Tuggener entre réalité et suggestions sceptiques

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Montpellier Photographie. A découvrir l’exposition Fabrik : une épopée industrielle 1933-1953 consacrée au photographe Jakob Tuggener au Pavillon Populaire jusqu’au 18 octobre 2015.

Par JMDH

Contraste au Pavillon Populaire de Montpellier après l’expo “La vie en Kodak de 1950 à 1970”, qui idéalisait en colorimétrie un modèle de société en pleine expansion. On traverse la vitrine du rêve américain pour toucher la réalité des ouvriers dans leur environnement professionnel avec « Fabrik : une épopée industrielle 1933/1953 », une exposition consacrée au photographe suisse Jakob Tuggener sous la direction artistique de Gilles Mora et le commissariat de Martin Gasser.

Changement de thème, d’époque, passage de la couleur au noir et blanc et retour à une ligne artistique, souvent perturbée pour ce haut lieu de la photographie d’art en province qui peine à creuser sa ligne de force en alternant radicalement les esthétiques pour ne déplaire à personne. Au même titre que les américains Brassaï et Eugène Smith, Jakob Tuggener est un photographe de terrain passionné qui a su capturer l’essence de son époque en apportant un regard libre et singulier qui le place aujourd’hui comme une référence dans l’histoire de la photographie.

L’art subjectif de dire

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Employé de l’usine allemande MFO (Ateliers de construction mécanique Oerlikon) qui tourne à plein régime mais connaît quelques problèmes d’encadrement. On attend de son travail photographique qu’il réduise le fossé entre les travailleurs et la direction. Lui ne souhaite rien moins que de rendre photographiquement tous les aspects de son usine.

Les machines, les murs de briques, les toits de zinc, attestent par leur gigantisme d’un glorieux environnement industriel. Tout fonctionne mais la dimension subjective des images de Jakob Tuggener laisse penser que les machines pourraient s’emballer à l’image des valeurs virtuelles du marché toujours en convalescence après la crise de 1929.

Quand l’artiste montre les chaînes de production, il n’omet pas de présenter les stocks de munitions qui s’accumulent en Allemagne. Sa notion du temps passe par les horloges de pointages qui nous ramènent aux hommes. A l’instar de la photo de l’affiche de l’exposition montrant Berti la coursière qui presse le pas de bon matin après que le lourd portail de l’usine se soit fermé dans son dos. Le gardien lui aura sans doute fait une réflexion sur son retard.

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Loin du réalisme socialisme, l’univers discret et onirique de Tuggener qui fut aussi réalisateur, procède par une mise en exergue des symboles proches du cinéma expressionniste.

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Une carrière sous l’angle de la passion

 

Présence du photographe dans le regard de son modèle. photo dr

Présence du photographe dans le regard de son modèle. photo dr

Jakob Tuggener débute sa vie professionnelle en tant que dessinateur industriel à Zurich. 1930-1931 il étudie à Berlin puis s’initie au graphisme, à la typographie, au dessin et au cinéma à l’école des arts et métiers en Allemagne. A son retour en Suisse, il travaille comme photographe industriel. En 1934 Tuggener achète un Leica et photographie pour la première fois le Grand Bal russe à Zurich.

Le thème du bal qui le fascine revient durant sa carrière. Il a photographié de nombreux bals en Suisse dans le Grand Hôtel de Zurich où à l’Opéra de Vienne. Il se consacre également à des sujets de la vie quotidienne et s’éprend  de la relation entre l’Homme et la machine. En 1943, Tuggener publie un essai photographique Fabrik (Usine ) relatant la relation de l’Homme dans le monde industriel des machines. Cet ouvrage le propulse dans l’avant-garde de la photographie suisse en dépit des critiques de l’époque qui rejettent son innovation artistique.

Après la Seconde Guerre mondiale ses photos sont exposées au Musée d’Art Moderne de New York et publiées dans le magazine photographie Leica. Une grande exposition rétrospective lui est consacrée en 1969 à Munich. Tuggener a développé un style poétique qui est devenu un modèle pour nombre de jeunes photographes se réclamant de la photographie subjective.

