Bien après la mort déclarée de l’idéologie, Marx le phénix est annoncé sur la scène du Carré Rondelet. On le retrouve du 14 au 17 décembre avec le texte d’Howar ZinnKarl Marx le retour mis en scène par Christian Fregnet. Décédé en 2010, l’auteur dramaturge américain Howard Zinn a consacré son œuvre aux rôles historiques des mouvements populaires. On lui doit notamment l’ouvrage de référence Histoire populaire des Etats-Unis(éd Agone). Avec Karl Marx le retour, il réincarne l’auteur du Capital dans l’environnement du capitalisme triomphant. Le texte a été écrit peu de temps après l’effondrement de l’Union soviétique. « Je jugeais important de montrer clairement que ni l’URSS ni les autres pays qui, se disant « marxistes », avaient installé des états policiers, n’incarnaient la conception du socialisme de Marx. Je voulais montrer un Marx furieux que ses conceptions aient été déformées jusqu’à être identifiées aux cruautés staliniennes », indiquait l’auteur.
Dans le rôle d’un Marx indigent, comme il le fut dans sa propre vie, Emile Salvador (de la compagnie Archipel) interprète son rôle avec beaucoup d’humanité. Marx obtient une permission pour venir nous expliquer tout ce qu’on lui a collé sur le dos. Il partage sa compréhension du monde, explique qu’il existe des médicaments pour maintenir un système malade et émet quelques propositions pour changer la donne. Conçue pour être jouée dans des petits lieux, la pièce en un acte se présente sous la forme d’une farce. Elle nous interpelle sur notre condition sociale, sur le fait que nous sommes de plus en plus étrangers aux autres et à nous-mêmes. Pour autant, le texte n’est pas un réquisitoire, on pourrait même y trouver une forme de réconfort dans la réaffirmation que rien n’est inéluctable.
JMDH
Au Carré Rondelet, 14 rue de Belfort à Montpellier du 14 au 18 décembre. Rens : 04 67 54 94 19.
Le texte de la pièce est paru aux éditions Agone
Conférence Sauramps. Le philosophe montpellierain revient sur quelques mythes politiques. Jean-Claude Michéa donne ce soir une conférence sur le thème « Le complexe d’Orphée – La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès » autour de son essai Le complexe d’Orphée (Ed. Flammarion). La conférence sera animée par Vincent Taissere, libraire responsable du rayon Philosophie, politique et pensée critique, coordinateur du cycle de conférences La Fabrique de Philosophie.
« Semblable au pauvre Orphée, le nouvel Adam libéral est condamné à gravir le sentier escarpé du Progrès sans jamais pouvoir s’autoriser le moindre regard en arrière. Voudrait-il enfreindre ce tabou – « c’était mieux avant » – qu’il se verrait automatiquement relégué au rang de Beauf, d’extrémiste, de réactionnaire, tant les valeurs des gens ordinaires sont condamnées à n’être plus que l’expression d’un impardonnable « populisme ». C’est que Gauche et Droite ont rallié le mythe originel de la pensée capitaliste : cette anthropologie noire qui fait de l’homme un égoïste par nature. La première tient tout jugement moral pour une discrimination potentielle, la seconde pour l’expression d’une préférence strictement privée. Fort de cette impossible limite, le capitalisme prospère, faisant spectacle des critiques censées le remettre en cause. Comment s’est opéré cette double césure morale et politique? Comment la gauche a-t-elle abandonné l’ambition d’une société décente qui était celle des premiers socialistes? En un mot, comment le loup libéral est-il entré dans la bergerie socialiste? »
Ce soir à 19h Auditorium du musée Fabre (entrée libre)
Que fait la police en banlieue ? Qu’y fait-elle vraiment ? Sorti du folklore télévisé, on n’en savait rien ou presque. C’est le mérite de l’enquête de Didier Fassin que de nous l’apprendre. En s’intéressant aux brigades anticriminalité, en les suivant au long cours nuit et jour, cet anthropologue – qui enseigne désormais au prestigieux Institute for Advanced Studies de Princeton – a ouvert l’une des boîtes noires de la République. Son livre, appelé à devenir classique, donne à voir et à saisir, avec détails et nuances, l’une des réalités sociales et politiques les plus fantasmatiques et méconnues de la France contemporaine : la relation de la police nationale aux jeunes dits des quartiers. Au risque de nous faire peur. Car ce qui frappe d’abord, c’est l’omniprésence du racisme ordinaire. Qu’il soit possible lorsqu’on est policier de placarder une affiche électorale de Jean-Marie Le Pen sur les murs d’un commissariat ne manquera pas de désespérer, y compris les citoyens les plus indulgents à l’égard des forces de l’ordre. S’il faut absolument lire ce livre, c’est aussi qu’il ne pourrait plus être écrit aujourd’hui, la police ayant fermé la porte aux chercheurs. Comme elle est parvenue, sous Nicolas Sarkozy, à se débarrasser de sa Commission nationale de déontologie. Didier Fassin le rappelle : «L’ethnographie a partie liée avec la démocratie.» Et, dans un pays normal, son livre serait un best-seller et une contribution majeure au débat présidentiel.
