Hollande-Fabius, les errements de la diplomatie française

2012-05-17-120516_delucq_traduction_pt-thumbA l’ombre de Gaza

par Alain Gresh

La manière dont François Hollande et son ministre des affaires étrangères Laurent Fabius ont entériné l’assaut israélien contre Gaza, avec ses innombrables destructions et victimes, a pu étonner ici ou là. Couac de la communication ? Benjamin Barthe, sur le site du Monde, note que la première déclaration de Hollande sur le droit d’Israël à se défendre, sans aucune mention des pertes civiles palestiniennes, venait à la suite d’un coup de téléphone de Benyamin Netanyahou (« L’embarras international face à l’escalade à Gaza », 12 juillet). Le lendemain, le président émettait une nouvelle déclaration « plus équilibrée ». Mais, comme le note le journaliste du Monde, « le cafouillage est néanmoins emblématique de l’embarras des chancelleries européennes et américaine face à la question de Gaza. Insister, comme elles l’ont presque toutes fait à des degrés divers, sur le “droit d’Israël à l’autodéfense” et sur la nécessité de la “retenue”, ne suffit pas à leur donner de prise sur le terrain ». Cela équivaut, en réalité, à une « carte blanche » laissée au gouvernement Netanyahou.

Selon un responsable de l’Elysée, la position de la France « reste fondée sur l’équilibre ». Equilibre entre l’occupant et l’occupé ? Entre les quelque 200 morts palestiniens et les « zéro mort » côté israélien ? Quand le général de Gaulle critiquait l’agression israélienne de juin 1967, il ne faisait pas preuve d’équilibre. Quand les Etats européens réunis à Venise en 1980 demandaient le droit à l’autodétermination des Palestiniens et à un dialogue avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), ils ne faisaient pas preuve d’équilibre. Quand Jacques Chirac s’indignait, lors de sa fameuse visite à Jérusalem en 1996, du comportement des troupes d’occupation, il ne faisait pas preuve d’équilibre.

Cette notion d’équilibre est souvent mise en avant par les médias, mais il est curieux qu’elle ne le soit que pour le conflit israélo-palestinien : ni sur l’Ukraine, ni sur la Syrie, ni sur la plupart des autres crises, les journalistes n’invoquent l’équilibre ; pourquoi le font-ils seulement sur la Palestine ? Rappelons que le rôle des journalistes n’est pas d’être équilibrés, mais d’expliquer les faits, d’expliquer les réalités (lire l’excellent article de Marwan Bishara, « De la responsabilité des journalistes, des médias et de la Palestine », Infopalestine, 9 juillet). Pour reprendre, en la changeant, une formule célèbre, l’objectivité ce n’est pas « cinq minutes pour les Noirs d’Afrique du Sud, cinq minutes pour le régime de l’apartheid ».

Revenons aux déclarations françaises. Si elles s’inscrivent dans la continuité de celles que faisait naguère Nicolas Sarkozy, elles sont en rupture avec un demi-siècle de diplomatie menée par Paris. On a assisté depuis dix ans, dans le plus grand silence, à un virage de la diplomatie française. Entamé à la fin du mandat de Jacques Chirac, il a été accentué par Nicolas Sarkozy et par François Hollande. Et il touche tous les domaines, pas seulement le conflit israélo-palestinien. Il s’est accompagné d’un effacement de la place de la France, qui ne fait plus entendre de voix singulière, si ce n’est, parfois, pour critiquer, « sur leur droite », les Etats-Unis.

Comment définir ce virage ? Certes, Paris n’est pas porteur d’une doctrine totalement élaborée (pas plus, d’ailleurs, que ne l’est le néoconservatisme américain) et des nuances existent entre tel ou tel responsable. D’autre part, cette rupture discrète avec un demi-siècle de diplomatie française (1958-2003) doit tenir compte des contraintes politiques, notamment d’une opinion publique peu sensible aux sirènes de la droite américaine.

Fondamentalement, les responsables français refusent l’idée que le monde serait devenu moins dangereux depuis la fin de la guerre froide. Au contraire. Le terrorisme et l’islamisme menaceraient nos pays, les fondements de la civilisation occidentale, et nous serions engagés dans une « guerre contre le terrorisme » de longue durée. Et ces périls sont accentués par la montée en puissance de pays qui ne partagent pas nos valeurs et qui n’acceptent pas l’ordre international occidental, l’Iran d’abord, mais aussi la Russie et la Chine.

Cette analyse repose en particulier sur la conviction que la France appartient au monde occidental, par opposition notamment au monde islamique. Et le terrorisme représente une menace d’autant plus grave qu’il est relayé par un ennemi intérieur clairement identifié, des musulmans qui se radicalisent — les autorités surfent ainsi sur l’islamophobie dominante, au risque, une fois de plus, de renforcer le Front national.

Cette ligne s’est affirmée avec plus de force depuis l’élection du président Barack Obama, qui a tenté de tirer quelques leçons des désastres enclenchés par son prédécesseur, George W. Bush, en Irak et en Afghanistan. Depuis, la France ne rate pas une occasion de critiquer le manque de fermeté de Barack Obama, que ce soit sur le dossier du nucléaire iranien ou sur l’intervention militaire en Syrie, tout en lui laissant le champ libre pour mener des négociations sur la Palestine (sujet sur lequel Paris sait qu’il ne fera aucune pression sérieuse sur Israël).

Une chose est rassurante : les capacités de nuisance de la France sont limitées. Et si les Etats-Unis décident, par exemple, de signer un accord avec l’Iran, ils ne demanderont pas la permission de Paris. S’ils décident de ne pas intervenir en Syrie, la France est impuissante. Jadis, la position singulière de la France était son meilleur atout ; ce n’est plus le cas aujourd’hui.

