Grandir sans patrie

marianne1Selon Lucía Ibáñez, psychanalyste, «Il y a des droits qui ne devraient poser question à personne, comme une évidence limpide de ce qu’une société se doit d’offrir à ses enfants (…). L’inscription d’un enfant au droit social par l’attribution de la nationalité pourrait être une des conditions fondamentales pour grandir subjectivement, mais aussi pour grandir à plusieurs en société».

Notre société s’apprête à l’initiative du gouvernement à inscrire dans la constitution une différence de traitement, basée sur la filiation, pour des personnes condamnées pour acte de terrorisme. Le projet de révision constitutionnelle envisage la déchéance de la nationalité des binationaux, c’est-à-dire des français disposant d’une autre nationalité.

Plusieurs voix se sont déjà élevées pour dénoncer l’aberration et le danger que cette proposition gouvernementale pourrait inscrire au sein de notre constitution en vidant de son sens la devise fondatrice  d’égalité qui stipule un droit égalitaire pour tous les français. Si cette mesure est adoptée, un français condamné pour terrorisme sera déchu de sa nationalité française et sera expulsé du pays. Mais tous les autres, condamnés pour les mêmes actes de terrorisme, nommés abusivement français de souche, et qui ne sont pas en nombre moindre, d’après les statistiques, resteront dans le pays et garderont leur nationalité.

Le gouvernement reconnaît que cette mesure n’aura pas d’incidence sur la lutte contre le terrorisme, mais qu’il s’agit d’un message symbolique. Mais ce message symbolique n’a pas été formulé, quel est-il et à qui s’adresse t-il ?

A une société apeurée et émue marquée par le deuil et la violence ? A notre jeunesse ? Avec quelle perspective ou celle de la désagréger davantage ? A nos enfants ? Comment soutenir devant leurs interrogations que désormais notre société fera une distinction, par la punition, entre des Français qui ont un père ou une mère d’une autre nationalité ? Quel enfant pourrait comprendre une telle inégalité de la justice ?

S’il est attendu, étant donné le contexte, que le gouvernement propose des mesures sécuritaires, il est incompréhensible qu’il ne propose pas à la société les moyens pour penser les questions de fond soulevées par la radicalisation et permettre d’élaborer des mesures qui nous aident, avec la participation de tous les citoyens, à soigner nos blessures et à dépasser nos difficultés ensemble.

C’est de notre responsabilité de penser aux conséquences d’une telle mesure instaurée comme inégalité constitutionnelle. Tout d’abord, elle permettra l’expulsion du condamné dans le pays de parents ou de grands parents où il n’a pas grandi. Mais pourquoi irait-il dans un pays qui lui est étranger alors qu’une des terres du « califat » pourrait l’accueillir, avec encore plus de facilité dans son programme de désubjectivation, tout en l’aidant à nourrir  la haine pour le pays de sa naissance qui l’aura expulsé ?

Une société qui refuse d’interroger ce qu’elle engendre, encourt à fortiori le risque que cela lui fasse retour, d’une manière ou d’une autre.

L’insistance du gouvernement à faire voter une telle mesure est d’autant plus incompréhensible qu’il est impossible de supposer qu’elle provienne de son ignorance sur la complexité du problème auquel il dit vouloir s’attaquer. Au lendemain de l’attentat sur Charlie, le gouvernement commandait à Malek Boutih, député de l’Essonne, une étude approfondie sur « L’analyse et la prévention des phénomènes de radicalisation et du djihadisme en particulier ». Mr. Boutih a rendu son rapport fin juin 2015. Cette étude rigoureuse qui porte le titre: « Génération radicale » a sollicité la participation des hommes et des femmes de terrain du milieu socio-éducatif et pénitentiaire travaillant avec des enfants et des jeunes. Ce document mériterait de  devenir une base de travail sérieuse pour l’élaboration des propositions  qui pourraient répondre aux difficultés soulevées. A l’inverse, ce document semble être resté dans un tiroir sans que le gouvernement s’en soit servi au moins, pour offrir largement à la population l’information richissime qu’il contient et qui aiderait chaque citoyen et chaque citoyenne à prendre conscience de la complexité de la question de la radicalisation qui s’étend dans notre société.

Le rapport fait le portrait « d’une génération au bord de la rupture » qui trouve dans l’offre djihadiste une réponse, certes illusoire et mortifère, au désespoir subjectif de jeunes fragilisés et en rupture avec la société dans laquelle ils vivent.

Le phénomène touche toutes les catégories sociales. Certes il y a les jeunes marginalisés habitants des banlieues mais il a aussi tous ces autres jeunes appartenant à des classes moyennes ou supérieures. « On compte une majorité de moins de 25 ans (65%). La tranche d’âge des 18-25 ans est la plus concerné et s’y ajoute 5% de mineurs ».

Le rapport s’attarde à avertir sur le danger de basculer dans un phénomène de masse étant donné « l’ampleur du phénomène et sa pénétration dans tous les milieux, avec la radicalisation de jeunes étudiants et de jeunes filles en particulier » qui constituent, avec des jeunes diplômés,  des cibles privilégiées pour la stratégie de recrutement djihadiste. Certaines compétences les intéressent davantage : « infirmières, artificiers, sportifs, ingénieurs ».

Ne nous trompons pas, nos jeunes qui basculent dans le terrorisme ne sont pas tous des religieux avec des grands parents maghrébins. Ils constituent dans leur diversité, notre jeunesse française. Ils sont nés sur le sol français, ils ont grandis sous nos lois, sous nos programmes d’éducation, sous nos projets territoriaux, sous nos principes et valeurs culturelles et sur nos choix de société adoptés par tous et devant lesquels chacun est responsable.

A qui donc voudrions-nous faire porter la responsabilité de nos déceptions et de nos défaillances ? (1)

Je voudrais contribuer au débat actuel sur la question de la nationalité en déployant une problématique soulevée par l’application de la règle du droit du sol qui reste largement méconnue des français et qui mérite, me semble t-il, de trouver place dans le débat.

Si nous avons des jeunes dits binationaux, c’est surtout parce que la France impose aux enfants issus de l’immigration la double nationalité.

En effet l’idée socialement répandue que chaque enfant né en France même de parents étrangers serait automatiquement Français grâce à l’application du droit du sol, n’est pas juste. Il n’y a pas d’affectation immédiate de ce droit et de ce fait les parents sont contraints de donner leur propre nationalité à l’enfant. Je vais m’employer dans les lignes qui suivent à déployer cette affirmation et la problématique qu’elle soulève.

Que dit la règle du droit du sol?

Le texte en vigueur sur la nationalité différencie l’attribution de la nationalité française de l’acquisition de celle-ci.

L’attribution est fondée sur le droit du sang en reconnaissance de la filiation : « Est français l’enfant, dont l’un des parents au moins est français au moment de sa naissance » et cela même si l’enfant naît à l’étranger.

Quant à l’acquisition, elle implique une procédure. Il est possible de devenir Français, par mariage, par adoption, et par la demande volontaire de naturalisation. Je ne m’arrêterai pas sur ces situations qui n’intéressent pas mon propos et je vais reprendre ce que dit la loi plus précisément quant au droit du sol pour les enfants nés en France de parents étrangers.