Sylvain Bourmeau Libération
BAC : les flics mis en examen
Il y a d’abord ces détails, dont le symbole seul suffirait à illustrer le propos du chercheur : l’iconographie des écussons que se choisissent les policiers de la brigade anticriminalité (BAC) pour identifier leurs unités : une barre d’immeubles prise dans un viseur de fusil à Courbevoie (Hauts-de-Seine), une meute de loups devant des tours à Brunoy (Essonne) ou encore une araignée prenant dans sa toile une cité à Colombes (Hauts-de-Seine). Et il y a tout le reste. Ambiance suffocante pour celui qui s’y immerge. Durant quinze mois, entre 2005 et 2007, le sociologue Didier Fassin a suivi les policiers d’une brigade anticriminalité (non identifiée) en banlieue parisienne.
Depuis la suppression de la police de proximité en 2003 par un Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur, ces BAC – policiers en civil patrouillant en voitures banalisées – sont devenues l’un des principaux visages de la police en zones urbaines sensibles (ZUS). Dans son livre, la Force de l’ordre (Seuil), Didier Fassin en peint un affligeant tableau, succession de scènes où le ridicule et l’inutile le disputent à l’inacceptable en termes de violences et d’humiliations. Ce bilan à charge soulignant les dérives, l’inefficacité, voire la contre-productivité de cette police, rejoint le constat du récent rapport Kepel sur la banlieue ou même le dernier livre blanc sur la sécurité commandé par le ministère de l’Intérieur.
«Jungle». Au-delà, l’anthropologue propose une lecture assez inédite des mécanismes sociologiques qui se jouent au quotidien entre ces policiers et les habitants de banlieues dites «sensibles». Ou comment, vue à travers les vitres d’une voiture banalisée, une population d’administrés est perçue comme une masse menaçante, présumée coupable ou complice d’une insécurité propre aux ZUS.
L’idée, et l’intérêt de la démarche de Didier Fassin, est de s’interroger sur les ressorts de cette hostilité. De son poste d’observation, Fassin a prêté une oreille attentive au vocabulaire des policiers. Pas seulement celui des dérapages, plus ou moins contrôlés en situations tendues, mais sur celui du quotidien au travail, durant ces longues heures d’attente entre deux appels d’urgence. Trois mots en particulier reviennent en boucle dans la bouche des gardiens de la paix : la «jungle», qui désigne la cité, «sauvages» pour délinquants, et le terriblement polysémique «bâtard» employé à tout-va, en guise de «type»,«gars», «individu».
Fassin décrit aussi l’emploi moins généralisé, mais non sanctionné, d’une terminologie ouvertement raciste – «crouille», «bougnoules» -, comme l’affichage décomplexé d’opinions d’extrême droite. Il raconte le poster Le Pen placardé dans un bureau du commissariat, les tee-shirts «732» (référence aux exploits de Charles Martel) portés en intervention, à la vue des administrés. «La racialisation est un effet essentiel de la relation entre les policiers et les habitants», observe Didier Fassin.
Depuis sa création, il y a vingt ans, la brigade qu’a suivie Didier Fassin n’a compté en ses rangs que des hommes blancs. La discrimination sexuelle est justifiée par des arguments d’efficacité. La discrimination raciale par des arguments xénophobes. Cette discrimination, initialement imposée par un membre de la hiérarchie, en a entraîné une autre, naturelle : les volontaires pour intégrer ces unités correspondent à ce profil.
