Michel Gueorguieff passeur incorruptible

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Clermont-l’Hérault,  juin 1997, le festival Roman noir et société bouge les lignes du genre  et rencontre un franc succès auprès du public. La première édition voit le jour grâce à un curieux attelage pluridisciplinaire composé de personnalités provenant du monde de l’architecture, de la justice et de la sphère littéraire. Au sein de ce collectif qui puise une partie de ses idées dans la philosophie situationniste, beaucoup de libres penseurs, on retrouve Michel Gueorguieff, président de Soleil noir, l’architecte Jean Gabriel Cochet, l’avocat Jean-Robert Phung, des auteurs français comme Gérardo Lambertoni, Serguei Dounovetz, et d’anciens taulards ayant pris la plume, Alexandre Dumal, Alain Dubrieu, Emmanuel Loi en sont, comme ce concierge parisien occasionnel dénommé Cesare Battisti… Ces personnalités ont pour dénominateur commun d’être de gauche et d’apprécier le roman noir  : pour eux, le polar s’inscrit dans une réalité sociale et souvent politique.

Des frictions entre certains membres aux caractères trempés provoquent une rupture. Michel claque la porte sans abandonner ses visions qu’il va bientôt transformer en vocation. Il voit grand et pense dans le long terme, avec l’idée vissée d’ouvrir son projet sur l’international. Il cherche alors un lieu susceptible de l’accueillir. Pour lui, implanter ce projet dans une ville de droite reste inconcevable. Par l’entremise de Françoise Bonnet et Michel Crespy, un ami sociologue et auteur, à l’époque bras droit du président du CG 34 Gérard Saumade, il va rencontrer Pierre Bouldoire qui vient d’être élu maire de Frontignan. L’affaire se conclue sur le fond. Le maire valide ce pari osé pour une ville de 20 000 habitants, en lui permettant de faire ses preuves. Michel qui n’en demande pas plus, ne va pas tarder pas à faire la démonstration du potentiel de son idée.

Deux ans plus tard, en juin 1999, la deuxième édition du festival et la première du festival international de roman noir de Frontignan (FIRN), affiche un plateau à faire pâlir la capitale : James Crumley, George V. Higgins, Gregory Mcdonald, Jim Nisbet, Daniel Woodrell … pour ne citer qu’eux, font le déplacement spécial. « Quand les Inrocks nous ont appelés pour nous dire que notre programme les intéressaient et qu’ils envisageaient de relayer des débats autour des grands auteurs, ils n’imaginaient pas un instant que ces monuments de la littérature débarquaient en chair et en os à Frontignan , se souvient Martine Gonzalez, la plupart ne s’étaient jamais publiquement produits en France.»

Dans cette première programmation figurent aussi des auteurs européens et français y compris de la région tels que Hélène Couturier, Gilles Del Pappas, Robert Gordienne, Marcus Malte, Jean-Bernard Pouy, ou Fred Vargas, bien avant le succès qui l’attendait. « Michel avait l’amour des auteurs, témoigne son ami Serguei Dounovetz, s’il avait aimé le texte, il s’intéressait à un mec venu de nulle part avec le même amour, la même sincérité qu’avec un auteur éminemment reconnu. »

Les graines de cette générosité naturelle pour ne pas dire constitutive, Michel les a fait germer dans sa ville. Une ville humaine qu’il aimait toujours retrouver au retour de ses nombreux voyages partout dans le monde où il trouvait l’occasion de se perdre. Une ville qu’il connaissait sous tous les angles, intimes et collectifs. Dans le cadre de ses fonctions politiques, il fut le créateur du journal Municipal Montpellier votre ville. Dans une dimension parallèle et jamais contradictoire, il aimait rire et boire des coups avec ses potes.

De 1997 à 2001, des cafés noirs lancés par l’association Soleil noir qu’il présidait, connaissent leurs heures mythiques. Passionnés et amateurs s’y retrouvent régulièrement dans différents lieux en ville. Au début la cave de la librairie Molière fait office de QG, mais les rencontres qui voient frayer les étoiles montantes du noir français, Jonquet, Pouy, Vargas… avec les auteurs et les lecteurs d’ici se multiplient au bar du château d’eau aux Arceaux, place de la Canourgue ou chez Pepe Carvalo. On découvre que le polar n’est pas monolithique. Montpellier devient une escale de l’école française du polar qui dresse une relation ethnographique et critique de la société française.

