Dans les eaux troubles du cinéma de 26e zone

 

Roman. Série Z, le troisième roman décalé de l’auteur sétois J-M. Erre, nous entraîne dans un hospice d’acteurs très loin des enfants de chœur.

serie-z3On ne vous a pas parlé du dernier livre de J-M. Erre ? Parce que, à ce qui se dit : trois mois après sa sortie, Série Z faisait fureur dans les maisons de retraite. L’auteur n’est pourtant pas (encore ? ) académicien. C’est un prof de français à Sète qui doit certainement savoir parler aux jeunes.La trentaine pas finie, Félix vit aux crochets de sa charmante compagne Sophie. Une jeune fille censée et pleine d’entrain, dont la plus remarquable des qualités est de le supporter. Félix est un cinéphile dingue de Série Z. Avant d’aller plus avant, on notera que l’auteur est conscient des effets occasionnels perturbateurs que peut déclencher sa prose. Magnanime autant que pédagogue, il encadre ses lecteurs, en leur donnant d’entrée quelques clés de compréhension :  » Au cinéma, explique-t-il, on désigne sous le nom de « Série Z » une catégorie de films moqués pour leur budget insignifiant, leur médiocrité technique et leur pauvreté artistique. Il n’en reste pas moins que nombre de séries Z ont atteint le statut de film culte dans des cercles de cinéphiles initiés et/ou alcoolisés.« 

L’écrivain de cette folle ville portuaire a fait de l’hilarité sa marque de fabrique. On lui doit déjà Prenez soin du chien, qui mettait en scène les relations aigres-douces de proximité obligatoire. On apprend toujours plein de trucs dans les bouquins décalés de cet auteur. Genre, ce qui peut vous arriver quand votre voisin décide de consigner vos agissements dans son journal intime… J-M. Erre a écrit aussi Made in China, où il retrace la loufoque quête identitaire d’un petit Africain adopté dans un orphelinat chinois par des Provençaux accaparants ! Dans Série Z, le héros est un glandeur passionné. Ce qui, à noter au passage, est toujours mieux qu’un glandeur tout court.

Ce troisième roman aborde assez sérieusement la question de la vieillesse même si une fâcheuse envie vous pend parfois de vous taper les mains sur le ventre. C’est aussi un hommage exultant et quasi métaphysique au cinéma de Série Z.

L’ouvrage abonde de références triées sur le volet. Pour n’en citer que quelques-unes, on se limitera au célèbre hurlement de l’épicière éviscérée dans Le retour des tomates tueuses où les vociférations des touristes dans L’attaque des sangsues géantes. Bon, je vois bien que certains semblent un peu perdu là. Il est temps de rappeler le danger potentiel auquel les lecteurs non initiés et/ou non alcoolisés s’exposent. Que croyez-vous ? On ne passe pas impunément d’une vie tranquille à un enfer criminel post-apocalyptique !

Pour Félix, les choses sérieuses commencent avec son premier rancart décroché avec un producteur de viande en gros à Rungis. Si certains ricanes, Félix lui, sent qu’il tient la chance de sa vie. L’occasion inespérée de placer son scénario L’hospice de l’Angoisse. Mais dans l’univers burlesque de cette dangereuse maison de vieilles stars du Z, la fiction ne tarde pas à dépasser la réalité. On apprécie particulièrement la saveur des dialogues décatis et l’éruption de la vieillesse bornée et déchaînée par des ego surdimensionnés. Comme le cite un des personnages du livre  » Saine hilarité, bonne santé ! « 

 Jean-Marie Dinh

Série Z, éditions Buchet Chastel, 20 euros.

Festival de Radio France : Au carrefour du cinéma et de la littérature, le cas Herrmann

Herrmann : un certain goût pour la dissonance

Dans le cadre de ses soirées, le Festival de Radio France propose ce soir au Corum la version concert des Hauts de Hurlevent. Un opéra en quatre actes composé entre 1943 et 1951 par Bernard Herrmann. Si le patronyme de ce compositeur américain est assez méconnu (1911-1975) tout le monde connaît en revanche sa musique. Il est l’auteur d’une cinquantaine de musiques de films célèbres. Introduit à Hollywood par Orson Welles avec lequel il travaille sur Citizen Kane, il se lie avec Hitchcock avec qui il entreprend une collaboration longue et fructueuse.

psychoseCelle-ci débute en 1955 avec La main au collet et se poursuivra durant neuf films, dont L’homme qui en savait trop, Vertigo, et l’inoubliable partition de La Mort aux trousses (1959) où les images du maître du suspens viennent littéralement se baigner dans les nappes musicales du compositeur. Dans Psychose (1960), le couple Hitchcock /Herrmann tente un nouveau pari en réalisant un film où la moitié de la bobine ne comporte pas un seul dialogue, uniquement de la musique. La carrière cinématographique du compositeur s’émaille de collaborations prestigieuses avec François Truffaut, pour qui il compose la musique de Fahreinheit 51, et de La mariée était en noir. Et plus tard avec Brian de Palma Obsession, et Scorsese Taxi Driver.

