Des livres et des mots

Comédie du Livre 2011

dossier réalisé par Jean-Marie Dinh

Photo archive Dr

Comédie du livre. Une nouvelle organisation pour célébrer la langue allemande du 27 au 29 Mai.

A Montpellier, La Comédie du livre figure comme un rendez-vous ancré dans la vie de la population. Elle se tient cette année du 27 au 29 mai en mettant à l’honneur les écrivains de langue allemande. Le pays invité correspond à la volonté de la ville de célébrer les cinquante ans des liens qui unissent Montpellier et Heidelberg. La 27e édition marque un tournant avec un changement d’équipe et d’organisation. La direction relève désormais de l’association Cœur de Livres pilotée par la ville et présidée par Etienne Cuenant, un chirurgien urologue qui préside aussi la Société montpelliéraine d’histoire de la médecine. Dans la logique citoyenne impulsée par les libraires et le tissu associatif, l’ex-délégué général, le journaliste Philippe Lapousterle et son équipe avaient trouvé un deuxième souffle à la manifestation, en multipliant les rencontres, avec la volonté de placer les auteurs et les idées sur la place publique.

Nouvelle donne

Après la redistribution des cartes chacun cherche un peu ses marques. L’adjoint à la culture, Michaël Delafosse, a réaffirmé lors de la présentation de la manifestation mardi, la fameuse « ambition d’excellence » de la politique culturelle montpelliéraine. Tout en assurant le maintien de son soutien aux libraires, la nouvelle orientation vise à favoriser la dimension littéraire de la manifestation et mieux mettre en avant le pays invité. Dans cette esprit, on a réduit les rencontres débats de moitié et demandé au tissu associatif de conformer ses propositions à la thématique allemande.

« Pasteur » littéraire !

Si les acteurs du livre invités ont observé le silence religieux de rigueur c’est que les sourires devaient être tout intérieurs. On se dit qu’Etienne Cuenant qui se voit en « pasteur  » de la littérature et prévoit une  » révolution numérique du livre sur 50 ans  » pourrait utilement se plonger dans l’essai sur l’accélération signé par l’auteur invité Hartmut Rosa. On peine à comprendre en quoi la réduction du choix des visiteurs concoure à l’objectif annoncé par Michaël Delafosse  » de partir à la découverte des publics « . Mais l’analyse des élucubrations qui circulent dans les conférences de presse serait le sujet d’un vrai roman… Et comme le disait, une figure respectée de la vie littéraire locale à la sortie :  » Le plus important est de préserver le libre accès des gens aux livres« .

De la diversité de la langue

La participation active de la Maison de Heidelberg au programme et aux rencontres a contribué à la cohérence de propositions autour de la langue allemande. Celle-ci concerne des auteurs autrichiens, suisses, tchèques, turcs, kurdes qui contribuent pleinement à la richesse de cette littérature méconnue en France.

Parmi les écrivains invités, on attend notamment Zoran Drvenkar auteur d’origine croate prix du meilleur thriller 2010 en Allemagne pour  » Sorry « , Katharina Hagena auteur du best-seller « Le goût des pépins de pomme« , le maître de l’autofiction suisse Paul Nizon, Christophe Hein, né en RDA en 1944, qui figure parmi les intellectuels les plus importants de sa génération. On peut encore citer Judith Herman, ou l’avocat Ferdinand von Schirach qui saisissent le lecteur par des récits courts.  » 25 étudiants allemands et 25 étudiants montpelliérains sont invités à animer le jumelage. Ils seront nos ambassadeurs interculturels « , se réjouit Hans Demes de La Maison de Heidelberg.

Ce foisonnement d’échanges en perspective devrait faire émerger quelques morceaux de vie et donner symboliquement le pendant aux déboires du couple franco-allemand enlisé dans ses spéculations financières. Cette voie de l’intelligence demeure la marque de fabrique de La Comédie du livre.

Billet : Jumelage : la littérature comme vecteur

Le choix de mettre la littérature de langue allemande à l’honneur correspond au 25e anniversaire du jumelage qui lie les villes de Montpellier et Heidelberg. Il renvoie aux échanges entre cultures qui apportent leur contribution à la construction des identités culturelles. L’image française de l’Allemagne n’est bien évidemment pas uniquement littéraire. Elle se développe aussi bien dans les cadres internationaux que nationaux et régionaux. Elle tient aux guerres, aux échanges commerciaux, universitaires, politiques,  à la construction européenne, et aux contacts personnels. La littérature a pourtant joué un rôle unificateur entre les deux pays. En France elle prend à contre-pied le cliché  qui enferme les Allemands dans l’image d’un peuple grossier et pesant.