Le droit du sol (jus soli)  a été introduit dans le droit français en 1515 par un arrêt du parlement de Paris qui stipulait : « est français celui qui est né en France, même de parents étrangers, s’il demeure dans le royaume.» (2)

En 1804, le code civil conserve le droit du sol, tout en privilégiant  la filiation du sang. Il apparaît déjà l’obligation pour l’individu né d’un étranger, de réclamer la nationalité française dans l’année suivant sa majorité. Ce délai sera supprimé par la suite, pour qu’à partir de 1851 le droit du sol soit progressivement rétabli pour répondre aux besoins croissants de travailleurs ou de soldats en 1889. Il est intéressant de remarquer que durant cette période de préoccupation militaire, la faculté de répudier la nationalité française avait été interdite (3) pour pouvoir assujettir au service militaire les enfants d’étrangers nés en France.

« En 1993, la loi n°93-933 du 22 juillet, dite loi Pasqua-Méhaignerie, restreint l’accès à la nationalité par le droit du sol pour les jeunes d’origine étrangère. Pour devenir Français, ces derniers doivent désormais, selon les termes de la loi, en manifester clairement la volonté entre 16 et 21 ans». (4)

La législation actuelle qui date de 1998 (loi du 16 mars nº 98-170), dite loi Guigou, a modifié certaines dispositions de la loi Pasqua, en  retirant notamment l’obligation pour le mineur de faire une demande officielle de volonté pour devenir Français.

Aujourd’hui, la nationalité française est déclarée de plein droit en raison de la naissance et de la résidence, mais octroyée sous certaines conditions. Trois possibilités sont envisagées :

  • Lorsque l’enfant a 13 ans, ses parents peuvent la réclamer pour lui, et avec son consentement.  Ils doivent faire une déclaration,  et fournir des documents qui attestent que l’enfant réside en France depuis l’âge de 8 ans et pendant une période consécutive de cinq ans.
  • Dès l’âge de seize ans, le jeune peut réclamer la nationalité par déclaration et sans l’accord des parents. (Article 21-11 du code civil)
  • A 18 ans le jeune devient Français de plein droit, sauf s’il décline cette possibilité. (Article 21-7 du code civil)

Dans les deux derniers cas, l’accès à la nationalité reste dépendant de deux conditions : le jeune devra prouver 5 années de résidence consécutives à partir de l’âge de 11 ans et ne pas avoir été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement, non assortie d’une mesure de sursis.

Avant la loi Guigou, l’enfant n’avait droit à aucun document attestant de sa futurenationalité française. Il portait nécessairement, comme encore aujourd’hui, la nationalité du père ou de la mère.

Depuis 1998 (Décret n° 98-721 du 20 août) l’enfant a droit à  un Titre d’Identité Républicain (TIR) pour pouvoir voyager à l’étranger et être dispensé de visa à son retour en France. Le TIR est délivré sur demande et doit être accompagné, de toute façon,  d’une carte d’identité ou d’un passeport, documents que la France ne peut pas délivrer à l’enfant, puisqu’il n’est pas assimilé encore Français.

De ce survol historique de l’évolution de la loi jusqu’au texte en vigueur, je tiens à relever qu’il y a eu une époque où le droit du sol s’appliquait dès la naissance, pour évoluer ensuite, en fonction des intérêts ou des positions idéologiques des partis au pouvoir, vers une exigence de déclaration de volonté ou de réclamation souhaitée d’un droit par le jeune.

Ce qu’il faut retenir de l’application de la législation actuelle et qui intéresse mon questionnement, c’est que durant toute son enfance et jusqu’à ses 13, 16 ou 18 ans, l’enfant aura affaire à ce statut bizarre d’être considéré potentiellement Français. Ceci semble une aberration qui me permet d’affirmer qu’en France le statut d’étranger se transmet de père à enfant. Cette situation qui crée une sorte d’entre deux est assez problématique. D’abord parce qu’elle n’offre pas à l’enfant un point d’appui solide sur lequel s’appuyer pour construire sa propre historialité en la dégageant de l’histoire de migration des parents. Et ensuite parce que la définition de la loi semble méconnaître, et donc ne pas tenir compte, des besoins psychiques de l’enfant impliqués dans le processus de construction et de différenciation identitaire et dont le besoin d’appartenance au milieu social qui l’entoure est un point d’ancrage essentiel.

Et puis, comment ignorer que l’amour pour la patrie et pour la terre germe durant l’enfance ?

Et comment espérer d’un jeune adolescent la « déclaration d’une volonté » affirmée pour devenir membre à part entière d’une société qui l’aura considéré étranger durant toute son enfance en créant ainsi avec lui un lien teinté d’ambigüité ?

Pour avancer dans le développement de cette problématique, je dois rappeler brièvement les prémisses impliquées dans la construction de la subjectivité et de l’espace identitaire où se fabrique et s’organise sans cesse pour quelqu’un, l’appréhension de sa réalité interne et du monde qui l’entoure. Le petit enfant baigne dès sa naissance, et même avant, dans les eaux langagières et culturelles des parents. Dans ce lieu familial, il entendra les premiers signes qui lui feront appréhender le monde externe avec curiosité et envie, ou bien, avec crainte et méfiance.

La construction, par l’enfant, d’un reflet de mêmeté (5) identitaire dépend de sa rencontre avec l’amour des parents, ce qui passe par la langue et par la manière dont ils ont pris soin de son corps. La langue est le lieu d’ancrage singulier qui signe, en même temps, l’ancrage dans le monde.

A l’école, l’enfant aura l’opportunité de rencontrer d’autres enfants, et pour certains, elle sera le lieu de rencontre avec une autre langue, la langue sociale qui lui permettra d’accéder à un monde bien plus grand que celui de la famille. L’école est aussi le lieu où, par les jeux de miroir que facilite la langue, les enfants approchent avec conscience les marques de leurs différences. La curiosité pour l’autre semblable les amène à se comparer et à se mesurer, ce qui est évidemment structurant. C’est la langue qui fera lien, un lieu d’habitation commun, même si  chacun l’habitera à sa façon. La langue devient patrie, riche de son pouvoir d’enracinement identitaire à une culture. Et lorsque les enfants grandissent dans un bilinguisme culturel, cela est sans doute une richesse mais parfois aussi une confrontation bouleversante et conflictuelle.

Pour certains d’entre eux, le pays d’origine des parents sera source d’un imaginaire imprégné de nostalgie pour la terre perdue et qui sera, d’autant plus idéalisée, que les parents ne reviendront pas au pays natal, mais garderont présente la perspective rêvée d’un retour. Ce rapport ambivalent des parents affecte leur relation avec le nouveau monde social qui les entoure et la façon dont ils vont le présenter à l’enfant.

Une des premières tâches psychiques à accomplir pour l’enfant sera celle de créer sa propre possibilité, (ce qui peut être celle d’une création symptomatique)  pour faire avec la fragilité des parents, pris dans la douleur du déracinement et par leurs propres conflits subjectifs.

C’est bien pourquoi, à partir de sa circonstance familiale, mais aussi pour répondre à la pression psychique d’appartenance sociale, l’enfant cherche, dans le meilleur des cas, d’autres lieux d’adresse, des espaces qui lui fournissent d’autres figures d’identification.