Fils aîné d’une famille d’origine russe juive émigrée aux Etats-Unis, Bernard Herrmann reçoit dès son plus jeune âge une sérieuse éducation musicale. Il s’illustre très tôt pour son talent de compositeur qu’il forge notamment à travers l’étude minutieuse du Grand traité d’instrumentation et d’orchestration modernes d’Hector Berlioz. Un compositeur dont on retrouve les fondements de l’harmonie teintée des dissonances qui caractérisent l’écriture de Herrmann.

Les Hauts de Hurlevent, est le seul opéra du compositeur. Achevé en 1951 d’après le roman de la poétesse britannique Emily Brontë. L’auteur réputé pour son âme farouche inscrit les personnages de son unique roman dans une grande maison secouée par les vents. Ceux-ci sont animés d’une perversité, d’une pauvreté d’esprit et d’une violence inouïes. Un des héros, Heathcliff va jusqu’à défaire le cercueil de sa Catherine aimée pour mieux l’enlacer, ce qui témoigne de la puissance de ses sentiments mais relève aussi d’une certaine morbidité. Une atmosphère qui avait tout pour inspirer Bernard Herrmann.

L’ouvrage ne fut monté à la scène que le 6 novembre 1982 (à Portland, Oregon). Après le prologue, l’opéra se déroule en flash-back. Il ne correspond qu’à la première partie du roman, se concentrant sur l’histoire d’amour romantique de Cathy et Heathcliff, mais la poignante conclusion de l’original est préservée. Les Hauts de Hurlevent est orchestré de façon dramatique, avec plusieurs thèmes musicaux provenant des musiques de films de l’auteur. De quoi se glacer le sang après la canicule !

Jean-Marie Dinh

Les Hauts de Hurlevent le 14 07 10 au Corum . Orchestre National de Montpellier, direction Alain Altinoglu, avec  Catherine Earnshaw (soprano) Boaz Daniel (baryton)

Pourquoi se pencher sur le sort d’une femme morte ?

David Peace. Photo

Né en 1967 dans le West Yorkshire, David Peace s’est fait connaître en France avec la publication du Quatuor du Yorkshire (Rivages Noir). Quatre romans d’une grande noirceur se déroulant dans les banlieues thachériennes. Le Festival International du Roman noir, qui s’est terminé hier à Frontignan, proposait cette année d’en découvrir l’adaptation cinématographique The Red Riding Triogy qui participe au renouveau du cinéma noir britannique. « Comme Ellroy, David Peace est un auteur très soucieux des détails et de la vraisemblance du climat où se déroule l’action, indique François Guérif qui a signé les deux auteurs dans les collections dont il assure la direction (Rivage/ Noir, Rivage/Thriller). David ne veut surtout pas écrire un livre sur les années 80 avec la langue de 2002. C’est difficile parce que la langue évolue en permanence. Lorsqu’il prépare un livre il s’immerge totalement dans l’époque qu’il va traiter. » L’écrivain qui a vécu 9 ans à Tokyo écrit actuellement une trilogie sur le Japon de l’après-guerre. Le premier livre Tokyo année zéro est paru au printemps. Rencontre.

Quel est le phénomène déclencheur qui vous a poussé à écrire sur le Japon ?

Je vivais au Japon depuis plusieurs années, mon fils est né là-bas. Je voulais qu’il connaisse l’histoire du pays. Comment il a été détruit et comment il s’est reconstruit. Le premier volume débute en 1946 dans une ville en ruine.

Dans ce vaste cimetière où le pays abdique, l’inspecteur Minami découvre un cadavre et il va poursuivre son travail comme si de rien n’était…

A l’image de son pays, le personnage de Minami est désagrégé. Il tente de recoller les morceaux à travers l’exercice de son métier. Concernant le meurtre, je me suis inspiré d’une affaire réelle. On peut s’étonner de l’attitude de ce policier. Dans une ville où l’on compte les cadavres par centaines, à quoi bon s’intéresser au sort de cette femme morte ? Minami cherche à trouver l’assassin mais sa quête est aussi identitaire. A la fin, le problème de l’identité n’est pas résolu.

