Entretien avec Emanuel Gat chorégraphe invité de Montpellier Danse 2013

 

Emanuel_Gat_(c)_Emanuel_Gat

Emanuel Gat découvre la danse à l’âge de 23 ans. Il fonde sa compagnie en 2004 au Suzanne Dellal center à Tel-Aviv avant de s’établir en 2007 en France à la Maison intercommunale d’Istres. Emanuel Gat est l’invité régulier de prestigieuses compagnies comme le Ballet de l’Opéra de Paris. C’est sa quatrième participation au festival Montpellier Danse où il officie cette année en tant que chorégraphe associé.

L’idée de mémoire émerge pour cette 33e édition. J.P Montanari évoque la mémoire comme « une des conditions de l’émergence de la réalité », partagez-vous cette vision ?
Personnellement je pense être trop dans le présent pour regarder en arrière ou me projeter vers le futur, c’est ce qui se passe dans l’instant qui capte l’essentiel de mon attention. La mémoire permet d’actualiser des idées. Elle informe le présent. On ne peut y échapper mais je l’assume de manière assez passive.

A propos de la danse, c’est le corps qui garde en mémoire, et qui peut se révéler un handicap dans la création. Comment perdre cette mémoire ? Comment s’en débarrasser pour ouvrir sur autre chose ?
C’est une vraie difficulté, en effet, de lutter contre les habitudes corporelles qui s’installent. Mon travail de chorégraphe consiste en partie à les perturber pour trouver des schémas qui innovent. Je me débrouille pour mettre les danseurs dans l’impossibilité de reproduire. Je les oblige à se remettre en question. Le fait d’avancer est lié à la capacité de perturber.

Sur un autre plan, que vous évoque le concept politique de devoir de mémoire ?
Il me paraît lié au fait de ne pas revenir sur nos pas, d’empêcher le retour de conditions ayant abouti à de grandes souffrances. Cela participe à améliorer notre compréhension pour évoluer, ce qui suppose un vrai travail.

Le chemin semble long, comment expliquer par exemple, que le festival Montpellier Danse a consacré deux éditions au thème de la Méditerranée en mettant à l’honneur Israël dans l’une d’entre-elles et les autres pays dans la suivante ?
Ma réponse sera purement pragmatique. On ne peut pas aujourd’hui réunir l’ensemble de ses représentants, tant du point de vue protocolaire que de celui du financement.

Passons de l’idée de mémoire à celle de continuité dans votre œuvre. Que conservez-vous d’une pièce à l’autre ?
Il n’y a pas de processus de répétition dans mon travail, ni de rupture. Cela évolue en permanence, sur une même pièce, tout est différent entre la première et la vingtième ou la centième représentation. Les choses changent, on se remet en question par rapport à ce qui se passe. Mon travail ne vise jamais à parvenir à une forme stable.

Vous attachez une importance particulière à la structure. Quelle place prend-elle dans votre processus de création ?
La structure est centrale dans ma démarche. Je suis à la recherche de structures qui engendrent des systèmes y compris humains, elle dessinent des formes. L’émotion ne repose pas sur la structure, c’est la structure qui génère des émotions. J’attends des danseurs une implication individuelle. Le champs de jeux est complètement libre dans un environnement déterminé. A partir de cela, j’analyse la situation dans laquelle se font leurs choix, puis j’esquisse et je clarifie.

L’image canonisée d’Emanuel Gat vous agace-t-elle ?
On porte sur moi un regard que je comprends, mais qui ne me correspond pas toujours. Il suffit d’utiliser une musique ou une autre pour être classé dans un tiroir. Il faut du temps pour développer et approfondir une oeuvre dans ses subtilités.

En tant qu’artiste invité, quel regard portez-vous sur le public de Montpellier Danse ?
Un regard extrêmement positif. Montpellier est l’endroit, avec Berlin, où j’ai le plus de plaisir à revenir. Un dialogue avancé est possible avec le public d’ici. Cette évidence dans l’échange est non seulement agréable, mais aussi productive dans le sens artistique.

