histoire de la pensée occidentale. Les conséquences politiques de sont œuvre ont été déterminantes.
En vous lisant, on constate votre attachement à la rigueur des faits, quelle a été votre méthode de travail ?
C’est la troisième biographie que j’écris. Pour moi, une biographie doit permettre de resituer le personnage dans son histoire personnelle, le raconter comme un roman, de façon aussi rigoureuse que possible, en le replongeant dans son contexte historique. On ne peut comprendre ni la psychologie ni l’œuvre de quelqu’un, sans connaître le cadre dans lequel il évolue.
Vous soulignez le rapprochement entre le contexte historique du XIX éme et le notre …
En effet, c’est un contexte qui ressemble beaucoup à celui d’aujourd’hui. Le XIX éme voit à la fois la percée de nouvelles techniques et de bouleversements sociaux, l’émergence de nouveaux pays dans l’économie, d’idéaux politiques nouveaux et surtout, c’est la première fois dans l’histoire où l’on commence à parler de mondialité.
En quoi Marx apparaît-il, comme vous le dite, comme le premier penseur de la mondialisation ?
Je me suis penché sur des écrits qui ont été assez occultés. Des textes où Marx parle de l’importance du libre échange et de l’international. Il y décrit notamment le fait que le déploiement du capitalisme n’est pas de nature limitée, mais extrêmement vaste et que le socialisme viendra après le capitalisme mondial et pas à sa place.
Comment peut-on s’expliquer le rejet de cet apport théorique aujourd’hui ?
Il y a eu une formidable captation d’héritage par les socio-démocrates allemands puis, les communistes allemands enfin, les communistes russes, qui a entraîné à la fois, une déviation nazie et une déviation soviétique dont il n’est que partiellement responsable. C’est un peu normal qu’après ces deux caricatures construites en son nom, que son œuvre ait été mise à l’écart. Mais quand on la relit, on s’aperçoit qu’il était lui-même très hostile à cela. Sa conception du socialisme est avant tout fondée sur la liberté, sur la démocratie, et la mondialisation et pas du tout sur le parti unique.
Cela ne relève-t-il pas également, d’une volonté de non débat sur le capitalisme moderne?
Enormément de choses s’écrivent sur le capitalisme moderne. Simplement, cela repose souvent sur une pensée antimondialiste ou sur une pensée euphorique de la mondialisation, pas sur la nécessité d’un capitalisme triomphant pour en finir avec le capitalisme. Ce qui est la posture très intéressante de Marx, qui voyait la mondialisation du capitalisme comme la condition de sa disparition.
Selon-vous le libéralisme serait une idée de gauche et l’individualisme une idée de droite…
Le libéralisme est une idée de gauche dans la mesure où il repose sur une idée beaucoup plus vaste que ce qu’on entend par le libéralisme économique. C’est d’abord la démocratie, la liberté de chacun de s’exprimer et d’avoir les moyens de développer la liberté. Donc c’est une valeur de gauche. Mais naturellement, elle ne peut se réaliser qu’à condition d’avoir des institutions, des infrastructures et en particulier des mécanismes collectifs qui permettent au libéralisme, intellectuel, culturel, et social de se développer. Tandis qu’évidemment, la liberté individuelle fondée sur l’égoïsme du chacun pour soi, est une idée de droite.
On constate cependant, là aussi, deux réalités entre la définition théorique du libéralisme et sa mise en œuvre pratique …
Pour moi, le libéralisme ne doit pas s’entendre dans sa définition économique mais dans une dimension globale. D’autre part, je pense, comme Marx, que l’au-delà du capitalisme n’est pas dans la protection du système antérieur.
Où situez-vous la notion de pouvoir chez Marx ?
Pour Marx, le pouvoir appartient à ceux qui détiennent les équipements de production, c’est-à-dire, la terre et le capital. Les appareils d’Etat ne sont que les représentants ou les acteurs de ces forces. Pour lui, l’enjeu de pouvoir se situe dans l’affrontement entre ceux qui disposent du capital et ceux qui devraient l’avoir. Le seul système politique qui prévaut, c’est la démocratie parlementaire.
Quand il aborde ce sujet vers 1871, vous écrivez : » la social-démocratie est née « . Où situeriez-vous la social- démocratie actuelle dans la conception du penseur ? Un détournement du socialisme ?
Sans vouloir faire tourner les tables, je pense qu’aujourd’hui Marx trouverait à l’échelle de chaque pays une forme de social-démocratie acceptable en terme d’organisation sociale. Mais il trouverait aussi qu’elle est très très insuffisante, puisqu’elle n’organise pas les conditions de la lutte à l’échelle mondiale. Donc, Marx serait certainement partisan d’une coalition des syndicats et des partis de gauche à l’échelle mondiale, pour créer les conditions d’un gouvernement mondial.
Ce que l’on constate c’est justement, l’inexistence d’organisation d’un pouvoir mondial. Hormis l’argent et les armes, qu’elles alternatives ?
Les idées. Pour développer par exemple le micro crédit, tout ce qui se fait avec les ONG, comme le mouvement de la gratuité… Il faut aussi s’appuyer sur le développement technologique qui aide beaucoup. Les évolutions technologiques cassent les pouvoirs et les remplacent par des options beaucoup plus décentralisées et foncièrement subversives.
Peut-on croire à une hypothétique régulation interne de l’économie ?
On peut l’organiser en tout cas. Je crois qu’un gouvernement mondial est possible. Il passe, en premier lieu par les gouvernements continentaux, d’où l’importance d’une démocratie véritablement politique et sociale en Europe.
Quels sont les héritiers de la pensée de Marx aujourd’hui ?
Il y a quelques grands économistes qui se réfèrent à lui. Il y a dans le mouvement international socialiste et dans une petite partie du mouvement alter mondialiste des courants qui renvoient à son analyse. Ce que Marx aurait voulu aujourd’hui, c’est la construction d’un grand mouvement syndical et politique planétaire.
Recueilli par Jean-Marie DINH
A l’invitation conjointe de la Librairie Sauramps et de l’association Economie, développement et citoyenneté, Jacques Attali était à Montpellier vendredi 27 janvier où il a participé à un débat présidé par Jean-Claude Gayssot.
Voir aussi : Rubrique Livre Politique, Rencontre surréaliste entre Marx et le père noël,