Le Théâtre sortieOuest, situé sur le canton 1 de Béziers, est au cœur d’un combat politique et culturel. Jean-Michel Du Plaa, candidat socialiste aux élections départementales dans ce canton, affrontera en duel, dimanche 29 mars, l’élu du Front national, Henri Bec. Au soir du premier tour, le 22 mars, le FN a totalisé plus de 44 % des voix sur ce canton, devant le PS (25 %) et l’UMP (19 %). Précisons, pour compléter le tableau, que Jean-Michel Du Plaa, vice-président du conseil général, est aussi le président de l’association qui gère le Théâtre sortieOuest – une scène conventionnée avec le département, l’Etat et la région, installée sur le domaine de Bayssan, au milieu d’un parc.
Les phrases de l’entre deux-tours ont le mérite d’être claires, dans la ville dirigée par Robert Ménard depuis mars 2014, sous l’étiquette Rassemblement Bleu Marine. Voici ce qu’a déclaré, jeudi 26 mars, dans le quotidien La Marseillaise/L’Hérault du Jour, l’élu FN Henri Bec. Interrogé sur le devenir du Théâtre sortieOuest, fortement soutenu par le conseil général (PS), à hauteur d’un million d’euros, l’élu qui se dit monarchiste, tendance « orléaniste », a répondu avec détachement : « Cela ne me dérangerait pas que ce site ferme. On dépense trop pour la culture, on pourrait réduire les impôts en dépensant moins. » Dès avant le premier tour, la divers droite Fatima Allaoui, candidate sur le canton 3, ancienne de l’UMP évincée pour son appartenance au Siel, proche du FN, avait inscrit « la suppression » de sortieOuest dans ses promesses électorales – « un site qui coûte trop cher » – proposant son rapatriement dans le centre-ville avec une programmation comprenant « 50 % d’artistes locaux ». Depuis le 22 mars, elle a appelé à voter pour le candidat FN.
« Eviter un désert culturel à Béziers »
Pour Jean Varela, directeur de sortieOuest, ce sont les valeurs véhiculées par la scène contemporaine qui indisposent l’extrême-droite. « On nous attaque pour ce que nous sommes : un lieu de programmation exigeante, où la parole circule librement. Il y a d’autres scènes qui coûtent de l’argent sur le territoire, et qui font du divertissement. Elles ne sont pas du tout inquiétées », dit-il. Il rappelle l’histoire de ce théâtre, et l’enjeu pour le territoire. « C’est le conseil général qui a pris l’initiative de créer cette scène conventionnée, en 2006, pour éviter un désert culturel à Béziers, qui autrefois était un foyer artistique. Le président de notre association, Jean-Michel Du Plaa, est un homme de culture, très apprécié ici », poursuit Jean Varela, qui dirige par ailleurs le Printemps des Comédiens.
Lors des précédentes élections, en 2011 (les anciennes cantonales), le combat avait été ardu : Jean-Michel Duplaa l’avait emporté avec 170 voix d’avance, face au frontiste Guillaume Vouzellaud. Le scrutin du 29 mars s’annonce serré. Sur les deux autres cantons de Béziers, l’avance du FN est encore plus nette, tout particulièrement dans le canton 3 où il a totalisé 46,86 % des voix. Pour la presse locale, l’affaire semble ici pliée.
Une programmation « à caractère militant »
Jean Varela tire la sonnette d’alarme : « Ce n’est pas possible que Béziers soit représenté au conseil général uniquement par des élus Front national », s’inquiète-t-il. Il dit avoir reçu du soutien de certains élus de droite, mais d’autres à l’UMP ne cachent pas leur aversion pour la politique culturelle du département, sortieOuest compris. Ainsi, le député UMP Elie Aboud a abrité sur sa page d’accueil la lettre d’un auteur bitterrois, Jean-Pierre Pelaez, s’indignant de ne pas être programmé à sortieOuest, théâtre « grassement » financé par le département, écrit-il, et « engloutissant des budgets énormes » pour mener une programmation « à caractère militant ».