La société, à la place de tiers est celle qui peut assurer pour l’enfant une fonction structurante de coupure séparatrice que je nommerai la fonction  paternelle du social. Cette fonction est porteuse du symbolique par l’écart qu’elle peut signifier avec la condition, quelle qu’elle soit, des parents et par la reconnaissance de l’histoire qui serait celle de l’enfant, en lien et en rupture avec celle des parents. Le message symbolique pourrait se traduire ainsi : tu viens d’un père et d’une mère (reconnaissance de la filiation ancestrale) mais tu es né parmi d’autres qui t’accueillent dans la terre et la langue que nous parlons.

Si cette fonction fait défaut à l’enfant, un lien souffrant s’établit entre lui et les pays de son histoire, ceux des parents et le sien, sans vraiment se sentir appartenir ni à l’un ni à l’autre.

Le conflit identitaire est terrible : « je ne suis pas de là bas » la terre des parents, mais « je ne suis pas des vôtres » non plus.  Il reste être de nulle part. Mais pour un enfant, être de nulle part est foncièrement déstructurant. En manque d’ancrage identitaire à la société dans laquelle il est né, l’enfant grandit dans sa communauté, en marge des autres, portant un vide identitaire.

Et lors du passage adolescent, qui n’est pas linéaire, et que d’ailleurs certains n’arriveront à traverser qu’en y laissant leur peau, le jeune se trouve dans le besoin structurant de contester la loi des parents pour affirmer, souvent par opposition, son droit à la singularité. C’est une époque éminemment sensible et fragile où la question de l’origine se repose avec puissance et dangerosité.

Confus et perdus par le brouillement de miroirs déchus ou idéalisés et n’ayant parfois que le désespoir pour survivre, certains jeunes vont chercher un peu de structure en appartenant à une communauté sectaire pour suppléer à leur manque d’assise identitaire. Ils succombent à un discours qui fait appel à l’obéissance et à la soumission, au nom d’un Dieu-Maîtrequi sait et qui prescrit les commandements pour guérir du mal de vivre. Nous avons à nous interroger sur la défaillance de certaines réponses sociétales qui tombent à côté de l’appel que ces jeunes nous adressent.

De plus, l’adolescent qui se vit en marge de la société trouvera dans le discours ambiant de quoi nourrir un sentiment d’exclusion. Des slogans comme : « Être Français, ça se mérite », ou « la carte d’identité n’est pas la carte orange » imprègnent la langue du rejet de l’autre sans que cela ne cesse de réveiller le démon de la haine. (6)

Toni Gatliff dans son dernier film « Geronimo », met bien en scène la problématique du vide identitaire. Il filme des jeunes issus de l’immigration turque et gitane résidant dans une banlieue du sud de la France, entourés par le trafic de drogue, pris par la violence et surtout plongés dans l’ennui et l’oisiveté sans espoir. La troisième génération, les adolescents, sont prêts à mourir et à tuer pour sauver l’honneur de la tradition, une tradition qu’ils n’ont connue que par la voix des grands parents. Et alors que les parents  avaient tenté de s’en dégager, elle fait retour, avec plus de puissance, chez les jeunes qui se sont saisis d’elle pour l’ériger en patrie. Faute de lien solidaire à une société qui ne les reconnaît que dans leur marginalité, la tradition exacerbée devient pour eux le pater : la patrie des pères.

Le malaise subjectif et social des jeunes interpelle la société, par le biais du politique, dans sa capacité à garantir, pour eux, sa fonction de tiers social. Notre société française l’assume en reconnaissant à chaque enfant le droit à l’école et le droit à la santé, deux lieux qui lui assurent une inscription et une protection sociale. Mais chaque société devrait pouvoir assumer la responsabilité d’accueillir tout enfant qui naît sur sa terre en le reconnaissant comme un sujet social à part entière et cela dès la naissance. Légitimer cette reconnaissance  par le droit serait bien un message symbolique de cohésion sociale adressée à toute la société. Evidemment cela ne saurait suffire pour protéger les enfants du malaise, il y a bien d’autres circonstances qui y participent, la ségrégation territoriale, la pauvreté et « l’apartheid scolaire » (7) qui reproduit les inégalités et la désolidarisation des jeunesses qui grandissent en parallèle sans perspective sociale à construire et à partager.

Il y a des droits qui ne devraient poser question à personne, comme une évidence limpide de ce qu’une société se doit d’offrir à ses enfants, les conditions  suffisamment bonnespour que chacun puisse devenir citoyen en cultivant la tolérance et la curiosité pour l’inconnu. L’inscription d’un enfant au droit social par l’attribution de la nationalité pourrait être une des conditions fondamentales pour grandir subjectivement, mais aussi pour grandir à plusieurs en société, en créant du lien qui ne se fonde pas sur la stigmatisation de l’étranger, mais qui reconnaisse d’emblée la valeur du partage de la vie et de la langue au sein de nos différences.

Les mythes originaires construits autour de la question : « d’où je viens ? » se fondent sur les liens d’appartenance à une famille et à une société. Ceux-ci sont pour l’enfant des points d’ancrage, des bords, pour qu’un jour il puisse les lâcher et partir pour construire sa propre famille et parvenir à se trouver un bout de terre quelque part dans le monde.

En adoptant des lois qui créent des inégalités, nous nourrissons le rejet et la violence sociale et cela porte à conséquence sur l’ensemble de la société. 

 

(1) Cela me fait penser à une personne qui voulait renvoyer sa fille adoptée à son pays d’origine, parce qu’elle s’est aperçue qu’elle ne répondait pas à son idéal d’enfant qu’elle attendait.

(2) In Droit du sol, Wikipedia

(3) Christophe Vimbert, La tradition républicaine en droit publique français, P.U.R., p34

(4) Melting-post.fr, publication de Génériques, association spécialisée dans l’histoire et la mémoire de l’immigration, la sauvegarde, la préservation et l’inventaire des archives de l’immigration en France et en Europe.

(5) Françoise Dolto emploi ce terme pour définir le narcissisme comme un lieu où s’entrecroisent les premières relations langagières, l’image inconscient du corps et le désir.

(6) Lors d’un discours à Grenoble en 2010, Nicolas Sarkozy avait déjà différencié les Français d’origine étrangère du reste de la nation et proposait de retirer la nationalité française à toute personne d’origine étrangère qui porterait atteinte à la vie d’une personne dépositaire de l’autorité publique.

(7) « L’apartheid scolaire, Enquête sur la ségrégation ethnique dans les collèges », Seuil, 2005, Titre du livre du Georges Felouzis, sociologue, son travail sur les inégalités à l’école dénonce l’éclatement du système éducatif sur une base de ségrégation ethnique.

Lucía Ibáñez

Source Invités de Médiapart 12/01/2016

Un produit dangereux dans les foyers : la télé.

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Un livre, nourri de centaines d’études scientifiques, décrit l’impact de la télé sur la société et sur les capacités intellectuelles. Affligeant. La télévision est un fléau, c’est scientifique ! Un chercheur en neurosciences a eu la bonne idée de compiler dans un livre les centaines d’études prouvant les effets toxiques du petit écran, mettant fin au mythe de « la télé, bouc émissaire ».