Quatre cinquièmes des gardiens de la paix sont issus du monde rural ou de petites villes. En arrivant, ils connaissent des quartiers les représentations sociales qui en existent, celles que véhiculent les médias : un univers dangereux. Les policiers de la brigade qu’a suivie Didier Fassin étaient pour la plupart originaires du Nord – Pas-de-Calais, fils d’ouvriers, de mineurs, d’employés ou d’agriculteurs. Au bout de plusieurs années, leur connaissance du terrain se sera finalement peu étoffée.
Préjugés. Les membres de la brigade étudiée par Fassin n’habitent pas ces cités, ce qui peut s’entendre pour des raisons de sécurité. Mais, plus surprenant, beaucoup ne vivent pas non plus en Ile-de-France, leur région d’affectation. Grâce au système de récupérations, en travaillant quatre jours d’affilée, ils partagent des appartements à plusieurs et rentrent «chez eux» le reste de la semaine.
Selon Fassin, cette double distance (origine socioculturelle et géographique) participe du sentiment d’hostilité vis-à-vis de ce monde – la banlieue – qui n’est pas le leur, confortant d’initiaux préjugés culturalistes. Mécanisme entretenu depuis une dizaine d’années par des directives politiques où la rhétorique volontiers belliqueuse («reconquérir les zones de non-droit», «déclarer la guerre à la délinquance») et truffée de références sur une identité et une cohésion nationale menacées vient valider cette idée que la population des banlieues constituerait en soi un «ennemi». A réprimer, plutôt qu’à protéger.
Alice Géraud (Libération)
«Etudier la police est devenu quasi impossible»
Prof de sciences sociales à Princeton (New Jersey) et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Didier Fassin a suivi, de 2005 à 2007, une BAC en banlieue parisienne. Avant d’interrompre son enquête, faute d’autorisation du ministère.
La méthode de votre enquête et la façon de la raconter constituent une démarche assez inédite pour un chercheur. Pourquoi ce choix ?
L’ethnographie, l’observation prolongée de la vie d’une collectivité humaine, fait partie des sciences sociales, mais n’avait jamais été employée en France pour étudier la police sur le terrain. Rendre compte de mon enquête a cependant été difficile. Je voulais à la fois analyser les faits de la manière la plus rigoureuse possible et permettre aux lecteurs de les appréhender en tant que citoyens. Ce qui se passe dans les quartiers me semble trop méconnu et trop important pour n’être discuté que dans le monde de la recherche.
On est frappé par l’absence d’autocensure des policiers. Comment se fait-il qu’en votre présence, ils s’adonnent à des comportements racistes, discriminatoires, voire violents ?
Ma présence a certainement modifié leurs pratiques. Les policiers me disaient parfois : «Si vous n’aviez pas été là, ça se serait plus mal passé.» Avec le temps, ils se sont habitués à ce que je sorte avec eux et ils ne se sont guère censurés, ni dans leurs mots ni dans leurs actes. Il est remarquable qu’ils aient pu considérer ce que je rapporte comme n’ayant pas besoin d’être dissimulé à un chercheur.
Ce que vous décrivez est proche de la réalité dont témoignent les jeunes des quartiers populaires. La parole du chercheur est-elle nécessaire pour attester cette réalité ?
J’ai voulu corriger la double injustice qui fait que les victimes de cette exception sécuritaire ne sont pas entendues lorsqu’elles disent ce qu’elles vivent. Je ne veux pas substituer ma parole à la leur, mais j’espère que ce que j’écris permettra de comprendre l’expérience de la police dans les banlieues. Le chercheur a une légitimité que le jeune de cité n’a pas.
Vous écrivez que cette enquête constitue aujourd’hui une «improbable aberration», tant le ministère de l’Intérieur contrôle désormais toute la recherche sur l’institution policière. Pourquoi ce verrouillage ?
Il n’a jamais été facile d’étudier la police. Mais ces dernières années, c’est devenu quasiment impossible. La moindre demande remonte jusqu’au ministre qui oppose un refus poli. En fait, la politique sécuritaire, qui s’appuie à la fois sur la croyance que la délinquance et la criminalité minent notre société (alors qu’elles sont, au moins pour les faits les plus graves, en diminution depuis cinquante ans) et sur l’idée que la police y remédie efficacement (alors qu’elle contribue à produire les problèmes dans les banlieues), suppose qu’on n’aille pas y regarder de près.
Quelles ont été les réactions dans la police ?