Jean-Pierre Pelaez a déjà été reçu au cabinet du président du conseil général, le socialiste André Vézinhet. « Nous lui avons dit deux choses : un, Jean Varela a une liberté de programmation, selon ses choix esthétiques, et l’on ne peut en aucune sorte imposer une préférence nationale en direction d’artistes locaux. Deux, le conseil général n’est pas du tout indifférent au sort des artistes locaux, puisqu’il soutient entre soixante et quatre-vingts compagnies sur son territoire », indique-t-on dans l’entourage d’André Vézinhet.
Une campagne sur les réseaux sociaux
Jean Varela défend sa programmation : « Les spectacles ont lieu sous un chapiteau, pour abolir la barrière symbolique entre la scène et le public. Nous menons une programmation hors-les-murs, appelée Le Grand Tour ; nous organisons une manifestation littéraire (Chapiteaux du livre), nous touchons un public de 35 000 personnes, dont 7 000 scolaires et étudiants. »
La campagne s’organise à présent sur les réseaux sociaux. Alors que la ville de Béziers accueille depuis le 24 février, et jusqu’au 23 août, l’exposition intitulée Gaulois : une expo renversante, conçue par la Cité des sciences, les partisans du candidat PS, lequel fait alliance avec la communiste Roselyne Pesteil, ont réalisé une affiche dans l’esprit gaulois. Jean-Michel Du Plaa est dans la peau d’Obélix – il en a la corpulence –, et porte sur son dos un dolmen coiffé du visage de la candidate PCF. Avec ce slogan : « La République contre-attaque ». Dans le journal municipal, Robert Ménard, lui, communique à sa façon sur l’exposition dédiée aux Gaulois : « C’est l’éternel retour du grand blond », indique le titre de l’article, complété par ce bandeau : « Comment nos élites réécrivent le passé ».
Comment un Premier ministre, socialiste, ose-t-il demander : «Où sont les intellectuels ?» et les inciter à «monter au créneau» ? Il eût été plus inspiré si, au lieu de fustiger une prétendue absence de mobilisation politique des intellectuels, il avait appelé à une plus grande mobilisation intellectuelle des hommes politiques. Manuel Valls voulait sans doute dire : «Où puis-je, où les hommes politiques de gauche peuvent-ils trouver les outils théoriques forgés par les intellectuels, susceptibles d’expliquer l’expansion du Front national et de ses idées ?»
Spontanément, on devrait répondre : «Si vous n’avez pas le temps de fréquenter les amphithéâtres, les colloques ou les laboratoires de recherche, allez donc dans une bibliothèque ou simplement dans une librairie, vous les trouverez là, les « intellectuels », sous forme de livres. Vous devrez y passer un peu de temps. Vous en auriez gagné si, il y a quinze ans, vous aviez lu les enquêtes dirigées par Pierre Bourdieu dans la Misère du monde, et entrevu déjà ce sur quoi allaient nécessairement déboucher les nouvelles formes de souffrance sociale. Mais cela ne fait rien. Dans la librairie, prenez d’abord la Pharmacologie du Front national du philosophe Bernard Stiegler, puis piochez au hasard : il y a des dizaines d’ouvrages de philosophie, de science politique, de sociologie, d’histoire, d’économie, expliquant les raisons qui ont fait élargir les bases idéologique et électorale du FN». Les propos du Premier ministre ne traduisent pas même du mépris pour les intellectuels : simplement l’ignorance de leur apport. La question n’est évidemment pas personnelle, et peut-être, après tout, Manuels Valls lit-il le soir Amartya Sen, Bourdieu, Stiegler, ou les analyses de Nonna Mayer (Ces Français qui votent Le Pen). L’essentiel est plutôt que la sphère politique s’est détachée du champ intellectuel, comme elle s’est coupée du social et de «la vie des gens» – devenant ainsi caste. Cette autarcie la condamne à l’assèchement, puisqu’elle ne peut plus se nourrir, pour les traduire en décisions politiques, des revendications venant des citoyens, ni se former théoriquement en faisant trésor du travail des intellectuels. Dès lors, elle «parle toute seule», parle encore de l’élection présidentielle trois ans après qu’elle a eu lieu et deux ans avant qu’elle n’ait lieu, la seule finalité de la politique étant désormais de conserver aux hommes politiques leurs sièges. A cette fin, la présence constante dans les médias, la formule, le bon mot, la gestion de l’image, le marketing sont bien plus utiles que la collaboration avec les intellectuels ou le travail moléculaire sur le territoire (que seuls les Témoins de Jéhovah font encore et, justement, en imitant la pratique du Parti communiste, le FN).
