Hervé DI ROSA : « Les choses que je ne contrôle pas m’excitent »

« C’est la nécessité qui permet à l’invention d’exister »

« C’est la nécessité qui permet à l’invention d’exister »

Rencontre avec Hervé Di Rosa directeur du MIAM et précurseur de la figuration libre à l’occasion de l’exposition d’été du Musée Paul Valéry de Sète qui consacre son exposition d’été à l’émergence du mouvement. Depuis 1981, l’oeuvre d’Hervé Di Rosa a fait l’objet de plus de 200 expositions personnelles et est présente dans d’importantes collections publiques et privées en Europe, en Amérique et en Asie.

Quel souvenir avez-vous des premiers pas de la Figuration libre retracés par l’exposition du Musée Paul Valéry ?

L’exposition du Musée Paul Valéry se concentre sur les années 1981/1984. A cette occasion la conservatrice Maïté Vallès Bled, m’a contacté. J’ai prêté quelques-unes de mes oeuvres de l’époque et un certain nombre de documents à l’école des Beaux arts qui organise une expo-mémoire de ses anciens élèves. Je regarde cela comme mes oeuvres de jeunesse. A vrai dire, je crois ne pas avoir assez de recul pour analyser. J’aurai préféré que cette expo ait lieu après ma mort… (rires)

Vraiment… vous auriez préféré laisser tout cela dans les cartons avec votre testament ?

Vous savez, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cela ne me rappelle pas des souvenirs très heureux. J’avais une vingtaine d’années ce qui n’est pas toujours une période facile dans la vie. Il y avait pas mal de tensions entre les uns et les autres et le succès soudain que nous avons connu a été difficile à gérer. Cela ne veut pas dire que je renie mes oeuvres de cette époque. Elles m’apparaissent comme la base de mon travail sur l’art modeste mais j’ai mis beaucoup de distance avec ce moment.

Qu’est ce qui vous a poussé à devenir artiste ?

A quatorze ans, je savais déjà que je voulais faire ça. Mon père travaillait à la SNCF et ma mère était femme de ménage. Ils m’ont toujours beaucoup soutenu. J’ai fait un an de prépa à l’école des Beaux Arts de Sète. Il fallait que j’obtienne le Bac pour bénéficier des bourses me permettant de vivre à Paris. Je l’ai passé au Lycée Paul Valéry, puis j’ai été reçu au concours de l’Ecole Estienne et à l’école des Arts déco que j’ai choisie. J’avais publié des planches  dans la revue Charlie Mensuel dirigé par Georges Wolinski. Je voulais travailler le support graphique. A Paris, je suis allé frapper à la porte des magazines de BD comme A Suivre ou Métal Urbain, je me suis fait jeter de partout. On me renvoyait vers l’art contemporain.

C’est finalement dans ce milieu de l’art, en pleine mutation à l’époque, que vous alliez trouver votre place …

L’art minimal, les conceptuels, comme les membres de Support Surface dominaient le secteur mais en même temps des mouvements contestataires émergeaient comme la Trans-avant-garde en Italie où les Nouveaux fauves en Allemagne avec la volonté commune d’un retour à la peinture. Je me sentais assez peu concerné par ça. Moi ce qui m’intéressait c’était l’image et l’imagerie.

Je suis issu du mouvement punk. A la fin des années 70 la musique punk a déboulé dans le milieu jazz -rock comme dans un jeu de quilles. La figuration libre c’est un peu la même chose on avait peu de technique et de moyens mais on avait l’énergie et la puissance expressive pour tout bouleverser.

Ca bascule en 79, moment où vous cofondez avec Combas, Blanchard, Boisrond… le mouvement de la Figuration libre qui s’exporte notamment aux Etats-Unis. Comment avez-vous vécu la confrontation avec les artistes américains ?

On ne partageait pas le même univers pictural mais on s’est retrouvés de fait en contradiction avec la mort annoncée de la peinture. Les artistes dit de la Figuration libre  – j’ai toujours eu du mal avec les étiquettes, parce que même si on  était très proches,  on avait chacun notre univers, Combas c’était plutôt le rock, Blanchard les contes et légendes, moi l’imagerie – se confrontent au bad painting, un style qui empruntait aux arts de la rue avec aussi plusieurs  orientations, comme le graffitis, les pochoirs, les affiches…

J’ai vécu aux Etats-Unis deux ans en 82 et 83 au moment où déboulaient le rap et le graph. C’était dingue, les jeunes sortaient du Bronx et arrivaient dans les galeries. Des gens sans moyens, comme dans le milieu musical où les artistes sans instruments ont inventé le sampling. C’est la nécessité qui permet à l’invention d’exister.

Le mouvement de la Figuration libre s’est dissout assez rapidement, chacun de ses membres poursuivant dans sa propre direction, est-ce dû au succès trop rapide à l’argent ?

Certains sont morts… Dans le milieu artistique underground l’épidémie du sida a fait des ravages. Elle a aussi poussé ceux qui sont passés à travers, comme moi, à une réflexion. Je suis assez critique sur la position institutionnelle française qui a été comme à son habitude très sélective dans le financement de l’art contemporain en laissant entrer le marché dans les années 80 et 90. On voit le résultat aujourd’hui, maintenant qu’il n’y a plus d’argent c’est la financiarisation qui fait la loi. Le marché est en train d’acheter la légitimité de l’institution.

Quel chemin avez-vous emprunté pour poursuivre votre oeuvre ?