Je n’ai pas eu de réaction jusqu’à présent. Il est difficile d’interpréter un silence, surtout s’agissant d’une profession dont les prises de parole sont souvent sanctionnées. Une hypothèse serait une désapprobation de mes analyses. Une autre, à laquelle je veux croire, est que mes constats sont partagés par beaucoup de gardiens de la paix, d’officiers, de commissaires, frustrés du rôle que le pouvoir leur fait jouer. Si mon livre permettait de faire entendre ce mécontentement, je serais heureux d’avoir contribué à un débat sur cette exception sécuritaire qu’on a imposée sur une partie du territoire et de la population.
Dans la même période, les policiers ont été exposés par les médias, au travers d’abondants reportages. L’éloignement des chercheurs et la surmédiatisation contrôlée sont-ils liés ?
Les faits les plus graves (mort de jeunes, affrontements) sont sous les feux des médias. Pour corriger cette image, la police accepte qu’un journaliste passe une nuit avec une BAC, qu’un documentaire bienveillant soit réalisé ou qu’une fiction d’apparence réaliste soit produite, dans des conditions contrôlées. En revanche, la recherche, qui s’effectue dans la durée et de manière indépendante, est bien plus dangereuse par ce qu’elle donne à voir.
Les Palestiniens ont enregistré lundi 31 octobre à Paris une victoire diplomatique aussi symbolique que significative sur la voie de la reconnaissance de leur Etat, en obtenant le statut de membre à part entière de l’Unesco, l’une des principales agences de l’ONU.
« La Conférence générale (qui réunit l’ensemble des Etats membres, ndlr) décide de l’admission de la Palestine comme membre de l’Unesco », dit la résolution adoptée par 107 voix pour, 52 abstentions et 14 voix contre, parmi les pays présents lundi au siège de l’Unesco à Paris.
« L’entrée de la Palestine porte le nombre d’Etats membres de l’Unesco à 195 », a déclaré l’organisation dans un communiqué. La quasi-totalité des pays arabes, africains et latino-américains se sont prononcés pour l’adhésion des Palestiniens, de même que la France qui avait pourtant émis de sérieuses réserves ces derniers jours sur la démarche palestinienne. « L’Unesco, ce n’est ni le lieu ni le moment. Tout doit se passer à New York », jugeait encore vendredi le ministère français des Affaires étrangères.
« Prématuré »
Car beaucoup d’Occidentaux estimaient que la candidature à l’Unesco ne pouvait précéder l’aboutissement de la démarche entreprise par les Palestiniens auprès de l’ONU à New York.
Le président palestinien Mahmoud Abbas avait solennellement demandé le 23 septembre à l’ONU de reconnaître l’Etat palestinien. Cette demande doit être examinée le 11 novembre par le Conseil de sécurité, où elle pourrait être frappée d’un veto américain.
« Nous pensons que c’est contreproductif. C’est une mesure prématurée », a répété lundi devant la Conférence générale de l’Unesco la sous-secrétaire américaine à l’Education, Martha Kanter.
Les Etats-Unis, l’Allemagne et le Canada ont voté contre, tandis que parmi les Européens, l’Italie et le Royaume Uni se sont abstenus.
« Ce vote permettra d’effacer une infime partie de l’injustice faite au peuple palestinien », a déclaré devant la Conférence générale le ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, Riyad al-Malki.
Embarras américain
Il a assuré que la demande palestinienne était déconnectée de ses démarches à l’ONU à New York et précisé que les Palestiniens avaient besoin de l’aide de l’Unesco pour protéger leur patrimoine historique et culturel.
Cette admission palestinienne embarrasse particulièrement les Américains, qu’elle place dans une position délicate vis-à-vis de l’Unesco. La pleine adhésion des Palestiniens, qui bénéficiaient jusqu’à présent du statut d’observateur, devrait provoquer l’arrêt immédiat de leur contribution financière à l’organisation, soit 70 millions de dollars et 22% de son budget.
Après l’avoir boycotté pendant 20 ans (1984-2003) pour protester contre sa mauvaise gestion et son idéologie tiers-mondiste, les Etats-Unis participent désormais activement aux programmes de l’agence, y voyant un moyen de diffuser certaines valeurs occidentales sans se mettre en première ligne.
Les diplomates de l’Unesco insistent notamment sur l’importance à leurs yeux des programmes en faveur des femmes et des filles dans certains pays.
Les Américains sont tenus par deux lois du début des années 1990 qui interdisent le financement d’une agence spécialisée des Nations unies qui accepterait les Palestiniens en tant qu’Etat membre à part entière, en l’absence d’accord de paix avec Israël.