Dans ce monde de coups médiatiques et de buzz – régi par la vitesse et la sommation à la simplification, où le discours qui fait mouche prévaut sur le discours qui dit vrai, et où même un Eric Zemmour apparaît comme un «intellectuel» – les hommes politiques ne peuvent rencontrer que des intellectuels médiatiques, c’est-à-dire des intellectuels qui ont pratiqué vis-à-vis de la recherche et du travail théorique la même coupure que celle que la politique (politicienne) a faite avec le politique (gestion de la vie en commun). Cela a des effets délétères. Ne se sentant plus représentés par ceux qu’il a députés au gouvernement de la cité (qu’il soit national ou régional), les citoyens (on n’ose plus dire le peuple) s’«abstiennent», n’attendant plus rien de la classe politique. Se développe alors un discours «populiste» qui, sur l’air de «tous pourris !» ou «tous incapables !» (de réduire les inégalités, alléger les souffrances et la précarité engendrées par le Marché), condamne en bloc une caste qui ne travaillerait qu’à sa propre reproduction et au maintien de ses privilèges.
Le Front national a su habilement «accueillir» ce discours, et le ré-injecter dans l’opinion, créant ainsi une sorte d’effet de miroir dont le résultat est que les «gens», (sans croire du tout à l’efficience du programme de gouvernement «bleu marine», surtout économique), se «reconnaissent» dans le FN et votent pour lui. L’autre conséquence tient à ce que la classe politique ait coupé le lien organique qui l’attachait au monde intellectuel (lien qui jadis était tissé par la forme parti, aujourd’hui en déliquescence). Outre, évidemment, le triomphe du néocapitalisme, la crise interminable qu’a provoquée la financiarisation de l’économie, l’élargissement inédit de l’arc des inégalités, le chômage endémique, c’est cette coupure qui a participé à ce que l’on nommera, faute de mieux, la «défaite des idées de gauche» – lesquelles, il n’y a pas si longtemps, étaient encore culturellement dominantes.
Il suffit de rappeler que presque toute la culture française, de la chanson aux œuvres cinématographiques, de la sociologie aux travaux des «nouveaux historiens», de la science politique à la philosophie (qui grâce à une conjonction exceptionnelle connaissait, depuis Sartre, sa plus belle saison, avec Jankélévitch, Lévi-Strauss, Althusser, Levinas, Ricœur, Foucault, Derrida, Lyotard, Deleuze, Balibar, Rancière, Badiou, Nancy…), participait d’une «conception du monde» correspondant à des idéaux et des valeurs de gauche : critique du libéralisme, droits de l’homme, réflexion sur un «commun» où la liberté n’exclurait pas la justice, bannissement des discriminations, ethniques, religieuses, sexuelles, extension des droits à toute personne, quel que soit le genre de vie qu’elle se choisit dans ce qui est légalement permis, respect de la foi privée et critique de la religion, responsabilité devant autrui (se souvient-t-on de ce «Visage» qui, chez Levinas, est «ce qui interdit de tuer» ?), hospitalité, «politiques de l’amitié», multiculturalisme, citoyenneté, laïcité, transformation du racisme en délit, etc.
