Le nom de gauche mis en question

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Le philosophe politique Jean-Claude Michéa à la recherche d’un nouveau langage commun.

Dans son nouvel opus «Les mystères de la gauche» Jean-Claude Michéa tire les leçons de notre temps politique.

Les mystères de la gauche*. Avec un titre inspiré de l’auteur des Mystères de Paris, Eugène Sue, le philosophe Jean-Claude Michéa commet un nouvel essai pour expliciter à des lecteurs engagés pourquoi il refuse de rassembler sous le vocable générique de la gauche «l’indignation grandissante des gens ordinaires» devant une société de plus en plus amorale, inégalitaire, et aliénante.

«Je comprends l’attachement sentimental qu’éprouvent les militants de gauche pour un nom chargé d’une aussi glorieuse histoire», précise Michéa dans son propos introductif, mais il est selon lui «plus que temps de s’interroger sur ce que peut signifier concrètement le vieux clivage droite/gauche.»

Dans Le Complexe d’Orphée (Ed, Climat 2012), l’auteur rappelait que le terme de gauche a véritablement pris naissance dans le cadre du compromis historique scellé lors de l’affaire Dreyfus entre les principaux représentants du mouvement ouvrier socialiste et ceux de la bourgeoisie républicaine et libérale. Compromis politique, qui visait à dresser un «front républicain» contre la droite de l’époque (cléricale et monarchiste) qui constituait une menace pour un système républicain encore fragile. Ce pacte défensif explique que la gauche du XXème siècle ait pu longtemps reprendre à son compte une partie importante des revendications ouvrières et syndicales, mais une alliance aussi ambiguë entre partisans de la démocratie libérale et défenseurs de l’autonomie de la classe ouvrière ne pouvait pas se prolonger éternellement.

Vision juridique du monde
L’auteur fait à nouveau appel à l’histoire du XIXème pour éclairer le lecteur de gauche contemporain «trop souvent conditionné par un siècle de rhétorique progressiste» en rappelant que les deux répressions de classe les plus féroces qui se sont abattues sur le mouvement ouvrier ont été le fait d’un gouvernement libéral ou républicain (donc de gauche au sens premier du terme). Lors des journées de juin 1848 et durant la répression sanglante de la Commune de Paris dirigé par Thiers en mai 1871.

La protestation morale des premiers penseurs socialistes du XIXème contestait l’émancipation libérale portée par la Révolution française, «l’idée que l’égalité des droits constitue l’énigme résolue de l’histoire». Au nouveau cadre juridique de la condition prolétarienne, ils opposaient celui d’une communauté libre et égalitaire susceptible de prendre en charge la cause de l’humanité tout entière.

«C’est seulement si l’idéal moderne de liberté et d’égalité parvient à prendre ses racines dans le fait communautaire que le développement concret de cet idéal pourra espérer dépasser le plan des formes pures et recevoir un contenu véritablement humain et socialement émancipateur», soutient Michéa. Le philosophe, dont l’oeuvre interpelle autant les bien-pensants du socialisme libéral que les militants du Front de gauche aurait aussi pu intituler son livre les sept pêchés capitaux de la gauche.

JMDH

 * Ed. champs essai Flammarion.

La Marseillaise : 20/01/2014

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