Cinemed. Standing aside watching. Un retour aux sources d’Antigone

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Antigone révèle les tensions et le pouvoir corrompus qui paralysent. Photo dr

« C’est mon premier film. Je n’ai pas réalisé de court-métrage auparavant », confie Yorgos Servetas. Ce jeune trentenaire athénien signe Standing aside watching, un film qu’il plante au coeur de la province voisine de Thèbes pour évoquer la déliquescence actuelle de la société grecque. « On voit mieux ce qui se passe que dans une métropole. Les choses apparaissent de manière plus lisible. En province il y a moins de distance entre la population et l’autorité.»

Référence subtile à la tragédie grecque classique, le film met en scène une Antigone du XXIème siècle qui quitte la capitale pour retrouver les sources de sa ville natale. Petit village de bord de mer où elle pense endiguer ses problèmes économiques et renouer quelque peu avec le sens des choses. Elle arrive dans une ville fantôme, à commencer par la gare où un vieil homme assis qui pourrait tenir le rôle du coryphée, lui prédit une tempête à venir. Dehors les bâtiments sont couverts de graffitis et la forêt a brûlé.

Antigone trouve un job d’institutrice, retrouve ses amis Eleni, et Dimitri, et répond aux avances  du beau et jeune Nikos qui travaille à la casse. Mais la tension est perceptible et sa personnalité de feu va vite se révéler incompatible avec le monde rural qui s’est assombri depuis son départ.

Le village heureux d’autrefois a laissé place à la violence et à l’intolérance. Comme dans la pièce de Sophocle, elle s’oppose au tenant du pouvoir incarné par Nondas, le patron de la casse, un repris de justice qui exerce sa domination sordide sur la population avec la complicité du responsable de la police.

Le réalisateur use du parallèle entre la nature à l’abandon et la désespérance des habitants résignés qui permet à Nondas d’exercer le pouvoir paralysant sur leur vie. « Seuls les Pakistanais arrivent, d’ici on ne peut que partir », lâchera l’homme de la gare au départ d’Antigone. « Pour moi, il incarne l’ancienne bourgeoisie du berceau de laquelle naît le fascisme », signale Yorgos Servetas qui met à jour le thème de la rébellion morale et offre une vision renouvelée de l’austérité contemporaine.

JMDH

Source : L’Hérault du Jour La Marseillaise 31/10/2014

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Cinemed. A bord d’une odyssée féminine

FX RosanvallonCompétition. « Fidélio, l’odyssée d’Alice », le premier long métrage de Lucie Borleteau privilégie la relation humaine.

Cette 36e édition du Cinemed donne une belle place aux jeunes réalisateurs et en l’occurrence aux réalisatrices avec le premier long-métrage de Lucie Moreau qui présente Fidélio, l’Odyssée d’Alice* en compétition pour l’Antigone d’Or. Née en 1980 à Epson en Grande-Bretagne, Lucie Moreau a travaillé avec Arnaud Desplechin et Claire Denis sur le scénario de White Matérial. Deux figures marquantes du cinéma d’auteur français dont le langage, un rien subversif, s’émancipe des contraintes pour réinventer ; l’antithèse, en somme, de Mélanie Laurent.

Après trois moyens-métrages, Lucie Moreau signe un superbe portrait de femme interprété par Ariane Labed qui a remporté pour ce rôle, le prix d’interprétation féminine du festival de Locarno. Ariane Labed coule dans son rôle de marin comme un poisson dans l’eau. Elle a surtout tourné en Grèce où elle vit actuellement. Encore peu connue en France, elle a déjà reçu la Coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise en 2010 pour son rôle dans Attenberg, de la cinéaste grecque Athina Rachel Tsangari.

Vent nouveau

Alice, 30 ans est une mécanicienne confirmée qui embarque à bord du cargo le Fidélio pour remplacer un homme qui vient de mourir dans des circonstances non élucidées. Elle trouve dans sa cabine le carnet intime de son prédécesseur dont la lecture va résonner avec sa propre histoire.