L’admiration pour Israël est un autre des piliers de cette diplomatie française. Il ne s’agit pas simplement de philosémitisme, mais d’appui à un pays supposé être à l’avant-garde de la lutte contre le radicalisme islamiste, une pointe avancée de l’Occident. C’était d’ailleurs l’idée centrale de Theodor Herzl, fondateur du sionisme politique, lequel voyait dans l’Etat juif qu’il préconisait un bastion européen face à la « barbarie asiatique ». J’ai rappelé ailleurs la solidarité surprenante de l’Afrique du Sud de l’apartheid — dirigée entre 1948 et 1991 par un parti dont les fondements antisémites étaient avérés — avec Israël : les dirigeants de Pretoria considéraient les Israéliens comme des colons qu’ils admiraient, non comme des juifs qu’ils méprisaient [1]. Cela se confirme aujourd’hui, alors que la plupart des grandes forces politiques européennes d’extrême droite ont rangé l’antisémitisme au magasin des accessoires périmés et l’ont remplacé par une islamophobie militante ainsi qu’une solidarité inconditionnelle avec Israël.

Cette inflexion entraîne, sur ce conflit, une « indignation sélective de François Hollande », comme l’écrit Armine Arefi sur le site du Point (11 juillet), ou comme en témoignent les visites de l’ambassadeur de France dans le sud d’Israël pour rassurer nos compatriotes qui s’y trouvent — le même ambassadeur qui avait salué « l’engagement courageux » de jeunes Français dans l’armée israélienne.

Notons enfin la prise de pouvoir, au sein des instances de l’Etat, d’une nouvelle génération de cinquantenaires qui impulsent ce virage politique : le futur conseiller diplomatique de Hollande, le chef de cabinet de Fabius, le représentant de la France aux Nations unies, le directeur des affaires stratégiques du ministère de la défense. Ni de droite ni de gauche, admiratifs des Etats-Unis, partisans des interventions militaires et de l’OTAN, obsédés par la « guerre contre le terrorisme » et contre l’islam, grands admirateurs d’Israël, ils s’incrustent au cœur de l’appareil d’Etat et garantissent la continuité de la diplomatie française, quel que soit le parti au pouvoir.

Source Les blogs du diplo  15 juillet 2014,

L’après-Hollande a commencé

par Christian Salmon

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C’est le secret le mieux gardé de la République : il n’y a plus de gouvernement. Mais y a-t-il encore un président ? L’affaire de la vraie fausse démission d’Arnaud Montebourg n’est pas un nouveau couac suivi d’un démenti de plus. Elle dit la lutte pour le pouvoir qui s’intensifie dans le vide laissé par la gestion erratique de François Hollande.

C’est le secret le mieux gardé de la République. Il n’y a plus de gouvernement. Bien sûr, il y a encore des ministres qui se rendent à l’Élysée chaque mercredi. Il y a toujours un premier ministre qui s’efforce de conserver sa majorité à l’Assemblée. Mais il n’y a plus de gouvernement. Serait-ce, comme l’écrivait François Mitterrand dans Le Coup d’État permanent, que sous la Ve République « seul le président de la République ordonne et décide » ? Rien n’est moins sûr. D’ailleurs, y a-t-il encore un président à l’Élysée ?

La question n’est plus taboue dans les coulisses du pouvoir. Le doute s’insinue jusque chez ses plus fidèles collaborateurs. Pour certains, nous sommes à la veille d’une crise de régime qui pourrait emprunter les chemins de la dissolution. Pour d’autres, le temps d’une recomposition de la gauche a commencé sur les ruines du vieux parti socialiste. Pour d’autres enfin, l’« après hollandisme » a commencé.

« Hollande le Bref » ou l’obsolescence programmée de la fonction présidentielle. Aux partisans d’une VIe République, il offrirait à la fois le déclin du régime présidentiel et une reparlementarisation de la vie politique sans même changer de Constitution. C’est une stratégie que certains au gouvernement pratiquent déjà ouvertement, comme ce fut le cas en mars lorsqu’ils décidèrent de mettre sous tension la fonction présidentielle en imposant au président de la République le choix de Valls comme premier ministre, une prérogative qui est pourtant un marqueur de la Ve République.

L’affaire de la démission annoncée d’Arnaud Montebourg, explicitée cette semaine dansLe Nouvel Observateur et aussitôt démentie par l’intéressé, vient s’ajouter à la longue liste des couacs, coups de gueule et autres escarmouches qui nourrissent depuis deux ans la chronique de la cacophonie gouvernementale. Du renvoi de Nicole Bricq du ministère de l’écologie un mois après sa nomination, au limogeage brutal de Delphine Batho avant l’été 2013 pour crime de lèse budget ; de la démission annoncée puis abandonnée d’Arnaud Montebourg, désavoué publiquement par Matignon à propos de Florange, à la démission forcée de Jérôme Cahuzac, coupable d’avoir menti aux plus hautes autorités de l’État, le casting gouvernemental est soumis à rude épreuve.

Comment l’interpréter ? Jusque-là, on l’imputait au défaut de leadership de Jean-Marc Ayrault. Avec l’arrivée de Manuel Valls à Matignon, la guéguerre a pourtant redoublé d’intensité entre tribus socialistes. Depuis le mois de mars, elle a gagné les bancs de l’Assemblée où les opposants au gouvernement se comptent : ils étaient 11 conjurés au début, lors du discours de politique générale de Manuel Valls ; plus de 40 à s’abstenir sur le plan de 50 milliards d’économies des dépenses publiques, et voilà qu’ils lancent l’« Appel des cent ». Mais si on les interrogeait sous couvert d’anonymat, me dit un député socialiste, les deux tiers du groupe socialiste seraient d’accord avec les frondeurs.

À Solférino, on réclame un chef, capable de livrer bataille. Le parterre s’impatiente. Quand la bataille des idées s’éteint, que les projets de transformation cèdent la place aux calculs des comptables, le vieux bonapartisme renaît de ses cendres. Déjà Valls perce sous Hollande. Il a entamé sa marche sur Rome ; « sa marche sur les Roms », rectifie un député frondeur !

Ainsi va la France « personnalisée », écrivait Mitterrand…« Je connais des Français qui s’en émerveillent, qui ne sont pas choqués de voir leur patrie réduite aux dimensions d’un homme… Ils ont du vague à l’âme dès qu’ils sont privés du frisson que leur procure le meilleur artiste de la télévision, le dernier des monstres sacrés… Ils ont hâte de voir une tête dépasser le rang et d’obéir à la vieille musique du droit divin tirée de la mythologie du moment. » Ces lignes ont été écrites par François Mitterrand il y a un demi-siècle et elles n’ont rien perdu de leur actualité.

