Le réalisateur Christophe Cotteret présente en avant-Première « Démocratie année zéro » qui retrace la fulgurante révolution du jasmin, des révoltes de 2008 aux premières élections libres.
A quelques jours des élections législatives tunisiennes qui se tiendront dimanche prochain, le documentaire Démocratie Année zéro réalisé par Christophe Cotteret sera projeté ce jeudi 23 octobre en avant-première à Montpellier. En deux chapitres et un an d’investigation le film distribué par Les films des deux rives s’appuie sur le regard des principaux opposants et acteurs à l’origine de la révolution tunisienne. Il apporte un éclairage nécessaire à la compréhension des événements.
Le réalisateur belge retrace l’histoire contemporaine depuis les révoltes du bassin minier de Gafsa en janvier 2008 aux premières élections libres d’octobre 2011 en passant par l’immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid qui a embrasé le monde arabe en précipitant la chute de Ben Ali, Moubarak et Kadhafi et en portant l’incendie à Bahreïn, au Yémen et en Syrie. Avec ce récit au long court du combat contre la corruption d’un pouvoir népotique jusqu’au processus de transition, Christophe Cotteret osculte la réalité tunisienne tout en interrogeant la capacité universelle d’un modèle révolutionnaire au XXIe siècle.
Trois ans plus tard, où en sont la liberté, la démocratie et la justice sociale revendiquées ? Dimanche, les Tunisiens sont appelés à choisir les 217 membres de leur première Chambre des représentants du peuple, élue en vertu de la Constitution du 27 janvier 2014. 1327 listes électorales se disputent la sympathie de 5 236 244 électeurs. Ce nombre colossal de listes candidates fait planer le risque d’une dispersion des voix, comme ce fut le cas en 2011.
On s’attend à un fort taux d’abstention qui s’explique en partie par la non-inscription sur les listes électorales mais surtout par la pauvreté des propositions politiques. Le parti musulman Ennahdha et le parti social- démocrate de Nida Tounes devraient se partager la majorité des suffrages mais aucun n’obtiendra la majorité absolue.
Le peu d’intérêt des Tunisiens pour ces élections pourrait paraître inquiétant dans une démocratie naissante mais comme l’analyse l’écrivain Gilbert Naccache* dans le film c’est une révolution de la société civile contre la société politique toute entière, la première du XXI siècle.
Jean-Marie Dinh
* voir les propos de Gilbert Naccache dans la bande annonce du film.
Entretien avec Christophe Cotteret
D’où est partie l’idée du film ?
Je me trouvais à Tunis quelques mois avant le déclenchement de la révolution. On sentait les événements venir. J’ai rencontré plusieurs futurs protagonistes de la révolution avant le 17 décembre avec qui je suis resté en contact. Cela m’a donné envie de travailler sur cette histoire en revenant sur les bases pour restituer un récit sur le long terme.
Le film démarre en 2008 avec la révolte des mineurs de la région Gafsa, épicentre du mouvement, qui cumule deux problèmes majeurs, disparité régionale et pauvreté…
Dans le sud-ouest, la ville de Redeyef est un bastion ouvrier dont le pouvoir s’est toujours méfié. Ce n’est pas la région la plus pauvre mais elle rencontre de grandes difficultés en partie liées à l’exode lybien. Les événements de 2008 sont très importants. Ils annoncent des transformations dans la lutte sociale comme l’occupation par de jeunes chômeurs du siège régional de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui débouche sur une transformation de l’action syndicale.
L’unité de la population et notamment l’action des femmes s’est avérée déterminante …
Oui, ouvriers, chômeurs, lycéens et habitants ont multipliés les grèves et les actions. A propos de la Tunisie, on a parlé de révolution de palais et de manipulation américaine mais tout est parti d’un petit noyau d’activistes. Quatre personnes entraînent quatre autres personnes et si la police, envoyée sur place pour réprimer, tue cela passe à 400 personnes puis 800 et le mouvement s’étend rapidement passant des révoltes à une révolution.
Dans la seconde partie, vous suivez les jeunes acteurs de la transition politique dont l’arme la plus redoutable a été la circulation de l’info. Elle a aujourd’hui trouvé ses limites ?
Cette jeunesse est dépossédée de son pouvoir politique et elle peine aujourd’hui à réunir 100 personnes mais elle a grandement contribué à sortir de la dictature. Durant le mouvement ce ne sont pas les réseaux sociaux qui ont permis la chute de Ben Ali, ce sont les activistes qui ont utilisé ce médium. Après le renversement du régime les réseaux sociaux sont devenus un lieu de désinformation utilisé par tous les partis. Le problème de l’information concerne aussi la formation des journalistes. Quand vous avez relayé les infos du ministère de l’Intérieur pendant des décennies, vous ne devenez pas du jour au lendemain un journaliste d’investigation.
Avec l’entrée médiatisée d’Ennahdha dans la campagne vous évoquez la remise sur le devant de la scène d’une problématique qui arrange tous les partis et rassure sur la portée des réformes…
Dans un pays où la majorité de la population se déclare religieuse, cette question doit être abordée globalement. Ennahdha regroupe des franges de la population qui correspondent à un vrai électorat. Pour les partis musulmans radicaux ce parti s’éloigne de la pratique des «bons musulmans», pour les laïques il va restreindre dangereusement les libertés tandis que les libéraux y voit un cheval de Troie potentiel pour le retour de l’ancien régime.
Mais la vraie question c’est de réduire le chômage et relancer l’économie partout dans le pays.
Recueilli par JMDH
Source : La Marseillaise 23/10/2014
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