Dotations retirées
« La décision d’aujourd’hui va compliquer notre capacité à soutenir les programmes de l’Unesco », a confirmé l’ambassadeur américain auprès de l’Unesco, David Killion.
Pour l’Unesco, les conséquences financières seront considérables. Israël devrait suivre les Américains et retirer lui aussi sa dotation. Selon l’ambassadeur israélien Nimrod Barkan, le budget de l’Unesco serait ainsi amputé d’un quart de son montant.
« Cela deviendra impossible pour l’Unesco de remplir sa mission », a-t-il estimé Nimrod Barkan.
La directrice générale de l’Unesco Irina Bokova admettait vendredi que l’organisation devrait probablement réduire la voilure.
« Il faudra couper des programmes, réajuster l’équilibre de notre budget. Mais ce n’est pas seulement un problème financier, c’est un problème qui concerne l’universalité de notre organisation », affirmait-elle.
AFP
Reconnaître la stratégie palestinienne
L’Unesco a récompensé par sa décision les efforts des Palestiniens modérés pour trouver une solution diplomatique au Proche-Orient, ce à quoi ni les Etats-Unis ni Israël ne devraient s’opposer, estime le quotidien libéral La Stampa : « Si les Palestiniens prennent les armes, on crie aussitôt que la violence empêche la paix. S’ils tentent de recourir au levier diplomatique, on y voit une initiative unilatérale qui empêche la paix. Nous aimerions donc bien savoir – notamment des Etats-Unis, d’Israël et même de l’Italie qui s’est abstenue lors du vote à l’Unesco – ce que les Palestiniens devraient faire. Il est douteux de prétendre que la reconnaissance par l’Unesco équivaut à une menace. La nouvelle stratégie tout à fait habile des Palestiniens s’inscrit au cœur des institutions internationales et des nouveaux équilibres mondiaux. Les Etats-Unis et Israël feraient bien de reconnaître l’intelligence de cette stratégie et de réagir avec la même intelligence. »
La Stampa (Italie)
La réaction trop vive de Washington
En réaction à l’adhésion de la Palestine à l’Unesco, les Etats-Unis ont suspendu le versement de leur contribution financière. Washington prend ainsi le risque de s’isoler, estime le quotidien conservateur Frankfurter Allgemeine Zeitung : « L’adhésion de la ‘Palestine’ à l’Unesco est pour les Palestiniens un résultat honorable qui pourrait les rapprocher un peu plus d’une entrée aux Nations unies. Israël et les Etats-Unis devraient se demander si cette adhésion de la ‘Palestine’ a un poids si important qu’ils doivent se retirer de l’organisation. Washington l’a déjà fait une fois et s’était ainsi isolé tout seul.
Frankfurter Allgemeine Zeitung (Allemagne)
Livre
Palestine Israël un Etat, deux Etats ?
Quatrième de couverture
Israël et la Palestine doivent-ils former un, ou deux Etats ? Soulevé dès le début du XXe siècle, ce vieux débat revient au premier plan de l’actualité. Et pour cause : plus de six décennies après le plan de partage de la Palestine (1947), plus de quatre après l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza (1967), et près de vingt ans après les accords d’Oslo (1993), Israël continue de coloniser la Palestine mandataire. Autrement dit, ni la lutte armée ni le combat politico-diplomatique n’ont réussi à réaliser l’autodétermination du peuple palestinien.
Face à l’intransigeance du gouvernement israélien et à la pusillanimité de la “communauté internationale”, comment réussir demain ce qui a échoué hier ? Cette question, née de l’échec même du prétendu “processus de paix”, de nombreux Palestiniens se la posent, et avec eux beaucoup de leurs amis à travers le monde. Et quand bien même l’Organisation des Nations unies, en cet automne 2011, accueillerait enfin l’Etat de la Palestine en son sein, la question de l’avenir institutionnel des deux peuples se trouvera au centre des futures négociations.
Clarifier les enjeux de ce débat, voilà le but de cet ouvrage collectif qui en approfondit toutes les dimensions : juridiques, démographiques, économiques, politiques et diplomatiques. Pour peser atouts et faiblesses des différentes solutions, neuf spécialistes, choisis à la fois pour leur compétence reconnue et la diversité de leurs sensibilités, font le point : Gadi Algazi, Isabelle Avran, Monique Chemillier-Gendreau, Youssef Courbage, Leila Farsakh, Farouk Mardam Bey, Julien Salingue, Dominique Vidal et Raef Zreik.