C’est que rien n’a changé ! Nous sommes sous le même régime dont les effets de personnalisation ont été aggravés par l’apparition des chaînes d’info en continu. Depuis trente ans, alors que la vie politique médiatique se concentre de plus en plus sur la conquête du pouvoir présidentiel – l’élection au suffrage universel devenant non seulement le moment clé de la vie démocratique, mais l’élément qui surdétermine entre deux élections toutes les stratégies des acteurs –, les attributions du président se dissipent, se dispersent. Les enjeux nationaux se réduisent à l’élection ou la réélection d’un homme. La Nation réduite aux dimensions d’un homme…

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Cette personnalisation s’accompagne d’une « virilisation » de la politique. Triomphe des postures martiales et des coups de menton. Cécile Duflot souligne à ce propos un paradoxe intéressant : « Plus l’exercice du pouvoir se révèle difficile dans un monde mouvant et complexe, plus les caractéristiques que l’on attend d’un homme politique se durcissent, se virilisent : mâchoire carrée, menton en avant, discours martial. Cela crée une sorte de dissonance cognitive entre l’idéal type du mec autoritaire et le fait qu’on voit bien qu’il ne tient rien. »

Plus l’État est désarmé, plus il doit afficher son volontarisme. La posture du « volontarisme » néolibéral est la forme que prend la volonté politique lorsque le pouvoir est privé de ses moyens d’agir. Mais sa crédibilité est gagée sur la puissance effective de l’État. Si cette volonté affichée n’est pas suivie d’effets, le volontarisme est démasqué comme une posture. Il faut donc qu’il redouble d’intensité, qu’il s’affiche avec plus de force pour se recrédibiliser, démonstration qui va accentuer encore le sentiment d’impuissance de l’État.

Cette personnalisation s’accompagne d’une « virilisation » de la politique. Triomphe des postures martiales et des coups de menton. Cécile Duflot souligne à ce propos un paradoxe intéressant : « Plus l’exercice du pouvoir se révèle difficile dans un monde mouvant et complexe, plus les caractéristiques que l’on attend d’un homme politique se durcissent, se virilisent : mâchoire carrée, menton en avant, discours martial. Cela crée une sorte de dissonance cognitive entre l’idéal type du mec autoritaire et le fait qu’on voit bien qu’il ne tient rien. »

 

Plus l’État est désarmé, plus il doit afficher son volontarisme. La posture du « volontarisme » néolibéral est la forme que prend la volonté politique lorsque le pouvoir est privé de ses moyens d’agir. Mais sa crédibilité est gagée sur la puissance effective de l’État. Si cette volonté affichée n’est pas suivie d’effets, le volontarisme est démasqué comme une posture. Il faut donc qu’il redouble d’intensité, qu’il s’affiche avec plus de force pour se recrédibiliser, démonstration qui va accentuer encore le sentiment d’impuissance de l’État.

La « dorsale libérale »

C’est la spirale de la perte de légitimité. Et c’est ce que n’a cessé de faire François Hollande depuis deux ans. « Je suis en ordre de bataille. Je suis le chef de cette bataille. J’avance », affirmait-il, bravache, au début de son mandat, essayant de recycler ses galons de chef de guerre obtenus au Mali dans la bataille pour l’emploi. Il allait renégocier le traité européen, réveiller la croissance, redonner confiance aux investisseurs et, comme Hercule retournant Lichas, inverser la courbe du chômage.

Il décréta la pause fiscale qui ne vint jamais, déclara prématurément la guerre en Syrie, stoppée par le veto de Washington, et se vit obligé de rappeler Leonarda que son ministre de l’intérieur avait expulsée, mais sans ses parents…

L’histoire de Florange est exemplaire, me confie un ex-ministre : « Le président a laissé prospérer deux solutions opposées au lieu de mettre tout le monde autour de la table et de faire converger les points de vue. Il a laissé diverger les deux options et il a tranché quand c’était trop tard. » Quels que soient les sujets : Florange, mariage pour tous, droit de vote des étrangers, transition énergétique, réforme pénale, « il a tranché la où il fallait rassembler et il a tenté de rassembler là où il fallait trancher ».

La chronique du hollandisme n’est qu’une suite de couacs, d’annonces démenties et de décisions non suivies d’effets. « Mépriser les hauts et repriser les bas », disait Chirac. Hollande se contente de la seconde partie du programme. « Reprise » est la devise de son quinquennat. C’est la partition du hollandisme. Hollande n’exerce pas le pouvoir, il l’interprète.

Depuis deux ans, il donne de la fonction présidentielle une interprétation toute en nuances, composant par petites touches l’autoportrait d’un prince paradoxal, soumis aux injonctions contradictoires de l’austérité et de la croissance, du désendettement et du redressement. Un président à souveraineté limitée, conforme à la situation des États européens, contenue par le corset étroit des règlements qu’a tissés l’Union européenne depuis le traité de Maastricht, soumis à la tutelle des marchés et des agences de notation. Un conseiller de Bercy constate amèrement : « On mobilise plus d’efforts diplomatiques pour défendre la BNP aux États-Unis qu’on ne l’a fait pour défendre les marges budgétaires et la réorientation de l’Europe. »

 

« En juin 2012, me confie un ex-ministre, François Hollande est allé à Bruxelles pour renégocier le traité européen. Nous savons maintenant qu’il ne l’a pas fait. Il a demandé deux années de non-application du traité contre l’abandon de sa politique de croissance. Il a demandé du temps. Ce n’est pas une négociation ça. Il a demandé deux ans pour appliquer un traité alors qu’il avait été élu pour le renégocier. »

 

Un ex-conseiller de Bercy ne mâche pas ses mots : « Ce qui manque à cette équipe, c’est une architecture intellectuelle solide, capable d’opposer à la logique ordo-libérale allemande une stratégie et une alternative. Tout cela s’explique non pas par la mauvaise foi, mais par la foi justement, la croyance collective dans la performativité des normes juridiques contenues dans les traités. C’est la foi des comptables du Trésor, des juristes, des hauts fonctionnaires, très compétents en matière de normes mais qui ne sont pas économistes… Tout cela a eu pour effet de déporter l’analyse de la conduite des affaires, de l’intelligence des mécanismes de base et des lois économiques vers le juridisme des négociations diplomatiques inter-européennes. Les leçons de l’histoire économique sont oubliées au profit de rituels d’obéissance et de sacrifices. À la connaissance des lois économiques, on préfère les invocations empruntées à la novlangue européenne (restaurer la confiance, rembourser, efforts, sérieux)… qui percole dans les élites. Une grammaire du renoncement… »

