La guerre des riches commence au Fouquet

Les Pinçon Charlot dévoilent le fonctionnement des élites. Photo Louis Monier.

On les surnomme les Pinçon Charlot. Ce couple de sociologues, anciens directeurs de recherche au CNRS rattachés à l’Institut de recherche sur les sociétés contemporaines (Iresco), s’est fondé une réputation singulière d’ethnologues de la bourgeoisie. Depuis bientôt trente ans, ils innovent dans le champ sociologique en orientant leurs recherches sur le fonctionnement oligarchique de la classe dominante française. Invités par Les Amis de l’Humanité, ils présentaient mercredi à Montpellier leur dernier ouvrage Le président des riches.

Partout en France, la tournée des Pinçon Charlot déplace des foules. A Montpellier, le débat très participatif a réuni 350 personnes à la salle Guillaume de Nogaret. C’est que le livre tombe plutôt à pic au moment où le chef de l’Etat s’apprête à endosser son costume de président du peuple…

Si une majorité de Français ne semblent spontanément pas prêts à prendre ce mirage pour argent comptant, l’ouvrage des Pinçon Charlot, n’en demeure pas moins fort éclairant sur l’état d’un pays totalement livré aux grandes fortunes. Il démontre aussi que l’échec espéré de Sarkozy en 2012 ne sera pas suffisant pour changer la donne.

Prise de pouvoir politique

Les travaux précédents du couple de chercheurs tendaient à démontrer que derrière les concepts flous de Hedge fund, stock option, loi du marché… il existe bien des agents sociaux, faits de chair et d’os. « Nous cherchions à comprendre le sens. A savoir comment la reproduction des privilèges les plus insensés et les plus arbitraires bénéficiaient toujours aux mêmes familles. »

L’idée de ce livre est apparue le 6 mai 2007. « Avec la fête du Fouquet une nouvelle ère s’est ouverte. Au regard du cynisme d’une violence inouï que cette élite affiche, on est passé de la lutte des classes à la guerre des classes, explique Monique Pinçon- Charlot. Après s’en être pris au système de protection social, et avoir détruit les forces syndicales comme celles des partis qui portaient la voix des classes populaires, les patrons du Cac 40 sont venus fêter aux yeux de tout le monde leur prise de pouvoir politique. »

Tous les jours Noël

Effarés les Pinçon Charlot décident de tenir au jour le jour la chronologie de ce capitalisme décomplexé. De la défiscalisation complète des droits de succession aux gros chèques en passant par le bouclier fiscal et la reconnaissance symbolique des légions d’honneur la liste est longue. « Il n’y a quasiment pas un jour sans tour de passe-passe pour gaver les déjà gavés. Avec l’attaque continue des droits sociaux, c’est le seul terrain où Sarkozy a été constant.» Les auteurs se plongent à nouveaux dans les mailles sophistiqués du trico des réseaux oligarchiques. « Ceux de Sarko et de DSK se recoupent de manière tout à fait préoccupante », constate Michel Pinçon qui rappelle aussi que la recette du FMI appliquée aux « pays défaillants » de l’UE est la même que pour les pays du Sud.

Que faire des riches ?

Les sociologues en arrivent à la conclusion partagée par ne nombreux économistes qu’un changement radical urgent s’impose. Il implique de rester vigilant à ce qui se passe, de favoriser la diversité du personnel politique, de nationaliser le système bancaire et de supprimer les bourses. Mais que faire des riches ? Les imiter suggère le couple. Pas pour devenir riche. Mais pour fonder une solidarité susceptible d’unir les multiples forces de gauche perdues dans leurs divisions. « La puissance de l’élite c’est la solidarité. Elle est leur atout essentiel dans cette guerre des classes qu’ils sont en train de gagner.

Jean-Marie Dinh

Le président des riches, éditions Zone, 14 euros.

