Festival de Radio France : Au carrefour du cinéma et de la littérature, le cas Herrmann

Herrmann : un certain goût pour la dissonance

Dans le cadre de ses soirées, le Festival de Radio France propose ce soir au Corum la version concert des Hauts de Hurlevent. Un opéra en quatre actes composé entre 1943 et 1951 par Bernard Herrmann. Si le patronyme de ce compositeur américain est assez méconnu (1911-1975) tout le monde connaît en revanche sa musique. Il est l’auteur d’une cinquantaine de musiques de films célèbres. Introduit à Hollywood par Orson Welles avec lequel il travaille sur Citizen Kane, il se lie avec Hitchcock avec qui il entreprend une collaboration longue et fructueuse.

psychoseCelle-ci débute en 1955 avec La main au collet et se poursuivra durant neuf films, dont L’homme qui en savait trop, Vertigo, et l’inoubliable partition de La Mort aux trousses (1959) où les images du maître du suspens viennent littéralement se baigner dans les nappes musicales du compositeur. Dans Psychose (1960), le couple Hitchcock /Herrmann tente un nouveau pari en réalisant un film où la moitié de la bobine ne comporte pas un seul dialogue, uniquement de la musique. La carrière cinématographique du compositeur s’émaille de collaborations prestigieuses avec François Truffaut, pour qui il compose la musique de Fahreinheit 51, et de La mariée était en noir. Et plus tard avec Brian de Palma Obsession, et Scorsese Taxi Driver.

Fils aîné d’une famille d’origine russe juive émigrée aux Etats-Unis, Bernard Herrmann reçoit dès son plus jeune âge une sérieuse éducation musicale. Il s’illustre très tôt pour son talent de compositeur qu’il forge notamment à travers l’étude minutieuse du Grand traité d’instrumentation et d’orchestration modernes d’Hector Berlioz. Un compositeur dont on retrouve les fondements de l’harmonie teintée des dissonances qui caractérisent l’écriture de Herrmann.

Les Hauts de Hurlevent, est le seul opéra du compositeur. Achevé en 1951 d’après le roman de la poétesse britannique Emily Brontë. L’auteur réputé pour son âme farouche inscrit les personnages de son unique roman dans une grande maison secouée par les vents. Ceux-ci sont animés d’une perversité, d’une pauvreté d’esprit et d’une violence inouïes. Un des héros, Heathcliff va jusqu’à défaire le cercueil de sa Catherine aimée pour mieux l’enlacer, ce qui témoigne de la puissance de ses sentiments mais relève aussi d’une certaine morbidité. Une atmosphère qui avait tout pour inspirer Bernard Herrmann.

L’ouvrage ne fut monté à la scène que le 6 novembre 1982 (à Portland, Oregon). Après le prologue, l’opéra se déroule en flash-back. Il ne correspond qu’à la première partie du roman, se concentrant sur l’histoire d’amour romantique de Cathy et Heathcliff, mais la poignante conclusion de l’original est préservée. Les Hauts de Hurlevent est orchestré de façon dramatique, avec plusieurs thèmes musicaux provenant des musiques de films de l’auteur. De quoi se glacer le sang après la canicule !

Jean-Marie Dinh

Les Hauts de Hurlevent le 14 07 10 au Corum . Orchestre National de Montpellier, direction Alain Altinoglu, avec  Catherine Earnshaw (soprano) Boaz Daniel (baryton)

 » Les gens cherchent un médicament pour l’âme « 

René Koering : " En Région, les décideurs pensent souvent que c'est plus important d'avoir un kilomètre d'autoroute que d'avoir un orchestre ".

René Koering, compositeur, surintendant de la musique à Montpellier et directeur du festival de Radio France depuis 25 ans est aussi un homme loufoque, exigeant et sensible.

Quels ont été les grands moments et ceux plus inattendus de cette édition ?

 » La surprise vient du concert de la place de l’Europe où il y a eu beaucoup de monde. J’ai trouvé très sympa que les gens viennent avec leur bouteille de rouge leur marijuana, et se roulent des joints. Le vrai public potentiel c’est celui là. Ce sont des gens qui ne s’embarrassent pas de canons sociaux. Moi cela m’a fait plaisir de faire ce programme de tubes parce que je passe mon temps à faire ou à produire des œuvres que personne ne connaît. Ce n’est pas un hasard que ces œuvres soient tellement plébiscitées même si elles sont considérées comme des scies musicales. J’ai beaucoup apprécié le duo Boris Berezovsky et Brigitte Engerer qui ont fait un concert extraordinaire. J’ai aussi aimé l’opéra de Bellini. Question fréquentation, on est à 142 000 personnes soit presque 10 000 spectateurs de plus.

La décentralisation régionale progresse mais semble difficile et lente ?

Il y a eu beaucoup de concerts en région. On est autour de 17 000 personnes. C’est bien. Mais la région il faut la démarrer à la manivelle ce qui est normal parce qu’il y a des choses qui se tiennent pour la première fois. L’année prochaine les gens seront plus en attente. C’est un énorme travail parce que beaucoup de gens pensent en région que la culture n’est pas nécessaire à la vie. Ils pensent que c’est plus important d’avoir un kilomètre d’autoroute que d’avoir un orchestre. Beethoven disait l’homme honnête va à pied.