«Où sont les intellectuels ? Où est la gauche ?» se demande Valls. Où sont, devrait-on rétorquer, les hommes politiques de gauche, qui ont protégé ces valeurs, les ont transformées en «mesures», inscrites dans leur programme, introduites dans les institutions, réalisées ? Vaines questions, certes, adressées à une gauche au pouvoir qui n’a pas hésité à se trahir et à effectuer un «tournant néolibéral», qui a abandonné le terrain de la bataille des idées, laissant ainsi se «faner» celles, de gauche, qui circulaient dans la société et qui étaient devenues ce que Gramsci appelle le «bon sens». Quand elle n’était pas encore au pouvoir, elle s’est prise au piège que lui ont tendu Nicolas Sarkozy et Henri Guaino en promouvant sans aucune nécessité mais avec un beau génie stratégique le débat sur l’«identité nationale», qui doit être considéré comme le point de départ de la diffusion «publicitaire» des idées du FN. C’est à partir de là, en effet, que «les langues se sont déliées», que les discours identitaires, les discours d’exclusion, les propos racistes, les affrontements communautaires ont fait florès et se sont «dédouanés», devenant des «opinions comme les autres», que même des candidats à des élections peuvent afficher sur leur page Facebook.
Il se peut qu’il y ait à l’avenir un «sursaut républicain» et que la gauche ne perde pas tous les scrutins futurs. Ce n’est pas grave de toute façon. Le pire, la gauche politique l’a déjà fait : elle a égaré et fait perdre le monde intellectuel. Il lui reste à gouverner «à l’émotion», à en appeler non à la raison ni aux «Lumières», mais à la peur. Ce qui n’assure pas la victoire, face à des partis dont la spécialité est de parler directement au ventre – là où se love la «bête immonde» dont parlait Brecht.
Politique culturelle. L’annulation du festival Hybrides donne matière à un débat sur la place des artistes dans la société
Il n’y aura pas de septième édition du Festival Hybrides, c’est tombé comme ça. Un festival de son temps qui a fait ses preuves est abandonné comme une bagnole tombée en rade d’essence sur l’autoroute. La mairie de Montpellier qui apportait l’essentiel de son financement (1) depuis sa création, semble le destiner à la casse dans l’indifférence la plus totale.
« On nous aurait dit il y a six mois, nous avons fait le choix de soutenir le festival Tropisme et pas Hybrides compte tenu d’une baisse générale budgétaire ou d’un arbitrage politique, cela aurait été dur mais cohérent, explique le metteur en scène Julien Bouffier, mais nous avons tenté durant six mois d’entrer en contact en vain…»
Le fait que la Compagnie Adesso e Sempre, à l’initiative du festival Hybrides, figurait avec d’autres acteurs culturels Montpelliérains sur la liste de soutien de Jean-Pierre Moure, le candidat socialiste vaincu aux dernières municipales, pourrait expliquer ce malheureux concours de circonstances.
Une hypothèse réfutée par le fondateur du festival : « En Octobre dernier, affirme-t-il, on nous a dit c’est très mal mais vous n’êtes pas sur la black liste. On devait se voir en Décembre pour prendre la température mais le rendez-vous n’a jamais pu se concrétiser.»
Après le limogeage de la directrice de la culture de Montpellier Valérie Astésano qui aurait eu l’outrecuidance selon Philippe Saurel, de se prendre pour le maire de Montpellier, le service culture de la mairie comme le cabinet du maire sont aux abonnés absents. « Nous ne pouvions présenter un programme sans savoir si nous pourrions le tenir » , indique Julien Bouffier.
Une soirée d’annulation
À un mois de l’ouverture du festival, la dernière fusée de détresse prend la forme d’une lettre de soutien suivie localement et nationalement. Cinq CDN, une dizaine de scènes nationales, de nombreux festivals étrangers valident la démarche artistique d’Hybrides. Celle-ci, qui se diffuse sur plusieurs lieux culturels de la ville, est reconnue pour sa singularité qui interroge les pratiques théâtrales en ouvrant sur la transdisciplinarité et le théâtre documentaire.
