PCF: derrière une péripétie historique, un inexorable déclin

Le désaveu de Pierre Laurent restera un événement historique dans la trajectoire du PCF. Il est en revanche douteux que son successeur soit porteur d’une alternative doctrinale ou stratégique. La marginalisation du parti semble inévitable.

220x220-ctLe 38e congrès du Parti communiste français (PCF), qui se tient à Ivry-sur-Seine jusqu’au dimanche 25 novembre, restera dans les annales. Pour la première fois dans l’histoire de cette organisation de gauche radicale, née en 1920 comme « Section française de l’Internationale communiste », un vote de la base a conduit à évincer le secrétaire national d’un poste qu’il souhaitait conserver.

« C’est sans précédent, nous confirme l’historien Roger Martelli, ancien membre du PCF et directeur de la publication de Regards. Généralement, le secrétaire national désignait son successeur, ou le bureau politique se mettait d’accord sur un nom faisant consensus. » Formellement, c’est la commission des candidatures qui aura empêché Pierre Laurent de mener une liste commune lui permettant de rester à la tête du parti. Cette décision n’a cependant fait que traduire un désaveu émis par les militants eux-mêmes au mois d’octobre, lorsqu’ils se sont prononcés pour les textes d’orientation du congrès et ont mis en minorité celui de la direction sortante.

Si une voie de sortie honorable a été ménagée à Pierre Laurent ­– il devrait présider le conseil national (le parlement du parti) –, les ressources en légitimité et capacité décisionnaire seront bien détenues par Fabien Roussel, le nouveau patron en titre. « Je ne crois pas à un scénario de duopôle, abonde Martelli, parce que ce n’est pas dans la tradition partisane. La seule fois où le PCF a tenté une dyarchie, c’était en 2001, lorsque Robert Hue était président et Marie-Georges Buffet secrétaire. Cela ne fonctionnait pas et n’était pas considéré comme pérenne par les dirigeants du parti. »

Faut-il voir dans cet événement la vraie fin du « centralisme démocratique » ? Ce principe d’organisation, typique des partis communistes bolchévisés par l’URSS, voulait que tous les membres soient tenus par les décisions venues de l’échelon supérieur. En contrepartie de cette discipline, l’élection des responsables des échelons était censée répercuter, dans toute la structure pyramidale du PCF, la volonté des militants de base rassemblés en « cellules ».

En réalité, cette dimension démocratique était complètement tronquée par le fonctionnement réel du parti. Plusieurs mécanismes garantissaient l’absence de contestation des choix de la direction : la sélection et la cooptation des candidats, la formation des futurs dirigeants dans des écoles du parti, l’occupation de certains postes par des permanents… Ou encore l’impossibilité pour des organes de même niveau d’établir des liens horizontaux, afin qu’ils ne nouent pas d’alliances contre les décisions verticales – une pratique dont on retrouve ironiquement certains échos dans des partis contemporains, qui préfèrent se définir comme des « mouvements ».

Au bout du compte, résumait Pierre Lévêque dans sa synthèse sur les forces politiques françaises, « le système n’autorisait à tous les échelons que des débats sur l’application d’une ligne politique qui n’était effectivement discutée et mise au point qu’au sommet (bureau politique et secrétariat) ». C’est donc un centralisme « autoritaire » qui prévalait plutôt et s’adossait à une culture de valorisation extrême de l’unité, dont on peut encore retrouver la trace dans la volonté actuelle d’empêcher toute compétition publique pour la répartition des postes du parti.

Dans les statuts, cela fait bien longtemps que le centralisme dit démocratique a été abandonné. De plus en plus contesté à partir des années 1970, avec un certain nombre de purges et dissidences à la clé, il a été officiellement mis au rebut en 1994. Contactée par Mediapart, la politiste Fabienne Greffet rappelle que cette évolution s’inscrivait dans une série de réformes organisationnelles devant assurer la « mutation » d’un parti déstabilisé par l’effondrement du monde soviétique.

De fait, la structure autoritaire de l’organisation communiste s’est peu à peu relâchée. La diversité idéologique a enfin été reconnue, tout comme le droit d’exprimer un désaccord publiquement, ainsi qu’une certaine d’autonomie d’action pour chaque niveau organisationnel. Des principes tels que la parité femmes/hommes, la rotation des fonctions et le non-cumul des mandats ont été introduits. Avec parcimonie, quelques consultations directes des adhérents ont même été organisées.

Au fil des années, ce sont bien ces règles et ce climat nouveaux qui ont rendu possible la remise en cause de la direction sortante, et surtout de son chef. Dès 2016, des épisodes alarmants pour Pierre Laurent s’étaient d’ailleurs produits. Cette année-là, le texte d’orientation du conseil national sortant était resté majoritaire, mais avec un score nettement plus modeste que d’habitude (51,2 %). Quelques mois plus tard, la conférence nationale convoquée par la direction avait soutenu une stratégie consistant à présenter un candidat communiste à l’élection présidentielle, même contre Jean-Luc Mélenchon. Pierre Laurent avait regretté ce choix et demandé aux adhérents de désavouer cette conférence, ce qu’ils n’avaient fait qu’à une faible majorité (53,6 %).