Lucie Moreau tire habilement partie des contraintes d’espace et des conditions de tournage qui imposent à toute l’équipe de se soumettre au rythme du bateau. Ses images nous entraînent dans un rapport quasi organique avec l’embarcation, soutenu par un travail remarquable du son. Dans ce contexte, qui laisse du temps pour réfléchir et prendre du recul, la réalisatrice nous invite à suivre le voyage intérieur d’Alice. Un autre périple, prend forme à travers les moments de convivialité, de doute, de désir sexuel et de mélancolie amoureuse vécus par la jeune femme dans un univers exclusivement masculin.

Présente à Montpellier, Lucie Moreau évoque « le regard d’Alice sur les hommes » et le plaisir qu’elle a pris à filmer « leur charme et leur maladresse… » Une juste façon d’inverser la problématique que poserait une femme libre au milieu d’un équipage masculin. « Durant le tournage, j’ai aussi pris conscience de la dimension politique du film qui apparaît en toile de fond : la marine marchande est un champ d’expérimentation pour la mondialisation qui paye à qualification égale des salaires différents en fonction des nationalités.»

Dans l’Odyssée d’Homère ce sont les vents, parfois les lyres qui guident l’orientation du navire. Dans celle d’Alice, ce sont les sirènes du désir et de la bourse qui fixe le cap.

Jean-Marie Dinh

Source L’Hérault du Jour 30/10/2014

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Montpellier,

*Sortie le 24 décembre.

Cinemed. Atlit de Shirel Amitay : « Soyons nombreux à parler de paix »

Trois actrices différentes et remarquables. photo dr

Trois actrices différentes et remarquables. photo dr

Compétition long-métrage. Atlit, premier long-métrage ambitieux et profond de
Shirel Amitay. La réalisatrice explore les blocages invisibles au processus de paix.

En compétition long-métrage pour l’Antigone d’Or, Shirel Amitay signe avec Atlit* un premier opus d’une grande maîtrise. Après le décès de leurs parents, trois soeurs (Géraldine Nakache, Judith Chemia), se retrouvent en Israël pour la vente de la maison familiale. L’action se situe deux ans après la signature des accord d’Oslo, en 1995, à 10 jours de la grande manifestation pour la paix qui mit fin au processus pacifique du dialogue israélo-palestinien avec l’assassinat du 1er ministre Yitzhak Rabin.

Le récit qui soulève le problème de la transmission entre les trois soeurs au sein d’une cellule familiale prend pied sur un territoire intime à l’orée duquel s’ouvre une parabole cinématographique qui met en question l’idéologie collective enfouie à l’origine du revirement belliqueux d’Israël.

Rencontre avec Shirel Amitay

Shirel Amitay

Shirel Amitay

« Je voulais parler de la Paix, explique la réalisatrice, et situer l’action du film à un moment où Israël avait trouvé en Rabin un père pour l’évoquer

Dans le film on voit Rabin plaisanter en public sur la propension d’Arafat à parler qui en fait « presque un juif » selon lui. « Je ne tiens pas un propos proprement politique. La seule chose que j’ai envie de dire, c’est : soyons nombreux à parler de paix. Cet extrait montre la proximité où nous étions parvenus dans le dialogue avec les Arabes. Nous avons besoin d’avoir des parents responsables mais aujourd’hui le père est mort. »

Atlic met à jour le conflit entre les trois soeurs. Dans la maison familiale, l’aînée tient le rôle de gardienne du temple. « Elle représente la génération qui défend la mythologie d’État et l’idée selon laquelle les juifs sont arrivés sur une terre vierge et qu’ils ont tout construit. La cadette vit au présent, elle se sent bien ainsi et veut oublier le passé, tandis que la benjamine se dit pas du tout concernée. Elle veut juste vendre la maison pour aller courir le monde. Mais aucune des trois n’assume vraiment sa vie. »

La présence fantomatique des parents est une des clés du film. « Face au visible, je voulais évoquer la part d’invisible qui est une permanence dans l’histoire des familles et dans l’histoire d’Israël. Les parents parlent simplement tandis que les soeurs restent dans leurs histoires mais cette confrontation va permettre aux enfants de retrouver la paix, de libérer leur espace intérieur pour recevoir et donner de l’amour. »

Comment réagir face à la mobilisation des pro-palestiniens qui ont perturbé une séance du festival ?