Ce grand bain d’idées et de confrontations fut très profitable aux auteurs de noir montpelliérains. D’ailleurs de Zamponi, à Lilian Bathelot de à Dounovetz à J-M Erre en passant par Joelle Vandenberg, force est de constater que tous ont pu se nourrir d’un échange avec Michel. C’était un découvreur de talents. Même s’il n’appréciait pas l’écriture, il voulait aider, considérant que quand un auteur de roman noir était parvenu à se faire éditer, c’était la moindre des choses de l’inviter.

Bref, si tout ça est assez logiquement resté dans l’ombre, cela n’en constitue pas moins une valeur, un héritage à ne pas trahir, et donne un sens durable aux petites choses de notre vie courante face à l’honorable société.

JMDH

Voir aussi : Rubrique Livre, rubrique  Roman noir, FIRN, Les amoureux du noir,

Des livres et des mots

Comédie du Livre 2011

dossier réalisé par Jean-Marie Dinh

Photo archive Dr

Comédie du livre. Une nouvelle organisation pour célébrer la langue allemande du 27 au 29 Mai.

A Montpellier, La Comédie du livre figure comme un rendez-vous ancré dans la vie de la population. Elle se tient cette année du 27 au 29 mai en mettant à l’honneur les écrivains de langue allemande. Le pays invité correspond à la volonté de la ville de célébrer les cinquante ans des liens qui unissent Montpellier et Heidelberg. La 27e édition marque un tournant avec un changement d’équipe et d’organisation. La direction relève désormais de l’association Cœur de Livres pilotée par la ville et présidée par Etienne Cuenant, un chirurgien urologue qui préside aussi la Société montpelliéraine d’histoire de la médecine. Dans la logique citoyenne impulsée par les libraires et le tissu associatif, l’ex-délégué général, le journaliste Philippe Lapousterle et son équipe avaient trouvé un deuxième souffle à la manifestation, en multipliant les rencontres, avec la volonté de placer les auteurs et les idées sur la place publique.

Nouvelle donne

Après la redistribution des cartes chacun cherche un peu ses marques. L’adjoint à la culture, Michaël Delafosse, a réaffirmé lors de la présentation de la manifestation mardi, la fameuse « ambition d’excellence » de la politique culturelle montpelliéraine. Tout en assurant le maintien de son soutien aux libraires, la nouvelle orientation vise à favoriser la dimension littéraire de la manifestation et mieux mettre en avant le pays invité. Dans cette esprit, on a réduit les rencontres débats de moitié et demandé au tissu associatif de conformer ses propositions à la thématique allemande.

« Pasteur » littéraire !

Si les acteurs du livre invités ont observé le silence religieux de rigueur c’est que les sourires devaient être tout intérieurs. On se dit qu’Etienne Cuenant qui se voit en « pasteur  » de la littérature et prévoit une  » révolution numérique du livre sur 50 ans  » pourrait utilement se plonger dans l’essai sur l’accélération signé par l’auteur invité Hartmut Rosa. On peine à comprendre en quoi la réduction du choix des visiteurs concoure à l’objectif annoncé par Michaël Delafosse  » de partir à la découverte des publics « . Mais l’analyse des élucubrations qui circulent dans les conférences de presse serait le sujet d’un vrai roman… Et comme le disait, une figure respectée de la vie littéraire locale à la sortie :  » Le plus important est de préserver le libre accès des gens aux livres« .

De la diversité de la langue

La participation active de la Maison de Heidelberg au programme et aux rencontres a contribué à la cohérence de propositions autour de la langue allemande. Celle-ci concerne des auteurs autrichiens, suisses, tchèques, turcs, kurdes qui contribuent pleinement à la richesse de cette littérature méconnue en France.

Parmi les écrivains invités, on attend notamment Zoran Drvenkar auteur d’origine croate prix du meilleur thriller 2010 en Allemagne pour  » Sorry « , Katharina Hagena auteur du best-seller « Le goût des pépins de pomme« , le maître de l’autofiction suisse Paul Nizon, Christophe Hein, né en RDA en 1944, qui figure parmi les intellectuels les plus importants de sa génération. On peut encore citer Judith Herman, ou l’avocat Ferdinand von Schirach qui saisissent le lecteur par des récits courts.  » 25 étudiants allemands et 25 étudiants montpelliérains sont invités à animer le jumelage. Ils seront nos ambassadeurs interculturels « , se réjouit Hans Demes de La Maison de Heidelberg.