Un processus de perte de confiance et de divisions inédites de la base militante était donc à l’œuvre, qui est apparu avec encore plus de force lors du congrès actuel. Au passage, on pouvait aussi repérer dès cette consultation de 2016 la méfiance prononcée des adhérents communistes envers le leader de La France insoumise. Elle augurait du faible score du texte signé par la députée Elsa Faucillon, qui défendait pour ce congrès un « Front commun » avec la FI, sur la base d’un « écocommunisme […] sans hiérarchie des luttes émancipatrices ». Difficile de voir, en revanche, des différences de fond très nettes entre l’alliance des forces qui ont triomphé de Pierre Laurent et la ligne affichée par ce dernier.

Historique, le départ contraint du secrétaire national ne débouche sur aucun virage doctrinal et stratégique qui soit clair, neuf ou ambitieux. La différence entre les deux sensibilités incarnées par Pierre Laurent et Fabien Roussel ne saute en effet pas aux yeux, et les compromis finaux du congrès l’ont encore estompée.

L’orientation défendue par Roussel était certes davantage soutenue par ceux qu’il est convenu d’appeler les « identitaires ». Un des vieux antagonismes du PCF, rappelle le politiste Dominique Andolfatto, réside dans l’opposition entre « les plus nostalgiques du parti de masse et dominateur d’autrefois, et les modernistes ou réalistes, qui ont une vision plus séculière ou opérationnelle du parti (un outil parmi d’autres pour reconstruire la gauche) ». Mais si le texte signé par Roussel évoquait bien « le rôle irremplaçable » du PCF, il n’écartait pas la perspective de rassemblements plus larges. Quant au texte signé par Laurent, il appelait à un « nouveau front social et politique », tout en affirmant la « vocation [des communistes] à être présents à toutes les élections ». La nuance est pour le moins subtile…

De plus, contrairement à une idée reçue, ce n’est pas parce que Roussel vient de la fédération du Nord qu’il campera nécessairement sur une ligne plus sectaire en termes de rapports avec les autres forces de gauche. « On met souvent cette fédération dans le même sac que celle du Pas-de-Calais, connue pour son âpreté dans la lutte des classes, mais elles ne sont pas identiques, met en garde Roger Martelli. On trouve dans le Nord un mélange entre une affirmation ouvrière très forte et des pratiques d’alliances très larges. Il n’y a là rien d’incohérent pour certains communistes, qui voient le PCF comme le parti de la classe ouvrière, mais une classe ouvrière qui ne saurait diriger toute seule le pays. »

Réaffirmer l’identité communiste tout en pratiquant une stratégie électorale à la carte ? Si un tel cap devait être choisi, on voit mal comment il pourrait répondre au déclin continu subi par le PCF. Plus que jamais, ce parti est l’ombre de ce qu’il fut, sans que des capacités de rebond soient vraiment repérables. Quoi que l’organisation communiste fasse, l’heure d’une reconversion réussie semble être définitivement passée. Comme si son obsolescence, pas forcément programmée, n’en était pas moins acquise.

L’examen des données électorales est implacable (voir le graphique ci-dessous). Alors que le PCF pesait un cinquième des suffrages exprimés aux législatives de 1978, il en a recueilli moins de 3 % à celles de 2017. Son score a ainsi été divisé par sept en 40 ans, avec des plongeons brutaux qui ont suivi autant des raidissements identitaires que des participations à des gouvernements socialistes. Le sursaut le plus récent, en 2012, s’inscrivait dans la dynamique du défunt Front de gauche. Laissé à ses seules forces, le PCF n’a plus qu’une capacité d’attraction marginale. Au niveau local aussi, l’implantation du parti a fondu inexorablement, si bien qu’il est aujourd’hui absent de pans entiers du territoire.

Les résistances au changement étaient sans doute trop fortes pour échapper à temps au déclin qui a concerné toute la famille des partis communistes occidentaux. Des dirigeants avaient bien réussi à promouvoir des idées eurocommunistes au cours des années 1970, parmi lesquelles la critique systémique de l’URSS, l’appel à la démocratisation interne et l’ouverture à des luttes nouvelles. Ces germes de reconversion en une gauche alternative, plus adaptée aux transformations sociodémographiques des pays occidentaux, ont cependant été tués à la naissance par Georges Marchais. Lorsque de nouvelles tentatives ont eu lieu après la chute de l’URSS, il était trop tard. Le parti avait perdu depuis quinze ans son statut de premier parti de gauche, et n’était devenu qu’un partenaire parmi d’autres du parti socialiste.

Du reste, la mutation engagée sous Robert Hue s’est traduite par une participation gouvernementale à la « gauche plurielle » (1997-2002), qui s’est révélée désastreuse en termes de crédibilité et de performance électorale. Et en dépit d’évolutions doctrinales sur les questions de société et l’écologie, le PCF est resté mal à l’aise avec de nombreux enjeux, comme le nucléaire ou les grands projets inutiles, en raison de la persistance d’un ethos productiviste. En plus de l’accumulation de virages tactiques, qui ont rendu peu lisible leur identité, les communistes ont par ailleurs évité toute personnalisation de la vie politique, ce qui les a rendus vulnérables à l’apparition de figures plus inspirantes dans la gauche radicale, qu’il s’agisse – dans des styles certes différents – d’Olivier Besancenot en 2002 et 2007 ou de Jean-Luc Mélenchon à partir de 2009.