 

Le nouveau gouvernement a ancré toute sa politique dans la négociation inter-européenne en acceptant le cadre et les présupposés (les 3 %, l’euro fort, le Code du travail)… La peur des marchés, qui a pris la forme d’une véritable paranoïa dans les premiers mois du quinquennat, l’a conduit à sous-estimer la capacité de la BCE à agir sur les taux par exemple, et à permettre des politiques de court terme pour relancer la croissance, qui seule permet de réduire la dette.

Tout le champ de la politique a été laissé au néolibéralisme anglo-saxon (dérégulation, intervention de l’État, financiarisation) et à l’ordo-libéralisme allemand rigide (empire de la norme, la faute de l’endettement, la rigueur budgétaire réparatrice…). Les contradictions entre le FMI et la politique européenne menée sous influence allemande s’expliquent par l’opposition de ces deux libéralismes…

« La dorsale libérale de ce gouvernement a adopté tous les thèmes bruxellois, s’emporte un actuel conseiller de Bercy, forteresse de l’économie désormais occupée par Arnaud Montebourg. Pendant que le ministre s’égosillait sur l’euro, sur les comportements de la commission de Bruxelles, eux jouaient aux bons élèves de la classe européenne. Sur les affaires budgétaires, on est les caniches, les toutous de la commission de Bruxelles qui elle-même est contestée par le monde entier, du FMI à l’OCDE et jusqu’au gouvernement américain… Depuis deux ans, nous plaidons au sein de ce gouvernement pour une politique alternative ; deux années d’isolement, de combat intérieur, de désolation et de défaite morale. »

 

« Florange est la victoire de Mittal qui paye son endettement personnel avec les bijoux de famille industriels de la France, renchérit un autre conseiller du ministère de l’économie. La loi bancaire a réjoui les banquiers et, quand un banquier est content, c’est  inquiétant. Kron, le PDG d’Alstom, c’est la trahison des clercs. Il s’est essuyé les pieds sur le pouvoir politique. Il a dit aux Américains : “Vous me sauvez des accusations de corruption et je vous donne Alstom.” »

La forme ultime de l’insouveraineté

Toutes sortes de raisons (erreurs de communication, absence d’un récit cohérent, amateurisme dans la conduite du gouvernement) ont été invoquées par les médias pour expliquer cette « gestion » erratique du pouvoir. En réalité, aucune ne permet de saisir la logique à l’œuvre : une perte de souveraineté qui affecte toutes les instances du pouvoir, et au premier chef la fonction présidentielle. « Le Titanic avait un problème d’iceberg. Pas un problème de communication », twittait récemment Paul Begala, qui fut l’un des architectes de la victoire de Bill Clinton en 1992. C’est la même chose pour François Hollande ; il n’a pas un problème de communication, il a un problème de souveraineté.

« C’est une énigme simple et une équation complexe à deux variables : les institutions + la personnalité, me confie un député. Marx parle, dans Les Luttes de classe en France, du crétinisme parlementaire. Là, on est face au crétinisme présidentiel. Le président n’étaye pas sa pensée. Il refuse le débat interministériel, méprise l’expertise sous forme d’anti-intellectualisme, tout en affichant l’arrogance de la technocratie omnisciente… »

 

L’homme réputé le plus puissant de la nation est un homme qui doit négocier ses marges de manœuvre avec la commission de Bruxelles ou la chancellerie à Berlin. Le monarque républicain est un homme fragile, malmené par les médias, humilié par les sondages d’opinion, dont la politique ou la moindre déclaration est soumise à la surveillance des marchés et des agences de notation. C’est un souverain sans monnaie ni frontières. Un souverain sans souveraineté.

De la fonction présidentielle ne subsistent que le rituel, le décorum, les huissiers avec leurs chaînes, les hôtels particuliers du Monopoly auquel s’adonne et se distrait l’élite politico-médiatique. Faute de puissance d’agir, reste la mise en scène de la souveraineté perdue ; c’est ce qui donne à l’exercice du pouvoir par François Hollande son côté spectral, crépusculaire, et pas seulement spectaculaire.

Du coup, l’exercice du pouvoir politique est frappé de soupçon ; ce qui donne à la scène politique son aspect de farce insupportable, de comédie des erreurs. Peut-être y a-t-il une forme de lucidité dans le fait d’avoir porté au pouvoir un blagueur. « Gouverner, c’est pleuvoir », a-t-il l’habitude de plaisanter pour relativiser son impuissance. La bonhomie de François Hollande est peut-être un signe des temps. La bulle de blagues dans laquelle il s’enferme le protège du réel qui ne cesse pourtant de frapper à la porte de son palais.

Ces retours du réel constituent une chaîne de démentis. Démenti des chiffres (du chômage, de la croissance). Démenti des événements. Désaveu des électeurs. Un seul désaveu en trois personnes : Mittal, Cahuzac, Le Pen. La crise de la Ve République est une crise de l’action politique, c’est-à-dire une crise des « enchaînements » qui permettent aux gouvernants de réagir par des décisions effectives aux situations qui mettent en péril leur pouvoir (dévaluation, levée de l’impôt, mobilisation, déclaration de guerre, etc.)

C’est peut-être la raison cachée « ironique » du choix de François Hollande par les Français. Nicolas Sarkozy se débattait encore avec une fonction présidentielle affaiblie par le quinquennat, surjouant la familiarité avec les grands de ce monde, traitant son premier ministre de collaborateur, humiliant ses ministres pour tenter de rehausser la fonction. Le candidat normal incarne mieux que quiconque la figure de l’insouverain. François Hollande l’assume sans état d’âme, avec une forme d’abnégation et de bonhomie, en pédagogue, en artisan de l’impuissance. Moi, Président ?, semblait-il s’interroger à l’avance dans sa célèbre anaphore du débat présidentiel de 2012. Son mandat restera comme une école du renoncement.

