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Non, le report de l’âge légal de 60 à 62 n’est pas inévitable
Le
Cette affirmation ne peut pourtant, en aucun cas, prétendre à l’objectivité que revendiquaient les deux compères. Pour le Conseil d’Orientation des Retraites, l’âge moyen de départ en retraite est égal à 61,5 ans et l’âge moyen de sortie définitive du marché du travail est de 58,5 ans.
60 % des salariés du secteur privé qui prennent leur retraite ne sont plus, en effet, au travail. Ils sont au chômage, en maladie ou en invalidité. Avec un report de 2 ans de l’âge légal de départ en retraite, c’est 10 % à 15 % de salariés supplémentaires qui se retrouveraient dans cette situation et partiraient donc avec une retraite minorée, contrairement à toutes les affirmations péremptoires de M. Sarkozy. En effet, les droits acquis pour la retraite sont loin d’être identiques selon que l’on est au travail, au chômage, en invalidité ou en maladie. De surcroît, le problème serait reporté sur les caisses d’assurance maladie ou d’assurance chômage. Quel serait l’intérêt de ce report ?
L’espérance de vie en bonne santé est de 63,1 ans pour les hommes et de 64,2 ans pour les femmes. Pour un ouvrier, l’espérance de vie (calculée à l’âge de 35 ans) est inférieure de 10 ans à celle d’un cadre. Comment, dans ces conditions, peut-on estimer que 2 ans de retraite en moins ne pourraient avoir qu’une importance très relative et n’être qu’un paramètre comme un autre ?
Les salariés qui ont, aujourd’hui, le nombre d’annuités suffisantes pour partir en retraite à 60 ans ont commencé à travailler tôt, parfois très tôt, sans pour autant pouvoir profiter des dispositions de plus en plus restrictives de départ anticipé en retraite pour les carrières longues. S’appuyer sur cette réalité pour vouloir les faire travailler après 60 ans est donc particulièrement cynique.
Reporter de deux ans l’âge de départ en retraite, c’est soit allonger le temps durant lequel des salariés qui ne sont déjà plus travail ne seront pas pour autant en retraite, soit laisser au travail des salariés âgés alors que des centaines de milliers de jeunes ne trouvent pas de travail.
Pour le gouvernement de Nicolas Sarkozy, le passage de l’âge légal de 60 à 62 ans implique le passage de 65 à 67 ans de l’âge auquel un salarié pourrait bénéficier du taux plein (50 %) même s’il n’a pas le nombre de trimestres nécessaires. 25 % des femmes, aujourd’hui, ne bénéficient du taux plein qu’à 65 ans. Faudra-t-il qu’elles attendent deux ans de plus pour bénéficier de ce taux ? Et dans quelle situation attendraient-elles d’avoir 67 ans ? Au chômage (alors que Christine Lagarde a fait savoir sa volonté d’en finir avec la dispense de recherche d’emploi pour les salariés âgés) ou sans aucune ressource autre que le RSA ?
Maris et Seux avancent l’exemple de l’Allemagne pour justifier la régressions des retraites en France. Il faut cependant savoir qu’en Allemagne le report de l’âge légal à 67 ans dont les libéraux nous rebattent les oreilles ne se fera qu’en 2029. Par ailleurs, seulement 21,5 % des salariés allemands de plus de 60 ans ont aujourd’hui un travail (cf.Le Monde de l’économie du 7 septembre) ce qui relance le débat au sein du SPD, lui qui est convaincu d’avoir perdu les élections pour avoir accepté le passage à 67 ans alors que 80 % des allemands y étaient opposés. Si les salariés allemands ont subi, au cours des dernières années, une défaite sociale extrêmement dure, nous n’avons aucune raison d’accepter de subir les conséquences dans notre pays. Il faut, enfin, savoir que la situation démographique française n’a rien à voir avec la situation démographique allemande. En France, selon l’institut Nationale d’Etudes Démographiques (INED), le taux de fécondité des femmes est égal à 2,09 enfants par femmes (assurant ainsi le renouvellement des générations) alors qu’il n’est que de 1,5 en Allemagne. Dans ces conditions, comme le souligne l’économiste Dominique Taddéi, vouloir imposer des règles européennes communes à l’évolution des retraites revient à « fixer la même politique de chauffage pour Helsinki, l’Andalousie ou la Sicile ! »
Pourquoi, enfin, le report de l’âge légal serait-il « inévitable » ? Il n’est « inévitable » que pour ceux qui veulent ignorer qu’il est tout à fait possible de financer nos retraites par répartition sans toucher à l’âge légal ou à la durée de cotisation mais en augmentant les cotisations retraites et en priorité les cotisations retraites patronales. Sarkozy a d’emblée, refusé tout débat sur le montant des cotisations retraites. La contre-réforme qu’il veut nous imposer pèse à 90 % sur les seuls salariés et ne fait qu’égratigner les profits et la rente. Comment Maris peut-il accepter de justifier un tel déni de démocratie ?