Vous avez la volonté d’inscrire le public dans le processus de la création ?
Oui dans Corner études qui regroupe quatre pièces de 15 mn, une partie se fera avec le public qui participera par sa présence à l’échange. Toutes les phases de répétition sont ouvertes pendant la période de création où j’inclurai ce regard dans le processus.  200 personnes seront autour du plateau lors du spectacle. Je n’ai jamais fait cela et suis curieux de  savoir ce qui va se passer.

Corner études s’inspire de  Brilliant corners créé à Montpellier en 2011 ?
L’idée est d’entrer dans un processus d’approfondissement. Nous avons éjecté certains aspects pour les travailler de manière indépendante. Chacun des éléments participera à la construction d’une pièce unique.

Vous ouvrez le festival avec la création The goldlandbergs  sous la forme d’une fugue…
C’est une pièce pour huit danseurs qui adopte une configuration plus classique. Elle intègre La variation de Goldberg de Bach interprétée par Glenn Gould, et The quiet in the land, une composition, de Gould également, qu’il a réalisée en 1977 en s’immergeant dans une communauté mennonite aux Etats-Unis. Ce regard sur un groupe de personnes, une famille, une communauté, rejoint une recherche sur le fonctionnement des relations que j’ai entrepris depuis vingt ans. Je crois qu’il s’est passé quelques chose d’intime dans cette pièce qui a débloqué les choses.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : L’Hérault du Jour, 22/06/2013

Voir aussi : Rubrique Danse,  rubrique Festival, rubrique Rencontre

Hannah Arendt : De la banalité du mal

 

Actuellement sur les écrans, le film de Margarethe von Trotta Hannah Arendt ne retrace pas la vie de la philosophe allemande. Pour se borner à l’essentiel et le rendre accessible, il ne s’attarde pas non plus sur l’élucidation des concepts de pouvoir et la théorie politique d’envergure qu’elle a posé face à l’émergence du totalitarisme. L’action se situe au début des anneés 60, au moment où Arendt se rend à Jérusalem assister au procès hyper médiatisé d’Eichmann pour le compte du New Yorker. Les extraits des enregistrements au tribunal exercent toujours un pouvoir de fascina- tion, d’autant plus que soixante ans plus tard les mécanismes qu’elle décrivait comme le refus de penser par soi-même sont, dans un autre contexte, plus que jamais d’actualité.

Face à l’idéologie sioniste et au choc émotionnel suscité par ce procés, la philosophe met le doigt sur le déni d’intelligence qui s’impose de manière plus ou moins calculé à tous. Pour développer sa pensée, Arendt s’en tient à la raison. Un des mérites du film est de montrer la grande humanité qui l’habitait par ailleurs.

Le scandale provoqué par ses articles où elle affirme le concept de « banalité du mal »* allant jusqu’à souligner que nombre des dirigeants de la communautés juives ont, pour de complexes raisons, participé au processus d’extermination, est largement abordé. Il est bien sûr question de la violente controverse que ses propos ont provoqué au sein de cette communauté juive qui l’a accusée d’antisémitisme.

On peut voir dans le rapport à l’histoire qui nous est proposé dans le film un moyen d’apaiser les mémoires blessées et une bonne manière de vaincre l’oubli en se prémunissant des excès mémoriels. Mais le fond de sa pensée était de décrire un système monstrueux et de ne pas considérer l’homme comme un monstre. Pour la philosophe, comme pour son maître à penser Heidegger, dont elle condamne les erreurs politiques, l’homme est un homme. Hannah Arendt recherche les fondements et dévoile des impensés en se confrontant aux problèmes existant.

Jean-Marie Dinh

* Eichmann à Jérusalem, Folio histoire, éditions Gallimard.

Source : La Marseillaise L’Hérault du Jour, 28/04/13

Voir aussi : Rubrique Cinéma, Rubrique Philosophie, Rubrique Théâtre,

Antoine Sfeir :  » On est loin du plan Marshall pour le Sahel « 

antoine sfeir pays_sipa

Le politologue franco-libanais Antoine Sfeir, est le directeur fondateur des Cahiers de l’Orient. Il est l’auteur de  » L’islam contre l’islam L’interminable guerre des sunnites et des chiites « .