Non content de perdre du terrain et de brouiller son image, le PCF s’est aussi banalisé dans la société. Sa surreprésentation dans les milieux ouvriers et même populaires a décliné. Surtout, son électorat a vieilli. La même tendance peut être observée du côté des militants. Elle explique l’érosion irrémédiable de leurs effectifs tout au long des dix dernières années, durant lesquelles on dispose d’une estimation fiable de celles et ceux qui sont à jour de cotisation (voir le graphique ci-dessous). De presque 80 000, le nombre d’adhérents a ainsi diminué jusqu’à moins de 50 000.

Fabien Roussel prend donc les rênes d’un parti qui ne peut plus assurer seul sa survie et dont les péripéties ressemblent depuis quelques années à l’épilogue sans fin d’une histoire bientôt séculaire. Le drame, pour l’instant, c’est que le PCF ne dispose pas non plus d’un partenaire susceptible de lui garantir cette survie : les relations avec la FI (elle-même en construction) sont exécrables ; le PS s’est effondré ; et les autres appareils luttent tout autant pour leur existence dans le champ éclaté de la gauche.

Source : Médiapart 25/11/2018

La fronde couve au sein de La République en marche

The Farm Gate by Stanley Spencer

The Farm Gate by Stanley Spencer

Une trentaine de membres de LRM contestent en justice la validité des nouveaux statuts du mouvement, soumis au vote des adhérents jusqu’au 30 juillet.

La fronde gagne les rangs de La République en marche. Une trentaine d’adhérents du mouvement, constitués en collectif – La Démocratie en marche –, contestent la validité des nouveaux statuts de La République en marche (LRM) soumis, du 23 au 30 juillet, à l’approbation par un vote électronique de ses quelque 373 000 membres, a révélé Le Parisien, dimanche 23 juillet.

Ils ont déposé, samedi, un référé au tribunal de grande instance de Créteil (Val-de-Marne), dont l’audience est prévue mardi 25 juillet en début d’après-midi. La procédure s’appuie sur « un vice de forme », le collectif estimant que « la convocation à ce vote ne respecte pas les actuels statuts du mouvement », notamment en ce qui concerne les délais. Les adhérents LRM n’auraient, en effet, eu le texte intégral des nouveaux statuts que le 17 juillet, soit après la période de consultation prévue du 8 au 13 juillet.

« Un manque de démocratie interne »

Les « marcheurs frondeurs » dénoncent « un manque de démocratie interne » au sein de la formation du président Emmanuel Macron. « Les statuts proposés cantonnent les adhérents à un rôle de supporteur et les excluent de la gouvernance, aussi bien locale que nationale », dénonce, dans un communiqué, le collectif, pour qui « ce “verrouillage” révèle une certaine défiance vis-à-vis des adhérents et apparaît en contradiction avec les valeurs de LRM ».

« On a essayé de savoir qui écrivait ces statuts, pourquoi il y avait une telle urgence, ce qui faisait qu’il fallait absolument les faire voter comme ça, au cœur de l’été, et on s’est retrouvés face à un mur », a expliqué Rémi Bouton, un des porte-parole du collectif.

« On a vu qu’il y avait un vice de forme dans la convocation, on a décidé d’attaquer pour arrêter le train fou. »

Le collectif, qui revendique le soutien de 600 comités locaux sur les 3 200 que compte La République en marche, réclame en particulier le report en décembre du scrutin sur les statuts, dont les résultats doivent être connus le 1er août, et « la tenue d’un grand débat national qui permette à LRM de construire de véritables statuts démocratiques ».

La République en marche a multiplié, en juin, les consultations pour dessiner l’organigramme d’un parti qui souhaite conserver « le côté participatif », selon un de ses cadres, « avec des règles de vie qui ne peuvent plus être celles d’une start-up ».

Le projet de statuts de LRM maintient le principe de la gratuité de l’adhésion et la possibilité d’une double appartenance dès lors que le parti en question « porte les valeurs républicaines ». En outre, pour éviter les « baronnies », le mouvement prévoit d’attribuer, à intervalles réguliers, 25 % des sièges de son conseil national au tirage au sort parmi ses adhérents – les adhérents en réclamaient 50 %. Enfin, les délégués LRM verront leur mandat limité à trois ans renouvelable une fois.

« Il y aura toujours des mécontents »

 

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« Je pense, au contraire, que nos statuts sont le signe d’un mouvement du XXIe siècle et tournés vers la société française », a réagi, lundi sur Franceinfo, Stanislas Guerini, député LRM de Paris, soulignant qu’ils « ont été construits à l’issue d’une consultation très importante ».