L’histoire littéraire du XVIIIe évoque l’admiration que se portaient mutuellement Frédéric II de Prusse et Voltaire. Les deux  hommes se sont rencontrés et entretenaient une relation épistolaire suivie. L’auteur de Candide surnommait son ami  libre-penseur « le roi philosophe ». Un roi idéal en somme. Au XIXe, on peut souligner la fascination qu’exerça Wagner sur Baudelaire et Mallarmé.

On s’apprête à mesurer à l’occasion des multiples débats programmés à la Comédie du livre à quel point la littérature comme la vie d’un jumelage peuvent contribuer à ces migrations culturelles, et combien ces vecteurs de transitions reposant sur des valeurs humaines sont essentiels dans le monde d’aujourd’hui.

 

L’Heure du noir sur la « Com » !

On sait combien le noir envahit les bibliothèques. Les amateurs du genre ne seront pas en reste cette année. Du côté des auteurs allemands invités on vous conseille d’aller voir l’écrivain berlinois d’origine croate Zoran Drvenkar dont le premier roman traduit en français – Sorry (éditions Sonatine) – a été élu meilleur thriller de l’année 2010 en Allemagne. Sorry est le nom d’une agence spécialisée chargée de présenter des excuses réglementaires pour les entreprises qui licencient ou harcèlent leurs salariés. Autant dire que l’agence créée par quatre potes berlinois se trouve sur un marché porteur. Mais les ennuis commencent lorsqu’ils doivent s’excuser auprès d’une personne crucifiée…

Volker Kutscher fait aussi un tabac en Allemagne et pas seulement avec ses intrigues mises en scène dans le Berlin des années 30, un moment où l’Allemagne est au tournant de son histoire. Après Le poisson mouillé (seuil 2007) qui dressait le portrait politique et contradictoire du Berlin des années 20, la deuxième enquête du commissaire Rath, La mort muette (seuil 2010) se déroule cette fois dans le milieu du cinéma. En pleine guerre entre les protagonistes du cinéma muet et ceux du parlant, des actrices sont mystérieusement assassinées…

Les amateurs d’histoires courtes suivront avec attention les onze affaires criminelles que relate avec talent l’avocat pénaliste Ferdinand Von Schirach dans son recueil sobrement intitulé Crimes (Gallimard 2011).

A ne pas manquer aussi, le débat « Flics Stories » demain à 15h salle Pétrarque animé par Michel Gueorguieff, l’incorruptible président de Soleil Noir. En présence  des auteurs, Odile Barski la scénariste de Claude Chabrol,  pour Never mort (Le Masque 2011), Hélène Couturier pour Tu l’aimais quand tu m’as fait ? (Presse de la Cité) qui plonge le lecteur dans une enquête intime, traitée avec justesse. Claude Cances pour Histoire du 36 Quai des Orfèvres (Jacob-Duvernet) et Régis Descott pour L’année du rat (JC Lattès), thriller d’anticipation palpitant et angoissant qui nous conduit sur la trace des rongeurs.

Rencontre Z. Drvenkar aujourd’hui à 17h30 au Pavillon populaire et demain à 11h centre Rabelais. Rencontre Volker Kutscher demain à 15h au Centre Rabelais. Ferdinand Von Schirach aujourd’hui à 13h45 au Pavillon Populaire et demain  à 16h au Centre Rabelais. Et aussi la Table ronde quand le polar raconte l’histoire aujourd’hui à 17h salle Pétrarque.

 

Difficiles relations entre éditeurs et libraires  ?

Vie du livre et de la lecture. LR2L proposait un débat qui ne s’est pas tenu entre deux acteurs de la chaîne du livre.

Le quart d’heure montpelliérain passé d’un bon quart d’heure, il aura bien fallu se rendre à l’évidence. La proposition de débat entre libraires et éditeurs lancée par l’antenne régionale du livre et de la lecture allait prendre une autre forme. Celle d’une déclaration un peu convenue sur le travail mené en faveur du livre en région conjointement soutenue par la présidente de LR2L, Marie-Christine Chase, Fabrice Manuel en charge de la culture au Conseil régional, et la représentante de l’Etat Odile Nublat. La Comédie du Livre aura notamment été l’occasion de signer La Charte des manifestations littéraires. Un texte en élaboration depuis plusieurs années qui précise la place et le rôle de chacun des acteurs de la chaîne du livre en remettant les auteurs au centre du projet et en leur garantissant une juste rémunération. Cet aboutissement apparaît comme un gage de sérieux. S’efforçant de favoriser les échanges interprofessionnels, la nouvelle équipe de LR2L semble à l’écoute. Mais dans un climat de crise qui bouscule les modèles économiques, la confiance s’érode parfois entre les acteurs dont les intérêts ne sont pas toujours conciliables.

