L’aventure ouvrière et sociale de Vio.Me

Les ouvriers devenus leur propre patron

Les ouvriers devenus leur propre patron

Cinéma
Le documentaire « Soyons tout ! de Apostolos Karakasis retrace le combat des employés de l’usine Vio.Me à Thessalonique en Grèce qui ont refusé la fatalité en créant une coopérative.

Pour Vio.Me (Soyons Tout ! pour le titre français) Apostolos Karakasis n’a pas planté son décors dans les merveilleux sites antiques qui foisonnent sur les couvertures en papier glacés des produits touristiques. On est à Thessalonique grande ville du Nord au passé cosmopolite ayant pâti de nombreux conflits liés à sa situation géopolitique, la caméra circule dans la zone industrielle, grise et déserte avec ses constructions en ciment mal lissées et ses tôles ondulées. Mais aussi ses hommes, ouvriers usés et désespérés à l’idée que le travail s’arrête. Ce qui signifie bien des conséquences pour leur famille. Cette histoire est devenue un symbole comme ce fut le cas, avec le combat des ouvriers de Lip où plus proche de nous celle des salariés de l’usine Fralib de Gémenos, une zone franche à l’est de Marseille.

Lors de la fermeture de l’usine grecque de matériaux de construction, Vio.Me, à Thessalonique, 70 employés courent le risque de ne plus jamais trouver de travail. Ils décident alors d’occuper l’usine et de la faire fonctionner eux­-mêmes. Sur les ruines de l’économie la plus ravagée d’Europe, une utopie égalitaire est en train de naître. Mais un an après l’occupation, des conflits internes surgissent. La coopérative des travailleurs de Vio.Me décide d’orienter la production en fabriquant des savons, des détergents naturels, respectueux de l’environnement pour porter le message « d’un mode de vie radicalement différent. » La chaîne de solidarité s’étend à toute l’Europe où les produits Vio.Me sont diffusés par des collectifs, des syndicats, des coopératives … Depuis 6 ans, l’aventure continue !

L’émancipation en lumière
Signe des temps, certains salariés ne se résignent pas à la disparition de leur activité et souhaitent créer une société coopérative, un engagement impliquant de relever de multiples défis. Avec son documentaire Soyons tout ! le réalisateur grec Apostolos Karakasis traque la force intérieure qui donnent à ces hommes le courage d’agir.  Les coups de mou et de remise en question, le soutien à l’intérieur des foyers, la tension, le  doute, les conflits internes, mais aussi les batailles gagnées, la solidarité des usagers, la médiatisation, le renfort des personnalités publiques. S’il égratigne les politiques et les patrons, ce n’est pas la lutte sociale que le réalisateur met au centre de son film. C’est d’abord le parcours humain et la lumière intérieure des hommes qu’a choisit d’éclairer Apostolos Karakasis. Toute la beauté du film apparaît dans la perception de ces travailleurs qui se déploient dans un univers autre, en s’émancipant du triste rapport de production auquel se résumait leur vie.

Les films des deux rives
Le film est distribué par la société montpelliéraine Les films des deux rives qui fête ses dix années d’existence. La vocation première de cette entreprise était de faire exister les films de réalisateurs algériens en France. On trouve dans son catalogue des films comme Normal de Merzac Allouache, La place de Dahmane Ouzid, ou L’insoumis de Lyazid Khodja et Rachid Benallal. Les  Films des deux rives est  également orienté dans la distribution de films à caractère social. Dans ce registre on peut citer On revient de loin, et Opération Correa de Pierre Carles, ou encore Howard Zinn, une histoire populaire américaine  réalisé par Olivier Azam et Daniel Mermet. Le second volet de ce passionnant regard sur l’histoire américaine sortira en 2018. On attend aussi  en février Vivir y otras ficciones du réalisateur espagnol Jo Sol, lauréat de l’Antigone d’or du Cinemed en 2016.

JMDH

Source La Marseillaise 14/12/2017

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Société, Mouvements sociaux, rubrique UE, Grèce, Pratique égalitaire de la distribution du pouvoir,

Les espoirs du peuple tunisien toujours d’actualité

L’implication totale des femmes tunisiennes a été et reste déterminant pour la démocratie. Photo DR.