Dans votre dernier essai, vous décryptez le monde arabe à travers la fracture chiites/ sunnites. Qu’apporte cet éclairage et pourquoi est-il si peu mis en avant ?

C’est un prisme de lecture qui devient incontournable parce qu’il donne des clés essentielles de compréhension. La question de la désinformation est liée au recul de la culture générale. Tout commence à l’école dans le rapport que nous avons avec les autres.

Comment masque-t-on son ignorance ?

En mettant en exergue les lieux communs. Nous sommes actuellement en guerre au Mali. Sommes-nous informés ? On nous inonde d’images martiales et d’interventions diverses
mais on ne dit rien sur les véritables enjeux, sur la culture des populations concernées, sur leurs composantes politiques économiques, sociologiques…

Au-delà de la dimension historique que vous abordez dans l’ouvrage, quelles sont les traits philosophiques à distinguer entre ces deux grands courants de l’islam ?

Dans le sunnisme, l’effort d’interprétation des textes sacrés s’est arrêté depuis le XI e siècle. Ce courant considère que la révélation est close avec la parole du prophète Mahomet. Tandis que les chiites poursuivent l’interprétation de manière permanente à travers les imams en attendant le retour de Mahdi, l’imam caché.

Le sunnisme se considère comme un aboutissement. Tout recul est impossible. Le changement d’apostolat peut être sanctionné par la peine de mort. Je tire mon chapeau aux musulmans sunnites qui font leur propres interprétations. Autrement dit l’alliance de l’Occident avec les sunnites wahhabites depuis 1945 est une erreur stratégique.

En 1979, la révolution iranienne réveille la fracture entre chiites et sunnites que vous qualifiez aujourd’hui de guerre mondiale…

Avec l’émergence de la République islamique iranienne, les chiites trouvent leur «Vatican». Après avoir été longuement opprimés, ils relèvent la tête. Afghanistan,Pakistan, Turquie, Inde, Irak, Syrie, Koweît, Bahreïn, Iran, Chine… sont autant de pays où s’affrontent
les sunnites et les chiites, sans parler des luttes entre les quatre grands courants sunnites.

L’antagonisme s’est rallumé en Afghanistan, berceau de la montée en puissance de Ben Laden. Dans ce conflit mondial l’Occident à du mal à donner des leçons. Il a toujours instrumentalisé les parties à son profit, et l’histoire se répète.

Quelle alternative voyez-vous à Bachar El-Assad ?

Tout le monde prédit la chute du régime syrien mais cette optique n’est pas vraiment d’actualité. Ayant été enlevé et torturé sur ordre de son père, je suis le premier à la souhaiter mais deux ans après l’ouverture des combats, on constate une relative passivité de la communauté internationale. Assad conserve des partisans au sein de la population et des alliés de poids comme la Russie, la Chine et l’Iran.

La reconnaissance de la Palestine en tant qu’Etat observateur de l’ONU n’empêche pas l’étouffement économique de Gaza…

C’est vrai, Israël poursuit la colonisation et fait blocus sur l’économie. Mais aujourd’hui, la stratégie palestinienne est de dire : Si nous ne parvenons pas à développer notre Etat, nous demandons la nationalité israélienne et les projections de Gaza et de la Cijordanie
indiquent que les Palestiniens seront les plus nombreux.

Vous ne donnez aucun crédit à la thèse d’une intervention armée en Iran…

C’est une affabulation. Il n’y a que Netanyhaou pour y penser. Avez-vous déjà vu Israël annoncer à l’avance qu’elle allait frapper ? J’ai croisé il y a peu un dirigeant israélien dans l’antichambre du président Ahmadinejad. Alors que je m’étonnais de sa présence, il m’a répondu: que croyez-vous, il n’y a pas une journée depuis 1979 où le contact ait été rompu…

Netanyhaou est isolé et Israël n’est plus dans le cours de l’histoire. Appuyé par Bagdad, Damas, Tyr, l’Iran est devenu pour la première fois, une vraie puissance méditerranéenne.
C’est un cadeau du ciel et des Etats-Unis. L’indépendance énergétique des Etats-Unis liée au gaz de schistes modifie en profondeur la stratégie américaine au Proche-Orient.