En refusant de prendre en considération la situation des salariés âgées, des jeunes, des femmes, en refusant de regarder au-delà des caisses de retraites et de s’intéresser aux caisses d’assurance-maladie et d’assurance chômage, en refusant de chercher une solution au problème de nos retraites du côté des recettes et de l’augmentation des cotisations retraites patronales, Bernard Maris ne fait, hélas, que s’aligner sur Nicolas Sarkozy et le néolibéralisme le plus plat, celui de Dominique Seux.
Jean-Jacques Chavigné (Démocratie et socialisme)
« La vie sociale repose sur la confiance »
La
Vous êtes en charge de poser les termes des débats de cette semaine. Comment envisagez-vous cette question de la confiance dans sa dimension objective et surtout subjective ?
« Le contraste entre la confiance objective et la confiance subjective est au cœur des débats. Objectivement l’ensemble de nos relations repose sur une confiance accrue envers les autres. Les liens qui nous unissent à nos compatriotes et au monde entier sont à la fois plus nombreux, et plus forts. En même temps la démocratie suscite les interrogations et la confiance subjective ne suit pas nécessairement la confiance objective. C’est dans l’analyse de ce décalage que se situeront les débats.
Avec l’affaire Bettencourt qui mobilise le gouvernement, cette question de la confiance semble au cœur du problème. Elle évoque la méfiance des citoyens. Quel regard portez-vous sur ce feuilleton ?
« Les exigences de transparence de la vie publique ont augmenté au fur et à mesure que se sont développées les exigences démocratiques. Cela pose des problèmes parce que la vie publique est loin d’être toujours conforme aux idéaux de la démocratie. Il est inévitable qu’en exigeant la transparence on découvre des modes de fonctionnement qui ne sont pas parfaits. Ce qui paraissait normal hier suscite maintenant un sentiment de scandale.
L’article 11 de la déclaration des droits de l’Homme garantit une libre communication des pensées et des opinions mais dans les limites déterminées par la loi, tandis que la Constitution américaine interdit l’adoption de lois restreignant la liberté de la presse. Existe-t-il une réelle liberté de la presse dans notre pays ?
La liberté de la presse fait partie de la liberté politique. Elle est essentielle. Sans elle, il n’y a pas de démocratie. A partir de là, il existe des traditions différentes d’encadrement ou de non-encadrement de cette liberté. Aux Etats-Unis, un amendement de la Constitution garantit une liberté absolue de la presse. La tradition française est un peu différente, mais les événements actuels montrent tout de même que la liberté de la presse est grande. C’est nécessaire. En même temps, les journalistes eux-mêmes ne sont pas au-dessus de la transparence qui est attendue des hommes politiques.
Les Français ne font pas plus confiance aux journalistes qu’aux hommes politiques…
Il serait souhaitable qu’ils fassent à la fois confiance aux journalistes et aux hommes politiques, mais les enquêtes montrent qu’en France la confiance faite aux uns et aux autres ainsi qu’aux institutions en général, est parmi les plus faibles d’Europe. Ce qui pose un problème profond, parce que la vie sociale repose sur la confiance que nous nous faisons les uns les autres.
N’est-ce pas lié à notre manque de confiance dans la justice, souvent décrite comme une institution socialement biaisée au détriment des populations défavorisées ?
Aucune des institutions humaines n’est rigoureusement conforme aux principes démocratiques. Malgré tout, l’égalité de droit n’est pas sans effet. C’est quand même dans les sociétés démocratiques que la justice applique le mieux ou, en tous cas, le moins mal les grands principes de l’égalité de tous devant la loi.