Les plaignants représentent « quelques personnes sur 370 000 adhérents, a, pour sa part, cherché à relativiser Christophe Castaner, le porte-parole du gouvernement, sur RMC. Vous trouverez toujours des gens qui contesteront le système, qui se sentiront un peu à côté. »

« Ce qu’on paie aujourd’hui, c’est le fait qu’il y ait eu plus de 18 000 candidats pour être candidat aux élections législatives, qu’il n’y en a que 550 qui ont été retenus, ça fait quelques grincements de dents, mais c’est le principe de la démocratie. »

« Il y aura toujours des mécontents, c’est la vie normale des organisations, explique, de son côté la sénatrice de Paris Bariza Khiari au Parisien. Les statuts sont le fruit de la consultation des adhérents, ils ont été enrichis. »

Source : Le Monde AFP : 24/07/2017

Voir aussi : Actualité France, Rubrique PolitiqueMacron met les collectivités au régime sec, rubrique Société, Macron, le spasme du système, Budget droits des femmes en baisse, Réforme territoriale : quels enjeux pour le réseau de solidarité ?, Citoyenneté, Justice,

La gueule de bois de la fachosphère

Lors du meeting de Marine Le Pen au Parc des expositions, à Villepinte, le 1er mai. Photo Laurent Troude pour Libération

Lors du meeting de Marine Le Pen au Parc des expositions, à Villepinte, le 1er mai. Photo Laurent Troude pour Libération

Entre colère, dépit et recherche de bouc émissaire, les militants frontistes se cherchent et se défoulent après la défaite de Marine Le Pen.

On avait déjà vu les militants FN déçus le soir du débat de Marine Le Pen contre Emmanuel Macron. Dès l’annonce des résultats et des moins de 35% récoltés par la candidate FN, ils n’ont pas hésité à faire part de leur amertume… et de critiques bien senties.

Pierre Sautarel, le fondateur du site d’extrême droite Fdesouche, voit d’abord dans ce résultat les limites du combat uniquement politique. «La leçon : arrêtons de faire reposer le salut de la France uniquement sur une hypothétique victoire politique et bougeons-nous les fesses», tweete-t-il, quatre minutes seulement après les résultats. Parmi ses propositions, «créer des associations, faire du lobbying, mener des combats juridiques contre ceci ou cela, faire de l’entrisme etc.». Bref, continuer et soutenir son travail sur Fdesouche, écrit-il en filigrane.

C’est super de critiquer les médias, etc… mais qd un site vous défend et vous informe vous ne l’aidez même pas https://t.co/37P6ghJx44

— Pierre Sautarel (@FrDesouche) 7 mai 2017

«Bataille des idées»

Une autre critique du Front national pointe, dans ses tweets : «On a gagné la bataille des idées, le problème désormais ce sont les ressources humaines…»

Encore plus révélateur que l’amertume de Pierre Sautarel ? Les très nombreuses réponses à ses tweets, particulièrement virulentes envers le Front national. «Marine est apparue comme une coquille vide au débat. Les gens n’oublieront pas. Elle doit laisser Marion Maréchal-Le Pen prendre le relais», lui répond l’un. «Surtout dégageons le FN et constituons un parti compétent», abonde un autre. «Je suis d’accord il y a beaucoup à faire et une véritable introspection de la part du FN qui doit changer TRÈS profondément et rapidement», poursuit un troisième.

Et même quand Fdesouche tente de consoler ses troupes, les critiques continuent à fuser. «Si ça peut vous consoler, quand j’ai commencé à militer, on était très satisfait quand le FN faisait 15%», assure ainsi Sautarel. «À l’époque le FN ne proposait pas un programme éco débile. Qu’ils aillent se faire foutre», lui répond un membre autoproclamé de la fachosphère. «C’était un vrai FN à l’époque ! Pas un FN frelaté», abonde un autre «patriote», qui se définit pourtant comme pro-FN.

«J’en suis déçu»

Fdesouche et ses fans ne sont pas les seuls à être dépités et-ou à en vouloir frontalement au FN. «J’ai tellement honte», tweete ainsi le compte de soutien à Marine Le Pen «@Messsmer» à l’annonce des résultats. Sans qu’on sache s’il parle de son propre parti, ou de son pays. Mais quelques minutes plus tard, il retweete le youtubeur fétiche de la fachosphère «Raptor dissident», et précise du même coup sa pensée : «[Le FN] c’est un parti de fiottes. Ceux qui aiment la France se font insulter par ce parti salopé et sa chef qui n’sait que porter des jupes et glousser.» Ce même youtubeur retweete un électeur de longue date du FN qui se dit dépité : «Le FN est mort et pour avoir voté pour eux pendant plusieurs années, j’en suis déçu, aucunes couilles dans ce parti.»

@RaptorDissident Exactement, le FN est mort et pour avoir voté pour eux pendant plusieurs années, j’en suis déçu, aucune couilles dans ce parti.