A la lecture du livre de Michel Desmurget, « TV lobotomie », on se demande comment on peut laisser faire ça. Le constat est tellement accablant que l’on se demande un moment si l’auteur n’est pas de mauvaise foi. Mais au fil des pages, il faut se rendre à l’évidence : l’impact de la télévision est tellement nocif pour la société qu’on se demande pourquoi il n’existe pas un bandeau quand on appuie sur le bouton, du type « la télévision que vous venez d’allumer est dangereuse pour votre santé ».

Des preuves à l’appui du discours, il y en a des centaines dans « TV lobotomie ». C’est justement l’idée de l’auteur, docteur en neurosciences à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) : faire la synthèse des différentes études portant sur la toxicité de la télévision. « Depuis 15 ans, il ne s’est pas passé une semaine sans que j’extraie au moins un ou deux papiers relatifs aux effets délétères de la télévision sur la santé », explique-t-il. Avant d’exposer ces effets, l’auteur veut battre en brèche le mythe de la télévision supplantée par Internet : l’usage des nouvelles technologies ne remplace pas la télé, il s’y additionne. « Un spectateur « typique » de plus de 15 ans passe chaque jour 3h 40 devant son poste de télévision », soit 75 % de son temps libre ! Quant aux enfants, « un écolier du primaire passe, tous les ans, plus de temps devant le tube cathodique que face à son instituteur », soit plus de 2 heures par jour. Pour quelles conséquences ?

Troubles de l’attention

D’abord, l’impact de la petite lucarne sur le développement des enfants et des adolescents. Une « marque » indélébile : « Tous les champs sont touchés, de l’intelligence à l’imagination, en passant par le langage, la lecture, l’attention et la motricité », résume l’auteur (lire ci-dessous). Ces effets s’expliquent notamment par ce que les chercheurs appellent « le déficit vidéo » : passif devant un écran, un enfant pourra apprendre quelque chose, « mais ce quelque chose sera toujours notablement inférieur à ce qu’il aurait appris d’une interaction effective avec son environnement ». Pourquoi ? Parce que l’on ne se construit pas en restant spectateur. « Le cerveau ne s’organise pas en observant le réel, mais en agissant sur lui », rappelle le neurologue. Ainsi, regarder la télévision apparaît comme un moment dépourvu de toute interactivité concrète.

Les effets dévastateurs de la télé se prolongent une fois qu’elle est éteinte. L’enfant prend en effet l’habitude de maintenir son attention par des sollicitations extérieures. Son cerveau, exposé à des séquences courtes, s’habitue à passer du coq à l’âne. Résultat ? Les chercheurs expliquent que le système attentionnel « automatique exogène » (suscité par l’extérieur) s’hypertrophie, au détriment du système « volontaire endogène ». Or, c’est l’attention « volontaire endogène » qui est nécessaire au processus d’apprentissage et de mémorisation.

Sentiment d’insécurité

La télé prescrit aussi, à notre insu, une certaine forme de pensée et d’agir via la publicité, qui est au fondement de son système économique. Et alors ? Elle a des impacts scientifiquement avérés sur les problèmes d’obésité, d’alcoolisme, de dépendance au tabac… Mais pas seulement : l’auteur rappelle qu’elle acculture aussi par les programmes entre les pubs, destinés à retenir l’attention des téléspectateurs coûte que coûte, à « le détendre pour le préparer entre deux messages » publicitaires, selon la célèbre expression de Patrick Le Lay, l’ancien PDG de TF1.

En particulier, Michel Desmurget rappelle que « l’on sait aujourd’hui qu’un individu soumis à des tensions émotionnelles enregistre mieux les messages qui lui sont imposés et s’avère plus aisément conditionnable. S’il s’avère nécessaire, pour favoriser ce dessein, de farcir l’antenne d’un monceau de violence, alors peu importe », écrit-il. Sexe, violence, société de consommation… la télévision ne serait-elle que le reflet de la société ?

Assurément pas, selon l’auteur, qui remarque que la violence et le sexe sont sur-représentées à la télévision par rapport à la réalité. Cela pourrait d’ailleurs expliquer le lien établi par des études entre exposition télévisuelle, et grossesse précoce non désirée par exemple. Le petit écran « travaille » aussi les représentations sur les genres sexuels, plus stéréotypés et inégalitaires à travers son prisme que dans la réalité. Quant au lien entre violence et télévision, Michel Desmurget rappelle qu’il ne fait désormais plus de doute au sein de la communauté scientifique : la télévision rend agressif, c’est presque aussi certain que le lien entre tabac et cancer du poumon.

Caricatural, Michel Desmurget ? 

Aucun chercheur respectable ne suggère que la violence médiatique est « la » cause des comportements violents. La seule chose qu’osent affirmer les scientifiques, c’est que la télévision représente un facteur de violence significatif, et qu’il serait dommage de ne pas agir sur ce levier, relativement accessible en comparaison d’autres déterminants sociaux plus profonds (pauvreté, éducation, cadre de vie, etc.). Michel Desmurget

Non, la télévision n’est pas responsable de tous les maux. Non, la télévision n’est pas seule responsable de l’obésité, ou de la violence. Mais en multipliant les références violentes et anxiogènes pour favoriser l’audience, la télévision rend la société encore plus obèse, encore plus violente. Et parfois, l’influence de la fiction « dépasse la réalité » : le fameux sentiment d’insécurité, qui n’a aucun rapport avec l’évolution des agressions constatées, a par contre un lien avéré avec l’exposition télévisuelle…

Comment la télé éteint l’imaginaire des enfants

Différentes études prouvent que la télévision bride les capacités intellectuelles des enfants, en particulier leur imagination.

La télévision, un média comme un autre qui stimule l’imagination et la créativité ? Si ce discours est tenu, en particulier à la télévision, la réalité est toute autre : différentes recherches, présentées dans le livre de Michel Desmurget (ci-dessus), accréditent la thèse contraire, exprimée en termes simples : la télévision abrutit nos enfants !

Une étude retient particulièrement l’attention du lecteur. Elle a été conduite par deux médecins allemands en 2006, sur une population de près de 2 000 élèves, âgés de 5 et 6 ans. Les médecins ont demandé aux bambins de dessiner un bonhomme. Ils se sont alors aperçu que plus les enfants regardaient la télévision, plus le bonhomme qu’ils dessinaient était simpliste : pas de cheveux, pas d’oreilles, jambes représentées par un trait, etc.

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Les dessins ci-contre, tirés de l’étude, illustrent la différence des représentations imaginaires entre des enfants soumis à la télévision plus de trois heures par jour, et des enfants dont l’exposition est égale ou inférieure à une heure… pas besoin de faire un dessin !

Pour cette étude, Michel Desmurget ne précise pas si les auteurs ont pris en compte d’autres variables : les enfants regardant la télévision ne seraient-il pas aussi ceux qui vivent dans un environnement socio-éducatif moins stimulant ? La différence de richesse de représentation de l’imaginaire pourrait ainsi s’expliquer principalement par des facteurs socio-éducatifs. La télévision ne serait alors qu’une « variable écran ».