« Let’s talk. Les ombres portées sont très lourdes. On a vu des slogans véhiculés de parts et d’autres par des milliers de fantômes dans les événements tragiques de cet été. On est toujours très prompts à distribuer les bons et les mauvais points. Je pense qu’il faut converser l’espoir de voir les choses autrement. »

Jean-Marie Dinh

Source : L’Hérault du Jour 28/10/2014

w * Sortie le 21 janvier 2015.

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Israël, rubrique Rencontres,

Angelin Prejocaj Empty moves. Mouvements et mots

empty-moves-car-0293-jean-claude-carbonne-jpgDanse. Empty moves (parts I, II,& III), la pièce d’Angelin Preljocaj, a ouvert la saison de Montpellier Danse.

Certains ont découvert l’intégrale d’Empty moves lors du festival cet été, mais beaucoup l’on fait cette semaine à Grammont où la pièce d’Anjelin Preljocaj était reprogrammée en raison d’annulations successives liées aux conflits des intermittents et précaires.

L’opus s’inscrit dans le registre des pièces où la recherche narrative intrinsèque à la démarche du chorégraphe, s’avère plus risquée, ce qui la rend intéressante.

On ne sait trop pourquoi l’événement troublant et absolu créé en 1977 au Teatro Lirico de Milan, où le furieux John Cage donna une performance à partir du texte La désobéissance civile de Henry-David Thoreau sous les invectives continues du public, trouve grâce aux yeux d’Anjelin Preljocaj. Elle est cependant à l’origine d’une volonté de transcription par le mouvement qui précède le langage et la trace écrite.

Sur cette bande sonore sans musique le chorégraphe propulse quatre danseurs animés par une énergie qui puise dans l’unité du groupe. 2+2, 1+3, 4, on lit dans les changements de gravitation la force vertigineuse du collectif poussée par l’exigence. Toujours en écho avec ce qui se passe, les danseurs font face, résistent, persistent, alors que la perfection  des figures qu’ils dessinent dans l’espace ne cesse d’être mise en question par le temps et la fatigue.

On entre dans le corps matériel pour aller jusqu’au trou noir de la géographie intérieure. Preljocaj restitue quelque chose de l’Histoire. Seule manque l’interaction extraordinaire entretenue par Cage avec un public populaire, peut-être ce que n’a pu rendre la mémoire…

JMDH

Source : L’Hérault du Jour 25/10/2014

Voir aussi : Rubrique Danse, rubrique Montpellier,

 

 

Les espoirs du peuple tunisien toujours d’actualité

L’implication totale des femmes tunisiennes a été et reste déterminant pour la démocratie. Photo DR.

Le réalisateur Christophe Cotteret présente en avant-Première « Démocratie année zéro » qui retrace la fulgurante révolution du jasmin, des révoltes de 2008 aux premières élections libres.

A quelques jours des élections législatives tunisiennes qui se tiendront dimanche prochain, le documentaire Démocratie Année zéro réalisé par Christophe Cotteret sera projeté ce jeudi 23 octobre en avant-première à Montpellier. En deux chapitres et un an d’investigation le film distribué par Les films des deux rives s’appuie sur le regard des principaux opposants et acteurs à l’origine de la révolution tunisienne. Il apporte un éclairage nécessaire à la compréhension des événements.

Le réalisateur belge retrace l’histoire contemporaine depuis les révoltes du bassin minier de Gafsa en janvier 2008 aux premières élections libres d’octobre 2011 en passant par l’immolation de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid qui a embrasé le monde arabe en précipitant la chute de Ben Ali, Moubarak et Kadhafi et en portant l’incendie à Bahreïn, au Yémen et en Syrie. Avec ce récit au long court du combat contre la corruption d’un pouvoir népotique jusqu’au processus de transition, Christophe Cotteret osculte la réalité tunisienne tout en interrogeant la capacité universelle d’un modèle révolutionnaire au XXIe siècle.

Trois ans plus tard, où en sont la liberté, la démocratie et la justice sociale revendiquées ? Dimanche, les Tunisiens sont appelés à choisir les 217 membres de leur première Chambre des représentants du peuple, élue en vertu de la Constitution du 27 janvier 2014. 1327 listes électorales se disputent la sympathie de 5 236 244 électeurs. Ce nombre colossal de listes candidates fait planer le risque d’une dispersion des voix, comme ce fut le cas en 2011.