— FouleJo (@FouleJo27) 7 mai 2017

Sur le forum 18-25 de Jeuxvideos.com, une ligne de fracture commence à apparaître, grâce aux partisans FN qui se déchirent sur les responsables de cet échec. «La bonne nouvelle dans tout ce merdier, c’est que, comme je l’attendais, c’était le coup de grâce pour Philippot, homme de gauche qui a sabordé le Front depuis des années maintenant», lance un premier internaute. «C’est pour ça que j’ai voté Macron, marre de la ligne sociale-étatiste du FN, ça leur apprendra», abonde un second. Mais pour d’autres, c’est au contraire la ligne ou l’attitude de Marine Le Pen qui ont empêché le parti d’extrême droite de l’emporter : «C’est Marine qui a mené le FN dans le mur, sans Philippot elle aurait fait 13% au premier tour

Enfin, entre le dépit et la colère, un autre membre éminent de la fachosphère a trouvé une troisième voie. Le Hérisson Dissident l’a ainsi annoncé : «Je vais disparaître pour une durée indéterminée.»

Source Libération 07/05/2017

Voir aussi : Actualité France, rubrique Politique,

Dédiabolisation du FN : Un simple changement de costume

Marine Le Pen a érigé la dédiabolisation de son parti en stratégie de conquête du pouvoir. Mais sous ses habits neufs perce le Front national de toujours.

lle se présente sans parti et sans nom. Sur sa dernière affiche comme sur les tracts de campagne, elle n’est plus que « Marine ». Les symboles de la marque Le Pen, flamme et patronyme, avaient déjà disparu en 2016 quand, pour rassurer des catégories d’électeurs encore réticents (personnes âgées, CSP+), la présidente du Front national s’était contentée d’afficher son visage sur fond de paysage bucolique avec un unique slogan, « La France apaisée ». L’affiche marquait ainsi, dans une année de précampagne, le stade ultime d’une dédiabolisation érigée par Marine Le Pen en étendard de sa stratégie de conquête du pouvoir.

À l’approche de la présidentielle, toutefois, le matériel de campagne est moins apaisé. Sur l’affiche de ce début 2017, signée de son seul prénom, les traits et l’éclairage doux du portrait contrastent avec le message martial : « Remettre la France en ordre, en 5 ans ». La dédiabolisation aurait-elle atteint ses limites ?

Depuis six ans qu’elle a pris les rênes du Front national, Marine Le Pen est parvenue à modifier passablement l’image du parti d’extrême droite dans l’opinion. L’exclusion des éléments radicaux les plus visibles, la primauté accordée à de jeunes candidats au détriment de figures anciennes, la promotion de militants issus des grandes écoles ou de la haute fonction publique, l’adoption d’un discours d’apparence antilibérale avec des accents sociaux, ou la rupture avec le père consécutive à la répétition de ses déclarations sur la Shoah et la Seconde Guerre mondiale, tous ces faits ont été amplement rapportés et commentés dans les médias, où ils ont été interprétés comme autant de signes, sinon de preuves, de l’apparition d’un « nouveau FN ».

Cette « construction médiatique », bien analysée par Alexandre Dézé, maître de conférences en sciences politiques à Montpellier [1], avait commencé dès les premières apparitions télévisées de Marine Le Pen en 2002. Régulièrement invitée sur les plateaux, elle devient vite « connue comme l’avocate de la “dédiabolisation” du FN », racontent les journalistes Dominique Albertini et David Doucet [2]. Le FN, plaide-t-elle, doit « faire peau neuve » et pour cela « se débarrasser de la tunique de Belzébuth dont on [l’]a affublé ».

Un projet qu’elle ne pourra mettre en œuvre qu’une fois devenue présidente du mouvement. De nouveaux cadres font leur entrée au bureau politique, dont un certain Florian Philippot. Arrivé dans son entourage en 2010 – il a 29 ans –, ce diplômé de HEC et de l’ENA, féru de Jacques Sapir et d’Emmanuel Todd, privilégie l’économie et le social, ce qui n’est pas pour déplaire à Marine Le Pen dans sa quête de désenclavement. Pratiquement, celui-ci prend très vite la forme du « Rassemblement Bleu Marine », structure informelle qui permet d’accueillir de nouvelles recrues qui, tel Gilbert Collard, n’auraient pas rejoint Le Pen père. C’est aussi l’étiquette sous laquelle se présentent les nouveaux ralliés comme les anciens frontistes aux élections.

Cette opération de requalification témoigne « d’une stratégie explicite de dissimulation des référents identitaires originels du FN dans le but de le présenter sous un autre visage », analysait Alexandre Dézé [3]. Elle n’est pas sans précédents. En 1986, le FN avait ainsi conduit ses campagnes législatives et régionales sous l’étiquette « Rassemblement national », autant pour mettre en avant la respectabilité des candidats non frontistes attirés par une « politique d’ouverture » que pour atténuer le stigmate identitaire frontiste.

L’« ouverture » de Marine Le Pen se double d’un ripolinage à la fois thématique et sémantique. Le combat contre le « mondialisme » supplante l’immigration comme cause unique de tous les problèmes ; avec l’avantage d’être un thème plus rassembleur. La « préférence nationale », formule euphémisée du slogan lepéniste « Les Français d’abord », lui-même hérité du cri de l’antisémite Édouard Drumont, « La France aux Français ! », est reformulée en « priorité nationale », parfois en « solidarité nationale ». La formule marque le glissement d’un nationalisme peu populaire à un souverainisme intégral (politique, économique, culturel) plus électoralement porteur.