Car le hold-up initial achève de se retourner contre ses auteurs. Après avoir ravi au gouvernement tous ses pouvoirs, en 1958, le président de la République s’est fait voler son butin au cours d’une série de casses audacieux, avalisés par une série de traités, depuis le traité de Maastricht, en 1992, jusqu’au traité de Lisbonne, en 2007. C’est le moment clé du retournement de la monarchie élective voulue par de Gaulle. En concentrant au sommet de l’État tous les pouvoirs de l’exécutif, la Constitution de la VeRépublique a facilité la tâche des cambrioleurs ; c’était un jeu d’enfant de s’emparer de la souveraineté étatique ! Ces hold-up successifs constituent le véritable coup d’État permanent, un coup d’État contre la souveraineté nationale. Mais, contrairement à celui dénoncé par Mitterrand en 1964, celui-là a été opéré au nez et à la barbe des Français et contre leur volonté explicite exprimée en 2005.

Les ultimes scrupules (ou maladresses) de Jacques Chirac, qui décida d’organiser en 2005 le référendum constitutionnel, n’y ont rien changé. On s’essuya les pieds sur la volonté populaire. Sans doute le processus inauguré à Maastricht était-il trop avancé. Sans doute les classes dirigeantes du pays avaient-elles confondu les bonnes pratiques européennes et les mauvaises habitudes françaises, les choix difficiles et les solutions de facilité, chaque fois qu’il s’est agi de désarmer l’État. On parla de construction européenne quand il eût fallu dire « déconstruction » du cadre de la souveraineté populaire. On fit miroiter les États-Unis d’Europe pendant que l’on démontait la République. On évoqua l’élargissement de l’Europe quand c’était le cadre national qui s’étiolait.

On parla de projet, d’horizon, de dessein quand l’action politique se bornait de plus en plus à faire accepter et appliquer les injonctions venues de Bruxelles. On parla de changement quand il ne s’agissait plus que d’imposer le statu quo des traités européens.

On euphémisa les abandons de souveraineté en les qualifiant de transferts de compétences. François Mitterrand ne se payait pas de mots, lui, quand il déplorait l’attitude du premier ministre sous la Ve République « qui, plutôt que de déplaire à l’hôte de l’Élysée, se dépouille lui-même peu à peu des prérogatives que lui confère la Constitution ». Il parlait de « strip-tease ». Aujourd’hui, ce n’est plus seulement le premier ministre qui se dépouille de ses pouvoirs constitutionnels pour les céder au monarque républicain, c’est le monarque républicain lui-même, depuis Maastricht, qui abandonne un à un ses attributs et ses pouvoirs pour le plus grand plaisir de l’élite néolibérale. Un strip-tease.

La République enlève le haut et le roi est nu. C’est le paradoxe terminal de la VeRépublique. François Hollande est l’enfant d’un paradoxe. Il n’en est pas la cause. Tout au plus une circonstance aggravante. La Ve République finissante lui a laissé ce rôle de composition : une présidence de bas régime. Il est la forme ultime de l’insouveraineté.

Le pouvoir politique en France est d’essence volatile, instable. Ôtez-lui ses gigantesques condensateurs que sont les institutions, et il se disperse, se déverse dans les rues, se répand dans les airs et les esprits. C’est la chimie de la démocratie française, avec ses matériaux inflammables et ses refroidisseurs, avec son lyrisme des rues et sa langue d’État, avec ses brusques révolutions et ses mornes restaurations, avec ses classes dangereuses et ses élites défaitistes, avec ses vagues d’immigration et ses ressacs identitaires, son anarchisme, son irrédentisme et ses reprises en main brutales et parfois sanglantes, Versailles et Valmy.

Les constitutions s’essaient à réguler ces courants contraires. Ce sont des constructions fragiles, des composés chimiques dont la stabilité est faite pour un peuple et une époque donnés. Leur légitimité dépend de leur capacité effective à mobiliser les moyens de l’État à des fins collectives. Cette capacité fonde la croyance en la possibilité d’agir sur le monde et de s’y orienter librement. Les régimes tombent quand ils ne sont plus capables d’assurer cette croyance légitime…

C’est ce qui est en train d’arriver à la Ve République.

Source Médiapart 22/06/2014

Voir aussi : Rubrique Actualité France, rubrique Politique, rubrique Politique économique, rubrique Science politique,

Lettre ouverte à François Hollande après sa visite à Rodez

musee-soulages-l-inauguration-comme-si-vous-y-etiez_886761_500x333pRodez – Le maire de Rodez, Christian Teyssèdre (PS), a déploré jeudi « l’absence totale » d’aide de l’Etat au fonctionnement du musée Soulages, labellisé « musée de France », que le président Hollande inaugurera vendredi.

L’Etat ne donne pas un centime pour le fonctionnement des trois musées de notre ville auxquels il a accordé le label +musées de France+« , a expliqué à l’AFP M. Teyssèdre, évoquant le musée Soulages, le musée des beaux-arts Denys-Puech et le musée d’histoire et d’archéologie Fenaille abritant une collection unique de statues-menhirs.

Le maire a pointé « des inégalités territoriales« en disant: « Ici, à Rodez, les +musées de France+ sont financés à 100% par le contribuable local (pour leur fonctionnement, ndlr), tandis que ceux qui ont ce statut à Paris sont financés par l’Etat. » Alors M. Teyssèdre prévoit de dire au chef de l’Etat qu’il ne comprend pas « pourquoi on aide les +musées de France+ dans la capitale et pas dans nos territoires ruraux« .

L’élu socialiste reproche aussi à l’Etat d’avoir « piqué » à sa ville « 6% de dotation globale de fonctionnement » pour 2014, en application de la loi de finances. « Je dirai à François Hollande qu’on veut bien participer à l’effort de redressement national mais qu’une telle baisse d’un coup, c’est trop! Les frais de personnel augmentent et les attentes sont importantes parce qu’il y a une augmentation de la pauvreté et de la précarité.« 

Le projet du musée Soulages – d’un coût de 25 millions d’euros TTC – a été principalement porté par la communauté d’agglomération du Grand Rodez. L’Etat a apporté 4 millions, de même que la Région Midi-Pyrénées, tandis que le département de l’Aveyron a donné 2 millions.