Je suis parti à l’étranger un peu partout dans le monde pour aller à la rencontre d’autres cultures. Je veux faire découvrir les bons côtés de la mondialisation. Je diversifie les approches artistiques au contact de mes rencontres, en Afrique en Asie, en Amérique latine. Ce qui m’intéresse c’est la nécessité qui donne lieu à des surprises et qui tord mon projet. Les choses nouvelles que je ne contrôle pas m’excitent plus que ce que je maîtrise.

Vous êtes le concepteur de l’Art modeste et avez fondé le Miam à Sète dans quel but ?

Le Musée international des arts modestes existe depuis 15 ans. Nous y exposons des artistes venus du monde entier et créons des expositions qui questionnent les frontières de l’art contemporain. C’est un lieu de rencontre entre l’art savant et populaire, une vraie alternative pour la création.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

La Figuration libre historique d’une aventure- au Musée Paul Valéry à Séte jusqu’au 15 novembre 2015
Une mémoire de l’école des  Beaux-art de Sète jusqu’au 31 août 2015
Exposition Véhicules au MIAM, jusqu’au 20 septembre 2015
Exposition  «Di Rosa Le grand bazar du Multivers AD Galerie à Montpellier jusqu’au 29 juillet 2015

Source La Marseillaise 06/07/2015

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Musée Paul Valéry. Retour aux sources de la figuration libre

Rémi Blanchard. « Dormir, la lune dans un œil et le soleil dans l’autre. Un amour dans la bouche, un bel oiseau dans les cheveux… » Paul Eluard, Capitale de la douleur, 1926

Rémi Blanchard.
« Dormir, la lune dans un œil et le soleil dans l’autre.
Un amour dans la bouche, un bel oiseau dans les cheveux… »
Paul Eluard, Capitale de la douleur, 1926

D’une vague d’inspiration à l’autre, les grandes expos d’été  du Musée sétois Paul Valéry nous transportent comme les remous par gros temps. En 2014 l’expo Miro Vers l’infiniment libre et l’infiniment grand  a fait carton plein avec 85 000 visiteurs.

Début juillet, le musée propose l’historique d’une autre aventure avec un retour aux sources de la figuration libre. On sait ce que le mouvement contestataire doit à l’île singulière mais on se doute aussi que dans l’esprit de Maïthé Vallès-Bled, qui partage le commissariat de l’expo avec le directeur des beaux-arts Philippe Saulle, il ne saurait être question de construire des barricades pour faire briller le patrimoine créatif local en l’enfermant dans un écrin, si lumineux soit-il.

Tout au contraire, ce retour aux sources sera l’occasion d’étendre le contour du mouvement à l’ensemble de ses protagonistes. Aux côtés de Robert Combas et Hervé Di Rosa, dont les travaux d’élèves seront présentés à l’Ecole des beaux-arts de Sète, seront exposées les toiles du Breton Rémi Blanchard ou de François Boisrond.

En revenant sur l’histoire de la figuration libre, on tombe sur la bordelaise Éliane Beaupuy-Manciet, premier Grand Prix de Rome de peinture en 1947 qui est à l’origine de la création de l’école des beaux-arts de Sète. Soucieuse d’ouvrir les horizons, elle a poussé ses élèves Combas et Di Rosa à monter à Paris et en ce sens, a participé à l’explosion du figuratif en France. « Enseigner, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu », disait-elle.

L’exposition La figuration libre historique d’une aventure réunit les œuvres des Français initiateurs mais également des artistes américains et internationaux avec lesquels ils se sont imposés, tels que Keith Haring, Crash, Kenny Scharf, Jean-Michel Basquiat… à découvrir du 4 juillet au 15 novembre au Musée Paul Valéry.

JMDH

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Robert Combas pas loin du paradis

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Exposition. « La Mélancolie à Ressorts », cet été au Carré Ste-Anne de Montpellier.

Le Carré Sainte-Anne ouvre les portes de son espace désacralisé à Robert Combas jusqu’au 21 septembre. Pilier de la figuration libre, Combas investit ce lieu particulier avec conscience, son goût pour le mystère le porte à l’approfondissement, un peu comme si l’artiste s’était fixé l’objectif d’inventer de nouvelles prières païennes pour avoir le privilège d’en saisir toute l’âme.

Il joue, s’inspire des effets lumineux colorés des vitraux projetés par la lumière naturelle sur l’intérieur de l’église. Associe les effets dynamiques et les formes floues et aléatoires à la scénographie de l’exposition. Pour habiter le lieu, Combas s’empare des formes et des volumes de l’édifice néogothique qu’il fait sien en le peuplant de personnages.

L’univers vivant de l’artiste transporte sa propre mythologie, les êtres humains et les animaux se constituent d’éléments et de fantasmes en circulation. A l’image de sa sculpture de femme qui se fond dans l’architecture autant qu’elle occupe avec une présence forte le cadre spatial. Coiffée d’une caravelle, elle semble explorer le temps. L’allure de ce grand personnage est à la hauteur des colonnes de marbres, ses bras détendus, presque passifs, contrastent avec l’intensité de son couvre-chef qui change de voilure.

Chez Combas, la force du corps sur lequel s’inscrivent les éléments de la vie, s’impose. Et l’oeuvre, nourrie d’enthousiasme et de désinvolture, évolue dans le temps et l’histoire.

JMDH

Au Carré Sainte-Anne jusqu’au 21 septembre.

Source : L’Hérault du Jour 14/08/14

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