Max Weber soulignait au début du XXe siècle que le droit s’adaptait aux demandes du secteur économique. Le Conseil constitutionnel a retoqué le texte de la loi Hadopi en faveur de la liberté d’expression mais les intérêts des maisons de disques et des auteurs sont privilégiés aux détriments d’une prise en compte des pratiques de consommation culturelle…
Le Conseil constitutionnel n’a critiqué que l’un des aspects de la loi qui a été ensuite adoptée. Sur le fond, le texte tente de résoudre un problème lié à des intérêts contradictoires. La liberté des individus d’un côté, et d’autre part la production des auteurs, faute de quoi, il n’y aura plus de production intellectuelle. Le projet est celui du gouvernement. Le Conseil constitutionnel a seulement vérifié qu’il n’était pas contraire à la Constitution. Il a affirmé que la liberté d’expression sur Internet est une partie de la liberté politique. Personnellement, je ne suis pas sûre que cette loi sera aussi efficace que le gouvernement le souhaitait parce que la technique dépasse en général la législation.
A propos du bouclier fiscal, on lit dans la décision du Conseil constitutionnel que celui-ci tend à éviter une rupture de l’égalité devant les charges publiques, c’est un peu fort de café !
L’idée que le contribuable ne doit pas remettre à l’Etat plus de la moitié de ses revenus n’est pas en tant que telle contraire au principe de la redistribution. C’est une décision politique sur laquelle le Conseil constitutionnel n’avait pas à intervenir.
Cela signifie-t-il que le bouclier fiscal est gravé dans le marbre ?
C’est une décision politique. Comme toutes les décisions politiques, elle peut être remise en question par la situation économique ou par un gouvernement qui adopterait une autre politique. Mais, quelle que soit sa valeur symbolique, ce n’est pas le problème essentiel de la redistribution de la société française.
N’avez-vous pas le sentiment que la confiance des Français dans leurs institutions représentatives s’épuise ?
Ils croient encore aux institutions représentatives parce qu’il n’y en pas d’autres. Mais force est de constater qu’elles sont surtout respectées, pour aller vite, par les plus diplômés, les plus riches et les plus âgés. C’est ce que montrent les chiffres de l’abstention selon les catégories sociales. Ce qui est préoccupant. Pour l’instant nous ne connaissons pas d’autres moyens pour organiser les pratiques démocratiques. »
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Dernier ouvrage paru : Une sociologue au Conseil constitutionnel, éditions Gallimard
Voir aussi : Rubrique Politique Une institution fragile, Rubrique Rencontre Jean-Claude Milner,
« A Haïti la corruption est érigée en vertu »
L’écrivain haïtien Gary Victor était cette semaine de passage pour présenter son dernier roman Saison des porcs et débattre de la situation à Haïti à l’invitation de La Librairie Sauramps. L’auteur, qui réside à Port-au-Prince, connaît Montpellier pour y avoir été accueilli en résidence d’auteur par La Boutique d’écriture d’où est né son livre Banal Oubli (éd, Vent d’ailleurs 2008).
Dans Saison de porcs, on retrouve l’inspecteur Dieuswalwe Azémar, un personnage foncièrement humain et attachant qui noie son honnêteté dans l’alcool.
C’est vrai, il est honnête, confirme Gary Victor, mais cette honnêteté qui est habituellement considérée comme une fierté, est chez lui, vécu comme une tare. D’ailleurs, il ne perd jamais l’occasion de fustiger la bonne éducation qu’il tient de ses parents, simplement parce qu’à Haïti la corruption est érigée en vertu. Mais lui, est incapable de se dépouiller de son humanité, alors il boit.
Azémar est homme intelligent qui aime son métier. Dans le cadre de ses fonctions il est amené à faire entrer de l’imaginaire dans la logique implacable de sa raison. Faut-il lui prêter un penchant spirituel ?
C’est un cartésien. Mais dans son travail d’enquête, il ne rejette pas de prime abord les autres explications parce qu’à Haïti on vit l’invisible et l’imaginaire comme réel. Azémar ne fait pas obstacle à cela pour avancer et en même temps il cherche une logique à ce qui arrive.
Port-au-Prince apparaît dans le livre comme un personnage avec lequel l’antihéros entretien une relation particulière.