L’importance de la sémantique dans le combat politique du FN avait déjà été théorisée au début des années 1990 par Bruno Mégret. « Il est essentiel, lorsque l’on s’exprime en public, d’éviter les propos outranciers et vulgaires, avertissait une circulaire non datée citée par l’historienne Valérie Igounet [4]. On peut affirmer la même chose avec autant de vigueur dans un langage posé et accepté par le grand public. De façon certes caricaturale, au lieu de dire “les bougnoules à la mer”, disons qu’il faut “organiser le retour chez eux des immigrés du tiers-monde”. » Il s’agissait également de contourner la législation antiraciste au moyen d’un discours euphémisé que les frontistes n’ont pas cessé de perfectionner.

Ainsi en est-il de l’invocation de la République et de la laïcité. Marine Le Pen en a une conception singulière : sa « République » est autoritaire et sécuritaire, mais surtout, à bien l’écouter, son caractère « indivisible » s’entend au moins autant comme une homogénéité culturelle et communautaire à défendre que comme un territoire à conserver. Quant à la devise républicaine, « liberté, égalité, fraternité », elle « procède, soutient-elle, d’une sécularisation de principes issus de notre héritage chrétien » ; « des valeurs chrétiennes dévoyées par la Révolution française », a-t-elle précisé, et qu’il s’agirait de retrouver.

« Le discours de Marine Le Pen sur la laïcité peut de prime abord apparaître hétérodoxe », notait en 2012 Alexandre Dézé [5]. De fait, dans sa conquête de la présidence du FN, cette nouvelle référence avait heurté les partisans de Bruno Gollnisch. Or, poursuit le chercheur, ce discours « ne constitue rien d’autre qu’une variante du travail d’euphémisation […]. Il s’agit bien, en changeant de registre lexical et en jouant sur les évocations positives du terme, de déguiser un discours qui reste exclusionnaire ». Face aux « poussées des revendications politico-religieuses musulmanes », expliquait ainsi Marine Le Pen en décembre 2010 aux journalistes du quotidien maurrasso-pétainiste Présent, « il faut s’appuyer sur la laïcité, principe de la République française admis et aimé par les Français, y compris les croyants. […] C’est le seul moyen de refuser la suppression du porc dans les cantines. » Quelques jours plus tard, en clôture du congrès de Tours, la nouvelle présidente du FN invoquait encore la loi de 1905 pour sanctionner « la participation directe ou indirecte à la construction de mosquées » ou « interdire l’aménagement d’horaires particuliers dans les piscines pour les femmes musulmanes ».

La dédiabolisation a des limites que Louis Aliot, vice-président du FN et compagnon de Marine Le Pen, expose sans détours [6] : « Celle-ci ne concerne que notre présomption d’antisémitisme, rien d’autre. Pas l’immigration, ni l’islam, sur lesquels, à la limite, il n’est pas mauvais d’être diabolisés. » La dédiabolisation n’est donc « pas tant un aggiornamento idéologique que stratégique », note Joël Gombin. Constituée de « pros de la politique sans autonomie financière », la nouvelle génération frontiste « vise des postes d’élus et est obligée pour cela de se plier à de plus en plus de règles non écrites du champ politique », poursuit ce doctorant en science politique, non sans souligner que « ce sont ces règles non écrites qui calibrent la dédiabolisation ». Une dédiabolisation avant tout fonctionnelle, donc. Plus subie que voulue. Comme le dit le Dr Berthier à Stanko, dans le film de Lucas Belvaux, il faut « accepter de porter le costume ».

Le « style neuf ne dessine pas d’inflexion idéologique », affirme également Cécile Alduy, professeure de littérature et de civilisation française à Stanford [7]. « Les modulations de timbre et même de thème n’altèrent pas la forme non démocratique des solutions politiques envisagées et la vision du monde non dialectique, mythologisante, d’une France éternelle assaillie par diverses invasions démographiques, économiques ou politiques. » En atteste le discours prononcé par Marine Le Pen en clôture de ses assises présidentielles à Lyon, le 5 février. La candidate s’y est engagée à défendre non seulement le « patrimoine matériel des Français » mais aussi « leur capital immatériel », afin que « nos enfants et les enfants de nos enfants » continuent à vivre « selon nos références culturelles, nos valeurs de civilisation, notre art de vivre » et parlent « encore notre langue ». Moyennant quoi, elle a promis d’inscrire la « priorité nationale » dans la Constitution et s’est engagée à rendre impossible la régularisation des clandestins et leur naturalisation, à expulser les délinquants étrangers, à reconduire à la frontière les étrangers fichés S, à déchoir de leur nationalité les binationaux fichés S avant de les expulser… Son programme comprend également la suppression du droit du sol et de la double nationalité extra-européenne, le rétablissement des frontières nationales et la réduction de l’immigration légale à un solde annuel de 10?000…

Comme son parti hier, elle « aspire à une nation idéale et exclusive, une entité “pure” d’où seraient éliminés les corps jugés incompatibles avec elle [8] ». À plusieurs reprises, ses propositions visant les étrangers ont été saluées debout par ses partisans scandant « On est chez nous ! »

[1] Les Faux-Semblants du Front national. Sociologie d’un parti politique, sous la direction de Sylvain Crépon, Alexandre Dézé et Nonna Mayer, Les Presses de Sciences Po (2015).