Les libraires régionaux, qui brillaient par leurs absences, seront bientôt recensés dans un nouvel annuaire publié par LR2L. « A l’heure où le secteur vit une totale mutation liée à la révolution numérique, chacun se replie un peu sur ses propres préoccupations. C’est humain, explique Adeline Barré qui œuvre avec Emmanuel Begou pour faciliter ce difficile passage. « Nous mettons actuellement l’accent sur les publications des maisons d’éditions afin que les ouvrages soient bien accompagnés et qu’ils arrivent jusqu’aux libraires. » Emmanuel Begou a en charge le travail avec les médiathèques et les bibliothèques : « Ces structures publiques sont des lieux de médiation vers les nouveaux supports. Avec l’arrivée du numérique, l’apport en recherche d’information est incontestable. Il faut former les usagers. Nous ne jouons pas l’opposition entre les pratiques d’hier et celles d’aujourd’hui. Ce qui est important c’est de véhiculer la pensée. » En voilà au moins une qui sera au goût de tout le monde.

 

Débat : Une fenêtre sur l’Afrique

Il ne sont pas de même facture les livres de l’historienne Catherine Coquery-Vidtovitch Petite histoire de l’Afrique, et de l’équipe franco-camerounaise composée de Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, et Thomas Deltombe auteurs de Kamerun, mais ils ont été publié simultanément (Editions La Découverte), et invitent tous deux à réajuster notre regard sur l’Afrique subsaharienne. L’occasion a donné lieu à un débat intéressant et suivi initié par la librairie Sauramps vendredi dans le cadre de la Comédie du Livre.

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Ecouter les géants

Incontournables. Christoph Hein et Paul Nizon, des auteurs hors normes.

Christoph Hein

L’Allemand Gunter Grass en 1999, l’Autrichienne Elfriede Jelinek en 2004 et la Roumaine Herta Müller en 2009 ont obtenu les derniers prix Nobel de littérature attribués à des écrivains de langue allemande. Aucun des membres de ce trio n’était disponible cette année pour répondre à l’invitation de La Comédie du livre. Chacun à leur manière, ces auteurs consacrés usent d’une puissance créatrice hors norme, d’un style en rupture qui rend compte de la part irrationnelle de l’histoire. Leurs origines soulignent, comme on peut le voir à Montpellier, que la littérature allemande ne se limite pas au pays de Goethe.

Claude Nizon

Parmi les auteurs présents cette année, deux pourraient entrer dans ce symbolique panthéon. Christoph Hein né en Saxe en 1944 dont les études furent perturbées par la construction du mur. L’écrivain commence sa carrière en temps que dramaturge et se voit reconnu dès la publication de ses premiers récits en 1980. Son dernier roman Paula T une femme allemande (Métailié 2010)  déroule la vie et le combat d’une femme et d’une artiste de l’Est. Une situation dépeinte dans un style sec comme le sont parfois les prises de paroles publiques sans concession de ce grand défenseur d’idées. Dans un tout autre genre le Suisse Paul Nizon, exilé à Paris, ne succombe pas non plus à la facilité. Il vient de publier Les Carnets du coursier (Actes Sud) et poursuit sa quête qui pousse sa recherche d’expression vers l’infini de lui-même. A (re) découvrir.

Voir : Rencontre avec Paul Nizon .

Sherko Fatah

Photo David Maugendre.

 

Un des auteurs de langue allemande à découvrir parmi les invités de la Comédie du Livre. Les lecteurs qui voulaient rencontrer Sherko Fatah vendredi peuvent le retrouver ce matin à 11h à l’Espace Martin Luther King.