Ce foisonnement d’échanges en perspective devrait faire émerger quelques morceaux de vie et donner symboliquement le pendant aux déboires du couple franco-allemand enlisé dans ses spéculations financières. Cette voie de l’intelligence demeure la marque de fabrique de La Comédie du livre.

Billet : Jumelage : la littérature comme vecteur

Le choix de mettre la littérature de langue allemande à l’honneur correspond au 25e anniversaire du jumelage qui lie les villes de Montpellier et Heidelberg. Il renvoie aux échanges entre cultures qui apportent leur contribution à la construction des identités culturelles. L’image française de l’Allemagne n’est bien évidemment pas uniquement littéraire. Elle se développe aussi bien dans les cadres internationaux que nationaux et régionaux. Elle tient aux guerres, aux échanges commerciaux, universitaires, politiques,  à la construction européenne, et aux contacts personnels. La littérature a pourtant joué un rôle unificateur entre les deux pays. En France elle prend à contre-pied le cliché  qui enferme les Allemands dans l’image d’un peuple grossier et pesant.

L’histoire littéraire du XVIIIe évoque l’admiration que se portaient mutuellement Frédéric II de Prusse et Voltaire. Les deux  hommes se sont rencontrés et entretenaient une relation épistolaire suivie. L’auteur de Candide surnommait son ami  libre-penseur « le roi philosophe ». Un roi idéal en somme. Au XIXe, on peut souligner la fascination qu’exerça Wagner sur Baudelaire et Mallarmé.

On s’apprête à mesurer à l’occasion des multiples débats programmés à la Comédie du livre à quel point la littérature comme la vie d’un jumelage peuvent contribuer à ces migrations culturelles, et combien ces vecteurs de transitions reposant sur des valeurs humaines sont essentiels dans le monde d’aujourd’hui.

 

L’Heure du noir sur la « Com » !

On sait combien le noir envahit les bibliothèques. Les amateurs du genre ne seront pas en reste cette année. Du côté des auteurs allemands invités on vous conseille d’aller voir l’écrivain berlinois d’origine croate Zoran Drvenkar dont le premier roman traduit en français – Sorry (éditions Sonatine) – a été élu meilleur thriller de l’année 2010 en Allemagne. Sorry est le nom d’une agence spécialisée chargée de présenter des excuses réglementaires pour les entreprises qui licencient ou harcèlent leurs salariés. Autant dire que l’agence créée par quatre potes berlinois se trouve sur un marché porteur. Mais les ennuis commencent lorsqu’ils doivent s’excuser auprès d’une personne crucifiée…

Volker Kutscher fait aussi un tabac en Allemagne et pas seulement avec ses intrigues mises en scène dans le Berlin des années 30, un moment où l’Allemagne est au tournant de son histoire. Après Le poisson mouillé (seuil 2007) qui dressait le portrait politique et contradictoire du Berlin des années 20, la deuxième enquête du commissaire Rath, La mort muette (seuil 2010) se déroule cette fois dans le milieu du cinéma. En pleine guerre entre les protagonistes du cinéma muet et ceux du parlant, des actrices sont mystérieusement assassinées…

Les amateurs d’histoires courtes suivront avec attention les onze affaires criminelles que relate avec talent l’avocat pénaliste Ferdinand Von Schirach dans son recueil sobrement intitulé Crimes (Gallimard 2011).

A ne pas manquer aussi, le débat « Flics Stories » demain à 15h salle Pétrarque animé par Michel Gueorguieff, l’incorruptible président de Soleil Noir. En présence  des auteurs, Odile Barski la scénariste de Claude Chabrol,  pour Never mort (Le Masque 2011), Hélène Couturier pour Tu l’aimais quand tu m’as fait ? (Presse de la Cité) qui plonge le lecteur dans une enquête intime, traitée avec justesse. Claude Cances pour Histoire du 36 Quai des Orfèvres (Jacob-Duvernet) et Régis Descott pour L’année du rat (JC Lattès), thriller d’anticipation palpitant et angoissant qui nous conduit sur la trace des rongeurs.