Historien et journaliste, Dominique Vidal a écrit de nombreux ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et son histoire, notamment Comment Israël expulsa les Palestiniens 1947-1949 (Editions de l’Atelier, Ivry-sur-Seine, 2008) et – avec Alain Gresh et Emmanuelle Pauly – Les 100 clés du Proche-Orient (Fayard, Paris, 2011). Il a aussi dirigé avec Bertrand Badie Nouveaux acteurs, nouvelle donne. L’Etat du monde 2012 (La Découverte, Paris, 2011).
Collectif sous la direction de Dominique Vidal
Coédition Sindbad / Institut des Etudes palestiniennes
Prix : 23,00 € En librairie le 2 novembre
A court terme, la crise requiert la plus grande attention. Mais par-delà ceci, les acteurs politiques ne devraient pas oublier les défauts de construction qui sont au fondement de l’union monétaire et qui ne pourront pas être levés autrement que par une union politique adéquate : il manque à l’Union européenne les compétences nécessaires à l’harmonisation des économies nationales, qui connaissent des divergences drastiques dans leurs capacités de compétition.
Le « pacte pour l’Europe » à nouveau renforcé ne fait que renforcer un vieux défaut : les accords non contraignants dans le cercle des chefs de gouvernements sont ou bien sans effets ou bien non démocratiques, et doivent pour cette raison être remplacés par une institutionnalisation incontestable des décisions communes. Le gouvernement fédéral allemand est devenu l’accélérateur d’une désolidarisation qui touche toute l’Europe, parce qu’il a trop longtemps fermé les yeux devant l’unique issue constructive que même la Frankfurter Allgemeine Zeitung a décrit entre-temps par la formule laconique : « Davantage d’Europe ». Tous les gouvernements concernés se retrouvent désemparés et paralysés face au dilemme entre d’une part les impératifs des grandes banques et des agences de notation et d’autre part leur crainte face à la perte de légitimation qui les menace auprès de leur population frustrée. L’incrémentalisme écervelé trahit le manque d’une perspective plus large.
Depuis que le temps de l’embedded capitalism est révolu et que les marchés globalisés de la politique s’évanouissent, il devient de plus en plus difficile pour tous les Etats de l’OCDE de stimuler la croissance économique et de garantir une répartition juste des revenus ainsi que la Sécurité sociale de la majorité de la population. Après la libération des taux de change, ce problème a été désamorcé par l’acceptation de l’inflation. Etant donné que cette stratégie entraîne des coûts élevés, les gouvernements utilisent de plus en plus l’échappatoire des participations aux budgets publics financées par le crédit.
La crise financière qui dure depuis 2008 a aussi figé le mécanisme de l’endettement étatique aux frais des générations futures ; et en attendant, on ne voit pas comment les politiques d’austérité – difficiles à imposer en politique intérieure – pourraient être mises en accord sur la longue durée avec le maintien du niveau d’un Etat social supportable. Les révoltes de la jeunesse sont un avertissement des menaces qui pèsent sur la paix sociale. Au moins a-t-on reconnu, dans ces circonstances, comme étant le défi véritable le déséquilibre entre les impératifs du marché et la puissance régulatrice de la politique. Au sein de la zone euro, un « gouvernement économique » espéré devrait redonner une force neuve au pacte de stabilité depuis longtemps évidé.
Les représentations d’un « fédéralisme exécutif » d’un type particulier reflètent la crainte des élites politiques de transformer le projet européen, jusque-là pratiqué derrière des portes closes, en un combat d’opinion bruyant et argumenté, obligeant à se retrousser les manches, et qui serait public. Au vu du poids des problèmes, on s’attendrait à ce que les politiciens, sans délai ni condition, mettent enfin les cartes européennes sur table afin d’éclairer de manière offensive la population sur la relation entre les coûts à court terme et l’utilité véritable, c’est-à-dire sur la signification historique du projet européen.
