Emanuel
L’idée de mémoire émerge pour cette 33e édition. J.P Montanari évoque la mémoire comme « une des conditions de l’émergence de la réalité », partagez-vous cette vision ?
Personnellement je pense être trop dans le présent pour regarder en arrière ou me projeter vers le futur, c’est ce qui se passe dans l’instant qui capte l’essentiel de mon attention. La mémoire permet d’actualiser des idées. Elle informe le présent. On ne peut y échapper mais je l’assume de manière assez passive.
A propos de la danse, c’est le corps qui garde en mémoire, et qui peut se révéler un handicap dans la création. Comment perdre cette mémoire ? Comment s’en débarrasser pour ouvrir sur autre chose ?
C’est une vraie difficulté, en effet, de lutter contre les habitudes corporelles qui s’installent. Mon travail de chorégraphe consiste en partie à les perturber pour trouver des schémas qui innovent. Je me débrouille pour mettre les danseurs dans l’impossibilité de reproduire. Je les oblige à se remettre en question. Le fait d’avancer est lié à la capacité de perturber.
Sur un autre plan, que vous évoque le concept politique de devoir de mémoire ?
Il me paraît lié au fait de ne pas revenir sur nos pas, d’empêcher le retour de conditions ayant abouti à de grandes souffrances. Cela participe à améliorer notre compréhension pour évoluer, ce qui suppose un vrai travail.
Le chemin semble long, comment expliquer par exemple, que le festival Montpellier Danse a consacré deux éditions au thème de la Méditerranée en mettant à l’honneur Israël dans l’une d’entre-elles et les autres pays dans la suivante ?
Ma réponse sera purement pragmatique. On ne peut pas aujourd’hui réunir l’ensemble de ses représentants, tant du point de vue protocolaire que de celui du financement.
Passons de l’idée de mémoire à celle de continuité dans votre œuvre. Que conservez-vous d’une pièce à l’autre ?
Il n’y a pas de processus de répétition dans mon travail, ni de rupture. Cela évolue en permanence, sur une même pièce, tout est différent entre la première et la vingtième ou la centième représentation. Les choses changent, on se remet en question par rapport à ce qui se passe. Mon travail ne vise jamais à parvenir à une forme stable.
Vous attachez une importance particulière à la structure. Quelle place prend-elle dans votre processus de création ?
La structure est centrale dans ma démarche. Je suis à la recherche de structures qui engendrent des systèmes y compris humains, elle dessinent des formes. L’émotion ne repose pas sur la structure, c’est la structure qui génère des émotions. J’attends des danseurs une implication individuelle. Le champs de jeux est complètement libre dans un environnement déterminé. A partir de cela, j’analyse la situation dans laquelle se font leurs choix, puis j’esquisse et je clarifie.
L’image canonisée d’Emanuel Gat vous agace-t-elle ?
On porte sur moi un regard que je comprends, mais qui ne me correspond pas toujours. Il suffit d’utiliser une musique ou une autre pour être classé dans un tiroir. Il faut du temps pour développer et approfondir une oeuvre dans ses subtilités.
En tant qu’artiste invité, quel regard portez-vous sur le public de Montpellier Danse ?
Un regard extrêmement positif. Montpellier est l’endroit, avec Berlin, où j’ai le plus de plaisir à revenir. Un dialogue avancé est possible avec le public d’ici. Cette évidence dans l’échange est non seulement agréable, mais aussi productive dans le sens artistique.
Vous avez la volonté d’inscrire le public dans le processus de la création ?
Oui dans Corner études qui regroupe quatre pièces de 15 mn, une partie se fera avec le public qui participera par sa présence à l’échange. Toutes les phases de répétition sont ouvertes pendant la période de création où j’inclurai ce regard dans le processus. 200 personnes seront autour du plateau lors du spectacle. Je n’ai jamais fait cela et suis curieux de savoir ce qui va se passer.
Corner études s’inspire de Brilliant corners créé à Montpellier en 2011 ?
L’idée est d’entrer dans un processus d’approfondissement. Nous avons éjecté certains aspects pour les travailler de manière indépendante. Chacun des éléments participera à la construction d’une pièce unique.
Vous ouvrez le festival avec la création The goldlandbergs sous la forme d’une fugue…
C’est une pièce pour huit danseurs qui adopte une configuration plus classique. Elle intègre La variation de Goldberg de Bach interprétée par Glenn Gould, et The quiet in the land, une composition, de Gould également, qu’il a réalisée en 1977 en s’immergeant dans une communauté mennonite aux Etats-Unis. Ce regard sur un groupe de personnes, une famille, une communauté, rejoint une recherche sur le fonctionnement des relations que j’ai entrepris depuis vingt ans. Je crois qu’il s’est passé quelques chose d’intime dans cette pièce qui a débloqué les choses.
Recueilli par Jean-Marie Dinh
Source : L’Hérault du Jour, 22/06/2013
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