L’exposition de Montpellier puise partiellement dans les maquettes des livre Métal noir 1935-50 et Le temps de la machine 1942-51. Projets de livres que Tuggener n’est jamais parvenu à publier de son vivant. Parmi ces images, certaines seront exposées pour la toute première fois.

Au Pavillon Populaire. Entrée libre

Source La Marseillaise.

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JO de 1968 : deux poings levés… et un troisième homme, acteur lui aussi

(Anonymous/AP/SIPA)

(Anonymous/AP/SIPA)

Ces photos mythiques qui ont marqué l’histoire – Aujourd’hui, les poings levés de Tommie Smith et John Carlos, lors des JO de 1968.

 

Un geste de défi

 

1968, année césure. Même si l’événement se veut apolitique, les Jeux olympiques de Mexico ne sont pas épargnés par la bourrasque de révolte qui souffle alors. Sur cette photo, restée gravée dans les esprits, deux des trois gagnants de la très prisée épreuve du 200 mètres brandissent un poing ganté de noir, les yeux rivés vers le sol.

Il s’agit de Tommie Smith et de John Carlos, respectivement premier et troisième, qui s’érigent ce jour-là contre le racisme et l’exclusion dont sont toujours victimes les afro-américains aux Etats-Unis. Le geste en soi peut sembler banal. Mais ce 17 octobre 1968, les deux athlètes défient leur pays et la bienséance des Jeux sous les caméras du monde entier, par ce triomphe honteux et accusatoire. Le scandale sera immédiat, et les sanctions aussi cinglantes que l’écho.

« Dénoncer l’injustice »

 

La ségrégation, théoriquement abolie en 1964 par le Civil Rights Act, est encore bien présente dans les mentalités en 1968. L’intolérance et les crimes racistes empoisonnent toujours l’intégration de la communauté noire : le 4 avril, soit cinq mois avant les JO, Martin Luther King est assassiné, et une énième vague d’émeutes embrase le pays qui semble éternellement promis à la violence. Il y a une quarantaine de morts.

Tommie Smith et John Carlos, s’ils n’appartiennent pas de fait à l’un des groupes du Black Power, en deviennent les emblèmes. Ce fameux poing levé, ceint de noir, est en fait l’apanage d’une des formations les plus actives et radicales de l’époque, le Black Panther Party. Et si c’est ce geste qui laissera l’opinion bouche bée, les athlètes ne s’en sont pas contentés. Leur regard, qui se détourne du drapeau américain pendant que l’hymne national retentit fièrement, guide le nôtre vers leurs pieds drapés de longues chaussettes noires.

Ceci, énoncera Tommie Smith, « n’a d’autre but que de dénoncer la pauvreté des noirs américains ». Pareillement, le foulard qu’il porte ainsi que le maillot ouvert de son camarade John Carlos sont des références explicites au lynchage et l’esclavage des leurs. Un asservissement dont les chaînes jugulent encore la liberté des afro-américains.

Un impact instantané

 

Ce moment, figé par le photographe John Dominis, ne laisse pas apparaître l’incroyable agitation qui s’ensuit. Car l’effet escompté ne se fait pas attendre. Les audacieux coureurs viennent, en un instant, de clamer en silence la souffrance et l’injustice séculaires de tout un peuple, sous les yeux du monde entier. La foule hurle, crache, les organisateurs hoquètent.

Tommie Smith et John Carlos sont aussitôt sanctionnés

 

Le poing levé de Tommie Smith et de John Carlos, leur vaut de passer du statut de star à celui de paria. Leur punition est impitoyable. Dès le lendemain, ils sont bannis du village olympique par le président des jeux, L’Américain Avery Brundage. Celui-ci est intraitable en ce qui concerne l’immixtion du politique au sein de la plus grande compétition sportive.