La période où vous nous plongez est celle où les forces d’occupation américaines mettent un terme à la culture japonaise. On assiste à l’éradication de la gauche réalisée avec l’aide des clans yakuzas, à la mise en place dune constitution et à l’imposition par la force des valeurs occidentales…

L’occupation américaine, qui s’est poursuivie jusqu’en 1952, a refaçonné complètement le pays et dessiné le Japon actuel. C’est la fin d’une culture millénaire. La même histoire s’est répétée en Irak. Pour le Japon on était dans le contexte de la guerre froide. La mafia japonaise a en effet largement participé à nettoyer le terrain au profit des grandes familles japonaises qui ont continué d’exercer le contrôle de l’économie. A une plus petite échelle, dans la France de l’après-guerre, la CIA a fait appel à la mafia corse pour briser les grèves.

Pourquoi s’appuyer sur des faits divers pour aborder l’histoire ?

Le fait de parler des crimes permet d’envisager un contexte politique plus global. Les gens sont fascinés par les crimes. C’est une façon de s’allier des lecteurs dans l’espoir qu’ils s’intéresseront à ce qui se passe derrière les meurtres. C’est le travail de l’écrivain ou du journaliste de relier les faits divers à des choses plus importantes.

Quel regard portez-vous sur la conscience politique des populations britannique et japonaise à la lumière des élections et de la démission du Premier ministre japonais faute d’avoir pu fermer la base militaire US d’Okinawa ?

Dans les deux cas, il me semble qu’aujourd’hui le problème principal concerne l’abandon de l’Etat providence. L’extrême droite est très puissante au Japon. La droite est au pouvoir depuis l’après-guerre hormis une petite parenthèse en 1993 et l’arrivée du centre gauche avec l’élection du Premier ministre Yukio Hatoyama qui n’a tenu que neuf mois. L’échec du déménagement de la base américaine sur l’île d’Okinawa qui faisait partie de son programme a lourdement pesé dans l’opinion publique. Les Japonais s’étaient mobilisés pour le départ des Américains à la suite du viol d’une fillette de neuf ans par un GI américain. En Grande-Bretagne, personne n’a voté pour la coalition des libéraux-démocrates et des conservateurs actuellement au pouvoir. Aujourd’hui ils proposent une politique imposée par les banquiers qui ne figurait dans aucun de leur programme respectif. Nous sommes les moins révolutionnaires du monde. Nous avons coupé la tête du roi et ensuite nous l’avons recollé. Aujourd’hui les Britanniques ne se préoccupent que de la World Cup !

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Roman noir : Ellroy dépasse le mur du crime, Rubrique Japon, le PJD perd le Sénat, Rubrique livre Yakuza ed Philippe Picquier, Rubrique Grande Bretagne, L’impasse britannique est liée à la crise,

La Chasse au Snark évidente réussite du nonsence

snark

«L’endroit parfait pour un Snark!» cria l’Aboyeur,
Qui débarquait ses hommes – méticuleux,
En les soulevant au-dessus des vagues, sans heurt,
D’un doigt entortillé dans leurs cheveux.

«L’endroit parfait pour un Snark! Je l’ai dit deux fois:
Ce qui devrait suffire à les encourager.
L’endroit parfait pour un Snark! Je l’ai dit trois fois:
Ce que je vous ai dit trois fois est vrai.»


snark-folioQuelle bonne idée de rééditer en poche La Chasse au Snark. Au moment où le dernier Tim Burton renouvelle les représentations d’Alice aux pays des merveilles, on mesure à quel point la puissance imaginaire de Lewis Carroll est inépuisable. Paru en 1876, La Chasse au Snark demeure l’une des plus évidentes réussites du nonsence de l’histoire littéraire. A quoi a trait cet art ? On est proche du rêve. Il y a de l’étrange et de l’absurde dans le rapport au récit. Dans une extrême logique, certains mots jettent le trouble. Le but pourrait être d’entretenir la confusion. On n’est plus bien sûr de pouvoir se comprendre, ce qui peut conduire aux situations les plus incongrues.