Né en 1964 en Allemagne de l’Est d’un père kurde originaire du nord de l’Irak et d’une mère allemande, l’écrivain a fait de nombreux séjours en Irak. Son œuvre est imprégnée du thème de l’exil. Dans Le navire Obscur l’auteur retrace la vie d’un jeune kurde irakien enrôlé dans la guerre du côté des « Combattant de Dieu » alors que les bombardements s’intensifient sur son pays. Après avoir donné (ou perdu ?) de sa personne en suivant les barbus, Kerim décide de rejoindre son oncle en Allemagne. Au mépris du danger, avec une certaine innocence, il embarque clandestinement sur un cargo. Débute une traversée humiliante où Kerim éprouve le sentiment, commun à tous les clandestins, de perdre son identité. Lorsqu’il parvient en Allemagne de nouvelles surprises l’attendent. Voilà qu’on lui demande à nouveau d’imaginer des histoires pour s’en sortir…

Le parcours dessiné par Sherko Fatha regroupe en un destin le contenu de trois existences dans lesquelles son personnage progresse à tâtons et semble en même temps faire corps avec une force de vie déterminante. On ne sait vraiment vers où l’écriture sobre et puissante de Sherko Fatha nous conduit  mais elle nous maintient en éveil.

Le navire Obscur, éditions Métailié 2011, 23 euros.

 

« Ruth a dit : Promets-moi que tu ne feras jamais rien avec lui »

Judith Hermann."J'évoque le blanc qui reste" Photo Rédouane Anfoussi

Un critique allemand a dit de l’œuvre de Judith Hermann qu’elle dressait le portrait d’une génération en chassant ses fantômes. « Pour écrire, je m’inspire de mon vécu propre, précise-t-elle. Si cela devient le portrait d’une génération, pourquoi pas. Raconter une histoire, c’est un peu chasser des fantômes pour exprimer ce qui est difficilement décryptable. »

En 1998, son premier roman Maison d’été plus tard (Albin Michel 2001), connaît un énorme succès en Allemagne avant de devenir un best-seller mondial. Ce qui lui permet d’abandonner son travail de journaliste. Cinq ans plus tard, elle publie son  second recueil de nouvelles Rien que des fantômes. Hier, elle en à lu un extrait, dans le cadre des moments littéraires au Pavillon populaire.

« Ruth a dit : Promets-moi que tu ne feras jamais rien avec lui ». La première phrase de ce court récit pose d’emblée le cadre d’une relation entre les trois protagonistes de l’histoire. Deux amies dont l’une, Ruth, peine à se situer dans une histoire de cœur qu’elle débute avec Raoul. Le troisième personnage, miroir inversé de Ruth, c’est la narratrice qui apparaît au lecteur à travers ses observations. A la lecture, on entre en parfaite empathie avec ce personnage travaillé par l’indécision. « C’est plus intéressant d’écrire sur quelqu’un  qui cherche que sur des gens qui ont des certitudes. Le lecteur comprend dans les blancs », commente l’auteur. Le style léger et précis de Judith Hermann se nourrit des inattendus de la vie et d’une certaine inadéquation avec le monde.

Son prochain recueil de nouvelles à paraître chez Albin Michel en octobre prochain se situe sur la même tonalité que ses deux premiers livres. Judith Hermann aborde en cinq nouvelles l’expérience de l’adieu quand quelqu’un de proche disparaît. « Je parle de la mort. J’évoque le blanc qui reste. J’aimerais que mes lecteurs remplissent ce vide par leur propre expérience. » Un autre moment propice à l’instabilité qui comporte une luminosité particulière.

Rencontre avec Judith  Hermann dimanche à 16h, Centre Rabelais

 

Harmut Rosa : Le temps de l’argent

Débat. Le sociologue Harmut Rosa invité par la Fabrique de Philosophie
Cette 26e édition de la Comédie du livre a globalement tenu son pari d’exigence. Notamment ceux que s’était fixée l’organisation, de recentrer l’orientation sur la dimension littéraire et le pays invité. On peut néanmoins regretter que la teneur des autres débats ait manqué de consistance politique et économique, qui sont au cœur de notre quotidien. L’annulation de l’échange entre les représentants du Parti de Gauche et ceux du parti allemand Die Linke, comme le désistement de la philosophe Michela Marzano ont renforcé le déséquilibre. En la matière, l’exception est venue de la pensée critique Hartmut Rosa.