Le réalisateur Christophe Cotteret présente en avant-Première « Démocratie année zéro » qui retrace la fulgurante révolution du jasmin, des révoltes de 2008 aux premières élections libres.

A quelques jours des élections législatives tunisiennes qui se tiendront dimanche prochain, le documentaire Démocratie Année zéro réalisé par Christophe Cotteret sera projeté ce jeudi 23 octobre en avant-première à Montpellier. En deux chapitres et un an d’investigation le film distribué par Les films des deux rives s’appuie sur le regard des principaux opposants et acteurs à l’origine de la révolution tunisienne. Il apporte un éclairage nécessaire à la compréhension des événements.

Le réalisateur belge retrace l’histoire contemporaine depuis les révoltes du bassin minier de Gafsa en janvier 2008 aux premières élections libres d’octobre 2011 en passant par l’immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid qui a embrasé le monde arabe en précipitant la chute de Ben Ali, Moubarak et Kadhafi et en portant l’incendie à Bahreïn, au Yémen et en Syrie. Avec ce récit au long court du combat contre la corruption d’un pouvoir népotique jusqu’au processus de transition, Christophe Cotteret osculte la réalité tunisienne tout en interrogeant la capacité universelle d’un modèle révolutionnaire au XXIe siècle.

Trois ans plus tard, où en sont la liberté, la démocratie et la justice sociale revendiquées ? Dimanche, les Tunisiens sont appelés à choisir les 217 membres de leur première Chambre des représentants du peuple, élue en vertu de la Constitution du 27 janvier 2014. 1327 listes électorales se disputent la sympathie de 5 236 244 électeurs. Ce nombre colossal de listes candidates fait planer le risque d’une dispersion des voix, comme ce fut le cas en 2011.

On s’attend à un fort taux d’abstention qui s’explique en partie par la non-inscription sur les listes électorales mais surtout par la pauvreté des propositions politiques. Le parti musulman Ennahdha et le parti social- démocrate de Nida Tounes devraient se partager la majorité des suffrages mais aucun n’obtiendra la majorité absolue.

Le peu d’intérêt des Tunisiens pour ces élections pourrait paraître inquiétant dans une démocratie naissante mais comme l’analyse l’écrivain Gilbert Naccache* dans le film c’est une révolution de la société civile contre la société politique toute entière, la première du XXI siècle.

Jean-Marie Dinh

* voir les propos de Gilbert Naccache dans la bande annonce du film.

Entretien avec Christophe Cotteret

f1Unzka6D’où est partie l’idée du film ?

Je me trouvais à Tunis quelques mois avant le déclenchement de la révolution. On sentait les événements venir. J’ai rencontré plusieurs futurs protagonistes de la révolution avant le 17 décembre avec qui je suis resté en contact. Cela m’a donné envie de travailler sur cette histoire en revenant sur les bases pour restituer un récit sur le long terme.

Le film démarre en 2008 avec la révolte des mineurs de la région Gafsa, épicentre du mouvement, qui cumule deux problèmes majeurs, disparité régionale et pauvreté…

Dans le sud-ouest, la ville de Redeyef est un bastion ouvrier dont le pouvoir s’est toujours méfié. Ce n’est pas la région la plus pauvre mais elle rencontre de grandes difficultés en partie liées à l’exode lybien. Les événements de 2008 sont très importants. Ils annoncent des transformations dans la lutte sociale comme l’occupation par de jeunes chômeurs du siège régional de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui débouche sur une transformation de l’action syndicale.

L’unité de la population et notamment l’action des femmes s’est avérée déterminante …

Oui, ouvriers, chômeurs, lycéens et habitants ont multipliés les grèves et les actions. A propos de la Tunisie, on a parlé de révolution de palais et de manipulation américaine mais tout est parti d’un petit noyau d’activistes. Quatre personnes entraînent quatre autres personnes et si la police, envoyée sur place pour réprimer, tue cela passe à 400 personnes puis 800 et le mouvement s’étend rapidement passant des révoltes à une révolution.