Voir aussi : Rubrique Finance, CAC 40 : 40 milliards de dividendes en 2011, rubrique Economie, rubrique Livre, Rencontre surréaliste entre le Marx et le Père Noël, rubrique Mouvements sociaux,

La force poétique féminine renouvelée

modigliani

Anna Akhmatova par Modigliani (1911)

Elle est considérée comme coupable d’introduire des éléments de désordre et de désorganisation idéologique. Cette femme, pourrait être toutes les femmes qui mesurent le temps qui passe, et s’interrogent sur leur destin, toutes les femmes qui se battent pour la survie de leurs capacités créatrices. Il s’agit d’Anna Akhmatova (1889-1966), la poétesse russe surnommée la reine de la Neva qui est à l’origine d’une œuvre majeure par l’émotion impétueuse qui la traverse comme par la lumière qu’elle a fait briller sur tous les artistes disparus dans l’ombre du stalinisme. Anne-Marie JeanJean signe aux éditions montpelliéraines, Les Cents Regards, un recueil « TOI, Elle, La seule » (1) qui lui rend hommage tout en donnant une nouvelle résonance au souci rongeur d’une artiste insoumise qui a su protéger sa liberté intérieure. L’ouvrage s’inspire du parcours douloureux de l’auteure russe interdite de publication en 1922 pour plus de trente ans. Il réactualise le combat contre l’apathie et le silence artistique dans un monde malade. Devant les invisibles rouages de mort et de décervelage qui se constituent et justifient le pessimisme des créateurs, Anne-Marie JeanJean transporte une voix nécessaire qui pointe « l’inhumaine normalisation le formatage forcené et amplifie les lèvres murmurantes des poètes qui « depuis les fosses communes d’un siècle à l’autre se raniment. » Le peintre Krochka accompagne le texte avec trois graphismes. Pourrait-on survivre à la Mort d’Anna Akhmatova ? » s’interroge l’auteure en s’adressant à tous ceux qui ont une conscience vivante et qui tremblent aujourd’hui.

Jean-Marie Dinh

1) « TOI, Elle, La seule » 25 euros à commander chez l’éditeur Editions Les Cent Regards 60 impasse Ermengarde 34090 Montpellier

L’expression qui brise la mer gelée

hero-104b-p3Si vous voulez entrer dans le monde d’un écrivain qui vous entretienne de l’écriture et des subtilités de la prose vous ne lirez pas La guerre de l’humain. A l’âge de 14 ans son auteur était apprenti coiffeur. Pat Gady a aujourd’hui 55 ans. Il est chômeur et le mot travail lui donne la nausée. « Je trouve que le travail a quelque chose de merveilleux quand on l’exerce pour s’épanouir », pense Pat Gady qui livre une réflexion méditative sur les multiples inégalités perpétuées au sein de notre système social. On est loin de l’essai sociologique mais, comme le dit le philosophe Clément Rosset « Après  une connaissance apprise auprès de quelques sommets, rien de tel, pour vous rafraîchir qu’une connaissance par les gouffres. » Cet adepte de Schopenhauer défendait aussi l’idée que le pire est la seule chose certaine, ce en quoi il se rapproche du propos de Pat Gady. Les thèmes qu’aborde l’auteur se succèdent, sous la forme d’un grand zapping : fiscalité, écologie, conditions de travail, système de santé, discrédit des discours politiques… constituent un ensemble où la cohérence est liée au vécu. Gady nous restitue un bloc d’expériences, une pensée populaire lucide et partagée peu prisée par le monde de l’édition. La missive nous arrive grâce à l’heureuse contribution d’Yvan Mécif des éditions héraultaises Rémanences.

Rien de commun dans l’œil désabusé de Pat Gady mais un sens évident de la politique au sens noble du terme. Son expression sensible sur le manque de volonté pour lutter contre la fracture sociale semble appartenir à un instant qui précède l’abandon. L’écrivain ne cherche pas à être le témoin. Il est seulement à l’écoute des mots qui tracent son avenir ou plus justement son non avenir. Selon Kafka « Le livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous » la note d’optimisme qui conclut le livre de Pat Gady témoigne qu’il a su s’écouter.

