Rémi Blanchard. « Dormir, la lune dans un œil et le soleil dans l’autre. Un amour dans la bouche, un bel oiseau dans les cheveux… » Paul Eluard, Capitale de la douleur, 1926
D’une vague d’inspiration à l’autre, les grandes expos d’été du Musée sétois Paul Valéry nous transportent comme les remous par gros temps. En 2014 l’expo Miro Vers l’infiniment libre et l’infiniment grand a fait carton plein avec 85 000 visiteurs.
Début juillet, le musée propose l’historique d’une autre aventure avec un retour aux sources de la figuration libre. On sait ce que le mouvement contestataire doit à l’île singulière mais on se doute aussi que dans l’esprit de Maïthé Vallès-Bled, qui partage le commissariat de l’expo avec le directeur des beaux-arts Philippe Saulle, il ne saurait être question de construire des barricades pour faire briller le patrimoine créatif local en l’enfermant dans un écrin, si lumineux soit-il.
Tout au contraire, ce retour aux sources sera l’occasion d’étendre le contour du mouvement à l’ensemble de ses protagonistes. Aux côtés de Robert Combas et Hervé Di Rosa, dont les travaux d’élèves seront présentés à l’Ecole des beaux-arts de Sète, seront exposées les toiles du Breton Rémi Blanchard ou de François Boisrond.
En revenant sur l’histoire de la figuration libre, on tombe sur la bordelaise Éliane Beaupuy-Manciet, premier Grand Prix de Rome de peinture en 1947 qui est à l’origine de la création de l’école des beaux-arts de Sète. Soucieuse d’ouvrir les horizons, elle a poussé ses élèves Combas et Di Rosa à monter à Paris et en ce sens, a participé à l’explosion du figuratif en France. « Enseigner, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu », disait-elle.
L’exposition La figuration libre historique d’une aventure réunit les œuvres des Français initiateurs mais également des artistes américains et internationaux avec lesquels ils se sont imposés, tels que Keith Haring, Crash, Kenny Scharf, Jean-Michel Basquiat… à découvrir du 4 juillet au 15 novembre au Musée Paul Valéry.
JMDH
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Face à un quotidien de guerre, de désolation et d’oppression religieuse, l’artiste et photographe palestinienne Nidaa Bawaan a fait le choix de la beauté, quitte à vivre recluse dans sa chambre à Gaza depuis plus d’un an.
L’enfermement est devenu sa liberté. Face à l’hostilité du quotidien dans la bande de Gaza, Nidaa Badwan a fait le choix de la beauté, quitte à vivre recluse. Préférant un isolement choisi au blocus israélien et à la domination du Hamas subis, cette artiste palestinienne de 28 ans vit enfermée dans sa chambre de l’appartement familial du quartier Deir al-Balah, dans le sud de Gaza, depuis décembre 2013.
« L’isolement est le seul moyen que j’ai trouvé pour échapper au joug de la société. Il n’y a que cela qui me permette d’avoir un espace d’expression et de liberté. Ma chambre est devenue mon unique oxygène », explique-t-elle à France 24 par email, répondant avec la rapidité de ceux qui vivent sous connexion continue.
Du monde extérieur, elle ne voit que ce qu’elle veut, à travers son écran d’ordinateur et la petite meurtrière qui éclaire sa chambre de 9 m2, tapissée de boîtes d’œufs pour l’isolation phonique. Son monde intérieur, lui, est sans limite.
Ombre, lumière et jeux de rôle
Armée de son seul mais « vital » appareil photo, cette diplômée de la faculté des Beaux-Arts de l’université Al-Aqsa de Gaza a fait de son isolement un projet photographique intitulé « Cent jours de solitude », en hommage à la fresque familiale de Gabriel Garcia Marquez, qu’elle a relue dans les premières semaines de son confinement.
Unique héroïne de son œuvre, Nidaa Badwan se met en scène en train de coudre, pleurer, dormir, danser, rêver, méditer, livrant quatorze autoportraits, exposés actuellement au centre culturel de Ramallah, en Cisjordanie. Certaines photos ont demandé plusieurs semaines de travail et surtout d’attente avant que sa meurtrière laisse enfin filtrer le juste éclairage pour cette sculptrice des ombres et des couleurs.
« Tout ce que me parvient à travers mes sens influence mon travail de manière indirecte. Les rayons du soleil qui entrent dans la pièce, les objets simples de mon quotidien, la musique que j’écoute ou mes les longues heures de lecture », explique cette artiste qui construit ces photographies comme des natures mortes aux couleurs soutenues, qui ne sont pas sans rappeler la peinture flamande des XVIe et XVIIe siècles.
Une enfant de la guerre
La guerre et la violence, en revanche, n’y sont pas représentées frontalement. Ce ne fut pas toujours le cas dans le travail de cette enfant de la guerre. Née à Abou Dhabi en 1987 de parents palestiniens, Nidaa vit à Gaza depuis ses 11 ans. En 2000, moins de deux ans après le retour de la famille Badwan, la seconde Intifada éclate. Dans cette enclave perpétuellement en guerre et dominée par les islamistes, la jeune artiste tente de sauvegarder un espace de liberté.