Dans la seconde partie, vous suivez les jeunes acteurs de la transition politique dont l’arme la plus redoutable a été la circulation de l’info. Elle a aujourd’hui trouvé ses limites ?

Cette jeunesse est dépossédée de son pouvoir politique et elle peine aujourd’hui à réunir 100 personnes mais elle a grandement contribué à sortir de la dictature. Durant le mouvement ce ne sont pas les réseaux sociaux qui ont permis la chute de Ben Ali, ce sont les activistes qui ont utilisé ce médium. Après le renversement du régime les réseaux sociaux sont devenus un lieu de désinformation utilisé par tous les partis. Le problème de l’information concerne aussi la formation des journalistes. Quand vous avez relayé les infos du ministère de l’Intérieur pendant des décennies, vous ne devenez pas du jour au lendemain un journaliste d’investigation.

Avec l’entrée médiatisée d’Ennahdha dans la campagne vous évoquez la remise sur le devant de la scène d’une problématique qui arrange tous les partis et rassure sur la portée des réformes…

Dans un pays où la majorité de la population se déclare religieuse, cette question doit être abordée globalement. Ennahdha regroupe des franges de la population qui correspondent à un vrai électorat. Pour les partis musulmans radicaux ce parti s’éloigne de la pratique des «bons musulmans», pour les laïques il va restreindre dangereusement les libertés tandis que les libéraux y voit un cheval de Troie potentiel pour le retour de l’ancien régime.

Mais la vraie question c’est de réduire le chômage et relancer l’économie partout dans le pays.

Recueilli par JMDH

Source : La Marseillaise 23/10/2014

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Tunisie, La faiblesse du président Marzouki, Les éditocrates repartent en guerre, rubrique PolitiqueMoyen Orient, Agiter le peuple avant de s’en servir, rubrique Rencontre, Nadia El Fani,

 

Grand écran sur l’Algérie contemporaine

La Chine est encore loin de Malek Bensmaïl, un des films projetés

7e art.  Regards sur le cinéma algérien s’ouvre à Montpellier. La manifestation offre un panorama sur les films du XXIe siècle dans toute la région jusqu’au 12 avril.

Ce n’est pas un festival mais un panorama sur ce qui se fait aujourd’hui en matière de 7ème art en Algérie. A l’initiative du collectif * Regards sur le cinéma algérien, la manifestation du même nom ne cherche pas à faire recette comme elle le pourrait en se concentrant sur un festival. « Nous voulons faire connaître la culture algérienne et favoriser le dialogue entre les cultures », confirme le vice-président Jacques Choukroun.

En 2010 Regards sur le cinéma a rassemblé 2 700 spectateurs, chiffres liés à la billetterie des salles de cinéma associées à la manifestation. Ce partenariat figure aussi comme une des particularités de cette initiative qui travaille avec les exploitants de salles. « C’est un vrai casse-tête au niveau de la logistique, mais nous laissons aux salles la liberté de choisir les films qui seront projetés », témoigne Pauline Richard en charge de la programmation.

La grande majorité des films proposés cette année sont nés au XXIe. Parmi les longs métrages, on pourra découvrir en avant-première La place, de Dahmane Ouzid qui viendra présenter la première comédie musicale algérienne, ou encore Guerre sans images, un film poignant et une réflexion sur les usages de l’image. Le documentaire de Mohammed Soudanni (invité de la manifestation) retrace le retour en Algérie trente ans plus tard, d’un photographe suisse ayant couvert la période de la terreur, qui va à la rencontre des victimes.

La série de courts métrages s’ouvre largement à la jeune création qui décline les problèmes de la jeunesse, notamment celui de vivre sa vie sexuelle. L’édition 2011 rend aussi hommage au cinéma berbère avec trois réalisateurs invités : Belkacem Hadjads (Machaho), Djamel Bendeddouche (Areski l’indigène) et Ali Mouzaoui (Mouloud Ferraoun).