Le sociologue était invité à présenter son dernier ouvrage Accélération (éd. La Découverte) dans lequel il met le doigt sur la pression du temps imposée par notre vie moderne, qui est à l’origine d’un dysfonctionnement majeur de la société. « La dimension de la compétition dit-il, agit aujourd’hui plus lourdement sur nos vie que l’église a pu peser hier. Il faut courir plus vite, non pour aller plus loin, mais pour garder sa position. Au travail, il faut aller plus vite pour rester où on est. » Ces conditions de temps sont celles du système  néolibéral. « On nous donne l’impression de ne pas être à la hauteur, d’être toujours en retard. » Hartmut Rosa en tire des constats sociaux qu’il définit comme « un rétrécissement des espaces temporaires, » avec des incidences sur l’individu : « La réponse à la question qui êtes-vous est de plus en plus difficile à trouver. » Et des conséquences politiques, celles qui affectent la mémoire collective et la compréhension générale du monde. « On vit de plus en plus d’épisodes qui se cumulent sans que l’on ne puisse en tirer des leçons. » Cela participe, selon Rosa, au retrait des citoyens de la politique qui demande du temps pour être comprise.

 

Voir aussi : Rubrique Livre, La Comédie du livre 2010, rubrique Lecture, Une fenêtre sur l’Afrique, rubrique Allemagne,

C’est un des auteurs de langue allemande à découvrir parmi les invités de la Comédie du Livre. Les lecteurs qui voulaient rencontrer Sherko Fatah vendredi peuvent le retrouver ce matin à 11h à l’Espace Martin Luther King.

Né en 1964 en Allemagne de l’Est d’un père kurde originaire du nord de l’Irak et d’une mère allemande, l’écrivain a fait de nombreux séjours en Irak. Son œuvre est imprégnée du thème de l’exil. Dans Le navire Obscur l’auteur retrace la vie d’un jeune kurde irakien enrôlé dans la guerre du côté des « Combattant de Dieu » alors que les bombardements s’intensifient sur son pays. Après avoir donné (ou perdu ?) de sa personne en suivant les barbus, Kerim décide de rejoindre son oncle en Allemagne. Au mépris du danger, avec une certaine innocence, il embarque clandestinement sur un cargo. Débute une traversée humiliante où Kerim éprouve le sentiment, commun à tous les clandestins, de perdre son identité. Lorsqu’il parvient en Allemagne de nouvelles surprises l’attendent. Voilà qu’on lui demande à nouveau d’imaginer des histoires pour s’en sortir…

Le parcours dessiné par Sherko Fatha regroupe en un destin le contenu de trois existences dans lesquelles son personnage progresse à tâtons et semble en même temps faire corps avec une force de vie déterminante. On ne sait vraiment vers où l’écriture sobre et puissante de Sherko Fatha nous conduit mais elle nous maintient en éveil.

JMDH

y Le navire Obscur, éd Métailié 2011, 23 euros.

La nature humaine contrevient aux lois du marché

Essai. L’association Psychanalyse sans frontière recevait mardi  Marie-Jean Sauret pour « Malaise dans le capitalisme ».

Marie-Jean Sauret est psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique  à l’université de Toulouse-Le Mirail. Ses travaux approchent la croyance et la politique. Dans son dernier ouvrage « Malaise dans le capitalisme », il soutient que la psychanalyse a un rôle à jouer dans l’élaboration de concepts permettant de trouver un équilibre entre les revendications de l’individu et les exigences culturelles de la collectivité. Un apport répondant au pouvoir d’agir qui se révèle comme un besoin humain d’autant plus fondamental que le fonctionnement capitalistique global impacte notre rapport au groupe.

Pathologie du lien social

Le caractère pathogène du capitalisme et ses effets sur la santé mentale ne sont plus à démontrer. Marie-Jean Sauret ordonne la pathologie du lien social : généralisation du mensonge, des affaires, justification des guerres, poids de l’influence de l’opinion,  montée de la violence, dégradation des savoirs traditionnels. Il souligne la montée d’un climat paranoïaque avec le succès des thèmes de l’insécurité, des fichages et du harcèlement moral. S’il évoque l’expansion des mouvements religieux, notamment extrémistes, l’auteur ne pose pas un diagnostic relatif à la religion « qui invite à s’en remettre à l’autre ». Il s’attache à l’espace politique « pour récupérer la responsabilité du monde que nous vivons » contre la conviction d’une détermination économique inéluctablement orientée vers le marché global. « La question de la politique se confond avec celle de la possibilité de décision du sujet. »