Grâce à la gratuité, la crise ignore le festival ?

Nous avons proposé 180 manifestations gratuites. Les sources de financement font de ce festival un service public. Je ne vois donc aucune raison d’en faire une affaire. Quand les gens sont dans une situation moins confortable, je pense qu’ils sont moins enclins à chercher le bonheur que le divertissement. Dans l’état actuel de la France, les gens cherchent un médicament pour l’âme et pas juste pour les zygomatiques. Cela dit, j’adore l’humour. Si je ne ris pas dix fois par jour je suis malheureux.

Vous pleurez aussi de temps en temps ?

Je n’ai pas tendance à pleurer. Mais j’ai remarqué des choses extraordinaires. Par exemple, l’opéra Friederike que nous avons donné en clôture est une ânerie sentimentale à un point… Mais comme je suis très sentimental, chaque fois que la fin arrive, j’ai la gorge serrée. Je suis relativement facilement ému. Pleurer c’est d’autres douleurs. Je ne pleure pas par émotion, je pleure quand cela me prend vraiment dans mon âme. La mort d’un ami ça me tue. Sinon j’aime être dans une ambiance où l’on rit. C’est important. Le reste, l’autorité tout ça, c’est un peu grotesque. Parfois l’imbécillité de certains journalistes me fait beaucoup rire. Je me dis mais comment il arrive à être aussi con. En même temps, je comprends que c’est comme si j’écrivais un article sur l’exploitation des gaz carboniques dans la fabrication de je ne sais quoi. Les gens diraient il est complètement con, il ne connaît rien !

Que pensez-vous de la presse critique ?

Il y a 150 ans c’était des gens comme Berlioz, Schumann… qui écrivaient dans les journaux. Maintenant se sont des gens dont la culture musicale se constitue à partir du disque. Des gens qui se font une opinion sur la valeur marchande de ce que l’on leur amène. Pour pouvoir lire un texte il faut être musicien. Où alors il faut dire moi je pense que. Mais pas dire c’est comme ça. Sempé a fait un dessin que j’aime beaucoup. On voit une salle de spectacle. Il y a 500 personnes qui sont debout, qui crient qui applaudissent à tout rompre. Tout en blanc comme ça avec juste le détour au milieu, on voit un petit personnage tout noir qui fait la gueule et il y a marqué : le critique. (rire)

Après un quart de siècle de pilotage, quel regard portez-vous sur le festival?

Un quart de siècle ! ne dites pas ça… Pour moi rien n’a changé, le premier festival est le même que celui d’aujourd’hui. Je fais des programmations pour des gens qui aiment la musique, si possible, et qui ne connaissent pas ce que je fais. C’est drôle parce que certains disent : il faudrait que le programme de Koering évolue. Alors qu’ils ne leur viendrait pas à l’idée que le programme d’Orange qui fait Carmen, la Traviata, et Aïda depuis 150 ans, évolue. Comment voulez-vous que ma programmation évolue, je ne vois pas en quoi.

L’explorateur, explore…

Il y a un tel réservoir dans l’histoire de la musique que l’on est très loin d’avoir entendu ce qui est beau. La beauté ce n’est pas forcément les chefs d’œuvre. Evoluer ça ne veut rien dire, par contre, lorsque je fêterai le cinquantième anniversaire du festival, j’aurai fait peut-être 150 opéras inconnus. Actuellement j’en suis à 78.

Comment travaillez-vous en matière de recherche ?

Il faut chercher dans les bibliothèques, faire des copies. Il y a en a qui ne veulent pas les donner. Et avant cela, il faut les trouver. On téléphone à des tas de gens. C’est compliqué. Là, je suis sur une œuvre que je veux absolument faire, je n’ai que le piano chant, et je ne trouve pas l’œuvre elle-même. Sur mon piano, il y a actuellement une centaine d’œuvres en attente. Elles sont là, il faut que je les regarde. Je les classe : urgent, pas tout de suite et puis jamais. Mais même le jamais je le regarde. Sur ces cent-là, il y en a une quarantaine que je ferai.

A l’heure où les politiques culturelles posent questions, quel avenir pour le festival ?

Je ne vois pas un avenir autre que l’état politique actuel. Je ne préfère pas l’imaginer. Et de toute façon je n’en ferais pas partie. Je n’ai jamais calculé la longévité de quoi que ce soit sur un état politique. Quand j’ai créé le festival en 85 avec Georges Frêche, en 86, j’ai lu dans le journal que c’était la dernière édition. On a vu le résultat. Le reste ce sont des bavardages de gens qui sont impatients de prendre le pouvoir, d’être des patrons et de pouvoir rater ce que d’autres ont réussi.

Votre succession à la tête de l’orchestre et de l’opéra a été confiée à Jean-Paul Scarpitta

J’ai proposé aux responsables politiques Jean-Paul Scarpitta qui est une personne que j’aime beaucoup, et qui bénéficie, grâce à son talent de metteur en scène, d’une vraie reconnaissance du public de l’opéra. Cela a été accepté. Je garde le festival mais j’avais envie d’arrêter cela me permettra de m’atteler à d’autres propositions. Je reste en tant que conseiller musical pour faciliter la passation. J’entends profiter un peu des 80 ans qui me restent à vivre « .

Recueilli par Jean-Marie Dinh

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