Leurs carrières de sprinteurs prennent aussitôt fin: d’abord suspendus temporairement, ils sont ensuite interdits de compétition à vie. Tommie Smith vient pourtant d’établir un nouveau record du monde. Il a parcouru les 200 mètres en 19,83 secondes. Une telle célérité ne sera jamais surpassée avant 1979, et 1984 dans le cadre des Jeux olympiques.

Du podium à l’enfer

 

Les choses empirent après 1968. Boycottés par les médias, les deux héros honnis voient leur quotidien se dégrader. Eux et leurs familles reçoivent quotidiennement des menaces de mort. Smith se fait tout bonnement « virer » de son emploi de laveur de voitures. Trouver un autre emploi s’avère quasi-impossible. Même l’armée lui refuse son entrée. Sa femme divorce, alors que les poches du médaillé d’or sont vides de toute pièce. John Carlos subit le même sort: il reste sans aucun travail, sa femme finit par se suicider.

Il faudra attendre la fin des années 80 pour que le monde daigne reconnaître leur action, et esquisser un geste de pardon. Leur courage ne sera véritablement honoré que dans les années 90-2000.

Le « troisième homme », acteur à part entière

 

Si l’attention s’est portée de fait sur la mutique provocation des deux afro-américains, ce sont pourtant trois hommes qui se dressent sur le podium photographié par John Dominis. Ce troisième, c’est l’Australien Peter Norman, qui a doublé Carlos dans les derniers mètres. Et contrairement à ce que sa posture conventionnelle laisse à penser, il est un acteur à part entière de la scène.

L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.

Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.

Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.

Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.

L’idée est bien celle de Tommie Smith. Mais c’est en l’entendant converser avec John Carlos que l’Australien propose de rallier leur cause, estimant que ce combat « est aussi celui de l’Australie blanche ». Ceux-ci lui demandent s’il « croit aux droits de l’homme » et « en dieu ». Norman acquiesce, et se munit du badge de « l’Olympic project for humans rights » qu’arborent d’autres sportifs noirs. On l’aperçoit nettement sur le cliché. C’est même lui qui suggérera que Smith et Carlos se partagent une seule paire de gants, le second ayant oublié sa paire.

Aussi, si Peter Norman jouit d’une moindre aura que de ses camarades – avec qui il restera lié pour la vie, sa bravoure est tout aussi exemplaire. Respectueux d’une lutte qui le dépasse, il fera quand même les frais de sa discrète audace. Il ne sera certes pas exclu du village olympique le lendemain. Il ne sera pas non plus explicitement renié par la fédération australienne, qui lui laissera l’espoir d’un avenir d’athlète.

Mais à défaut d’être lynché par l’opinion, il est privé des jeux de 1972 par les autorités, malgré sa qualification et ses performances irréprochables. Obtenir une médaille d’or est un songe désormais lointain, balayé pour des raisons obscures. Peter Norman retourne à son ancien travail d’enseignant, qu’il perdra quelque temps après pour des raisons tout aussi vagues. A nouveau, un rêve est brisé, pour le soutien d’un homme à celui de milliers d’autres, qui n’aspirent pourtant qu’à l’égalité des droits. En 2000, 32 ans après le coup d’éclat de Mexico, les autorités sportives de son pays lui dédaignent encore l’accès aux jeux de Sydney.

Il meurt d’une crise cardiaque en 2006. Tommie Smith et John Carlos, alors réhabilités, font immédiatement voyage vers Melbourne, pour acheminer le cercueil de leur défunt camarade.

Tommie Smith, left, and John Carlos, 2nd right, who gave the historic black power salutes at the 1968 Olympics, have reunited for the final time with the third man on the podium that year as they as they act as pallbearers for Peter Norman at his funeral in Melbourne, Australia, Monday, Oct. 9, 2006. Smith and Carlos attended the funeral of Peter Norman, the Australian sprinter that won the silver medal in the 200 meters at the Mexico City Games who died last week of a heart attack at the age of 64. (AP Photo)/AUSTRALIA_NORMAN_