Ils devraient surmonter leur peur des sondages sur l’état de l’opinion et faire confiance à la puissance de persuasion de bons arguments. Au lieu de cela, ils s’acoquinent avec un populisme qu’ils ont eux-mêmes favorisé par l’obscurcissement d’un thème complexe et mal-aimé. Sur le seuil entre l’unification économique et politique de l’Europe, la politique semble retenir son souffle et rentrer la tête dans les épaules. Pourquoi cette paralysie ? C’est une perspective engluée dans le XIXe siècle qui impose la réponse connue du demos : il n’existerait pas de peuple européen ; c’est pourquoi une union politique méritant ce nom serait édifiée sur du sable. A cette interprétation, je voudrais en opposer une autre : la fragmentation politique durable dans le monde et en Europe est en contradiction avec la croissance systémique d’une société mondiale multiculturelle, et elle bloque tout progrès dans la civilisation juridique constitutionnelle des relations de puissance étatiques et sociales.
Etant donné que jusque-là l’UE a été portée et monopolisée par les élites politiques, une dangereuse asymétrie en a résulté – entre la participation démocratique des peuples aux bénéfices que leurs gouvernements « en retirent » pour eux-mêmes sur la scène éloignée de Bruxelles, et l’indifférence, voire l’absence de participation des citoyens de l’UE eu égard aux décisions de leur Parlement à Strasbourg. Cette observation ne justifie pas une substantialisation des « peuples ». Seul le populisme de droite continue de projeter la caricature de grands sujets nationaux qui se ferment les uns aux autres et bloquent toute formation de volonté dépassant les frontières. Après cinquante ans d’immigration du travail, les peuples étatiques européens, au vu de leur croissant pluralisme ethnique, langagier et religieux, ne peuvent plus être imaginés comme des unités culturelles homogènes. Et Internet rend toutes les frontières poreuses.
Dans les Etats territoriaux, il a fallu commencer par installer l’horizon fluide d’un monde de la vie partagé sur de grands espaces et à travers des relations complexes, et le remplir par un contexte communicationnel relevant de la société civile, avec son système circulatoire d’idées. Il va sans dire que cela ne peut se faire que dans le cadre d’une culture politique partagée demeurant assez vague. Mais plus les populations nationales prennent conscience, et plus les médias portent à la conscience, à quelle profondeur les décisions de l’UE influent sur leur quotidien, plus croîtra l’intérêt qu’ils trouveront à faire également usage de leurs droits démocratiques en tant que citoyens de l’Union.
Ce facteur d’impact est devenu tangible dans la crise de l’euro. La crise contraint aussi, à contrecoeur, le Conseil à prendre des décisions qui peuvent peser de façon inégale sur les budgets nationaux. Depuis le 8 mai 2009, il a outrepassé un seuil par des décisions de sauvetage et de possibles modifications de la dette, de même que par des déclarations d’intentions en vue d’une harmonisation dans tous les domaines relevant de la compétition (en politique économique, fiscale, de marché du travail, sociale et culturelle).
Au-delà de ce seuil se posent des problèmes de justice de la répartition, car avec le passage d’une intégration « négative » à une intégration « positive », les poids se déplacent d’une légitimation de l’output à une légitimation de l’input. Il serait donc conforme à la logique de ce développement que des citoyens étatiques qui doivent subir des changements de répartition des charges au-delà des frontières nationales, aient la volonté d’influer démocratiquement, dans leur rôle de citoyen de l’Union, sur ce que leurs chefs de gouvernement négocient ou décident dans une zone juridique grise.
Au lieu de cela nous constatons des tactiques dilatoires du côté des gouvernements, et un rejet de type populiste du projet européen dans son ensemble du côté des populations. Ce comportement autodestructeur s’explique par le fait que les élites politiques et les médias hésitent à tirer des conséquences raisonnables du projet constitutionnel. Sous la pression des marchés financiers s’est imposée la conviction que, lors de l’introduction de l’euro, un présupposé économique du projet constitutionnel avait été négligé. L’UE ne peut s’affirmer contre la spéculation financière que si elle obtient les compétences politiques de guidage qui sont nécessaires pour garantir au moins dans le coeur de l’Europe, c’est-à-dire parmi les membres de la zone monétaire européenne, une convergence des développements économiques et sociaux.
Tous les participants savent que ce degré de « collaboration renforcée » n’est pas possible dans le cadre des traités existants. La conséquence d’un « gouvernement économique » commun, auquel se complaît aussi le gouvernement allemand, signifierait que l’exigence centrale de la capacité de compétition de tous les pays de la communauté économique européenne s’étendrait bien au-delà des politiques financières et économiques jusqu’aux budgets nationaux, et interviendrait jusqu’au ventricule du coeur, à savoir dans le droit budgétaire des Parlements nationaux.