Faire communauté avec la différence

« Il ne paraît pas qu’on puisse amener l’homme par quelques moyens que ce soit à troquer sa nature contre celle d’un termite. Il sera toujours enclin à défendre son droit à la liberté individuelle contre la volonté de la masse », assure Freud. Pour Lacan, le lien social désigne la façon dont un individu arrive à loger le plus singulier de ce qu’il est dans « le commun ». « La question n’est pas de savoir comment faire communauté avec son semblable  ou celui avec lequel nous sommes dans une relation aimable mais avec la différence, le dangereux et avec lequel la relation et de haine. »

Le lien social contemporain, celui du capitalisme, est dominé par la science et le marché que Lacan caractérise comme «  la copulation du discours capitaliste avec la science » exploitant la structure du sujet désirant pour lui faire croire  que la science fabriquera  l’objet qui lui manque et qu’il n’aura qu’à se servir sur le marché. Sans le secours d’aucun lien social établi.

La forme de vivre ensemble qui découle du capitalisme, est celle qui valorise l’utilitarisme, la consommation et la jouissance qui consume. Marie-Jean Sauret met en évidence trois aspects liés aux conditions de la globalisation : « La nature du modèle  de « tout »  qui  tend à s’imposer, le destin de la démocratie et du politique, et l’opération sur la langue qui semble l’accompagner ». Deux problèmes sont ainsi soulevés : celui des conséquences néfastes du capitalisme pour le sujet et le lien social et celui d’une conception du sujet sans actes possibles. Que peut apporter la psychanalyse en ce domaine ? Elle possède une expérience du défaire pour construire une singularité du vivre ensemble, observe l’auteur qui nous invite à exploiter les ressources humaines en notre possession pour faire face .

Jean-Marie Dinh

Malaise dans le capitalisme, Presse universitaire du Mirail 23 euros

 

Voir aussi : Rubrique Société, Sciences Humaines, Psychanalyse un douteux discrédit, rubrique Rencontre Daniel Friedman, Rolan Gori,

Présidentialisme

Essai. « Le président de Trop » le livre de  Edwy Plenel responsabilise. Au moment où Sarkozy célèbre ses quatre ans de gouvernance en tentant de reconstruire une union de façade avec ce qui reste de son propre camp, l’essai d’Edwy Plenel approfondit le bilan catastrophique  du chef de l’Etat. Même si les trois quarts des français en ont déjà saisi la mesure, l’intérêt est ailleurs ; « Le président de trop »  fait surtout le portrait du sarkozisme et des mécanismes du pouvoir qu’il convoque. Dans son essai « De quoi Sarkozy est-il le nom ? » Alain Badiou avançait que la démocratie représentative est une forme de pouvoir oligarchique. Plenel nourrit la réflexion dans ce sens, moins sur l’homme que sur le système. Les excès de l’hyperprésidence sarkozyste, les mécanismes de pouvoir qu’il convoque, sa violence sociale, politique et symbolique, renvoient l’ensemble de la classe politique, les médias, et finalement tous les citoyens à leur propre responsabilité, souligne l’auteur. Cette mécanique est inscrite dans le marbre de notre constitution qui met la République dans les mains du Président, rappelle aussi  le fondateur de Médiapart. Le sarkozysme n’aura fait que l’exacerber. En cette époque troublée, il est grand temps d’en tirer les enseignements et d’ouvrir les yeux sur la fragilité de notre République. Sarkozy ne changera pas de ligne. Il semble avoir déjà perdu son rendez-vous de 2012 mais à l’instar de son homologue italien, il est parvenu à corrompre l’esprit public.

Jean-Marie Dinh

Le Président de trop, Éditions Don Quichotte.

Voir aussi : Rubrique Politique Le corpus nationaliste de Sarkozy, Rubrique Essai, Organiser une critique de la démocratie, rubrique Citoyenneté,

Igniacio Ramonet : « L’information ne circule plus à sens unique »

Ignacio Ramonet : « les personnes qui accèdent au contenu veulent être lus et écoutés » Photo David Maugendre

L’ancien patron du Monde Diplomatique dresse un état des lieux de la profession dans son livre « L’explosion du journalisme. Des médias de masse à la masse de médias ».

Théoricien de la communication et du journalisme, Ignacio Ramonet a dirigé Le Monde Diplomatique pendant vingt-cinq ans. Son dernier livre « L’explosion du journalisme » fait le point sur une profession en pleine mutation tout en dessinant les nouvelles tendances qui sont autant d’enjeux pour la démocratie.

Dans l’état des lieux que vous dressez du journalisme, on a le sentiment que la presse traditionnelle peine à s’adapter à la nouvelle logique de l’information ?