Sans garantie, sans discussion, sans explication, c’est avec le sentiment d’une profonde indifférence du maire de Montpellier pour la culture que Julien Bouffier a dû annoncer l’annulation de l’édition 2015 d’Hybrides à la veille de l’ouverture des locations.
Toujours inventif, il a su trouver la forme en organisant sa soirée d’annulation le vendredi 13 mars au Domaine d’O. On pourra assister à un café Hybrides à 19h sur le thème de la place de l’artiste dans la société suivi d’une représentation unique à 22h de Caliban Cannibal de la Compagnie italienne Motus qui a occupé le théâtre Valle à Rome, histoire de croiser les luttes.
« Nous souhaitons que cette soirée offre le prétexte de parler de la culture et de l’inscrire dans le débat électoral. »
En effet, il ne paraît pas inutile de rappeler à nos élites que les politiques culturelles restent un axe majeur de la construction républicaine.
Jean-Marie Dinh
(1) Le budget 2014 comprenait une subvention de 30 000 euros de la mairie pour le festival et de 15 000 pour la compagnie Adesso e Sempre à laquelle s’ajoutait une subvention de 10 000 euros de l’Agglomération.
(2) À noter également que le spectacle Atlas proposé dans le cadre Hybrides est maintenu au CDN les 26 et 27 mars 2015
Le premier magistrat refuse les partenariats croisés du théâtre.
Mais quelle mouche a piqué Noël Ségura, le maire (Dvg) de Villeneuve-lès-Maguelone déterminé contre vent et marée à la disparition de la scène nationale jeune public qui rayonne depuis vingt-deux ans sur sa commune ? Le maire a déclaré mardi devant la presse l’arrêt pur est simple de la scène conventionnée faisant état de sa volonté de reprendre en main la destinée du théâtre municipal. L’origine de cette décision comme la méthode pour y parvenir semblent plus que mystérieuses. On a beau fouiller, on ne trouvera rien de « gauchiste» ou d’une quelconque atteinte aux bonnes moeurs dans la programmation artistique du lieu placé sous le signe de la curiosité et de l’ouverture d’esprit.
Un choix politique
L’argument budgétaire évoqué par le maire qui fait état d’un lourd endettement de la commune pourrait être recevable s’il n’était pas écorné par le vote en conseil municipal du financement d’un dispositif de caméra de surveillance pour un montant de 430 000 euros quand la part de la ville pour l’écrin culturel dont bénéficie largement la population s’élève à une subvention annuelle de 93 000 euros. Par la voix de Serge Desseigne (PCF) l’opposition pointe sur ce sujet un choix politique. « Ce théâtre est un fantastique outil de cohésion sociale pour le village. A travers des programmes de grande qualité on éduque les enfants et la jeunesse à s’ouvrir sur l’autre, au refus de la stigmatisation. Effacer tout ce travail d’un revers de main et voter la télésurveillance en dit long sur le projet politique de M. Ségura.»
Sur la méthode pour le moins expéditive de Joël Ségura et l’autoritarisme forcené dont il a fait preuve, certains points du dossier devront être éclaircis. Une chose est sûre, alors que les maires n’en finissent plus de déplorer les restrictions budgétaires, on n’a jamais vu un maire refuser le financement croisé d’un outil culturel sur sa commune.
Hier Noël Ségura s’est payé le luxe de bouder une réunion où l’Etat, la Région et le Département, prêts à reconduire leurs financements pluriannuels, étaient réunis pour trouver des solutions. «Je suis capable de prendre une compagnie, la payer, pour que les enfants voient un spectacle,» indiquait-il mardi. Voilà qui devrait rassurer les Villeneuvois très mobilisés pour le maintien de la scène nationale.