Rencontre Z. Drvenkar aujourd’hui à 17h30 au Pavillon populaire et demain à 11h centre Rabelais. Rencontre Volker Kutscher demain à 15h au Centre Rabelais. Ferdinand Von Schirach aujourd’hui à 13h45 au Pavillon Populaire et demain  à 16h au Centre Rabelais. Et aussi la Table ronde quand le polar raconte l’histoire aujourd’hui à 17h salle Pétrarque.

 

Difficiles relations entre éditeurs et libraires  ?

Vie du livre et de la lecture. LR2L proposait un débat qui ne s’est pas tenu entre deux acteurs de la chaîne du livre.

Le quart d’heure montpelliérain passé d’un bon quart d’heure, il aura bien fallu se rendre à l’évidence. La proposition de débat entre libraires et éditeurs lancée par l’antenne régionale du livre et de la lecture allait prendre une autre forme. Celle d’une déclaration un peu convenue sur le travail mené en faveur du livre en région conjointement soutenue par la présidente de LR2L, Marie-Christine Chase, Fabrice Manuel en charge de la culture au Conseil régional, et la représentante de l’Etat Odile Nublat. La Comédie du Livre aura notamment été l’occasion de signer La Charte des manifestations littéraires. Un texte en élaboration depuis plusieurs années qui précise la place et le rôle de chacun des acteurs de la chaîne du livre en remettant les auteurs au centre du projet et en leur garantissant une juste rémunération. Cet aboutissement apparaît comme un gage de sérieux. S’efforçant de favoriser les échanges interprofessionnels, la nouvelle équipe de LR2L semble à l’écoute. Mais dans un climat de crise qui bouscule les modèles économiques, la confiance s’érode parfois entre les acteurs dont les intérêts ne sont pas toujours conciliables.

Les libraires régionaux, qui brillaient par leurs absences, seront bientôt recensés dans un nouvel annuaire publié par LR2L. « A l’heure où le secteur vit une totale mutation liée à la révolution numérique, chacun se replie un peu sur ses propres préoccupations. C’est humain, explique Adeline Barré qui œuvre avec Emmanuel Begou pour faciliter ce difficile passage. « Nous mettons actuellement l’accent sur les publications des maisons d’éditions afin que les ouvrages soient bien accompagnés et qu’ils arrivent jusqu’aux libraires. » Emmanuel Begou a en charge le travail avec les médiathèques et les bibliothèques : « Ces structures publiques sont des lieux de médiation vers les nouveaux supports. Avec l’arrivée du numérique, l’apport en recherche d’information est incontestable. Il faut former les usagers. Nous ne jouons pas l’opposition entre les pratiques d’hier et celles d’aujourd’hui. Ce qui est important c’est de véhiculer la pensée. » En voilà au moins une qui sera au goût de tout le monde.

 

Débat : Une fenêtre sur l’Afrique

Il ne sont pas de même facture les livres de l’historienne Catherine Coquery-Vidtovitch Petite histoire de l’Afrique, et de l’équipe franco-camerounaise composée de Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, et Thomas Deltombe auteurs de Kamerun, mais ils ont été publié simultanément (Editions La Découverte), et invitent tous deux à réajuster notre regard sur l’Afrique subsaharienne. L’occasion a donné lieu à un débat intéressant et suivi initié par la librairie Sauramps vendredi dans le cadre de la Comédie du Livre.

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Ecouter les géants

Incontournables. Christoph Hein et Paul Nizon, des auteurs hors normes.

Christoph Hein

L’Allemand Gunter Grass en 1999, l’Autrichienne Elfriede Jelinek en 2004 et la Roumaine Herta Müller en 2009 ont obtenu les derniers prix Nobel de littérature attribués à des écrivains de langue allemande. Aucun des membres de ce trio n’était disponible cette année pour répondre à l’invitation de La Comédie du livre. Chacun à leur manière, ces auteurs consacrés usent d’une puissance créatrice hors norme, d’un style en rupture qui rend compte de la part irrationnelle de l’histoire. Leurs origines soulignent, comme on peut le voir à Montpellier, que la littérature allemande ne se limite pas au pays de Goethe.

