Depuis
En France, les auteurs de BD ont défilé cette année au festival d’Angoulême pour dénoncer la précarisation croissante de leur situation. Sur 1 300 auteurs de BD professionnels, seule une cinquantaine en vivrait à peu près bien, les autres se débrouillant avec un peu moins qu’un smic.
« Spirale de paupérisation »
La Société des gens de lettres, qui représente des auteurs littéraires, alerte elle aussi sur une « spirale de paupérisation », liée à « une baisse des tirages, une baisse des à-valoir, et une baisse des pourcentages de droits d’auteur ».
illeurs, même chose : en Grande-Bretagne, une récente étude indique que le revenu médian des auteurs professionnels (qui tirent plus de 50% de leurs revenus de leur plume) est inférieur au salaire minimum.
Face à cette situation, c’est à l’Etat de réagir, en finançant des dispositifs pour assurer à certains des carrières viables.
C’est la thèse soutenue par un récent essai, intitulé « La Culture n’est pas gratuite » (« Culture isn’t free ») et publié dans une revue américaine d’inspiration marxiste, Jacobin.
Témoignages de dèche
Miranda Campbell, professeure d’art et auteure de l’essai, prend comme point de départ la recrudescence des témoignages de dèche d’artistes connus et moins connus.
Ceux-ci prennent le contre-pied du mythe de la bohème (pauvre mais libre) et détaillent les misères de leur vie sans argent. Tant il est vrai que vivre sans chauffage n’est marrant que dans une chanson d’Aznavour.
« De plus en plus d’écrivains rejettent l’idée bohème selon laquelle les artistes devraient fuir le capital économique pour poursuivre l’art pour l’art. […] Parler de combien on est payé pour un projet créatif, et même le quantifier précisément, est en train de devenir à la mode. »
L’article donne comme exemple les récentes déclarations de l’auteur britannique Rupert Thompson (expliquant qu’à 60 ans, il ne pouvait plus vivre de ses livres pour la première fois), de David Byrne des Talking Heads retirant sa musique de Spotify ou encore du groupe de rock indé Grizzly Bear, internationalement reconnu mais pour autant toujours obligé de compter ses sous.
En France, plusieurs auteurs de BD ont expliqué publiquement pourquoi ils abandonnaient un métier qui les passionnait mais ne leur permettait pas de vivre.
Peu d’empathie
Ces récits, qui montrent la réalité peu glamour du métier d’artiste, font-ils pour autant avancer la question de la juste rémunération des auteurs ?
Non, répond Miranda Campbell. Car ils sont trop facilement réductibles à des cas singuliers, susceptibles de prêter le flanc à la critique personnelle. De fait, les plaintes des artistes ne suscitent pas vraiment l’empathie chez les internautes qui commentent leurs témoignages.
Car ceux-ci sont prompts à souligner qu’il faut être naïf pour croire qu’on peut vivre de sa plume, que les auteurs qui chouinent n’ont qu’à prendre un vrai boulot comme tout le monde, ou encore que s’ils étaient vraiment bons, ils vendraient, c’est tout…
En France, les auteurs de BD mobilisés ont ainsi été stupéfaits de découvrir les violentes réactions de certains internautes face à leur mobilisation.
Un enjeu de société
C’est pourquoi, explique l’auteur, il faut penser cette question de façon politique. Car le problème n’est pas celui des artistes qui ne peuvent payer leur loyer mais celui de la place de l’art dans la société.
Si on laisse décliner les revenus des artistes jusqu’au point où de moins en moins de gens choisiront cette carrière, on laissera de fait l’art aux mains des plus aisés.
Que faut-il faire ? Plutôt que d’appeler à l’extension du droit d’auteur, Miranda Campbell, s’appuyant sur les travaux de plusieurs critiques, en appelle à l’intervention de l’Etat :
- financer des institutions publiques tels des espaces de travail partagé ou des logements à prix modérés ;
- protéger les petits lieux qui prennent des risques et exposent des auteurs inconnus ;
- réfléchir au revenu de base universel, qui permettrait à tous les volontaires de s’investir dans des projets non lucratifs, artistiques ou autres.
Même si la situation n’est pas nouvelle
Bien sûr, on peut rétorquer :
- que les auteurs ont rarement vécu de leur plume et que la majorité des écrivains, par exemple, ont un second métier (c’est « la double vie des écrivains », selon le sociologue Bernard Lahire) ;
- que, parmi les auteurs du XIXe siècle qui sont passés à la postérité, beaucoup étaient rentiers (cf. Flaubert, Baudelaire, Proust pour ne citer que les plus connus) ;
- que la multiplication contemporaine des titres publiés et du nombre d’aspirants artistes y est aussi pour quelque chose ;
- que les carrières artistiques sont risquées par essence et qu’il pourrait être contre-productif de vouloir les subventionner.
Pour autant, il est vrai que la rémunération des auteurs est bien une question politique, qui pose en filigrane celle des activités non immédiatement rentables et des économies du don.
Qu’il s’agisse d’investissements de l’Etat – qui subventionne déjà largement la culture – ou d’expérimentations comme la licence globale ou le revenu minimum de base, tout modèle viable de rémunération sera aussi une décision politique et sociale sur la valeur que nous voulons donner à l’art.