Si le droit valide ne doit pas être enfreint de façon flagrante, cette réforme en souffrance n’est possible que par la voie d’un transfert d’autres compétences des Etats membres à l’Union. Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont conclu un compromis entre le libéralisme économique allemand et l’étatisme français qui a un tout autre contenu. Si je vois juste, ils cherchent à consolider le fédéralisme exécutif impliqué dans le traité de Lisbonne en une domination intergouvernementale du Conseil de l’Europe contraire au traité. Un tel régime permettrait de transférer les impératifs des marchés aux budgets nationaux sans aucune légitimation démocratique propre.
Pour ce faire, il faudrait que des accommodements conclus dans l’opacité, et dépourvus de forme juridique, soient imposés à l’aide de menaces de sanctions et de pressions sur les Parlements nationaux dépossédés de leur pouvoir. Les chefs de gouvernement transformeraient de la sorte le projet européen en son contraire : la première communauté supranationale démocratiquement légalisée deviendrait un arrangement effectif, parce que voilé, d’exercice d’une domination post-démocratique. L’alternative se trouve dans la continuation conséquente de la légalisation démocratique de l’UE. Une solidarité citoyenne s’étendant à l’Europe ne peut pas se former si, entre les Etats membres, c’est-à-dire aux possibles points de rupture, se consolident des inégalités sociales entre nations pauvres et riches.
L’Union doit garantir ce que la Loi fondamentale de la République fédérale allemande appelle (art. 106, alinéa 2) : « l’homogénéité des conditions de vie ». Cette « homogénéité » ne se rapporte qu’à une estimation des situations de vie sociale qui soit acceptable du point de vue de la justice de répartition, non pas à un nivellement des différences culturelles. Or, une intégration politique appuyée sur le bien-être social est nécessaire pour que la pluralité nationale et la richesse culturelle du biotope de la « vieille Europe » puissent être protégées du nivellement au sein d’une globalisation à progression tendue.
(Traduit de l’allemand par Denis Trierweiler.)
Le texte
Ce texte est extrait de la conférence que Jürgen Habermas donnera à l’université Paris-Descartes (12, rue de l’Ecole-de-Médecine, 75006 Paris) dans le cadre d’un colloque organisé, le 10 novembre, par l’équipe PHILéPOL (philosophie, épistémologie et politique) dirigée par le philosophe Yves Charles Zarka. L’intégralité du texte sera publiée dans le numéro de janvier 2012 de la revue Cités (PUF).
Essai
Après l’Etat-nation
Produit de la centralisation monarchique et des révolutions modernes, l’État-nation apparaît aujourd’hui bien mal adapté à l’intégration économique mondiale. Les eurosceptiques, qui en revendiquent l’héritage et affirment sa pérennité, redoutent l’ouverture des frontières et appellent au refus de la mondialisation des échanges. Les eurolibéraux, qui se satisfont d’une Europe du Grand marché, n’ont que faire des structures politiques et se moquent des malheurs de nos Etats nationaux.
Les fédéralistes, qui revendiquent à la fois l’ouverture des frontières et la formation d’un espace politique intégré à l’échelle européenne, fondent leur position sur la nécessité d’élever le pouvoir politique à la hauteur de la puissance nouvelle de l’économie afin de lui faire contrepoids. Jürgen Habermas est de ceux-là, refusant tout à la fois le passéisme des premiers et l’aveuglement des seconds. Mais il va plus loin. Proche de ceux qui militent en faveur d’une démocratie cosmopolitique, il réfléchit aussi dans ce livre aux conditions qu’il est nécessaire de mettre en oeuvre une régulation mondiale.
Editions Fayard (2000), 14,5 euros
* A propos de l’auteur
Né en 1929, Jürgen Habermas est l’un des plus influents penseurs actuels, particulièrement dans les domaines des théories de la politique, de la société et du droit, ou encore de la connaissance, de la rationalité et de la communication. Son influence, réelle, s’appuie sur des interventions régulières dans les médias qui font de lui un intellectuel public. Il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages, dont l’essai Théorie de l’agir communicationnel, son ouvrage le plus célèbre, et le recueil Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique, dans lequel il pose la question de l’avenir de l’Etat-nation face aux défis de la mondialisation économique, en envisageant notamment sous cet angle le cas de l’Union européenne.