Le projet avait été lancé il y a dix ans par le précédent maire, Marc Censi (UMP). M. Teyssèdre l’avait repris à son arrivée à la mairie, en 2008.

« Tout le monde nous dit +c’est un beau musée+. Mais on l’avait lancé quand il n’y avait pas la crise et on se retrouve à devoir le faire fonctionner en temps de crise: il faut qu’on assume et qu’on ne compte que sur nous« , a dit le maire, estimant à « 1,2 million d’euros le coût de fonctionnement » annuel de l’établissement.

Dans l’Aveyron – seul département de Midi-Pyrénées présidé par un élu de droite – M. Teyssèdre avait été largement réélu à la mairie de Rodez en mars, alors que la gauche perdait Millau et Decazeville.

Le conseiller municipal de Rodez Jean-Louis Chauzy (PS), président du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), a publié de son côté une tribune appelant à « créer une vraie solidarité entre les collectivités » pour ne pas laisser Grand Rodez (54.000 habitants) payer seule la facture du fonctionnement du musée Soulages.

Source : AFP 29/05/2014

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Lettre Ouverte

Je faisais partie des quelques personnes qui souhaitaient venir à votre rencontre lors de votre venue à Rodez pour inaugurer le Musée Soulages le vendredi 30 mai. Je vous écris parce que je suis persuadé que vous n’avez pu ni voir ni entendre ni sentir ce qui se passait à une centaine de mètres d’où vous vous trouviez. Tant de personnes vous entourent dans ces circonstances que vous apparaissez comme « coupé » du citoyen.

Les agents de la force publique, armés, que vous avez placé par centaines dans la ville m’ont empêché de m’approcher du lieu de votre passage. Des personnes qui voulaient aller dans la direction du musée sont passés. Ils ont pu le faire. Mais d’autres, dont je faisais partie, n’ont pas pu passer.

Les forces de l’ordre m’ont tout d’abord arraché mes lunettes. Puis frappé le crâne à coups de poing. Puis, au moins cinq ou six de vos agents ont, à bout portant, déchargé des vaporisateurs de produits poivrés dans les yeux et ceux de mes amis avec qui je me trouvais. Le tout sans avertissement. Par la suite, pensant peut être que nous étions encore trop près de vous, vos fonctionnaires ont lancé des grenades lacrymogènes en direction des quelques personnes que nous étions. Une petite centaine d’après les renseignements publiés par vos fonctionnaires. Notez au passage, et c’est important, que lorsqu’on détient la force, comme vos agents, lorsque l’on est armé comme le sont vos gens, il n’est pas très glorieux de lancer des grenades sur des gens désarmés, sur des personnes âgées, sur des enfants présents dans la rue à ce moment … Malheureusement, on peut penser que c’est sur vos ordres qu »ils ont agit ainsi.

Je suis, pour ma part, père de 5 enfants, plusieurs fois grand père, amoureux de la culture maraîchère. Si je me trouvais là c’est parce que je ne comprends pas que votre gouvernement s’apprête à agréer un texte voulu entre autres par le Medef et la CFDT qui, manifestement, va accentuer la précarité des chômeurs les plus précaires. C’est à dire des plus précaires d’entre les citoyens. J’aurais voulu pouvoir vous le dire. Je peux vous assurer que j’ai bien d’autres courgettes et tomates à planter en ces jours de printemps plutôt que d’aller me faire frapper un vendredi de mai en pays ruthénois …

Nous, nous n’étions pas armés.

Tout juste avions nous un immense drapeau rouge pour bannière. Je ne vous fais pas l’injure de penser que vous ne connaissez pas la symbolique du drapeau rouge, bien avant qu’il ne soit repris à juste titre par des partis politiques contemporains …

Avez-vous peur à ce point que vous en veniez à vous déplacer avec un tel service de sécurité ? Cela fait penser à votre prédécesseur qui mettait les villes en quasi état de siège pour venir les visiter. Vous qui parliez, en début de mandat que, président normal vous feriez vos visites dans notre pays en vous déplaçant en train sur le réseau Sncf au milieu de vos concitoyens.

Avez vous peur à ce point que vous ne pouvez plus rencontrer ce peuple de gauche qui vous a élu et qui ne comprend pas votre politique sociale qui semble résonner au son du Medef et du CAC 40 ?

Enfin, quelques mots sur une situation ubuesque : un de mes amis qui présent lors de ce rassemblement à était littéralement happé par vos policiers et emmené, menotté, arrêté, détenu en garde à vue et enfin, convoqué en correctionnelle au motif de violence à agent. Il est accusé d’avoir frappé non pas un mais deux CRS ! Un détail dans cette histoire qui vous semblera banale : cet ami a 22 ans et doit faire aux alentours de 50 kg. Il est d’un tempérament plutôt calme et bon enfant. Alors, croire et faire croire qu’il a pu « frapper » deux de vos gardes d’un gabarit de 90 kg, casqués, harnachés de jambières, genouillères et rangers est simplement ahurissant ! Lors de son passage au tribunal, il ne manquera pas de témoins de la scène prêt à établir la réalité.

L’histoire ne retiendra rien de cet événement. En revanche, soyez assuré qu’il procédera au renforcement du sentiment d’abandon, de démission à la cause de la classe dont nous sommes issus. Cela ne peut qu’ajouter à la sensation d’injustice et au constat de distance qui s’installe entre dirigeants se réclamant de la gauche et le peuple que nous sommes. Je n’ose employer le mot de trahison, bien qu’il soit sur beaucoup de lèvres. Devons nous être assurés que vous voulez abdiquer devant les forces du grand capital ? Souvenez vous du « camp » duquel vous venez. Vous avez revendiqué l’héritage de Jaurès. Pensez vous que Jaurès aurait envoyé des gardes armés sur les ouvriers, les paysans, les artistes, leurs techniciens, les salariés, les fonctionnaires, les chômeurs et autres précaires qu’il l’aurait élu ?