1973 au Canada : avant et après l’arrivée de la télé

Mais le doute n’est pas permis pour un autre travail présenté dans « TV lobotomie », dans lequel des chercheurs, dès 1973, ont analysé l’impact de l’arrivée de la télévision (avant, après) dans une ville canadienne de taille moyenne. Ils ont complété leur étude en confrontant les résultats avec des villes comparables ayant déjà la télévision.

L’un des travaux consistait à demander à des jeunes de 9 à 12 ans d’imaginer les différents usages possibles de 5 objets (couteau, chaussure, bouton…). Les résultats montrèrent que les enfants de la ville où la télévision était encore absente (NoTel) mentionnaient 40 % d’usages supplémentaires possibles des objets, par rapport aux jeunes de la ville où la télévision était déjà présente. « Et lorsque l’expérience fut reproduite, sur des sujets d’âge similaire, 2 ans après l’arrivée de la petite lucarne dans les foyers NoTel, plus aucune différence ne fut observée entre les différentes villes » souligne Michel Desmurget, qui conclut, un peu plus loin dans le livre :

La petite lucarne ne rend pas les enfants débiles ou visiblement crétins, mais elle empêche assurément le déploiement optimal des fonctions cérébrales. La vox populi aura évidemment beau jeu de nier l’existence du moindre détriment : voyez, nous dira-t-elle, ils ont regardé la télé et ils ne s’en sont pas mal sortis, ils ne sont pas débiles. Personne cependant ne demandera : cet écran qu’ils ont tant regardé, que leur a-t-il volé ? Michel Desmurget

Fabien Ginisty

Source n°91 de L’âge de faire.

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Par Florence Weber

Le lecteur français de Marcel Mauss peut être à juste titre désorienté. Il est face à une œuvre émiettée, foisonnante, coupée en morceaux, restée l’otage de rapports de force anachroniques. Il ne peut consulter qu’en bibliothèque, ou en ligne (http://classiques.uqac.ca/), le seul ouvrage édité du vivant de Mauss, Mélanges d’histoire des religions, paru en 1909 en collaboration avec Henri Hubert et jamais réédité depuis 1929. Il peut croire que Mauss a rédigé un Manuel d’ethnographie, réédité en 2002 dans la « Petite bibliothèque Payot », alors même qu’il s’agit des notes de cours prises par Denise Paulme, dans un contexte scientifique obsolète, Mauss ayant conçu ce cours dans le cadre d’une stricte division du travail entre un savant compilateur et « une petite armée de travailleurs auxiliaires » (expression indigène que je dois au travail de Benoît de l’Estoile). Il ne sait rien du combat entre les deux éditeurs du célèbre recueil Sociologie et anthropologie, maintes fois réédité en poche : avec son « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », Claude Lévi-Strauss y a imposé une lecture anthropologique et structuraliste, contre le sociologue Georges Gurvitch réduit à rédiger un bref « Avertissement » pour signaler la place éminente de Mauss dans l’école durkheimienne. Il ne sait rien non plus des raisons pour lesquelles les trois tomes des Œuvres de Mauss, parus chez Minuit en 1968 et 1969, et dont seul le tome 2 est encore disponible en librairie, sont incomplets : Victor Karady n’avait pas pu intégrer les articles publiés dans Sociologie et anthropologie, non plus que les textes politiques, qui sont aujourd’hui disponibles chez Fayard (Ecrits politiques). Enfin, il peut se procurer en poche Essais de Sociologie, recueil édité en 1971 sans introduction, regroupant quelques articles fondamentaux publiés par Mauss entre 1901 et 1934. Espérons que la publication séparée de l’Essai sur le don par les PUF (2007, coll. « Quadrige ») inaugure une meilleure politique de publication.

La situation est paradoxale. Pour le spécialiste comme pour l’étudiant, les textes en français sont disponibles en ligne, grâce au travail réalisé par l’Université du Québec à Chicoutimi. Mais comment s’y retrouver ? Entre 1899 et 1925, Mauss est passé de la sociologie des religions à l’ethnographie économique. Pourquoi ? Comment ? Il faut d’abord reconstituer la chronologie et, avec elle, le mouvement même de la pensée. Le célèbre texte sur le sacrifice, avec Henri Hubert, est paru en 1899 (Œuvres tome 1, chapitre 3). Peu après, en 1903, les mêmes Hubert et Mauss publiaient leur non moins célèbre travail sur la magie. Qui peut comprendre aujourd’hui les liens entre ces deux articles ? L’éditeur de Sociologie et anthropologie, en 1950, a cette phrase magnifique : « Quelques pages préliminaires ont été rapportées en appendice, joint à la fin de cette étude ». Ces trois pages en petits caractères justifient pourtant les raisons pour lesquelles l’école durkheimienne passe de l’étude du sacrifice, institution par excellence, à l’étude de la magie : comprendre la nature des rites en général, montrer « comment, dans la magie, l’individu isolé travaille sur des phénomènes sociaux » (S.A. 1950, p. 140). Mais c’est un autre article de Mauss sur la magie, et un article d’Hubert sur le temps, qui sont discutés en 1906 dans l’Introduction aux Mélanges (Œuvres tome 1, chapitre 1). En 1909, Mauss poursuit l’étude des rites dans sa thèse inachevée : La prière, manuscrit donné à l’éditeur Félix Alcan en 1909 et immédiatement retiré par l’auteur. Pour qui lit en détail ce manuscrit (Œuvres tome 1, chapitre 4), c’est alors que Mauss prend le tournant qui le conduira jusqu’à l’Essai sur le don : Mauss en arrive à une conception du rite qui laisse de côté les considérations religieuses, qui fait du « don aux dieux » un cas particulier du don en général, et du don entre les humains un condensé de rite social.

Le lecteur anglophone est mieux armé pour comprendre ce fil essentiel de l’œuvre de Mauss. Parce qu’il fallait traduire, et parce que les plus grands anthropologues anglais se sont engagés dans l’entreprise, il dispose de plusieurs ouvrages longuement commentés : plusieurs éditions de The Gift (préfacé par Evans-Pritchard puis par Mary Douglas), Sacrifice (préfacé par Evans-Pritchard), A General Theory of Magic, mais aussi plus récemment On Prayer (2004, Berghahn). Plus largement, le travail de Mauss n’a pas été séparé, outre-Manche et outre-Atlantique, de la réception faite à l’école durkheimienne. Les noms de ses premiers compagnons, Henri Hubert, Robert Hertz, y sont à juste titre presque aussi célèbres que celui de Mauss ; les liens entre la sociologie des religions et l’ethnographie y sont mieux compris ; sa pleine appartenance à l’école durkheimienne, aussi. L’œuvre de Mauss est un trésor inépuisable pour le dialogue entre disciplines, témoin dans le domaine de l’archéologie et de l’histoire des techniques le travail de Nathan Schlanger dans Techniques, Technology and Civilization (Berghahn 2006). On espère l’équivalent dans le domaine de la psychologie avec une réédition des principaux textes où Mauss dialogue avec les psychologues en montrant l’efficacité physiologique et psychologique des rituels.