Avec ce livre, je me suis demandé où en est le journalisme. Quinze ans après le choc Internet, il n’y avait pas de synthèse critique de ce qui est en train de se passer. J’ai voulu mesurer la teneur du bouleversement. Pour cela, je me suis appuyé sur ce qui se passe aux Etats-Unis où le choc est très brutal. Dans la presse écrite, beaucoup de titres ont disparu, des dizaines de journaux sont en faillite. Les radios et les télévisions sont également concernées, et particulièrement les chaînes d’info en continu. La profession peine à s’adapter. Elle est en pleine transition.

A vous lire, on comprend que les médias se trouvent soudainement devant une remise en cause profonde de leur vocation. Pourquoi ne l’ont-ils pas anticipée ?

Les médias traditionnels font face à une double crise. Une crise économique qui fait suite à la crise financière et se répercute directement sur les recettes publicitaires devenues très importantes dans leurs ressources, et une crise identitaire qui remet en cause le modèle où ils se trouvaient en position de monopole de l’information dans la société. Les quotidiens généralistes continuent de pratiquer un modèle qui ne fonctionne plus face à la prolifération de nouveaux modes de diffusion de l’information, ce qui se traduit par une baisse des ventes.

Tous les médias disposent pourtant aujourd’hui d’une façade en ligne ?

Oui, et paradoxalement les internautes continuent majoritairement de se rendre sur les sites des médias considérés comme les plus sérieux. Le fait nouveau, c’est que les personnes qui accèdent au contenu veulent être lus et écoutés. Pour le Web, beaucoup de journaux ont développé des rédactions séparées avec des journalistes plus jeunes qui ont compris que l’information ne circule plus à sens unique. Actuellement au sein des rédactions, on assiste à un mouvement de fusion des services pour créer un écosystème où la culture des uns puisse imprégner la culture des autres.

L’émergence des experts que l’on retrouve sur les sites des journaux participe-t-il au pouvoir des technocrates ?

Les personnes qui ont une expertise interviennent de plus en plus sur l’actualité avec l’autorité de celui qui sait. Cela permet de disposer d’approches différentes. À cet égard, l’exemple de Fukushima est éclairant. En France ; les grands médias dominants nous on d’abord dit que ce n’était pas très grave et que cela ne nous concernait pas. Mais via le web, d’autres experts ont fourni une série d’éléments qui donnent une version bien différente.

Sur ce dossier, on constate à quel point l’information est occultée, minimisée et censurée y compris par le gouvernement japonais…

Tout est en effet réuni pour qu’on occulte les enjeux et qu’on retarde l’approfondissement du contenu par le blocage de l’information. Et en même temps, n’importe quel citoyen peut se rendre compte qu’un accident dans une centrale nucléaire n’est jamais local mais planétaire. Au moment où a eu lieu la catastrophe, il y avait 34 centrales en construction et 32 autres projets dans le monde. Pour un petit nombre de grandes entreprises, des centaines de milliards sont en jeu. Ce qui pousse à s’interroger sur la structure d’intérêt des médias de masse.

Chez les citoyens, la complicité médiatico-économique est à l’origine d’une perte de confiance. Les médias ne participent-il pas finalement à leur propre fin ?

Notre rapport aux médias se caractérise par le sentiment d’insécurité informationnel. Aujourd’hui les gens ont le sentiment que l’information n’est pas garantie. Cette perte de confiance est liée au fait que les médias renforcent les disfonctionnements du système libéral. Les grands groupes médiatiques ne proposent plus comme objectif civique d’être un quatrième pouvoir. Ce sont désormais les réseaux sociaux qui coordonnent une protection collective. Les médias se sont affaiblis, c’est pour cela qu’ils sont rachetés. Paradoxalement ce que démontre la puissance des médias n’est en réalité qu’une preuve de la faiblesse du pouvoir politique réduit par le pouvoir financier.

Vous vous prononcez pour une écologie de l’information ?

Dans les états démocratiques, nous débordons d’information. Mais cette information se trouve contaminée, empoisonnée par toutes sortes de mensonges, polluée par les rumeurs et la désinformation. Notre sensibilité à la rumeur n’est d’ailleurs pas normale. En théorie de l’information, on apprend que la rumeur se développe avec l’opacité…

Face à ce phénomène Julian Assange considère que la révélation d’infos brutes est devenue le seul recours. Partagez-vous ce constat ?