[2] Histoire du Front national, Dominique Albertini et David Doucet, Tallandier (2013).

[3] Le Front national à la conquête du pouvoir ?, Alexandre Dézé, Armand Colin (2012)

[4] Les Français d’abord. Slogans et viralité du discours Front national (1972-2017), Inculte.

[5] Cf. note 3. [6] Cf. note 2. [7] Cf. note 1. [8] Cf. note 4.

Source Politis 15/02/2017

 


Mélenchon : « Nous sommes le dos au mur « 

melenchonLe soir du second tour des élections régionales, au siège du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon nous a fait part de son analyse du vote FN, de son désarroi face à l’éclatement du Front de gauche, et de sa vision de l’avenir de l’autre gauche. Entretien.

Les élections régionales ont été marquées par la montée du Front national, qui a monopolisé les débats et a conduit à la disparition de la gauche au deuxième tour dans deux grandes régions. Comment éviter que le score du FN augmente encore la présidentielle de 2017 ? 

Jean-Luc Mélenchon – Il faut réussir à re-latéraliser le champ politique. La tactique de Manuel Valls consiste à détruire la gauche au profit d’un nouvel agglomérat du type “Parti démocrate” en Italie, qui fédère tous les centristes. En l’occurrence, ça a été efficace aux régionales puisque dans l’entre-deux tours l’UDI a pris ses distances avec les Républicains. Et ce soir Valls a de nouveau mis en avant le thème de la lutte commune contre l’extrême droite et le jihadisme. Face à cela, Mme Le Pen a donné une latéralisation : les mondialistes contre les patriotes. Moi j’ai dit : le peuple contre l’oligarchie. Ce sont nos marqueurs, et c’est ainsi que nous allons aborder les prochaines batailles démocratiques.

Il se peut que la présidentielle souffre de ce qui vient de se passer, et qu’elle se déroule, elle aussi, dans une ambiance de peur et de méfiance. C’est ce que veut François Hollande : il rêve d’un deuxième tour où il suffit qu’il soit là, c’est-à-dire d’un deuxième tour où elle est là. La présidentielle pourrait donc commencer directement sous le signe du chantage. Mais il est aussi possible que les gens ne soient pas dupes, puisqu’on leur a déjà fait le coup deux fois. Ils pourraient tout aussi bien se dire, à l’inverse : “Je n’abandonne pas mes convictions au premier tour à la porte du bureau de vote, car je ne les retrouve pas en sortant”. Glorieuse incertitude des élections.

La gauche sort considérablement affaiblie de ces élections, en dépit du fait que le FN n’a remporté aucune région…

Nous sommes effectivement dos au mur. Je ne parle pas seulement de l’autre gauche, qui est dans un état de catastrophe avancé – je ne sais même pas si elle est guérissable, du fait de cette épouvantable manie des appareillons –, je parle du camp progressiste et humaniste en général, car pour l’instant une vague brune déferle sur l’Europe. Le dernier vote qui a eu lieu dans un pays européen, en Pologne, a vu l’élimination de la gauche, qui n’a plus un seul élu au Parlement. J’espère que ce cycle va s’inverser avec les élections espagnoles.

Certains à gauche vous reprochent de ne pas aller assez loin dans la critique de la mondialisation et de l’Europe, ce qui expliquerait l’échec du Front de gauche à capter le mécontentement populaire face au Front national. Pensez-vous qu’il faut aller plus loin ? 

On a passé notre temps à critiquer l’Europe. Nous sommes les seuls à construire un Comité du plan B pour l’Europe ; en 2009 il n’y a que moi qui ai mis dans ma profession de foi la lutte contre le grand marché transatlantique ; à l’élection présidentielle j’ai été le seul à parler du mécanisme européen de stabilité financière voté en février ; c’est aussi nous qui avons convoqué la manifestation contre la signature du Traité européen. Il est injuste de dire que nous ne faisons rien sur ce terrain.

De même, concernant le FN, c’est moi qui ai proposé d’opter pour une ligne d’attaque “Front contre Front”. J’ai gagné mille voix en trois semaines à Hénin-Beaumont [lors des élections législatives de 2012, ndlr]. Qu’en a-t-on retenu ? Que j’étais en échec et que la ligne n’était pas la bonne. Pourtant tout le reste jusqu’à présent n’a produit que des bavardages. Il est normal qu’il y ait débat, mais tout le monde doit balayer devant sa porte. Et si je dois le faire, je ne balaye pas les détritus des autres.

La stratégie “Front contre Front” est-elle encore pertinente aujourd’hui ? 

La dimension du combat contre le Front national a complètement changé. On s’adapte au fur et à mesure. Il y a quinze ans, j’étais pour l’interdiction du Front national et je faisais campagne avec Charlie Hebdo. Nous n’étions pas nombreux, et on nous expliquait déjà qu’il ne fallait pas s’y prendre comme cela, qu’il fallait critiquer, etc. Qu’est-ce que ça a donné ? Ils sont à 30 %, ils sont à la porte du pouvoir ! J’aimerais que tous ceux qui ont fait des critiques à ce moment-là balayent devant leur porte.