Tout se passe comme si les incidents qui ont émaillé la publication et la réception posthumes de l’œuvre de Mauss en France avaient, dès 1950, contribué à opposer Mauss à Durkheim, l’anthropologie à la sociologie, l’anthropologie des sociétés primitives à celle des sociétés contemporaines qui, pour Mauss, s’appelle encore le folklore. Qui prête attention au titre que Mauss a lui-même donné au recueil d’articles de Robert Hertz, mort en 1915, publié chez Alcan en 1928 : Mélanges de sociologie religieuse et folklore ? L’image de Mauss en France est aujourd’hui brouillée par un double anachronisme. On a mis récemment en avant le militant socialiste, l’ami de Jaurès, l’observateur critique du bolchevisme, et les liens entre sociologie durkheimienne et socialisme, alors même qu’il nous est difficile de comprendre aujourd’hui le contexte politique, une partie des socialistes de l’entre-deux-guerres, y compris des proches de Mauss, ayant rejoint dès 1934 les mouvements d’extrême droite puis le gouvernement Pétain. On lui prête la paternité d’un paradigme du don opposé au marché, on l’associe à l’acronyme du Mouvement Anti-Utilitariste dans les Sciences sociales (Mauss) – certes respectable, mais dont le lien avec l’œuvre de Mauss est bien lâche.

Source Edition PUF

Comment le discours médiatique sur l’écologie est devenu une morale de classe

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On nous conseille d’éteindre les lumières mais pas de remiser les 4×4. On culpabilise les individus mais pas les entreprises. Entretien avec le sociologue Jean-Baptiste Comby.

 

Jean-Baptiste Comby est sociologue, maître de conférences à l’Institut Français de Presse de l’Université Paris-2. A quelques jours de la COP21, il vient de publier «la Question climatique. Genèse et dépolitisation d’un problème public» aux éditions Raisons d’agir.

BibliObs. Votre ouvrage analyse la montée en puissance de la question climatique dans les médias généralistes depuis la grande conférence de Kyoto, en 1997. Comment avez-vous travaillé et qu’avez-vous découvert ?

Jean-Baptiste Comby. J’ai regardé et analysé les sujets consacrés aux enjeux climatiques des journaux télévisés du soir de TF1 et France 2 entre 1997 et 2006, soit 663 sujets. J’ai également examiné les campagnes de communication des agences publiques, notamment l’ADEME, et de façon moins systématique les articles consacrés à la question par la presse quotidienne nationale, notamment lors de la ratification du protocole de Kyoto en 2005, ou encore les nombreux documentaires, débats ou docu-fictions diffusés entre 2005 et 2008.

J’ai également réalisé des entretiens avec une quarantaine de journalistes chargés de la rubrique «environnement» ainsi qu’avec une trentaine de leurs «sources» (scientifiques, militants, fonctionnaires, etc.). Il se dégage de ce corpus que, si la question du climat occupe une place de plus en plus importante dans le débat médiatique au cours des années 2000, la présentation qui en est faite connaît une torsion significative: l’accent est mis sur les conséquences de l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, beaucoup moins sur ses causes. Plus les journalistes traitent la question climatique, plus ils contribuent à la dépolitiser.

Pouvez-vous donner des exemples ?

Les sujets télévisés que j’ai analysés se servent d’effets esthétiques assez répétitifs: le soleil qui brille, la tempête, le symbole du thermomètre, le contraste bleu/rouge qui représente le froid et le chaud. Du reste, on parle de «réchauffement climatique», comme si le seul enjeu était la température, alors qu’on devrait parler de « changements climatiques », puisque seront également altérés les régimes pluviométriques, la dynamique des courants marins ou des vents, etc.

Une autre expression consacrée attribue la responsabilité du dérèglement aux «activités humaines», comme si toutes les activités polluaient de façon équivalente. Enfin, très majoritairement, ces reportages incitent plus ou moins explicitement les citoyens à changer leurs comportements, relayant à leur manière la politique de l’Etat (crédits d’impôt, prêts à taux zéro, etc.). On tient un discours de morale individuelle. Toute cette grammaire évacue la question de savoir quelles décisions politiques et mécanismes économiques sont à l’origine d’activités polluantes.

En quoi cela dépolitise-t-il la question climatique ?

Dépolitiser, c’est passer sous silence les causes collectives et structurelles de la pollution: l’aménagement des villes et des transports, l’organisation du travail, le fonctionnement de l’agriculture, le commerce international, l’extension infinie du marché. La politique, c’est l’organisation de la vie collective, le choix de nos valeurs, le mode de répartition de la richesse, etc.

Or, le discours actuel revient à placer la question de l’environnement en dehors de ce champ de discussion. Certes, les discours officiels préparatoires à la COP21 en appellent à une transformation des sociétés pour les «dé-carboner». Mais si l’énoncé est politique, aucun de ces mots d’ordre ne jugent nécessaire d’interroger l’emprise croissante des logiques marchandes qui sont désormais au principe de la vie sociale. En somme, on nous propose de changer de société… sans modifier les structures sociales !

Au fond, politiser, ce serait montrer le lien entre le changement climatique et le capitalisme.

Comment faire face au changement climatique sans changer de modèle économique ? Pour «digérer» la crise écologique et faire croire qu’un «capitalisme vert» est possible, plusieurs logiques sont mobilisées : l’innovation technique, le recours au marché (par la création des droits à polluer) ou encore la militarisation de l’accès aux ressources naturelles. Dans mon livre, je m’intéresse plus particulièrement à une quatrième tendance, qui consiste à dépeindre la question environnementale comme un problème de morale individuelle.

Il reviendrait à chacun de nous de sauver la planète en changeant son comportement. Or c’est plutôt en imaginant et en luttant pour d’autres organisations sociales que nous rendrons possible l’adoption durable de styles de vie à la fois moins inégaux et plus respectueux des écosystèmes naturels.

Pourtant, n’est-il pas exact que nous sommes tous un peu responsables de notre environnement ?

On retrouve à propos de l’environnement le schéma du discours néolibéral: il n’existerait que des individus agissant rationnellement et vivant comme en apesanteur du social. Séparer ainsi l’individu du collectif n’a aucun sens et finit par déformer la réalité.

Par exemple, au milieu des années 2000, le ministère de l’Environnement a mis en avant une affirmation clairement discutable: «Les ménages sont responsables de 50% des émissions de gaz à effet de serre.» Ce chiffre a été fabriqué à partir d’une statistique qui calcule la part des grands secteurs producteurs de CO2: énergie, industrie manufacturière, agriculture, résidentiel-tertiaire, transport routier, autres transports, etc. L’astuce consiste à attribuer aux ménages toutes les émissions de CO2 qui ne viennent pas de l’énergie, de l’industrie et de l’agriculture. Ce qui revient à oublier que les avions et les trains transportent d’abord des hommes d’affaires ; que les camions sont en général affrétés par les entreprises ; que les déchets sont fabriqués par l’industrie…

Surtout, en parlant des «ménages» en général, cette statistique laisse entendre que tous les individus ont la même part de responsabilité. Or, un riche pollue généralement plus qu’un pauvre. Il n’est pas juste de mettre sur un pied d’égalité un cadre de direction qui possède deux voitures et prend l’avion trois fois par mois et une personne touchant le RSA qui circule principalement en bus. Un tel discours occulte les inégalités sociales.

Que sait-on sur les inégalités sociales d’émissions de CO2 ?