L’histoire se résume assez simplement. Un cireur de souliers, un fabricant de bonnets, un boulanger, un avocat et un castor, entre autres personnages, partent à la chasse d’un animal fantastique : le Snark. En espérant qu’il ne s’agira pas d’un boojum ! Logicien et professeur de mathématiques, Lewis Carroll apporte une telle rigueur dans la mise en évidence des paradoxes du sens que son chaos-cosmos deviendra pour Gilles Deleuze l’une des plus innovantes conquêtes des surfaces. La Chasse au Snark a eu quelques traducteurs en langue française dont le plus célèbre est sans aucun doute Louis Aragon. Qu’est-ce au juste que ce Snark ? Que peuvent bien signifier cette chasse et cet équipage ? En réponse à ces questions qu’on n’a pas manqué de lui adresser, Carroll a inlassablement répondu qu’il l’ignorait lui-même.

Jean-Marie Dinh

La chasse au Snark édition bilingue Folio.

Dans les coulisses peu reluisantes de Bollywood.

shobhaa_deShobhaa Dé une star indienne de passage à Montpelllier

Auteur à succès, journaliste, l’ex mannequin Shobhaa Dé est une star indienne qui s’est imposée avec détermination et dignité. Ecrivain très à l’écoute de la société, ses quatorze livres dont sept romans, abordent à travers le sexe et les problèmes de couples, la condition des femmes de manière décomplexée. Traduits dans plusieurs langues, ils se sont vendus en Inde à plusieurs millions d’exemplaires. Elle était hier l’invitée de la librairie Sauramps à l’occasion de la parution de La nuit aux étoiles, premier livre traduit en français qui dévoile les coulisses peu reluisantes de Bollywood.

Vous êtes un auteur très populaire en Inde où puisez-vous vos sources d’inspiration ?

De ma passion de vivre, de ma passion pour les mots, je pense que c’est cela qui me connecte avec mes lecteurs. C’est une connexion qui vient à la fois de la tête et du cœur.

La nuit des étoiles vous dévoilez l’envers du décor de Bollywood qui révèle un monde brutal…

Le travail d’un écrivain est de dire la vérité. Bollywood est en effet un monde de cruauté et de violence. Cela concerne tout le milieu mais cette violence se révèle plus particulièrement à l’encontre des femmes. J’ai écrit ce livre il y a vingt ans. Depuis les choses ont un peu évolué.

C’est le premier de vos livres traduit en français, pourquoi si tard ?

C’est sans doute lié au développement du cinéma de Bollywood en France. Je pense que chaque livre trouve son propre temps. Ce qui est très important c’est de trouver le bon éditeur.

Qu’est-ce qui a changé en vingt ans ?

Le cinéma indien concernait surtout le public national, avec la mondialisation, il s’est ouvert à l’international. Aujourd’hui les jeunes comédiennes choisissent de faire ce métier et font des études pour cela. Alors qu’auparavant leurs parents choisissaient pour elles. Comme dans le livre où les parents d’Aasha mettent quasiment leur fille de quinze ans dans le lit des producteurs. Le modèle de vie a beaucoup changé en vingt ans du moins dans les villes.

Dans le livre vous mettez en exergue les différences entre le Nord et le Sud ?

C’est différences s’expriment à travers la langue. Il est beaucoup plus difficile de réussir dans le cinéma si vous parler l’Hindi avec l’accent. Et puis il y a aussi la couleur de la peau. Le fait d’avoir des yeux clairs est un avantage.

La condition des femmes, un thème qui traverse votre œuvre, a-t-elle évolué durant cette période ?

A la tête du Congrès, Sonia Gandhi met un point d’honneur à la promotion des femmes dans la sphère politique. La semaine dernière un texte est passé. Il fait suite à la volonté du (BJP) parti nationaliste Hindous de réserver 33% des postes du parlement à des femmes. Elles n’étaient que 9% auparavant. C’est une avancée certaine. Les femmes sont de plus en plus puissantes en Inde.

L’émancipation des femmes s’opère-t-elle aussi face à l’hindouiste qui vénère la femme mais la considère comme servante et garante, à travers la parenté, du système de caste ?

Il y a un fossé entre le monde riche et urbain et le monde pauvre et rural où vit 42% de la population. Mais les choses sont en train de changer. Mayawati, leader du BSP, représentant les intouchables, a été élue à la tête de l’Etat d’Uttar Pradesh, le plus peuplé d’Inde. Aujourd’hui, 7o% de la population à moins de trente ans. Les jeunes femmes ont de plus en plus accès à l’information et elles prennent conscience de leurs droits.

recueilli par Jean-Marie Dinh

La nuit aux étoiles, Actes Sud, 23 euros

Voir aussi : Rubrique Inde