Tommie Smith, left, and John Carlos, 2nd right, who gave the historic black power salutes at the 1968 Olympics, have reunited for the final time with the third man on the podium that year as they as they act as pallbearers for Peter Norman at his funeral in Melbourne, Australia, Monday, Oct. 9, 2006. Smith and Carlos attended the funeral of Peter Norman, the Australian sprinter that won the silver medal in the 200 meters at the Mexico City Games who died last week of a heart attack at the age of 64. (AP Photo)/AUSTRALIA_NORMAN_

Il n’auront de cesse de louer la noblesse du « seul sportif blanc qui eut assez de cran » pour donner à leur geste sa portée véritable, universel et rassembleur. John Carlos déclarera lors de l’inhumation: « Je pensais voir la crainte dans ses yeux. J’y vis l’amour ».

Quentin Sedillo

Source L’OBS 10/08/2015

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique Photo, rubrique Etats-Unis, Société

 

Libre de faire de l’art sans les paillettes

Sylvie  la présidente des Anartistes

Sylvie Roblin  la présidente des Anartistes

Dessin. Yaka, 1er festival de la liberté les 21/22/23 août à Monblanc. La manifestation est organisée par une assos citoyenne pour la culture en milieu rural.

La veille des élections départementales, on se souvient que le comité interministériel à la ruralité avait opportunément réuni 11 ministres sous la présidence de Manuel Valls dans une agglo de 40 000 habitant pour évoquer l’attractivité du monde rural et annoncer une batterie de mesures en faveur des territoires ruraux concernant l’accès à la santé les services publics ou le développement à l’accès au numérique et la connexion au téléphone mobile, rien en revanche sur l’accès à la culture.

Le maillage culturel du le monde rural souffre pourtant d’importantes zones d’ombres qui se sont considérablement élargies cette année, avec la réduction des dotations d’État aux communes et aux intercommunalités. Les élus concernés s’en plaignent mais en bout de course, finissent souvent par tailler dans les budget culturels. Et les citoyens sont en reste.

Sur la petite commune héraultaise de Montblanc la présidente de l’Assos’ Thau Mate les Anartistes, Sylvie Roblin, se bat pour créer un îlot culturel exigeant sur son lieu de vie, à raison d’une proposition de spectacle par semaine. « Ce type de bénévolat demande beaucoup de temps et d’implication, confit-elle, mais je pense que la culture est un droit fondamental comme l’accès à l’eau ou au logement. Un droit oublié qui figurait dans le programme du Conseil National de la Résistance. »

Ironie du sort son association organise ce week-end à Montblanc le premier festival Yaka du dessin de presse, au moment où le village fête la Libération avec le sempiternelle bal du dimanche soir. « L’association vient de poser ses valises à Montblanc, indique Sylvie Roblin, en 2014 nous avons organisé le festival Femme plurielle, à Roujan sans aucune subvention. On a dû éponger 20 000 euros de dette. Cette année nous partons une nouvelle fois sans subvention avec un budget plus modeste mais toujours beaucoup d’exigence. »

Le dessin réalisé par le dessinateur belge Soudron pour l'affiche du festival

Le dessin réalisé par le dessinateur belge Soudron pour l’affiche du festival

Les Anartistes reçoivent notamment la dessinatrice Nadia Khiari, sur la liste noire des salafistes, dont le chat Willis from Tunis est devenus un personnage de la révolution tunisienne.

« L’idée du festival est venue après les attentats de janvier. On connaissait Tignous, on a été très touché. On travaille avec le festival international du dessin de presse de L’Estaque. Le dessinateur algérien Fathy Bourayou, son fondateur sera parmi nous. Après les attentats, beaucoup de festivals de dessin de presse ont été annulé pour des causes de sécurité. C’est un peu la double peine. »

Durant le festival les artistes animeront des ateliers de dessin pour les enfants. Il y aura des expos et des concerts. Comme le disait les membres du CNR le combat citoyen pour un équilibre moral et social ne doit pas prendre fin à la Libération.