L’alliance historique avec les sunnites pourrait-elle s’inverser au profit des Chiites ?
Difficile de le dire, ce retrait prévisible à l’horizon 2015/2016 pourrait aboutir au démantèlement de l’Arabie Saoudite comme cela s’est passé en Syrie ou au Liban. Cette indépendance pourrait amener les Américains à mettre en place une stratégie reposant sur de petites entités alliées comme Israël, l’Iran, la Turquie…

Le retrait américain laisse la France et L’UE face à la problématique ?

Vue des pays arabes l’UE n’existe pas au-delà du guichet de subventions. C’est une vrai question, saura- t-elle bâtir une architecture de diplomatie et de sécurité ou continuera-t-elle à utiliser la diplomatie du chéquier ?

Où va la France au Mali ?

Au départ, François Holande faisait entendre à tout le monde qu’il n’irait pas. Il a attendu que l’ensemble de ses alliés se déclarent favorables à l’intervention française pour prendre sa décision. Il a même réussi à convaincre Bouteflika qui a suivi face à l’unanimité.

L’objectif déclaré est de libérer le Nord du Mali. Y arrivera-t-il ?

Cela reste une question. Car il ne s’agit pas de répéter ce qui s’est passé en Lybie : libérer, tuer, s’en aller. Il faut accompagner le Mali qui doit parvenir à la sédentarisation
des Touaregs et leur donner les moyens de se défendre.

Nous sommes encore loin du cahier des charges qui suppose la mise en oeuvre d’un plan Marshall pour tous les pays du Sahel.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

L’islam contre l’islam, éditions Grasset 17,90

Source : La Marseillaise 26/01/2013

Voir aussi : Rubrique Moyen-Orient, rubrique Géopolitique, rubrique Rencontre, rubrique Afrique, Mali, rubrique Livre,

Israël rompt avec le Conseil de l’ONU pour les droits de l’homme

La colonie de givat zeev en cisjordanie. Photo Reuter

Israël a annoncé lundi 26 mars avoir rompu tout contact avec le Conseil des Nations unies pour les droits de l’homme (CDH) à la suite de sa décision d‘ouvrir une enquête internationale sur les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens. La décision israélienne a été jugée « regrettable » par la présidente de la CDH, Laura Dupuy Lasserre, qui n’avait toutefois pas reçu de confirmation officielle.

Cette rupture, annoncée par le ministère des affaires étrangères, signifie que la mission d’information que le CDH espérait envoyer sur le terrain ne sera pas autorisée à entrer en Cisjordanie ainsi qu’en Israël. « Nous ne collaborons plus avec eux, a indiqué Yigal Palmor, porte-parole de la diplomatie israélienne. Fini les participations à des rencontres, des discussions ainsi que l’organisation de visites en Israël ». Cette mesure n’a pas encore été notifiée au Conseil, a-t-il précisé. Israël ne fait pas partie de ce Conseil, mais a le droit de s’y exprimer dans certaines conditions. Il ne peut ni voter ni présenter de motions. L’Etat hébreu dispose par ailleurs d’une mission permanente auprès des Nations unies à Genève.

Le mouvement islamiste palestinien Hamas, au pouvoir à Gaza, a immédiatement fustigé la décision israélienne, qualifiée de « tentative sioniste de faire chanter » les institutions qui critiquent Israël. « C’est bien la preuve de la vulnérabilité des sionistes confrontés aux organisations des droits de l’homme et de l’ONU, ce qui va créer un large consensus international sur l’oppression du peuple palestinien et la justesse de sa cause », a commenté un porte-parole du Hamas, Fawzi Barhoum, dans un communiqué.