Les statisticiens commencent tout juste à construire des outils pour les mesurer rigoureusement. Une étude réalisée en 2010 par François Lenglart montre qu’un ouvrier produit 5 tonnes de CO2 par an et un cadre 8,1. Début octobre, les économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty ont publié une étude qui montre que les 10% d’individus les plus polluants au niveau mondial (c’est-à-dire les classes moyennes et supérieurs des pays industrialisés et les classes supérieures des pays émergents), émettent 50% des gaz à effet de serre, tandis que les 50% les moins polluants n’en produisent que 10%. Mais il y a encore beaucoup de travail pour évaluer et expliquer de façon scientifique la contribution des groupes sociaux à la dégradation de l’environnement.

Pour autant, n’allons-nous pas devoir en effet changer nos comportements, y compris sur un plan individuel ? Ces messages permettent peut-être d’amorcer une prise de conscience ?

Dans mon travail, j’ai aussi mené des entretiens collectifs et analysé des données statistiques pour étudier comment les personnes, en fonction de leurs milieux sociaux, pensent, discutent et se comportent vis-à-vis de ces enjeux. Cela permet de comprendre le paradoxe suivant: si les classes supérieures sont les plus disposées à faire valoir leur attitude «eco friendly», ce sont aussi elles qui tendent à polluer le plus. Partageant les valeurs véhiculées par les campagnes de «sensibilisation», elles seront plus facilement portées à mettre en œuvre une bonne conscience écologique en triant leurs déchets ou en fermant le robinet.

Mais ces quelques gestes et ce verdissement partiel de leur quotidien, dont elles peuvent tirer une certaine reconnaissance sociale, ne remettront pas en cause leur mode de vie et elles continueront à polluer plus qu’un ouvrier. Et l’on remarquera que la morale écocitoyenne, si prompte à nous dire qu’il faut éteindre la lumière, s’abstient de dévaloriser par exemple le fait de rouler en 4×4 en ville, un comportement pourtant très énergivore.

Tout cela explique, du reste, l’agacement de plus en plus vif suscité par ces injonctions écocitoyennes: on nous vend comme une morale universelle ce qui n’est qu’une morale de classe. Dans mes entretiens, je constate que de nombreuses personnes, plutôt au sein des milieux populaires, démasquent intuitivement cette hypocrisie.

Propos recueillis par Eric Aeschimann

Source : Le Nouvel Obs 26/11/2015

Livre : La question climatique
Genèse et dépolitisation d’un problème public
par Jean-Baptiste Comby
Raisons d’agir, 242 pages, 20 euros.

“Les Français doivent se battre contre le projet d’une énième loi antiterroriste”, Giorgio Agamben

 Des militaires du camp de Satory à Versailles, au garde-à-vous, en attendant le discours du ministre de la Défense dans le cadre du plan Vigipirate alerte attentat. © Julien Muguet / IP3
Un “Patriot Act à la française” est-il souhaitable ? Pas pour le philosophe italien Giorgio Agamben, qui considère que, dans un Etat sécuritaire, la vie politique est impossible. Et la démocratie en danger.

Alors que Bernard Cazeneuve doit présenter de nouvelles mesures pour lutter contre le terrorisme demain en Conseil des ministres, le philosophe Giorgio Agamben, pendant italien de Michel Foucault, a accepté d’évoquer avec nous les séquelles politiques de l’attaque contre Charlie Hebdo. Vilipendeur de l’état d’exception (qu’il a disséqué dans sa trilogie Homo Sacer), il a consacré une bonne partie de sa vie à pointer les dérives du biopouvoir, ce pouvoir qui s’exerce sur les corps et gouverne les hommes.

Tandis que certaines voix parlementaires réclament déjà un « Patriot Act à la française » (du nom de ce texte américain voté sept semaines après le 11 septembre 2001), il dresse le portrait sévère d’une société où le droit à la sécurité, à la sûreté préempte tous les autres, qu’il s’agisse de la vie privée ou de la liberté d’expression. La conséquence des politiques ultra-sécuritaires ? Un système qui abandonne toute volonté de gouverner les causes pour n’agir que sur les conséquences.

Après le choc de Charlie, la classe politique nous parle beaucoup du « droit à la sécurité ». Faut-il s’en méfier ?

Au lieu de parler de la liberté de la presse, on devrait plutôt s’inquiéter des répercussions que les réactions aux actes terroristes ont sur la vie quotidienne et sur les libertés politiques des citoyens, sur lesquelles pèsent des dispositifs de contrôle toujours plus pervasifs. Peu de gens savent que la législation en vigueur en matière de sécurité dans les démocraties occidentales – par exemple en France et en Italie – est sensiblement plus restrictive que celle en vigueur dans l’Italie fasciste. Comme on a pu le voir en France avec l’affaire Tarnac, le risque est que tout dissentiment politique radical soit classé comme terrorisme.

Une conséquence négative des lois spéciales sur le terrorisme est aussi l’incertitude qu’elles introduisent en matière de droit. Puisque l’enquête sur les crimes terroristes a été soustraite, en France comme aux Etats-Unis, à la magistrature ordinaire, il est extrêmement difficile de pouvoir jamais parvenir à la vérité en ce domaine. Ce qui prend la place de la certitude juridique est un amalgame haineux de notice médiatique et de communiqués de police, qui habitue les citoyens à ne plus se soucier de la vérité.

On va vous accuser de faire le lit du conspirationnisme…

Non. Dans notre système de droit, la responsabilité d’un crime doit être certifiée par une enquête judiciaire. Si celle-ci devient impossible, on ne pourra jamais assurer comme certaine la responsabilité d’un délit. On fait comme si tout était clair et le principe juridique selon lequel personne n’est coupable avant le jugement est effacé. Les théories conspirationnistes qui accompagnent invariablement ce type d’événement se nourrissent de la dérive sécuritaire de nos sociétés occidentales, qui jette un voile de suspicion sur le travail politico-judiciaire.

A cet égard, la responsabilité des médias est flagrante. L’indifférence et la confusion qu’ils produisent nous font ainsi oublier que notre solidarité avec Charlie Hebdo ne devrait pas nous empêcher de voir que le fait de répresenter de façon caricaturale l’Arabe comme un type physique parfaitement reconnaissable rappelle ce que faisait la presse antisémite sous le nazisme, où on avait forgé dans le même sens un type physique du juif. Si aujourd’hui on appliquait ce traitement aux juifs, ça ferait scandale.

Avant les attentats, les spécialistes du renseignement répétaient tous : « La question n’est pas de savoir si la France sera touchée par un attentat, mais quand elle le sera.  » Présenter l’acte terroriste comme inéluctable est-il un premier moyen de conditionnement du citoyen ?

Le terrorisme est aujourd’hui un élément stable de la politique gouvernamentale des Etats, dont on ne saurait se passer. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il soit présenté comme inéluctable. Peut-on imaginer la politique étrangère des Etats-Unis sans le 11-Septembre ? Cela est tellement vrai qu’en Italie, qui a été dans les années dites « de plomb », le laboratoire pour les stratégies d’utilisation du terrorisme, on a eu des attentats, comme celui de Piazza Fontana à Milan, dont on ne sait toujours pas s’ils ont été commis par les services secrets ou par les terroristes. Et je crois que le terrorisme est par definition un système où services et fanatisme travaillent ensemble, parfois sans le savoir.