JMDH

www.les-anartistes.fr/yaka-festival/

Source : La Marseillaise  19/08/2015

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Ils ont été recalés de la FIAC : mais pourquoi eux ?

Autoportrait de Julien Salaud.  L'outsider français ne sera pas présent à la FIAC.
Cette année encore, l’annonce des exposants retenus pour la prestigieuse Foire parisienne d’art contemporain a fait polémique. Retour sur les critères de sélection de la FIAC, en compagnie des principaux intéressés.

On l’attendait : la sélection des exposants de la FIAC 2015, qui se tiendra du 22 au 25 octobre à Paris, a été récemment dévoilée : 173 galeries, issues de 22 pays, seront exposées cette année sous la nef du Grand Palais. Gagosian, Perrotin, Hauser et Wirth : habituées de la prestigieuse Foire Internationale d’Art Contemporain, les grosses pointures n’avaient pas à s’inquiéter. En revanche, un certain nombre d’enseignes françaises de qualité se retrouvent sur le carreau. De taille intermédiaire, ces galeries n’auraient-elles plus leur place à la FIAC ? On s’interroge sur les critères de choix d’une foire de plus en plus internationale et sélective.

Des refus qui étonnent

 

Econduite depuis 5 ans, Suzanne Tarasieve proposait pourtant le solo-show onirique de Julien Salaud qui, récemment exposé au Musée de la Chasse et de la Nature, avait fait la réouverture du Palais de Tokyo en 2012. Recalée elle aussi, Claudine Papillon présentait une exposition du peintre franco-polonais Roman Opalka. Quant à Laurent Godin et Praz-Delavallade, ils seront également absents cette année. Dans le monde de l’art, beaucoup s’en étonnent.

La dernière fois que Suzanne Tarasieve était à la FIAC, c’était en 2010 : dans la Cour Carrée du Louvre (espace complémentaire de la FIAC à l’époque), ses photographies de Boris Mikhaïlov avaient été particulièrement remarquées : « J’ai l’impression que quand on a trop de succès, on nous vire ! » déplore-t-elle. La galeriste ne sait plus quoi répondre à ses visiteurs : « Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi je ne suis pas à la FIAC. Ils sont stupéfaits ! », nous confie-t-elle. « Il y a trois ans, j’ai présenté un show magnifique. Quand on leur a demandé pourquoi il était refusé, ils nous ont répondu que c’était parce ce n’était pas un artiste de notre galerie. Mais on le défendait depuis des années ! » s’exclame-t-elle.

Pour les refusés, c’est un coup dur. Car aujourd’hui plus que jamais, il faut en être. « Les instances de validation et de consécration […] passent beaucoup plus de temps à visiter les foires et les biennales, dès lors incontournables, qu’à visiter les galeries », écrivait le sociologue Alain Quemin dans une analyse distribuée par Artprice lors de la FIAC 2008. Ce que confirme Bruno Delavallade, exclu pour la première fois cette année : « L’absence de la FIAC, c’est […] un discrédit sur notre programme » et « un coup bas pour les artistes que nous défendons ». Suzanne Tarasieve va plus loin : « Il faut le dire, certains galeristes crèvent de faim s’ils ne sont pas à la FIAC ! ».

La FIAC assume ses choix

 

Interrogée à ce sujet, Jennifer Flay, Directrice artistique de la FIAC depuis 2003, a d’abord tenu à présenter le comité de sélection, regroupant huit galeristes « tous très respectés dans le milieu de l’art contemporain ». Composé cette année de David Fleiss, Christophe Van de Weghe, Samia Saouma, Gisela Capitain, Simon Lee, Solène Guillier, Jan Mot et Alexander Schroeder, le jury de la FIAC est renouvelé régulièrement et se réunit plusieurs fois dans l’année. « Les membres du comité sont en rotation permanente. Chaque membre peut rester pour deux ans, renouvelables une fois. Cette année, le comité comportait deux nouveaux membres » explique Jennifer Flay.