Une initiative « hypocrite » de la CDH

Le 22 mars, le CDH a condamné la construction annoncée par Israël de nouveaux logements pour les colons juifs en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, y voyant une entrave au processus de paix et une menace pour la solution à deux Etats et la création d’un Etat palestinien indépendant.

Sur Le Monde.fr, « Une résolution de l’ONU pour enquêter sur les colonies israéliennes »

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a dénoncé une initiative « hypocrite », ajoutant que le CDH disposait d’une « majorité automatique hostile à Israël ». « Cet organisme hypocrite n’a rien à voir avec les droits de l’homme. Son parti pris et son manque d’objectivité sont évidents, et nous n’avons aucune raison de coopérer avec lui », avait affirmé dimanche le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman. « Nous ne serons pas acteurs dans ce théâtre de l’absurde car 70 % des décisions de ce Conseil sont hostiles à Israël. Nous envisageons de demander aux pays libres, comme les Etats-Unis, de s’en retirer », avait ajouté M. Lieberman.

« Je n’ai aucun doute qu’il est dans l’intérêt d’Israël de coopérer avec le Conseil des droits de l’homme sur cette mission d’enquête, au moins pour qu’il puisse expliquer ses propres politiques et actions aux commissaires indépendants une fois qu’ils seront nommés », a commenté la présidente de la CDH. La présidente a aussi fait valoir que la résolution adoptée jeudi dernier a été adoptée par une large majorité « transrégionale » des 47 membres du Conseil.

« Victoire » pour l’autorité palestinienne

Ce forum, qui siège à Genève et compte 47 pays membres, a voté en faveur de cette proposition par 36 voix pour, dont celles de la Chine et de la Russie. Les Etats-Unis ont été le seul pays à voter contre. Le texte avait été présenté par le Pakistan au nom de l’Organisation de coopération islamique (OCI), avec le soutien d’Etats comme Cuba et le Venezuela. La résolution du Conseil a été saluée comme « une victoire » par l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas.

Un demi-million d’Israéliens et 2,5 millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, territoires capturés par l’Etat hébreu lors de la guerre des Six-Jours en 1967.

Reuter, Le Monde et AFP

Voir aussi : Rubrique Israël, rubrique Palestine,

Festival Hybrides : Trouver les moyens d’un langage nouveau

Julien Bouffier. Photo Rédouane Anfoussi

Festival Hybride. La quatrième édition lance ses pépites dans différents lieux de la ville aiguisant la curiosité des chercheurs d’or et des curieux.

Le directeur d’Hybrides, Julien Bouffier, évoque les axes de la quatrième édition. Du 24 au 31 mars, la création théâtrale plonge dans le noyau de la vie, en bousculant les habitudes…

Comment définissez-vous le Festival Hybrides ?

Deux choses essentielles correspondent à l’identité du festival. Nous proposons une forme de théâtre envisagée dans une optique transdisciplinaire qui s’élève contre la vision un peu réductrice : un acteur un texte. Il y a évidemment des textes et des acteurs au théâtre, mais ce ne sont pas les seuls outils. Hybrides explore, en se rapprochant d’autre disciplines, comme la musique, la danse, la vidéo, le cinéma, la BD… On cherche les moyens qui peuvent  fournir un langage nouveau, des idées nouvelles, des points de vue nouveaux. L’autre particularité du festival est de lier le théâtre au documentaire. Un aspect présent dès la première édition qui s’est renforcé l’année dernière et se poursuit à travers différentes propositions d’artistes.

Depuis les années 90, le genre documentaire s’affirme au théâtre comme un style difficile à définir, peut-on l’appréhender comme une autre façon d’envisager le rapport au public ?