On s’attend à un fort taux d’abstention qui s’explique en partie par la non-inscription sur les listes électorales mais surtout par la pauvreté des propositions politiques. Le parti musulman Ennahdha et le parti social- démocrate de Nida Tounes devraient se partager la majorité des suffrages mais aucun n’obtiendra la majorité absolue.

Le peu d’intérêt des Tunisiens pour ces élections pourrait paraître inquiétant dans une démocratie naissante mais comme l’analyse l’écrivain Gilbert Naccache* dans le film c’est une révolution de la société civile contre la société politique toute entière, la première du XXI siècle.

Jean-Marie Dinh

* voir les propos de Gilbert Naccache dans la bande annonce du film.

Entretien avec Christophe Cotteret

f1Unzka6D’où est partie l’idée du film ?

Je me trouvais à Tunis quelques mois avant le déclenchement de la révolution. On sentait les événements venir. J’ai rencontré plusieurs futurs protagonistes de la révolution avant le 17 décembre avec qui je suis resté en contact. Cela m’a donné envie de travailler sur cette histoire en revenant sur les bases pour restituer un récit sur le long terme.

Le film démarre en 2008 avec la révolte des mineurs de la région Gafsa, épicentre du mouvement, qui cumule deux problèmes majeurs, disparité régionale et pauvreté…

Dans le sud-ouest, la ville de Redeyef est un bastion ouvrier dont le pouvoir s’est toujours méfié. Ce n’est pas la région la plus pauvre mais elle rencontre de grandes difficultés en partie liées à l’exode lybien. Les événements de 2008 sont très importants. Ils annoncent des transformations dans la lutte sociale comme l’occupation par de jeunes chômeurs du siège régional de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui débouche sur une transformation de l’action syndicale.

L’unité de la population et notamment l’action des femmes s’est avérée déterminante …

Oui, ouvriers, chômeurs, lycéens et habitants ont multipliés les grèves et les actions. A propos de la Tunisie, on a parlé de révolution de palais et de manipulation américaine mais tout est parti d’un petit noyau d’activistes. Quatre personnes entraînent quatre autres personnes et si la police, envoyée sur place pour réprimer, tue cela passe à 400 personnes puis 800 et le mouvement s’étend rapidement passant des révoltes à une révolution.

Dans la seconde partie, vous suivez les jeunes acteurs de la transition politique dont l’arme la plus redoutable a été la circulation de l’info. Elle a aujourd’hui trouvé ses limites ?

Cette jeunesse est dépossédée de son pouvoir politique et elle peine aujourd’hui à réunir 100 personnes mais elle a grandement contribué à sortir de la dictature. Durant le mouvement ce ne sont pas les réseaux sociaux qui ont permis la chute de Ben Ali, ce sont les activistes qui ont utilisé ce médium. Après le renversement du régime les réseaux sociaux sont devenus un lieu de désinformation utilisé par tous les partis. Le problème de l’information concerne aussi la formation des journalistes. Quand vous avez relayé les infos du ministère de l’Intérieur pendant des décennies, vous ne devenez pas du jour au lendemain un journaliste d’investigation.

Avec l’entrée médiatisée d’Ennahdha dans la campagne vous évoquez la remise sur le devant de la scène d’une problématique qui arrange tous les partis et rassure sur la portée des réformes…

Dans un pays où la majorité de la population se déclare religieuse, cette question doit être abordée globalement. Ennahdha regroupe des franges de la population qui correspondent à un vrai électorat. Pour les partis musulmans radicaux ce parti s’éloigne de la pratique des «bons musulmans», pour les laïques il va restreindre dangereusement les libertés tandis que les libéraux y voit un cheval de Troie potentiel pour le retour de l’ancien régime.

Mais la vraie question c’est de réduire le chômage et relancer l’économie partout dans le pays.

Recueilli par JMDH

Source : La Marseillaise 23/10/2014

Voir aussi : Rubrique Cinéma, rubrique Tunisie, La faiblesse du président Marzouki, Les éditocrates repartent en guerre, rubrique PolitiqueMoyen Orient, Agiter le peuple avant de s’en servir, rubrique Rencontre, Nadia El Fani,