Le travail consolidé depuis de longues années entre le corps enseignant et le théâtre explique son implication dans le collectif de défense au côté de la Fédération des parents d’élèves et de beaucoup de parents en leur nom propre. « De la maternelle à la 3e, tous les élèves se rendent plusieurs fois par an au théâtre pour y voir des spectacles et y rencontrer des artistes confie, l’un d’eux. Le théâtre édite même un carnet de bord remis aux élèves de moyenne section qu’ils gardent pour y consigner leur impressions jusqu’en CM2 à raison d’à peu près cinq spectacles par an. »
Rendez-vous au tribunal
La décision du maire afflige également les nombreux spectateurs montpelliérains et héraultais qui fréquentaient assidûment le théâtre ainsi que les commerces de proximité qui en bénéficiaient.
Le prochain rendez-vous de cette curieuse affaire se tient lundi 9 mars à 14h30 au Tribunal administratif de Montpellier où le collectif de soutien au théâtre invite ses défenseurs à assister à l’audience publique. La requête en référé de l’association Bérenger de Frédol demande la suspension de la fermeture qui pourrait permettre à la saison de s’achever et d’éviter aux trois salariés de l’association un licenciement sec et immédiat.
Les débats législatifs actuels sur la nouvelle répartition des compétences culturelles (loi NOTRe) viennent d’être le théâtre d’un triste chassé-croisé entre Sénat et Assemblée Nationale, bafouant les engagements internationaux culturels de la France, et, au passage, mettant en porte-à-faux le pouvoir exécutif. Certes, ce genre de retournement est au coeur de la mécanique législative. Encore faut-il qu’il s’inscrive dans le respect des lois ratifiées par notre pays.
Dans un premier temps, à la lueur des engagements internationaux de la France, le Sénat, dans un bel effort, a logiquement adopté un amendement sur les droits culturels :
“Sur chaque territoire, les droits culturels des citoyens sont garantis par l’exercice conjoint de la compétence en matière de culture, par l’État et les collectivités territoriales.”
Cet amendement a été ensuite rejeté par les députés, non pas à l’endroit de la compétence, mais au motif de l’existance douteuse de ces droits culturels.
Ainsi, Monsieur Patrick Bloche, Président de la Commission Culture de l’Assemblée Nationale, déclare à la tribune: « On peut parler de droit à la culture pour tous mais « droits culturels » n’est défini dans aucun texte en tant que tel », et Monsieur le Député Travert, rapporteur, ose ajouter: « Il est quand même difficile de faire référence à des droits qui ne sont identifiés dans aucun texte à l’heure d’aujourd’hui ».
Ces déclarations sont ignorantes des textes d’engagement internationaux signés par la France dans le sens de la reconnaissance des droits culturels (par exemple, article 5 de la Déclaration Universelle sur la Diversité Culturelle de 2001: « L’épanouissement d’une diversité créatrice exige la pleine reconnaissance des droits culturels, tels qu’ils sont définis à l’article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et aux articles 13 et 15 du Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels », ou, mieux encore, article 1 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme: « Tous les êtres humains sont égaux en dignité et en droit »… garantir l’égalité en dignité, c’est reconnaitre le droit de chacun d’échapper à toute Culture dominante).
De surcroît, elles sont proprement ahurissantes dans la bouche de dignes représentants du peuple, et donnent à penser qu’au-delà de l’ignorance, des forces de lobby sont à l’oeuvre pour empécher la reconnaissance de ces droits.
On pourra les trouver autant auprès des jusqu’au-boutistes du jacobinisme, arc-boutés sur la négation des langues régionales par exemple, qu’auprès des monopoles globaux de l’Industrie des Loisirs, pour qui « diversité culturelle » est synonyme de fragmentation du marché et donc de perte de profit.
Il ne faudrait pas croire que l’impact de ces crispations se limite aux seules luttes de pouvoir entre Etat et pouvoirs locaux, ou ne revèterait d’intéret que pour « les professionnels de la profession ».
Nous sommes tous concernés.