Tout comme vous, nous ne nous résignons pas à voir notre société envahie par l’injustice et l’arbitraire. C’est bien la raison pour laquelle nous voulons faire entendre notre voix. L’entendez vous ? Nous, nous ne renoncerons pas. Nous ne capitulerons pas. Soyez assurés de notre détermination si vous avez besoin de compter sur les forces de ce pays. Nous en sommes ! Allez affronter les forces de la finance internationale avec notre force à nous puisque vous avez reçu mandat aussi en ce sens après votre discours du Bourget.

Pour finir, j’en appelle à la conscience de vos camarades de parti. Et je leur pose la question : la fumée, les détonations, les CRS et gardes mobiles par centaines dans les rues de Rodez pour une visite d’un président issu de vos rangs : était-ce vraiment ce que vous vouliez ?

Souhaitiez-vous voir frapper par les CRS, en votre nom, celles et ceux qui se sentent victimes d’accords négociés par le Medef dans ses locaux ?

Est-ce cela que vous voulez ?

Nous vous donnons rendez vous avec l’histoire. Quelle part voulez vous prendre ? Accompagner la dérive financière ou contrer la dérive financière du grand capital qui dicte toujours plus sa loi ? La loi de ces grands groupes qui inondent le monde d’injustice et de désespoir. Qui apportent la désolation, celle qui crée la peur et engendre la violence.

Recevez mes salutations.

Alain Bellebouche

PS : pouvez vous me faire parvenir la liste des composants des produits aérosols gaz poivre que vous commandez, faites fabriquer et distribuez à vos agents de sécurité ?

Voir aussi : Rubrique Art, rubrique Politique, rubrique SociétéCitoyenneté,

La politique de François Hollande, une menace pour l’Europe

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Pour le président de la République, qui s’exprime dans les colonnes du Monde à l’occasion du 8 mai,  »l’Europe, c’est la paix ». Il invite les Français, à l’approche des élections du 25 mai, à partager sa foi dans l’Union : qui pourrait préférer la guerre ? Cet européen fervent entend ainsi conjurer les tentations nationalistes ou souverainistes, soit la sortie de l’euro et le protectionnisme. Et si la plus grande menace qui pèse en France sur l’idéal européen, c’était plutôt, paradoxalement, la politique de François Hollande lui-même ? Car la fin de la Deuxième guerre mondiale, ce n’est pas seulement la paix ; c’est aussi la victoire contre le nazisme – soit un espoir démocratique (du moins en métropole). Or, en faisant désespérer de la politique, la politique actuelle sape les fondements mêmes de la démocratie.

DÉSESPÉRER DE LA POLITIQUE

Certes, le président célèbre  »le plus vaste ensemble d’États démocratiques et la plus grande économie du monde » ; mais le problème actuel, n’est-ce pas justement la tension entre démocratie et marché ? Le néolibéralisme produit des inégalités croissantes que les socialistes au pouvoir, loin de combattre, contribuent encore à creuser. C’est favoriser l’avènement d’une oligarchie. Mais il y a plus : si la démocratie est fragilisée, c’est parce que le ralliement enthousiaste de François Hollande au néolibéralisme, avec l’austérité imposée au plus grand nombre et le pacte de responsabilité offert aux patrons, efface toute différence avec son prédécesseur.  »Hollande dit souvent », confie un ancien conseiller ministériel à Mediapart,  »qu’il faut faire la même politique que Nicolas Sarkozy, mais en douceur… » Il faut bien parler d’un sarkozysme à visage humain.
On se souvient du slogan de campagne de François Hollande :  »Le changement, c’est maintenant ». Une fois élu, opter pour la continuité, c’est vider le suffrage de toute signification. Les électeurs en concluent qu’il n’est pas de différence entre la majorité et l’opposition : dès lors, à quoi bon voter ? C’est encourager l’abstention, surtout dans les classes populaires – d’où, de facto, un suffrage censitaire.

C’est aussi donner raison au Front national qui dénonce sans relâche l’UMPS. D’ailleurs, les récentes élections municipales ont confirmé le mépris du président pour la logique électorale, voire pour l’électorat : après le désaveu dans les urnes, tout se passe en effet comme si… rien ne s’était passé. Le président avait entendu le message, disait-on pourtant. On connaît la devise du conservatisme éclairé, selon Le guêpard :  »Pour que tout reste en l’état, il faut que tout change ». On a découvert, avec la nomination de Manuel Valls à Matignon, celle du socialisme néolibéral selon François Hollande :  »Le changement, c’est ne rien changer ».

Sans doute le chef de l’État, dans sa tribune, évite-t-il de reprendre le mantra de Margaret Thatcher :  »Il n’y a pas d’alternative ! » Aussi déclare-t-il :  »il n’y a pas qu’une seule Europe possible. » Il aura cependant bien du mal à convaincre que celle qu’il promeut  »met fin à l’austérité aveugle », ou  »encadre la finance avec la supervision des banques ». Nul ne doute effectivement que  »c’est une Europe qui protège ses frontières », mais qui peut croire à l’inverse que c’est  »en préservant la liberté de se déplacer et en garantissant le respect du droit d’asile » ? De fait, l’Europe forteresse qui coûte la vie à des dizaines de milliers de migrants dans la Méditerranée est la négation de l’Europe qui prétendait en finir avec les murs en 1989.

UN PÉRIL MANIFESTE POUR LA DÉMOCRATIE

Pour la démocratie, le péril est manifeste. Le chef de l’État vient de nommer un Premier ministre cité à comparaître devant le tribunal correctionnel le 5 juin pour provocation à la discrimination et à la haine raciales, en raison de propos tenus en 2013. Il répétait en particulier :  »Les Roms ont vocation à retourner en Roumanie ou en Bulgarie ». Or le porte-parole de son gouvernement, Stéphane Le Foll, en reprend la substance : les Roms, a-t-il déclaré sur RTL le 15 avril, « il faut chercher à les faire retourner d’où ils viennent, en Roumanie ou en Bulgarie, et éviter qu’il y en ait qui reviennent ou qui viennent ». La continuité avec Brice Hortefeux, Éric Besson et Claude Guéant est claire2. Qu’en est-il donc de la liberté de circuler ? Oui aux hommes d’affaires roumains, non aux Roms misérables ?