Assange dénonce la mort de la société civile défaite par la puissance du système financier. Pour lui les démocraties ne devraient pas craindre la libre diffusion des informations. Les grands journalistes en vue l’ont descendu parce qu’il révèle leur propre paresse. Pourquoi un journaliste devrait-il se taire quand un homme politique affirme une chose en public et son contraire en comité restreint ? Le problème d’une info brute est qu’elle doit être interprétée. C’est justement le travail des journalistes. Assange l’a reconnu en associant des grands journaux de référence à la diffusion des câbles diplomatiques.

Vous évoquez toute une série d’innovations qui ont réussi comme le journalisme non lucratif…

Plus les médias deviennent commerciaux plus le travail d’investigation disparaît. Dans les niches du web apparaissent de nouveaux sites d’information financés par des mécènes et beaucoup de citoyens qui font des micro dons pour répondre au besoin démocratique d’une presse libre. Je ne suis pas pessimiste sur le sort des journalistes. L’explosion de la profession offre aussi beaucoup d’opportunités.

Recueilli par Jean-Marie Dinh (L’Hérault du Jour)

 L’explosion du journalisme, éditions Galilée, 18 euros

 Voir Aussi : Rubrique Médias : Les journalistes face à l’accéleration du temps,  Wikileaks fait péter un câble à Washington, 150 innocents détenus à GuantanamoPour une critique de l’édition dominante, Rubrique Internet : Internet la révolution de l’info, Derrière la vitre,

 

Arte : Le pari de la curiosité et de l’intelligence

Jérôme Clément est venu présenter cette semaine à la Fnac son dernier livre « Le choix d’Arte » dans lequel il retrace l’histoire de la chaîne culturelle franco-allemande. Un ouvrage passionnant qui expose l’aventure originale d’une chaîne de télévision gérée comme une création.

L’idée émerge en France dans le contexte politique plein de désirs et de rêves qui faisait suite à la conquête de la gauche au pouvoir en 1981. Elle prend forme après les présidentielles de 1988 à l’occasion du sommet franco-allemand de Bonn. En actant politiquement la création d’une chaîne culturelle, le couple Kohl – Mitterrand affirme contre vents et marées l’importance de la culture et de l’audiovisuel pour le développement de l’Europe. Le projet voit le jour avant que le référendum de Maastricht n’envisage la monnaie unique, à quelques encablures de la chute du Mur qui va redessiner les lignes géopolitiques de la planète.

L’imaginaire européen

Durant vingt ans, Jérôme Clément fut l’artisan convaincu de sa mise en œuvre. Son livre est une contribution éclairante aux enjeux sous-tendus par la création et la construction européenne. La chaîne franco-allemande a participé à la construction d’un imaginaire européen commun tout en parvenant à conserver l’expression originale de chaque pays et le respect des artistes. On découvre à travers quelques épisodes croustillants que ce ne fut pas une sinécure. L’ex directeur d’Arte évoque avec humilité les obstacles, culturels, politiques, médiatiques, qu’il a vu se dresser face à ses propres ambitions et les moyens dont il a usé pour les contourner. L’affaire concerne les plus hautes sphères du pouvoir. La position de l’auteur est comparable à celle d’un ethnologue qui porte un regard distancié sur le milieu dans lequel il s’est immergé.

Homme de conviction

Au dîner qui fait suite au Forum Fnac un peu clairsemé qui s’est tenu mardi,  Jérôme Clément ne semble pas affligé des ventes du livre qui démarrent doucement. « Cela a mobilisé beaucoup de mon énergie. Ecrire ce livre m’a permis de réfléchir à cette longue aventure et à en tirer les leçons. Il est bien reçu. Beaucoup de gens me remercient. Je crois que c’est un livre qui va s’inscrire dans le temps, non parce que j’en suis l’auteur, mais parce qu’il retrace une époque importante de notre histoire nationale et européenne, notamment sur le couple franco-allemand », analyse l’auteur avec une placidité qui masque une profonde détermination. Au cours du repas, on lui communique la teneur d’un débat contributif au programme du PS. « Je suis atterré par le peu de place qui est fait à la culture et à l’Europe dans le programme socialiste » commentera-t-il. Le 8 décembre dernier devant toute l’équipe d’Arte réunie à Strasbourg à l’occasion de son départ, Jérôme Clément a tenu à rappeler publiquement qu’il ne pouvait y avoir de réussite sans profondes convictions. Les siennes se résument en trois mots : « engagement, audace, utopie. »

Jean-Marie Dinh

Le choix d’Arte, éditions Grasset, 20 euros.

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