Réunis en avril durant quatre jours pour la sélection, ils examinent les candidatures « une par une et dans le détail en tenant compte des critères » : l’historique de la galerie, les artistes qu’elle représente, son programme d’expositions, ses activités extra-muros et son projet pour la FIAC. Des « appréciations » entrent aussi en jeu, telles que « la capacité de la galerie à accompagner ses artistes et à les aider à se développer » ou « son rayonnement sur la scène nationale et internationale » ajoute-t-elle.

Mais pourquoi ces refus ? Le manque de place est la principale raison invoquée. « Le Grand Palais, un de nos atouts, n’est pas un espace extensible », rétorque Jennifer Flay. « Il y a toujours plus de candidatures que de places disponibles, et il y a par ailleurs une gamme chronologique et historique à respecter », précise-t-elle. Après une nouvelle étude, le comité retient donc les meilleures propositions. « Nous faisons notre maximum pour optimiser les surfaces d’exposition », assure Jennifer Flay, qui rappelle le lancement l’an dernier d’un second site, à la Cité de la Mode et du Design, pour la foire « OFFICIELLE ».

« S’il n’y a pas de place, pourquoi ne font-ils pas un roulement ? » s’interroge Suzanne Tarasieve. Cette idée, qui permettrait de donner leur chance à des galeries également méritantes, « ne représente pas une solution très satisfaisante » pour Jennifer Flay. « En tant que Directrice de la FIAC, je me dois de viser la plus haute qualité » tranche-t-elle. « Je ne pense donc pas qu’il soit utile d’instaurer un roulement qui nous conduirait à choisir des galeries moins performantes ». Suzanne Tarasieve, Claudine Papillon ou Laurent Godin ne seraient-elles pas à la hauteur ? « Ce sont de bonnes galeries et elles rentrent dans les critères de la FIAC » reconnaît Jennifer Flay. « Ne pas les retenir n’est pas plaisant, mais nous nous devons de rester fidèles aux critères qualitatifs que la FIAC s’est fixé ».

De fausses excuses ?

 

Les choix du comité seraient-ils influencés par d’autres critères non officiels ? C’est en tous cas ce qu’avancent certains. « Ce n’est pas normal que nous soyons jugés par nos pairs », critique Suzanne Tarasieve. « Il arrive que certains membres du jury nous détestent. Quand il y a des rivalités ou du copinage, on n’a pas affaire à un vrai jury. C’est le problème de toutes les foires internationales », déplore-t-elle. Il est vrai que les membres du comité sont galeristes et de surcroît eux-mêmes exposés à la FIAC. Cependant, Jennifer Flay l’assure, « les candidatures sont examinées suivant un processus qui est identique pour tous ». Et selon le site de la FIAC, il serait important que le comité soit composé de galeristes, qui « connaissent parfaitement le marché de l’art […], leurs collègues […] et les spécificités des marchés locaux ».

Autre raison possible : ni très riches ni émergentes, ces galeries de taille intermédiaire intéresseraient moins la FIAC. En effet, cette dernière se donne pour mission d’être à la fois une vitrine pour de puissantes galeries telles que Perrotin ou Gagosian, qui lui confèrent un indispensable cachet, et pour de jeunes enseignes, preuves qu’elle joue un rôle important dans la découverte de nouveaux talents. « Il n’y a pas de place pour des galeries comme nous qui ne brassent pas des milliards et ne sont pas émergentes », constatait amèrement Claudine Papillon. Un avis partagé par Suzanne Tarasieve : « On est entre les deux et je pense que ça les gêne », dit-elle.

Enfin, le règne des « puissantes enseignes internationales » pourrait être en cause. C’est l’avis de Bruno Delavallade, pour qui ces dernières seraient favorisées. « C’est les galeries américaines avant tout, alors que la qualité n’est pas toujours au rendez-vous ! » s’exclame Suzanne Tarasieve.