Jean-Marie Dinh

La guerre de l’Humain , aux éditions Rémanence

Rencontre surréaliste entre Marx et le Père Noël

Avec sa longue barbe Marx le rouge marche dans la neige

Avec sa longue barbe Marx le rouge marche dans la neige

Y aurait-il une place pour une analyse renouvelée de la notion de classe ? L’examen de la littérature récente en sciences sociales, révèle la réapparition d’un certain nombre d’ouvrages consacrés à Marx.

La succession de crises qui fait suite à celle des subprimes en 2007 était prévisible comme ses conséquences à venir dont le peuple français commence seulement à mesurer les effets. Avec l’échec du déterminisme économique l’imposture n’en finit plus d’éclater. Le monde perd son avenir. Le scénario qui se dessine en Europe nous projette à la fin du XIXe, dans une époque ou riches et puissants ne font pas qu’exploiter les pauvres mais les empêchent de vivre en détruisant tout mode de vie autonome et capacité de pensée critique. L’examen de la vie sociale révèle la résurgence en France de nombreux mouvements sociaux de contestation. Mais au sein de la classe moyenne, une autre partie de la population cède aux sirènes du nationalisme, du consumérisme et de l’ascension sociale, embrassant un ethos individualiste de compétition et de réussite personnelle. Bref il semble acquis pour certains que la société, l’économie et le monde seraient libéraux.

A l’occasion des fêtes, redécouvrir un penseur qui a su contester l’autorité pesante du mythe capitaliste ne peut pas faire de mal. Rejeter cet héritage en revanche, c’est tomber dans la désespérance. Bien sur, mieux vaut ne pas prendre Marx comme un bloc, comme une pensée sans faille, débouchant sur une pratique unique mais comme une recherche qui a ses limites.

Quelques références

Le numéro 47 de  » Actuel Marx « , une revue des Presses Universitaires de France, s’interroge sur la nature des médiations sociales qui conduisent de la crise à la lutte ou qui, au contraire font obstacle à la mobilisation collective. L’économiste chercheur au CNRS Frédéric Lordon signe avec « Capitalisme désir et servitude  » (2) un essai ambitieux et accessible qui entend rouvrir le chantier conceptuel du capitalisme en s’inspirant de Marx et de Spinoza. L’auteur dramaturge américain Howard Zinn qui a consacré son œuvre aux rôles historiques des mouvements populaires vient de faire paraître en français  » Karl Marx le Retour  » (3) une pièce écrite au moment de l’effondrement de l’Union soviétique. « Je voulais montrer un Marx furieux que ses conceptions aient été déformées jusqu’à être identifiées aux cruautés staliniennes « , explique-t-il en introduction.

Dans un registre assez proche on peut lire également « Le président des riches », une enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy réalisée par Monique  et Michel Pinçon-Charlot, éditions Zone 14 euros. A suivre aussi , le cri du résistant Stéphane Hessel qui appelle à une véritable insurrection pacifique dans  » Indignez-Vous  » (5).

Jean-Marie Dinh

(1) Le numéro 47 de Actuel Marx, ouvrage collectif aux éditions PUF,(2) Capitalisme désir et servitude, Fabrique éditions, 12 euros. (3)  Karl Marx le Retour, éditions Agone 10 euros. (4) Le président des riches. (5) Indignez-Vous, éditions Indigène 3 euros.

Histoire d’une lutte joyeuse

Album jeunesse. La jeune maison d’édition Les Petits Platons consacre un ouvrage à l’auteur du Capital : « Le Fantôme de Karl Marx ».

La très utile maison d’édition Les Petits Platons s’adresse au public des 9/14 ans pour leur faire découvrir les grands philosophes à partir des histoires qui traversent leurs œuvres : Socrate, Descartes, Leibniz, Kant… Et dans les dernières livraisons : Lao-Tseu, Saint Augustin, Ricoeur… et Karl Marx.

