Costa nostra : le marché de la sauce tomate

Samuel Benchetrit manie les références du genre en signant un film plein d’humour.

Avant-première : Chez Gino de Samuel Benchetrit. Une comédie hilarante sur la mafia sicilienne avec José Garcia, Anna Mouglalis et Ben Gazzara.

Ca commence en Sicile, comme dans les grands films sur la Mafia de Scorsese, De Palma et Coppola. On entend le chant des cigales perchées dans les oliviers. C’est fatalement beau, il fait chaud, le grain de l’image fait ressortir la plénitude de l’environnement. En apparence tout semble calme, mais on comprend vite que cela ne va pas durer. On pénètre dans le cercle familial avec l’innocence de l’enfance, là où la fatalité clanique s’inscrit sur des visages encore un peu souriants. Et soudain la violence surgit comme un cauchemar de bruit et de fureur, puis le silence. Le sang si cher qui cimente tous les liens se répand. Il appelle des représailles. Il va devoir couler à nouveau…

Le parrain des pizzas
Ce souvenir d’enfance, Gino l’a enfoui au fond de sa mémoire. Il a remplacé le goût du sang par celui du coulis de tomate. Avec sa femme Simone, il tient depuis trente ans une pizzeria à Bruxelles. Tout bascule lorsqu’il reçoit des nouvelles d’Italie qui lui annoncent la mort prochaine de son oncle. Il va falloir se montrer à la hauteur pour toucher sa grosse part d’héritage. Gino n’est pas très courageux mais il a parfois de bonnes idées. Il commande à un réalisateur un documentaire sur lui et sa famille qui le présente comme un parrain régnant sur le marché des pizzerias de toute la ville. Mais la conversion professionnelle de Gino se heurte aux habitudes familiales et à une magie du cinéma, qui faute de moyens, n’est pas au rendez-vous. Passablement branque, l’équipe de tournage doit rivaliser d’ingéniosité pour mettre en boîte les scènes du scénario de série Z avec trois euros six sous et des acteurs archi nuls. Dans le style naze, on salue le talent de José Garcia, Anna Mougalis, et Sergio Lopez qui se révèle en négatif. La fiction vole si bas qu’elle en vient à flirter avec la réalité au point de réveiller un vrai maffieux qui débarque avec ses sbires pour défendre son territoire.

Esprit déjanté

Après J’ai toujours rêvé d’être un gangster, Samuel Benchetrit persiste dans la voie du flingue à amorce en s’attaquant au film sur la Mafia. L’esprit déjanté et la complicité perceptible des comédiens rappellent certains films de Mocky. Déroutant sur le fond et la forme, le film a un côté poseur qui peut agacer ou séduire (par le ridicule). Sans se prendre au sérieux, Samuel Benchetrit manie les références du genre en signant une production empreinte d’humour et non moins dénuée de messages à l’égard des clichés qui fourmillent dans le septième art. Un clin d’œil amoureux en quelque sorte…

Jean-Marie Dinh

Chez Gino a été projeté dans le cadre de  l’inauguration du cinéma municipal Nestor Burma dans le quartier Celleneuve. Avec José Garcia comme parrain de cette nouvelle salle, les pizzaillolos du coin ont intérêt à bien se tenir !

Chez Gino : Dans les salles le 30 mars 2011

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Festival de Radio France : Au carrefour du cinéma et de la littérature, le cas Herrmann

Herrmann : un certain goût pour la dissonance

Dans le cadre de ses soirées, le Festival de Radio France propose ce soir au Corum la version concert des Hauts de Hurlevent. Un opéra en quatre actes composé entre 1943 et 1951 par Bernard Herrmann. Si le patronyme de ce compositeur américain est assez méconnu (1911-1975) tout le monde connaît en revanche sa musique. Il est l’auteur d’une cinquantaine de musiques de films célèbres. Introduit à Hollywood par Orson Welles avec lequel il travaille sur Citizen Kane, il se lie avec Hitchcock avec qui il entreprend une collaboration longue et fructueuse.

psychoseCelle-ci débute en 1955 avec La main au collet et se poursuivra durant neuf films, dont L’homme qui en savait trop, Vertigo, et l’inoubliable partition de La Mort aux trousses (1959) où les images du maître du suspens viennent littéralement se baigner dans les nappes musicales du compositeur. Dans Psychose (1960), le couple Hitchcock /Herrmann tente un nouveau pari en réalisant un film où la moitié de la bobine ne comporte pas un seul dialogue, uniquement de la musique. La carrière cinématographique du compositeur s’émaille de collaborations prestigieuses avec François Truffaut, pour qui il compose la musique de Fahreinheit 51, et de La mariée était en noir. Et plus tard avec Brian de Palma Obsession, et Scorsese Taxi Driver.

Fils aîné d’une famille d’origine russe juive émigrée aux Etats-Unis, Bernard Herrmann reçoit dès son plus jeune âge une sérieuse éducation musicale. Il s’illustre très tôt pour son talent de compositeur qu’il forge notamment à travers l’étude minutieuse du Grand traité d’instrumentation et d’orchestration modernes d’Hector Berlioz. Un compositeur dont on retrouve les fondements de l’harmonie teintée des dissonances qui caractérisent l’écriture de Herrmann.

Les Hauts de Hurlevent, est le seul opéra du compositeur. Achevé en 1951 d’après le roman de la poétesse britannique Emily Brontë. L’auteur réputé pour son âme farouche inscrit les personnages de son unique roman dans une grande maison secouée par les vents. Ceux-ci sont animés d’une perversité, d’une pauvreté d’esprit et d’une violence inouïes. Un des héros, Heathcliff va jusqu’à défaire le cercueil de sa Catherine aimée pour mieux l’enlacer, ce qui témoigne de la puissance de ses sentiments mais relève aussi d’une certaine morbidité. Une atmosphère qui avait tout pour inspirer Bernard Herrmann.

L’ouvrage ne fut monté à la scène que le 6 novembre 1982 (à Portland, Oregon). Après le prologue, l’opéra se déroule en flash-back. Il ne correspond qu’à la première partie du roman, se concentrant sur l’histoire d’amour romantique de Cathy et Heathcliff, mais la poignante conclusion de l’original est préservée. Les Hauts de Hurlevent est orchestré de façon dramatique, avec plusieurs thèmes musicaux provenant des musiques de films de l’auteur. De quoi se glacer le sang après la canicule !

Jean-Marie Dinh

Les Hauts de Hurlevent le 14 07 10 au Corum . Orchestre National de Montpellier, direction Alain Altinoglu, avec  Catherine Earnshaw (soprano) Boaz Daniel (baryton)