Quand vous voyez la Une de Marianne qui dit “Plus que 18 mois pour éviter ça!”, avec Mme Le Pen en présidente de la République, les journalistes sont persuadés entre eux que les gens vont pleurer des grosses larmes et prendre conscience du danger. Or c’est l’effet inverse qui se produit sur des millions de gens qui se disent : “Ah bon ? On est près de gagner ? Alors allons-y !” Si vous me mettez en Une en disant “Plus que 18 mois pour éviter ça!”, les anciens ressortiront de leur tombe pour voter pour moi. Les journalistes en général ne comprennent rien à la psychologie de masse.

Comment interprétez-vous le vote FN ?

Certains prétendent que c’est la petite France aigre qui vote FN. Non ! Les gens ont voté FN pour tout faire sauter. Ils n’ont pas fait ça par erreur, ils ne se sont pas trompés, et parfois même ils n’ont rien contre les Arabes et les musulmans. Ils votent FN juste pour tout faire sauter, parce que la bonne société leur a dit : “Ce dont nous avons plus peur que tout, c’est de Mme Le Pen”.

Si le pays essuie encore un choc comme celui reçu le 13 novembre, nous allons avoir encore plus de mal à nous faire entendre. Avant le 13 novembre, l’unique objet des discussions était le niveau auquel serait Mme Le Pen. A partir du 13 novembre, le sujet a été d’un côté à quel point l’immigration et les musulmans sont dangereux, et de l’autre à quel point Mme Le Pen est dangereuse.

Le cynisme du pourvoir c’est qu’il joue avec ça. Il se vante d’avoir obtenu le retrait de ses candidats dans deux régions et d’avoir fait pression en vain dans une troisième. Eux-mêmes reconstruisent un paysage qui est entièrement centré autour de Mme Le Pen.

Quel bilan tirez-vous de la campagne pour le Front de gauche ? 

Tous les pires pronostics se sont réalisés pour nous au premier tour : une bataille de chiens entre communistes et verts pour avoir les têtes de liste de l’opposition de gauche – résultat, il n’y a plus d’opposition de gauche du tout –, et des campagnes concurrentes illisibles. C’est une catastrophe. J’étais personnellement pour une campagne nationale, avec un état-major national, une répartition des têtes de liste, des mots d’ordre communs, etc. Mais on m’a fait prévaloir je ne sais quelle réalité des territoires, qui est une vue fumeuse et complètement idéologique. Il n’y a aucun territoire qui existe entre Guéret et Biarritz : le seul territoire qui les sépare, c’est la France. Qu’on ne vienne pas me faire croire que les gens ont pris conscience d’une réalité régionale qui n’existe pas. On a mené une campagne qui n’était même pas au niveau d’une campagne cantonale. Il faut que cela cesse.

Le Front de gauche (FDG) ne survivra donc pas dans sa forme actuelle aux élections régionales ? 

Non, ça c’est clair. Les gens sont braves, ils veulent bien voter FDG, mais quand ils vont dans le bureau de vote il y a deux bulletins sur lesquels il y a le logo FDG : que voulez-vous qu’ils y comprennent ? Nous avons eu un mal de chien à construire le FDG, et maintenant qu’il est identifié par tout le monde, on le vide de son contenu. Pourquoi ? Pour une série d’élections locales dans lesquelles les appareillons misent 100 % de leur existence, car les cadres de ces organisations sont pour la plupart des élus régionaux.

C’est totalement démoralisant quand on fait le tour. Les Verts ont bien manœuvré : ils ont fait un chantage partout où ils voulaient la tête de liste, et partout où on ne la donnait pas ils partaient séparément. Ensuite ils ont ramassé tous les votes, puisque les régions où nous sommes unis avec eux ont été comptées pour eux. On nous attribue ainsi 4,5 % des voix, en nous enlevant trois ou quatre régions.

J’ai cru à la bonne foi des Verts, qui me disaient qu’ils étaient d’accord pour faire un label national d’opposition de gauche. Ils n’en ont rien fait. Je voulais déposer ce label au ministère de l’Intérieur pour qu’on soit comptabilisés ensemble dans la catégorie “opposition de gauche”, mais le ministère de l’Intérieur a remis les gens dans des cases. Cela fait beaucoup de déceptions les unes derrière les autres. Il faut reformuler une proposition politique qui tienne compte de tout cela.

Je commence à penser que, bien sûr, le rassemblement des sigles est indispensable, mais que bâtir sa réflexion politique à partir de ça serait une erreur totale : ce qui a un sens politique c’est la combinaison d’une masse de gens qui ne vont pas voter, et d’une masse de gens qui votent de manière insurrectionnelle contre le système et utilisent n’importe quel bulletin de vote qui leur passe à portée de main. Croire qu’il suffirait d’afficher je ne sais quelle union des groupuscules pour satisfaire aux besoins d’union du peuple français contre l’oligarchie est une vue de l’esprit.

Par Matthieu Dejean

Source Les Inrocks 14/12/2015

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