Une cinématographie qui reste à découvrir y compris en Algérie. Avec les années noires, le pays a perdu son réseau de cinémas et en dix ans, le gouvernement n’a pas réussi à ouvrir une seule salle. S’ajoute le problème de la production. Il sort en Algérie 2 à 3 films par an, contre 200 en France. Les vingt films visibles sur les écrans de la région jusqu’au 12 avril permettent de parcourir l’essentiel de la production cinématographique algérienne actuelle. Une chance !

*Le collectif se compose notamment de Identités et Partage, France Algérie Méditerranée, MRAP, Pêcheurs d’images, la Fédération des cinés clubs, l’Institut Jean-Vigo, les Films des deux rives, ainsi que l’Association des réalisateurs professionnels algériens. Rens : 09 54 82 57 60.

Le cinéma vecteur d’expression : Ce que disent les films algériens de la société et de la vie est-il politique ?

La révolution tunisienne pose l’inévitable question de la situation politique algérienne. On sait que le pouvoir algérien a réagi très vite. Dès les premières manifestations de rue liées à l’augmentation des prix des aliments de bases, il a suspendu la hausse pour faire baisser la tension. Il en a les moyens. En matière de liberté d’expression le pouvoir adopte peu ou prou la même stratégie. La relative liberté laissée aux réalisateurs consiste à soulever la soupape.

Avec ses problèmes de diffusion, l’expression cinématographique algérienne se retrouve dans une situation où les films qui sont produits peinent à trouver leur public. C’est actuellement le cas avec le film de Dahmane Ouzid, La place. A première vue, cette comédie musicale est un film joyeux divertissant avec de jolies filles… qui met en scène une bande de jeunes artistes qui galèrent et souhaitent partir en tournée à l’étranger. La sortie du film était prévue cette semaine en Algérie. Elle aurait permis de rire comme les Algériens savent le faire d’eux-mêmes quand ils inventent les hittistes* un synonyme du mot chômeurs. Mais au regard de l’actualité, la sortie a été reportée. Tout se passe comme si les événements du pays voisin avaient modifié l’angle de lecture du film devenu soudainement subversif avec ses propos sur le désœuvrement, et la volonté manifestée de s’exiler à l’étranger. Il est intéressant de noter que la sortie de La Place n’est pas non plus à l’ordre du jour en France.

Les problèmes sociaux comme celui de l’éducation sont abordés de biais comme dans La Chine est encore loin, de Malek Bensmaïl. Le film raconte une enfance dans un village des Aurès et cherche « à comprendre les enjeux du nationalisme et de l’intégrisme à travers le prisme de la transmission des savoirs.

Quand on sait que les autorités ont absolument tenu à bloquer les bus de manifestants en provenance de Kabylie pour que leurs occupants ne rejoignent pas les autres manifestants, on comprend que le film Machalo, tourné totalement en berbère de Belkacem Hadjadj, se pose d’emblée comme une revendication culturelle. De même, il faudrait être aveugle pour ne pas voir dans les courts métrages réalisés par la nouvelle génération, que la société algérienne manque de respiration.

« Les jeunes réalisateurs n’usent plus du discours universaliste de leurs aînés. Et globalement, les scénaristes algériens ont abandonné l’idée qu’ils pourraient être des profs d’idéologie. Mais on n’imagine pas là-bas que la sortie d’un film ne fasse pas débat  » souligne Jacques Choukroun.

Ce qui laisse un avant goût des messages transmis par les cinéastes. Les films que propose Regards sur le cinéma Algérien sont à cet égard passionnants. On peut en découvrir la portée éminemment politique, en demi teinte.

Jean-Marie Dinh

*Hittistes : celui qui tient le mur, expression qui fait référence aux jeunes qui tuent le temps adossés au mur.

Voir aussi :  Rubrique Cinéma, rencontre avec Ali Mouzaoui, Polémique autour du film de Bouchareb , Les Hors-la-loi, de Tewfilk Farès, rubrique Algérie, rubrique livre La colonie Française en Algérie, 200 ans d’inavouable, Laurent Mauvignier Des hommes,