Claude Nizon

Parmi les auteurs présents cette année, deux pourraient entrer dans ce symbolique panthéon. Christoph Hein né en Saxe en 1944 dont les études furent perturbées par la construction du mur. L’écrivain commence sa carrière en temps que dramaturge et se voit reconnu dès la publication de ses premiers récits en 1980. Son dernier roman Paula T une femme allemande (Métailié 2010)  déroule la vie et le combat d’une femme et d’une artiste de l’Est. Une situation dépeinte dans un style sec comme le sont parfois les prises de paroles publiques sans concession de ce grand défenseur d’idées. Dans un tout autre genre le Suisse Paul Nizon, exilé à Paris, ne succombe pas non plus à la facilité. Il vient de publier Les Carnets du coursier (Actes Sud) et poursuit sa quête qui pousse sa recherche d’expression vers l’infini de lui-même. A (re) découvrir.

Voir : Rencontre avec Paul Nizon .

Sherko Fatah

Photo David Maugendre.

 

Un des auteurs de langue allemande à découvrir parmi les invités de la Comédie du Livre. Les lecteurs qui voulaient rencontrer Sherko Fatah vendredi peuvent le retrouver ce matin à 11h à l’Espace Martin Luther King.

Né en 1964 en Allemagne de l’Est d’un père kurde originaire du nord de l’Irak et d’une mère allemande, l’écrivain a fait de nombreux séjours en Irak. Son œuvre est imprégnée du thème de l’exil. Dans Le navire Obscur l’auteur retrace la vie d’un jeune kurde irakien enrôlé dans la guerre du côté des « Combattant de Dieu » alors que les bombardements s’intensifient sur son pays. Après avoir donné (ou perdu ?) de sa personne en suivant les barbus, Kerim décide de rejoindre son oncle en Allemagne. Au mépris du danger, avec une certaine innocence, il embarque clandestinement sur un cargo. Débute une traversée humiliante où Kerim éprouve le sentiment, commun à tous les clandestins, de perdre son identité. Lorsqu’il parvient en Allemagne de nouvelles surprises l’attendent. Voilà qu’on lui demande à nouveau d’imaginer des histoires pour s’en sortir…

Le parcours dessiné par Sherko Fatha regroupe en un destin le contenu de trois existences dans lesquelles son personnage progresse à tâtons et semble en même temps faire corps avec une force de vie déterminante. On ne sait vraiment vers où l’écriture sobre et puissante de Sherko Fatha nous conduit  mais elle nous maintient en éveil.

Le navire Obscur, éditions Métailié 2011, 23 euros.

 

« Ruth a dit : Promets-moi que tu ne feras jamais rien avec lui »

Judith Hermann."J'évoque le blanc qui reste" Photo Rédouane Anfoussi

Un critique allemand a dit de l’œuvre de Judith Hermann qu’elle dressait le portrait d’une génération en chassant ses fantômes. « Pour écrire, je m’inspire de mon vécu propre, précise-t-elle. Si cela devient le portrait d’une génération, pourquoi pas. Raconter une histoire, c’est un peu chasser des fantômes pour exprimer ce qui est difficilement décryptable. »

En 1998, son premier roman Maison d’été plus tard (Albin Michel 2001), connaît un énorme succès en Allemagne avant de devenir un best-seller mondial. Ce qui lui permet d’abandonner son travail de journaliste. Cinq ans plus tard, elle publie son  second recueil de nouvelles Rien que des fantômes. Hier, elle en à lu un extrait, dans le cadre des moments littéraires au Pavillon populaire.

« Ruth a dit : Promets-moi que tu ne feras jamais rien avec lui ». La première phrase de ce court récit pose d’emblée le cadre d’une relation entre les trois protagonistes de l’histoire. Deux amies dont l’une, Ruth, peine à se situer dans une histoire de cœur qu’elle débute avec Raoul. Le troisième personnage, miroir inversé de Ruth, c’est la narratrice qui apparaît au lecteur à travers ses observations. A la lecture, on entre en parfaite empathie avec ce personnage travaillé par l’indécision. « C’est plus intéressant d’écrire sur quelqu’un  qui cherche que sur des gens qui ont des certitudes. Le lecteur comprend dans les blancs », commente l’auteur. Le style léger et précis de Judith Hermann se nourrit des inattendus de la vie et d’une certaine inadéquation avec le monde.