Les artistes créatifs et leurs opérateurs, les habitants désireux de pratiquer les Arts, les entreprises culturelles locales, impatientes de s’affranchir du joug des monopoles globaux des Loisirs, les patrimoines des communautés locales et leur légitime soif de reconnaissance, les associations et les collectivités désireuses de participer à « la sono mondiale », les descendants d’immigrés en quète de reconnaissance, en un mot l’ensemble de la population résidant dans l’héxagone va souffrir des dernières décisions de l’Assemblée Nationale en la matière, sans parler des dommages induits que subiront nos actions culturelles à l’international, déjà bien insatisfaisantes si l’on en croit le rapport 2013 de la Cour des Comptes.
Surtout, pour un certain nombre de lanceurs d’alerte culturelle s’interrogeant sur la place de la Culture dans le mécanisme de l’intégration républicaine, et au moment où il ne fonctionne plus aussi bien que les français de souche aiment à le croire (les tragiques évènements de janvier viennent de le démontrer de manière implacable), ce nouveau reniement dépasse le seul débat législatif pour témoigner de l’affaiblissement général de nos politiques culturelles à la française, celles dont récemment encore nous nous piquions de fertiliser les autres Cultures dans le monde, avec une pointe de suffisance, .
La question ne s’arrète pas à la compétence culturelle. Il faut reprendre tout le métier.
Le plus triste dans ce débat, c’est qu’il crée une division entre défenseurs de la création artistique et militants des Droits Culturels. Les anathèmes fusent (« élitisme », « populisme », « corporatisme », « instrumentalisation »), comme si l’on pouvait ignorer que l’un ne va pas sans l’autre.
La dignité de la personne s’appuye sur les Droits Culturels, et la liberté de création aussi.
J’habite les quartiers nord de Marseille depuis 26 ans.
Co-fondateur de la Friche Belle-de-Mai, je suis au quotidien depuis 23 ans les tentatives des habitants de ces quartiers, jeunes et plus tout jeunes, pour élaborer tant bien que mal « leur » Culture (forcément hybride), seule viatique pour un dialogue respectueux, digne et gratifiant, sans lequel toute idée d’intégration à la République est vaine.
J’ai compris trois choses:
– Certains d’entre eux peuvent devenir les artistes excellents dont notre pays tire profit d’image, sans retour sur investissement (sur un euro gagné par tel danseur contemporain « issu de la diversité » reconnu internationalement, combien retournent dans son quartier d’origine sous forme d’investissement public pour la Culture?)
– Il est inapproprié (voire téméraire !) de pénétrer ces quartiers dans la posture de l’expert artistique qui « apporterait la Culture à ceux qui n’en ont pas ». C’est une insulte faite aux Droits Culturels des habitants. Mettons fin à l’humanitarisme culturel, à l’occupationnel culturel, à la fausse « Culture pour tous », à l’indiscutable échec de « l’accès à la Culture » (laquelle?), à la domination du soi-disant Beau sur le soi-disant Moche (qui décide?), au mensonge sur « le rapprochement des publics » (séparés par un gouffre sociologique que plus aucun cache-sexe n’arrive à escamoter)…
– De nombreuses causes de conflit dans le monde sont d’ordre culturel. La disparition de véritable politique culturelle publique dans ces quartiers a été remplacée par diverses dérives totalitaires, religieuses ou pas, toutes capables de générer les plus grandes violences (et par ailleurs toutes très attentives au formatage culturel, mais pas celui de la République !). Ceux qui ont acté la disparition de la Politique de la Ville dans les années 90 en partagent pleinement la responsabilité, et leurs commentaires théâtraux sur les tragiques évènements de janvier mériteraient une certaine retenue.
Bref, quelques soient les effets de manche des uns et des autres, je le confirme: vu d’ici, la Culture est bien à deux vitesses, elle est bien au service du prestige national, elle n’est pas un Droit.