Le rapport au public est une de mes préoccupations centrales. Je m’y confronte dans mon rôle de  programmateur avec Hybrides et en même temps c’est une question qui a toujours fait partie de mon travail de metteur en scène avec la Cie  Adesso e sempre. Indépendamment de nos créations nous avons initié des actions en relation avec d’autres structures culturelles. Cette démarche est à l’origine du festival. J’intègre la médiation autour des spectacles et au sein même du processus de création. Le prisme du documentaire est très large, dans la nature des rencontres, comme dans les modes performatifs. On peut collecter des documents pour s’inspirer. On peut s’engager dans un univers fictionnel en partant d’un fait divers, à l’image du comédien belge, Fabrice Murgia qui présentera Le Chagrin des Ogres au Théâtre Jean Vilar. On peut aussi partir d’un questionnement et aller chercher sa matière dans le réel, comme Pascal Rambert. A seize ans, il propose un spectacle sur les adolescents joué par des adolescents dans le cadre de la saison de Montpellier Danse.

Quel regard portez-vous  sur l’usage des nouvelles technologies…

Elles contribuent  au renouvellement de l’offre artistique mais on ne peut pas en rester à une identité de forme. Dans la forme se joue la rencontre avec le public, mais si l’on ne parle de rien cela n’a pas d’intérêt. Hybrides choisit des artistes qui utilisent les outils d’aujourd’hui pour ouvrir des brèches. Avec la vidéo, il faut sortir de la tarte à la crème, depuis les années 20 les gens essayent de mettre des images dans les spectacles.

Hybrides revendique aussi un regard critique, comment s’exprime-t-il ?

Le premier geste d’Hybrides a été la volonté de travailler ensemble, ce qui est une façon de briser les chapelles cloisonnées du monde culturel. En partenariat avec Kawenga nous éditerons quotidiennement les critiques du public dans Le journal des spectateurs. Il y a aussi le projet Démocratie Culturelle 2.0 où l’on pousse les limites en décrétant l’abolition du ministère de la Culture pour y substituer le ministère des jeux. Dans ce monde où l’Opéra Comédie devient un centre commercial et le Musée Fabre un hôtel de luxe, la résistance s’organise sur les réseaux sociaux avec un appel à la contribution critique… Hybrides fait du théâtre un miroir du monde qui lui pose des questions.

Recueilli par JMDH

Les nouveaux territoires du théâtre nous parlent

L’artiste israélienne Ruth Rosenthal

Samedi, le Festival hybrides s’est mis en action un peu comme un train fou dont les étapes urbaines sont autant d’attentats. On ne couve pas sa place pour être au premier rang, dans ce grand jeu de rôle de la confrontation, on en change pour voir ce que ça fait. C’est drôle, et l’on peut toujours dire ce qu’on en pense, dans le quotidien du festival, Empreinte, qui émule du côté du Kawenga. Le côté festif et branché ne se mord pas la queue grâce à la qualité des propositions et à leurs propensions à écorcher l’édifice du temple. Samedi, Winter Family a ouvert le bal au studio Cunningham de l’Agora. L’artiste israélienne Ruth Rosenthal accompagnée du musicien Xavier Klaine ont renoué avec l’agitprop pour évoquer la propagande omniprésente du gouvernement israélien en direction de sa population. Un théâtre documentaire efficace qui restitue les paroles du peuple, ouvre sur des émissions de variétés à la gloire de l’armée, le tout émaillé d’un chapelet de résolutions de l’ONU rappelant l’Etat d’Israël à ses obligations en matière de droit international. On mesure autant l’impuissance des Nations unies que le poids de l’idéologie nationaliste et religieuse sioniste sur les israéliens. Au-delà on s’interroge sur la dictature des mass médias qui jouent sur l’émotion sans permettre la compréhension.

Dimanche à la Chapelle, le performer catalan Roger Bernat soumettait le public à l’expérimentation d’une démocratie d’opinion ouverte en dotant chaque spectateur d’un boîtier pour se prononcer par oui ou par non. Ludique, interactif, le dispositif de FFF permet aussi une prise de parole individuelle ou collective et interroge le pouvoir de l’artiste, du critique et du citoyen. Personne n’est parfait !

Le Festival Hybrides se poursuit jusqu’au 31 mars, voir le programme sur wwwfestivahydrides.com

Voir aussi : Rubrique Festival, rubrique Théâtre, Rubrique Montpellier, rubrique Israël,