fantome-marxDans l’ouvrage intitulé « Le fantôme de Karl Marx », le philosophe revient hanter l’Europe. Sous son drap vert, le spectre explique qu’il a été victime d’une chasse organisée par toutes les nations d’Europe.  » C’est ainsi que j’ai dû prendre la fuite, comme le lièvre abandonne ses terriers découverts par les chiens, de Berlin à Paris, de Paris à Bruxelles, de Bruxelles à Londres, échappant toujours à mes poursuivants. Mais ce drap sert surtout aujourd’hui à faire peur, comme tu verras ! Morts ils me croient, spectre ils me craignent…  » L’intelligence du court texte de Ronan de Calan résume Le Capital en quelques feuillets tout en réaffirmant que l’idéologie du capitalisme, n’est pas un horizon indépassable. Le talent graphique de Donatien Mary s’allient à l’histoire pour clarifier les fondement de la pensée. Une pensée habilement réactualisée qui ouvre les portes à l’imaginaire. Les auteurs insistent sur la faculté symbolique des hommes à ne pas se laisser considérer comme une simple marchandise et à faire disparaître l’exploitation sans subir l’aliénation. A la fin de l’album Karl part pour se rendre à un rendez-vous avec « Miss Wall Sreet Panic ! « 

Le fantôme de Karl Marx par Ronan de Calan et Donatien Mary, éditions Les Petits Platon, 12,5 euros.

Voir aussi : Rubrique Rencontre Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie, Michela Marzano Visage de la peur, Bernard Noël je n’ai jamais séparé le politique de l’érotique ou de la poésie, Daniel Bensaïd course contre le temps, Jacques Attali Marx est-il d’actualité ? rubrique Livre La voix de Polanyi, Le président des riches,

Quand le chercheur cultive la pensée unique

Frédéric Martel. Photo DR

Essai. Frédéric Martel entreprend une enquête fouillée sur la culture de masse à travers le monde.

Dans Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, le chercheur et journaliste Frédéric Martel, a mené une enquête sur la culture grand public dans trente pays. L’auteur analyse le jeu des acteurs, les logiques des groupes et suit la circulation des contenus sur cinq continents.

Un ouvrage riche en information pour aborder le fonctionnement et les enjeux de la culture de masse à travers le monde. Dans ce nouveau schéma du capitalisme culturel, les médias, Internet et la culture sont étroitement mêlés. On apprend beaucoup sur le modèle de production de contenu qui reste l’apanage des Etats-Unis. Avec 50% des exportations mondiales de contenu de bien ou de service culturel et d’information, le géant américain domine le secteur sans avoir vraiment de concurrence. Mais tout en usant de barrières protectionnistes efficaces sur leur marché intérieur, les Chinois se sont mis aux travail et leur fusée culturelle décolle. L’Inde, l’Indonésie, L’Arabie Saoudite sont dans la course. On assiste aussi à une montée significative des pays émergents comme le Brésil qui mise sur Internet et le potentiel de la jeunesse de sa population. L’Europe apparaît bien fragile. L’auteur évoque une juxtaposition de cultures nationales fécondes qui peinent à s’exporter.

Frédéric Martel s’oppose  à la lecture néo-marxiste qui considère que l’important pour analyser l’industrie créative est de savoir qui détient le capital et qui est le propriétaire des moyens de production avec le présupposé que celui qui les possède les contrôle. La nature de ses recherches démontre  que l’articulation entre créateurs, intermédiaires, producteurs et diffuseurs s’inscrit désormais dans une organisation interdépendante plus complexe. Reste que la nouvelle grille de lecture prônée par l’auteur ne propose rien d’autre qu’une adaptation à la financiarisation de l’économie. L’ensemble du livre repose sur une structure qui répond à « une guerre mondiale des contenus », une forme de pendant à la vision géopolitique du Choc des civilisations. On garde espoir qu’il existe d’autre manière de concevoir la modernité que sous l’angle de l’uniformisation culturelle.

Jean-Marie Dinh

Mainstream, éditions Flammarion, 455p, 22,5 euros

Invité des rencontres Sauramps, Frédéric Martel a présenté son dernier livre à l’Université Montpellier 3.

Voir aussi : Rubrique politique culturelle, Crise et budgets culturels, l’effet domino, Garder des forces pour aller à l’efficace, Régionales : visions croisées sur l’enjeu de la culture , le modèle français,