« Azémar évolue dans cet environnement urbain en portant des lunettes noires. Au début c’était pour se cacher les yeux de la forte luminosité, puis pour se protéger de la laideur qu’engendre la misère avec toutes ses conséquences qui l’agresse terriblement. Un proverbe haïtien dit que la nuit est comme un manteau qui cache la misère. »
L’inspecteur a une fille adoptive qu’il souhaite envoyer à l’étranger. Il l’a confie dans ce but à une secte évangélique chargé d’assurer son avenir mais se rétracte lorsqu’il apprend les mystérieuses activités de l’organisation. Cette intrigue est-elle le pur fruit de votre imagination ?
Nous avons à Haïti beaucoup de cliniques qui s’ouvrent pour donner des soins sans le moindre contrôle du gouvernement. Je suis certain que sous couvert de venir en aide aux gens pauvres il se passe des choses inavouables et effrayantes. Il y a de nombreuses rumeurs relatives au trafic d’organes qui est devenu un véritable marché international. Je ne crois pas hélas, que les gens fantasment.
La description que vous nous donnez là n’est pas très rassurante quant à l’acheminement de l’aide suite au séisme …
Nous avons observé un assez bon acheminement de l’aide d’urgence, même si je connais des quartiers qui n’ont rien vu du tout. Les ONG comme Médecins sans frontières qui étaient déjà là avant fonctionnent bien. Mais concernant la reconstruction aujourd’hui 75% des gens déclarent que l’aide ne sert à rien. Elle n’arrive pas ou il faut ou on distribue du riz pendant deux semaine puis plus rien ne se passe et on se retrouve dans la même situation. La population n’a pas le sentiment que l’on engage un projet d’avenir. Peut-être faut-il plus de temps ? Il faut néanmoins rester optimisme sinon on cesse de se battre.
recueilli par Jean-Marie Dinh
Saison de porcs, éditions Mémoire d’encrier, 19 euros.
Mesurer la fièvre sans casser le thermomètre
Esther
Racismes, exclusions et discriminations, trois mécanismes de sortie du corps social qui se caractérisent par une rupture de lien. Esther Benbassa, directrice d’études de l’École des hautes études de la Sorbonne connue pour son engagement dans le débat public, s’attaque à ce concept valise (plutôt lourde la valise) en passant les préjugés racistes et les pratiques discriminatoires en France et dans le monde au crible d’une analyse rigoureuse.
Avec le concours de Jean-Chistophe Attias – prix Selligmann contre le racisme, l’injustice et l’intolérance – elle vient de faire paraître Le dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations. On comprend en feuilletant cet ouvrage, comment l’idée de l’autre, l’étranger, l’immigré, le pauvre, l’homosexuel, la personne handicapée…, devient un objet de peur et de rejet.
La colonne vertébrale du livre s’inscrit comme un combat pour la reconnaissance de la différence. Au fil des entrées multiples, sont abordés des questionnements sur la société postcoloniale française, la situation des femmes, la supposée avancée de la lutte contre les discriminations sexuelles… On trouve également des repères historiques ainsi qu’une série de trois cents articles permettant de faire le point sur des sujets et concepts qui traversent le temps pour s’inscrire dans une actualité brûlante.
De cette actualité ressort en France et ailleurs, un inquiétant constat : le passage d’une certaine éthique et d’une certaine compassion, vers la peur du danger et l’émergence soutenue de valeurs régressives contre la délinquance, le désordre, l’immigration…
Un livre pour ne pas tomber dans le piège de la frustration dans une société où l’autre devient un ennemi. A l’heure où la pauvreté élargit son champ pour s’attaquer aux classes moyennes, où le vol par nécessité réapparaît, on considère trop souvent la pauvreté comme une forme de darwinisme social. Pour parer à la déstabilisation politique liée à la crise, l’occupation des esprits s’avère redoutable. On a de plus en plus recours à la stigmatisation, à la relégation vers les prisons. On s’essaie à de vaines tentatives pour faire travailler les pauvres sans que leurs conditions s’améliorent.
Le dictionnaire d’Esther Benbassa s’inscrit dans une perspective de reconnaissance mutuelle pacifique. Un ouvrage à conseiller pour se remettre un peu les idées en place.
Jean-Marie Dinh
Le dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations Éditions Larousse 728 p, 28 euros.
Voir aussi : rubrique Livre essai d’Esther Benbassa Etre juif après Gaza,