Je partage entièrement la conviction de Marie-José Mondzain [une philosophe française spécialiste des l’image, ndlr] : il n’est pas vrai que nous sommes tous égaux face aux événements terroristes. Une majorité les vit uniquement sur le plan affectif, mais il y a aussi ceux qui veulent en tirer parti politiquement (on les voit déjà à l’œuvre). Il y a, enfin, une minorité qui essaie de comprendre et de réflechir aux causes véritables. Il faut travailler à ce que cette minorité devienne une majorité.

On a l’impression que les lois antiterroristes sont largement consensuelles à gauche comme à droite, mais que les citoyens ont déserté le débat public autour d’elles.

Pour comprendre l’unité systémique qui s’est établie entre Etat et terrorisme, il ne faut pas oublier que les démocraties occidentales se trouvent aujourd’hui au seuil d’un changement historique par rapport à leur statut politique. Nous savons que la démocratie est née en Grèce au Ve siècle par un processus de politisation de la citoyenneté. Tandis que jusque-là l’appartenance à la cité était définie avant tout par des conditions et des statuts de différentes espèces (communauté cultuelle, noblesse, richesse, etc.), la citoyenneté, conçue comme participation active à la vie publique, devient désormais le critère de l’identité sociale.

Nous assistons aujourd’hui à un processus inverse de dépolitisation de la citoyenneté, qui se reduit de plus en plus à une condition purement passive, dans un contexte où les sondages et les élections majoritaires (devenus d’ailleurs indiscernables) vont de pair avec le fait que les décisions essentielles sont prises par un nombre de plus en plus réduit de personnes. Dans ce processus de dépolitisation, les dispositifs de sécurité et l’extension au citoyen des techniques de contrôle autrefois reservées aux criminels récidivistes ont joué un rôle important.

Quelle place a le citoyen dans ce processsus ?

Le citoyen en tant que tel devient en même temps un terroriste en puissance et un individu en demande permanente de sécurité contre le terrorisme, habitué à être fouillé et vidéo-surveillé partout dans sa ville. Or il est évident qu’un espace vidéo-surveillé n’est plus une agora, n’est plus un espace public, c’est-à-dire politique. Malheureusement, dans le paradigme sécuritaire, les stratégies politiques coïncident avec des intérêts proprement économiques. On ne dit pas que les industries européennes de la sécurité, qui connaissent aujourd’hui un développement frénétique, sont les grands producteurs d’armements qui se sont convertis au business sécuritaire, qu’il s’agisse de Thales, Finmeccanica, EADS ou BAE Systems.

La France a voté quinze lois antiterroristes depuis 1986, certains appellent déjà de leurs vœux un « Patriot Act à la française », et pourtant, nous n’avons pu empêcher ni Merah, ni les frères Kouachi, ni Coulibaly. Comment expliquer la faillibilité de ces dispositifs ?

Les dispositifs de sécurité ont d’abord été inventés pour identifier les criminels récidivistes : comme on a pu le voir ces jours-ci et comme il devrait être évident, ils servent pour empêcher le deuxième coup, mais pas le premier. Or le terrorisme est par définition une série de premiers coups, qui peuvent frapper n’importe quoi et n’importe où. Cela, les pouvoirs politiques le savent parfaitement. S’ils persistent à intensifier les mesures de sécurité et les lois restrictives des libertés, c’est donc qu’il visent autre chose.

Ce qu’il visent, peut-être sans en avoir conscience, car il s’agit là de transformations profondes qui touchent l’existence politique des hommes, est le passage des démocraties de masse modernes à ce que les politologues américains appellent le Security State, c’est-à-dire à une societé où la vie politique devient de fait impossible et où il ne s’agit que de gérer l’économie de la vie reproductive. Le paradoxe est ici qu’on voit un libéralisme économique sans bornes cohabiter parfaitement avec un étatisme sécuritaire tout aussi illimité. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet Etat, dont le nom renvoie étymologiquement à une absence de souci, ne peut au contraire que nous rendre plus soucieux des dangers qu’il entraîne pour la démocratie. Une vie politique y est devenue impossible, et une démocratie sans vie politique n’a pas de sens. C’est pour cela qu’il est important que les Français se battent contre le projet annoncé par le gouvernement d’une enième loi contre le terrorisme.

Je pense aussi qu’il faut situer le prétendu affrontement entre le terrorisme et l’Etat dans le cadre de la globalisation économique et technologique qui a bouleversé la vie des sociétés contemporaines. Il s’agit de ce que Hannah Arendt appelait déjà en 1964 la « guerre civile mondiale », qui a remplacé les guerres traditionnelles entre Etats. Or ce qui caractérise cette situation, c’est justement qu’on ne peut pas distinguer clairement les adversaires et que l’étranger est toujours à l’intérieur. Dans un espace globalisé, toute guerre est une guerre civile et, dans une guerre civile, chacun se bat pour ainsi dire contre lui-même. Si les pouvoirs publics étaient plus responsables, ils se mesureraient à ce phénomène nouveau et essayeraient d’apaiser cette guerre civile mondiale au lieu de l’alimenter par une politique étrangère démentielle qui agit au même titre qu’une politique intérieure.

Comment résister à cette tentation sécuritaire ? Existe-t-il des garde-fous ?

Il est clair que, face à une telle situation, il nous faut repenser de fond en comble les stratégies traditionnelles du conflit politique. Il est implicite dans le paradigme sécuritaire que chaque conflit et chaque tentative plus ou moins violente pour le renverser n’est pour lui que l’occasion d’en gouverner les effets au profit des intérêts qui lui sont propres. C’est ce qui montre la dialectique qui lie étroitement terrorisme et réponse étatique dans une spirale vicieuse et virtuellement infinie. La tradition politique de la modernité a pensé les changements politiques radicaux sous la forme d’une révolution plus ou moins violente qui agit comme le pouvoir constituant d’un nouvel ordre constitué. Je crois qu’il faut abandonner ce paradigme et penser quelque chose comme une puissance purement destituante, qui ne saurait être capturée dans le dispositif sécuritaire et dans la spirale vicieuse de la violence.

Jusqu’à la modernité, la tradition politique de l’Occident etait fondée sur la dialectique entre deux pouvoir hétérogènes, qui se limitaient l’un l’autre : la dualité entre l’auctoritas du Sénat et la potestas du consul à Rome ; celle du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel au Moyen-Age ; et celle du droit naturel et du droit positif jusqu’au XVIIIe siècle. Les démocraties modernes et les Etats totalitaires du XXe siècle se fondent, par contre, sur un principe unique du pouvoir politique, qui devient ainsi illimité. Ce qui fait la monstruosité des crimes commis par les Etats modernes, c’est qu’il sont parfaitement légaux. Pour penser une puissance destituante, il faudrait imaginer un élément, qui, tout en restant hétérogène au système politique, aurait la capacité d’en destituer et suspendre les décisions.

Olivier Tesquet

Source Télérama 20/01/2015 Mis à jour le 17/11/2015

Voir aussi : Actualité nationale La France en première ligne dans la guerre terroriste Rubrique SociétéCitoyenneté,  Attentats de Paris : Le temps de la récolte est venu, rubrique Politique, Société civile. : rubrique Philosophie, Où sont les politiques ?,