En vérité, il y a davantage de galeries françaises que de galeries américaines cette année : 24 % de galeries françaises, contre 21% de galeries américaines, tandis que le total des galeries européennes représente 68% des exposants (contre 25% l’an dernier). Néanmoins, le pourcentage des galeries américaines reste élevé. L’an dernier, selon Les Echos (même si là encore le nombre de galeries françaises était plus élevé que celles venant des Etats-Unis), les artistes américains auraient été deux fois plus nombreux que ceux originaires de l’Hexagone, qui se serait placé en troisième position derrière l’Allemagne.

« On ne prête qu’aux riches », explique le sociologue Alain Quemin, auteur de « Les stars de l’art contemporain » (CNRS Editions, 2013). « Plus un pays est aujourd’hui important, plus il a de chances de le rester ensuite. Ainsi, même s’ils le nient, les acteurs de ce milieu ont intégré le fait qu’un artiste américain ou allemand était plus important qu’un artiste français ». Mais ce ne serait pas là le seul problème, puisque le Japon et la Chine sont très peu représentés. En 2013, Guillaume Piens, commissaire général d’Art Paris Art Fair, jugeait d’ailleurs que la FIAC était « une foire très adossée sur le marché anglo-saxon », se concentrant surtout sur l’ouest et pas assez sur l’est.

Quoi qu’il en soit, il reste des solutions pour les refusés de la FIAC 2015. S’ils n’ont pas été repêchés à la dernière minute comme la galerie Continua, il y a toujours les foires « off », qui se développent de plus en plus, telles que Slick Art Fair, YIA, Art Elysées ou encore Outsider Art Fair. Quant à Suzanne Tarasieve, elle présentera le projet de Julien Salaud au Loft 19, pendant la FIAC.

Joséphine Blindé

Source Télérama 15/07/2015

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Art, rubrique Exposition,  rubrique Rencontre, Hervé Di Rosa,

Bioulès et les paysages lozériens

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Exposition. Bioulès en vacances à la Maison consulaire de Mende, jusqu’au 1er novembre 2015.

Pour les 20 ans de l’association Mend’Arts, la présidente Colette Barthe a souhaité voir à Mende une grande exposition d’art moderne. C’est ainsi que la Ville de Mende, en partenariat avec Mend’Arts et Les Amis du musée Ignon-Fabre, accueille jusqu’au 1er novembre, à la Maison consulaire, une exposition consacrée à Vincent Bioulès.

Intitulée Bioulès en vacances, La Lozère, aux sources de l’inspiration, elle retrace en une quarantaine de toiles le travail de l’artiste lors de ses nombreux séjours d’été en Lozère. Il résidait alors le plus souvent au château de Laubert et travaillait à partir des paysages et de l’architecture qui l’entouraient. On admirera le regard artistique posé sur Laubert, Luc, Ribennes ou Esfourné…

En entrant par la porte lozérienne dans l’œuvre de Vincent Bioulès, on découvre tout un pan de sa création. Même en pleine abstraction, Vincent Bioulès n’a jamais rompu le lien avec la réalité, il traque le motif, il parcourt la campagne, réalise des esquisses, des aquarelles, des dessins. Cette œuvre figurative permet à l’artiste de déployer les caractéristiques de son travail: l’exploration de la couleur, de l’espace, du signe plastique modelé par l’expérience et l’amour de l’art.

Le peintre montpelliérain Vincent Bioulès a longtemps passé son regard par les fenêtres à travers lesquelles filtrait sa proposition d’explorer le monde. Après avoir défendu l’idée d’une autonomie culturelle qui se passe du cadre de la norme, il rejoint avec cette exposition l’autonomie naturelle sans carreau ni cadre de fenêtre pour entrer de plein pied dans le paysage. L’embrasser en laissant libre court à son instinct de la nature. L’artiste qui dénonce l’urbanisation sauvage avec véhémence retrouve à Mende le goût de partager ce qu’il aime.

JMDH

Entrée gratuite. Rens: Office de tourisme. Tél.: 04 66 94 00 23

Source : La Marseillaise 18/08/2015

Voir aussi :  Actualité locale Rubrique Art, rubrique Expositions, rubrique, Rencontre Les paysages prophétiques de Bioulès,

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