Son prochain recueil de nouvelles à paraître chez Albin Michel en octobre prochain se situe sur la même tonalité que ses deux premiers livres. Judith Hermann aborde en cinq nouvelles l’expérience de l’adieu quand quelqu’un de proche disparaît. « Je parle de la mort. J’évoque le blanc qui reste. J’aimerais que mes lecteurs remplissent ce vide par leur propre expérience. » Un autre moment propice à l’instabilité qui comporte une luminosité particulière.

Rencontre avec Judith  Hermann dimanche à 16h, Centre Rabelais

 

Harmut Rosa : Le temps de l’argent

Débat. Le sociologue Harmut Rosa invité par la Fabrique de Philosophie
Cette 26e édition de la Comédie du livre a globalement tenu son pari d’exigence. Notamment ceux que s’était fixée l’organisation, de recentrer l’orientation sur la dimension littéraire et le pays invité. On peut néanmoins regretter que la teneur des autres débats ait manqué de consistance politique et économique, qui sont au cœur de notre quotidien. L’annulation de l’échange entre les représentants du Parti de Gauche et ceux du parti allemand Die Linke, comme le désistement de la philosophe Michela Marzano ont renforcé le déséquilibre. En la matière, l’exception est venue de la pensée critique Hartmut Rosa.

Le sociologue était invité à présenter son dernier ouvrage Accélération (éd. La Découverte) dans lequel il met le doigt sur la pression du temps imposée par notre vie moderne, qui est à l’origine d’un dysfonctionnement majeur de la société. « La dimension de la compétition dit-il, agit aujourd’hui plus lourdement sur nos vie que l’église a pu peser hier. Il faut courir plus vite, non pour aller plus loin, mais pour garder sa position. Au travail, il faut aller plus vite pour rester où on est. » Ces conditions de temps sont celles du système  néolibéral. « On nous donne l’impression de ne pas être à la hauteur, d’être toujours en retard. » Hartmut Rosa en tire des constats sociaux qu’il définit comme « un rétrécissement des espaces temporaires, » avec des incidences sur l’individu : « La réponse à la question qui êtes-vous est de plus en plus difficile à trouver. » Et des conséquences politiques, celles qui affectent la mémoire collective et la compréhension générale du monde. « On vit de plus en plus d’épisodes qui se cumulent sans que l’on ne puisse en tirer des leçons. » Cela participe, selon Rosa, au retrait des citoyens de la politique qui demande du temps pour être comprise.

 

Voir aussi : Rubrique Livre, La Comédie du livre 2010, rubrique Lecture, Une fenêtre sur l’Afrique, rubrique Allemagne,

C’est un des auteurs de langue allemande à découvrir parmi les invités de la Comédie du Livre. Les lecteurs qui voulaient rencontrer Sherko Fatah vendredi peuvent le retrouver ce matin à 11h à l’Espace Martin Luther King.

Né en 1964 en Allemagne de l’Est d’un père kurde originaire du nord de l’Irak et d’une mère allemande, l’écrivain a fait de nombreux séjours en Irak. Son œuvre est imprégnée du thème de l’exil. Dans Le navire Obscur l’auteur retrace la vie d’un jeune kurde irakien enrôlé dans la guerre du côté des « Combattant de Dieu » alors que les bombardements s’intensifient sur son pays. Après avoir donné (ou perdu ?) de sa personne en suivant les barbus, Kerim décide de rejoindre son oncle en Allemagne. Au mépris du danger, avec une certaine innocence, il embarque clandestinement sur un cargo. Débute une traversée humiliante où Kerim éprouve le sentiment, commun à tous les clandestins, de perdre son identité. Lorsqu’il parvient en Allemagne de nouvelles surprises l’attendent. Voilà qu’on lui demande à nouveau d’imaginer des histoires pour s’en sortir…

Le parcours dessiné par Sherko Fatha regroupe en un destin le contenu de trois existences dans lesquelles son personnage progresse à tâtons et semble en même temps faire corps avec une force de vie déterminante. On ne sait vraiment vers où l’écriture sobre et puissante de Sherko Fatha nous conduit mais elle nous maintient en éveil.

JMDH

y Le navire Obscur, éd Métailié 2011, 23 euros.