Et qu’en est-il des leçons du 8 mai ? En 2010, Viviane Reding, commissaire européenne aux Droits de l’homme, s’indignait de la politique française à l’égard des Roms, quand  »des personnes sont renvoyées d’un État membre juste parce qu’elles appartiennent à une certaine minorité ethnique. Je pensais que l’Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la Deuxième Guerre mondiale. » Elle découvrait alors une circulaire que le gouvernement français avait cachée à l’Europe. Aujourd’hui, c’est, à la suite du Premier ministre, le porte-parole du gouvernement qui s’exprime ouvertement. Et le pire est sans doute qu’on n’entend plus protester – comme le faisait l’opposition à l’époque du discours de Grenoble, à commencer par Manuel Valls :  »on désigne des populations à la vindicte ». Même l’Europe est désormais silencieuse.

Le président de la République peut bien, en invoquant la crise, tenter de justifier ses choix économiques en affirmant qu’ils n’en sont pas. Mais il sera plus difficile de faire croire que, pour gérer 18 000 habitants de bidonvilles, on n’a pas d’autre choix que de les repousser sans fin, d’un pont d’autoroute à une décharge publique. Quelle est la rationalité de la persécution des Roms ? Auraient-ils  »vocation » à être les boucs-émissaires du néolibéralisme ? Et cette politique de la race serait-elle l’envers d’une politique économique que François Hollande emprunte à Nicolas Sarkozy, au risque de tuer la démocratie dont il se veut l’ardent défenseur ?

Les europhiles néolibéraux font aujourd’hui le jeu des nationalistes europhobes. Avec de tels amis, l’Europe démocratique n’a pas besoin d’ennemis.

Eric Fassin (Sociologue)

Source : Le Monde 09 05 2014

Voir aussi : Rubrique Politique, Fin de l’indétermination démocratiqueUn plan d’austérité injuste, dangereux et illégitime, rubrique UE, Un rapport accablant sur l’activité de la troïka, rubrique Société, Les Roms ont dû intégrer la mobilité, pour s’adapter au rejet”,

Réforme territoriale : Hollande brusque la droite… et le PS

AFP/Patrick Kovarik

AFP/Patrick Kovarik

Manoeuvres. Malgré les critiques dans son propre camp, le chef de l’Etat veut accélérer le calendrier de la réforme territoriale, ce qui implique de reporter les élections cantonales et régionales prévues en 2015.

La prédiction émane d’un vieux copain du président : « Ça ne va pas être facile pour Valls de vivre avec Hollande, qui lui dit : à toi la rigueur, à moi la redistribution ! » De fait, alors que le Premier ministre doit faire passer les 50 milliards d’économies, le président entend porter en personne la réforme, populaire dans les sondages, du mille-feuille territorial : elle prévoit de ramener à 11 ou 12 le nombre de régions et de supprimer les conseils généraux d’ici à mars 2016.

Sauf surprise, c’est François Hollande, et lui seul, qui recevra dès le 14 mai à l’Elysée les chefs de parti pour les consulter sur le projet, et le report d’un an qu’il implique des élections régionales et cantonales prévues en mars 2015.

« Il a choisi de mener ça, lui-même », confirme un ami. Car Hollande, qui n’a plus guère de marge de manoeuvre sur la baisse du chômage ou le « retournement » économique, pense tenir là la grande réforme — « un marqueur », dit l’Elysée — de la fin de son mandat. Conscient que le temps presse s’il veut inverser la courbe des sondages, il assume avancer à la hussarde en se donnant vingt-deux mois pour tout dynamiter. Le 8 avril, Manuel Valls avait annoncé la division par deux du nombre de régions d’ici à 2017, mais n’avait parlé que de 2021 pour la fin des conseils généraux. Le président a choisi d’accélérer, pied au plancher.

Hollande le sait, il y a là de quoi braquer les baronnies du PS, qui dirigent la majorité des exécutifs locaux, après leur avoir déjà fait avaler la fin du cumul des mandats.Parti à la reconquête des Français, il n’a cure des critiques de son camp : il joue l’opinion contre l’establishement. « Il dit qu’il n’a rien à perdre. Y compris ses propres amis », constate Claudy Lebreton, président PS de l’Assemblée des départements, qui s’inquiète d’un « vrai coup d’arrêt à la décentralisation ».

Il joue sur les mots

Le bal de consultations prévues à l’Elysée n’est pas non plus dénué d’arrière-pensées politiques avant les européennes. En consultant les partis dès la semaine prochaine, le président veut mettre l’UMP face à ses contradictions. « Jean-François Copé a dit trois fois qu’il fallait supprimer les départements ! » relève le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll. « On verra qui sont les réformateurs et les conservateurs », a défié Hollande mardi. « Soyez courageux », a appuyé Manuel Valls hier à l’Assemblée, en se tournant vers les bancs de la droite.

Autre objectif non avoué du pouvoir : enfoncer un coin entre l’UMP, dont le chef dénonce une « magouille électorale », et les centristes, dont certains sont tentés de dire oui. « On réclame tous cette réforme depuis vingt ans », a ainsi fait valoir Marielle de Sarnez, proche de François Bayrou.

Reste que l’exécutif joue un peu sur les mots. Car les départements ne seront pas supprimés. Ils figureront toujours par exemple sur les plaques d’immatriculation. Ce sont les conseils généraux qui disparaîtront, d’abord dans les zones urbaines. « Il y aura toujours un échelon départemental », confirme une source gouvernementale.

La nuance est de taille. Supprimer les départements, qui figurent dans la Constitution, supposerait une réforme constitutionnelle, donc les trois cinquièmes des voix du Parlement réuni en Congrès. Périlleux, voire impossible. Pas question non plus, pour un Hollande impopulaire, de risquer un référendum, comme l’exigent l’UMP, Bayrou ou Pierrre Laurent (PCF). L’Elysée évacue : « Ce n’est pas du tout à l’ordre du jour. »

Nathalie Schuck avec Rosalie Lucas

Source Le Parisien : 08.05.2014

Voir aussi : Rubrique Actualité France, rubrique Politique, La décentralisation, nouveau chantier de Hollande ? Politique économique, Réduire le nombre de régions pour rembourser les banques, Politique locale, rubrique Géographie,