Dans un pays où le Ministère de la Culture est aussi celui de la Communication, où certaines régions (la mienne) se dotent d’un Vice-Président à la Culture qui est aussi celui du Tourisme, où l’on brade la diffusion des oeuvres à des quasi-monopoles, prétendre que, comme au bon vieux temps des années soixante, les Politiques Culturelles actuelles (ou le mille-feuille qui en tient lieu) suffisent à garantir à la Culture une place centrale dans la construction du Citoyen est une chimère.
Au bout du compte, la Culture est bien réduite à un objet que l’on consomme (quand on en a les moyens) après une journée de travail bien remplie.
Elle sera peut-être demain propagande officielle au service d’un pouvoir autoritaire ultra-centralisé.
Dans le même temps, loin de la capitale, de nombreuses raisons, non seulement philosophiques, européennes mais aussi technologiques, pousseront de plus en plus les bassins de population à participer au Monde, c’est-à-dire à être attractifs non seulement vis-à-vis de l’extèrieur, mais aussi vis-à-vis de leur propre jeunesse, à tirer profit (au sens noble) des compétences créatives de chacun.
Ces populations ne sauraient atteindre leur objectif sans affranchir leur politique culturelle du modèle jacobin, sans l’amarrer solidement sur les quelques textes universels et fondateurs dont Messieurs Bloche et Travert n’ont pas connaissance.
Un jour ou l’autre, à partir de la somme de ces politiques culturelles locales, le processus européen, préoccupé par sa paix interne tout autant que par la répartition équitable des biens communs sur son territoire, sera inévitablement conduit à proposer un cadre culturel global.
Par la négociation, (cf. Jean Michel Lucas: « la palabre »), nous devrons nous assurer, quelque soit la répartition administrative des compétences, que cette construction se fera du bas vers le haut et non l’inverse, et qu’elle respectera l’autonomie, la dignité et le geste artistique du plus humble d’entre nous, fût-il dans le territoire le plus périphérique de l’Union.
A ce jour, je ne vois pas de mission plus noble pour les parties prenantes à la Culture.
Ferdinand Richard
PS: Je me tiens volontiers à disposition de Messieurs Bloche et Travert pour accompagner une salutaire remise en jambes lors du Forum Mondial de la Culture organisé par CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis, le plus grand réseau mondial de pouvoirs locaux, porteur de l’Agenda 21 de la Culture) à Bilbao les 19 et 20 mars prochains.
Ferdinand Richard est directeur/fondateur de l’A.M.I. à Marseille. Plateforme de développement culturel local, cette structure originellement dédiée à la musique propose depuis 30 ans de nombreux ateliers de formation, des résidences d’artistes, des festivals, un incubateur d’entreprises culturelles, etc… et présente un important volet de coopération internationale (Afrique, Moyen-Orient, Russie, Asie, Amérique Latine).
– Membre de la Friche Belle-de-Mai/Marseille depuis son origine, en 1992, et associé à sa direction pendant 8 années, il est aussi président du Fonds Roberto Cimetta pour la mobilité des artistes et opérateurs entre Europe et Monde Arabe.
– Il a été de 1996 à 1999 président du Forum Européen pour les Arts et le Patrimoine (aujourd’hui Culture Action Europe), plate-forme de réseaux culturels européens, et de 2001 à 2004 président du Conseil d’Orientation du Certificat Européen en Management Culturel, Fondation Marcel Hicter/Bruxelles.
– Il est membre du Conseil d’Administration de l’Observatoire des Politiques Culturelles, et intervient depuis de nombreuses années dans plusieurs universités/écoles supérieures, Lyon, Grenoble, Bordeaux, Alexandrie, Fribourg, etc…
– Depuis 2006, il est aussi collaborateur/expert de la commission « Agenda 21 de la Culture » de CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis), et depuis 2010 coordinateur du panel d’experts du Fonds International pour la Diversité Culturelle de l’UNESCO.
– de 2007 à 2010, il a été responsable national de la Commission Culture du parti EELV. – Il a mené pendant près de 20 ans une carrière de musicien et producteur.
Source Blog Médiapart de l’AMI (Aide aux musiques innovatrices 20/02/2015