Durant l’hiver 2008 – 2009, alors que Tsahal mène l’opération « Plomb durci« , qui a fait plus de 1300 morts à Gaza, Nidaa inaugure sa première exposition dans les décombres du théâtre du Croissant-Rouge, l’un des rares lieux de culture de Gaza, détruit pendant l’offensive. Ses tableaux – des volutes rouges et bleues – faisaient alors référence aux couleurs de l’UNRWA, l’office de l’ONU pour les réfugiés palestiniens. « Le bleu est la couleur des réfugiés. Ma famille et moi sommes des réfugiés, j’ai tout le temps conscience de ça », déclarait-elle à l’époque dans la presse.
En 2012, Nidwa participe à l’exposition « This is also Gaza » (C’est ça aussi Gaza), qui met à l’honneur une quarantaine d’artistes gazaouis contemporains. Elle y avait présenté les clichés d’une femme, la tête enserrée dans un sac en plastique, métaphore de son propre étouffement qui ne tarde pas à arriver.
Une artiste incomprise
Le 18 décembre 2013, Nidaa Badwan se fait arrêter par la police des mœurs du Hamas, alors qu’elle participe à un happening dans la rue. Quand elle tente de leur expliquer sa démarche artistique, elle est battue. Le lendemain, elle s’enferme dans sa chambre pour ne plus en ressortir.
Les deux premiers mois de son isolement sont un calvaire. La jeune femme raconte être restée prostrée, s’alimentant à peine et dormant à même le sol, secouée de crises de larmes et d’angoisse. Mais après une tentative de suicide manquée, elle apprend peu à peu à apprivoiser son isolement et décide de trouver « le sens de l’amour et de la beauté ».
Mises en ligne, ses photos interpellent Anthony Bruno, directeur de l’Institut Français de Gaza – fermé après les attentats contre « Charlie Hebdo ». Il décide d’organiser une exposition à la galerie al-Hoash, à Jérusalem-est. Pour l’occasion, la jeune femme – qui n’avait même pas quitté sa chambre lorsque les bombes de l’opération israélienne « Bordure protectrice » inondaient son quartier durant l’été 2014 – est prête à rompre son isolement. Mais les autorités israéliennes ne lui octroient pas le visa nécessaire. Nidaa doit visionner son propre vernissage via Skype depuis un hôtel de Gaza.
En attendant la beauté
La photographe quittera à nouveau sa chambre quelques jours plus tard pour aller chez le médecin, chez qui elle se rend voilée, écouteurs dans les oreilles, yeux baissés : « Je ne voulais pas rompre mon isolement, je ne voulais pas voir Gaza », confie-t-elle au « New York Times« , dont Nidaa Bawaan a fait la une le 27 février.
ourtant, si elle refuse de regarder sa terre, elle refuse également de la quitter. Alors qu’on la sollicite pour exposer « Cent jours de solitude » à Paris, New York ou Berlin, quand les lieux de culture gazaouis ferment les uns après les autres, cette esthète idéaliste n’est pas encore prête à sortir de son confinement.
« Quand j’étais petite, je rêvais d’avoir ma propre ville. Je dessinais des plans, des bâtiments, des rues. Je lui donnais les couleurs de mon imagination. Je choisissais les habitants avec soin. Ma chambre est devenue ma ville », explique-t-elle avec poésie. « J’en sortirai le jour où ma ville sera devenue aussi belle que ma chambre. »
“Loin du Vietnam” était invisible. Arte Editions ressort ce film collectif unique en son genre. Une œuvre politique à laquelle participèrent notamment Jean-Luc Godard, Joris Ivens, William Klein, Alain Resnais… et Chris Marker.
Peu nombreux sont les cinéphiles à avoir vu Loin du Vietnam, film politique devenu mythique à force d’invisibilité, et dont l’opportune sortie en DVD chez Arte Editions élargira le cercle des happy few en donnant à tous ceux qui n’ont fait qu’en entendre parler de vraies raisons de l’apprécier. Sortie en décembre 1967, cette œuvre collective entreprise par Chris Marker, et à laquelle participèrent Jean-Luc Godard, Joris Ivens, William Klein, Alain Resnais et quelques autres, vit son exploitation stoppée au bout de quelques jours, à cause de menaces d’attentats émanant de groupes d’extrême droite. « Il en existe un si petit nombre de copies que Resnais m’a confié ne l’avoir lui-même jamais revue, précise l’historien Laurent Veray, auteur d’un excellent petit livre vendu avec le DVD. Lorsqu’il m’arrive de le montrer à mes étudiants de Paris 3, je suis surpris de voir à quel point le film « fonctionne » toujours. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des productions militantes des années 1960 et 1970, tant elles sont dogmatiques et datées. »
Ouvert à la contradiction
C’est que Loin du Vietnam n’a rien d’ordinaire. Conçu en réaction à l’intervention américaine en Extrême-Orient, il n’adopte pas un point de vue univoque et s’ouvre même à la contradiction. « A New York, William Klein ne filme pas seulement les manifestations anti-guerre ; il filme aussi la grande parade et les drapeaux des manifestants pro-gouvernement, relève Laurent Veray. Tout en étant clairement positionné contre la guerre, Loin du Vietnam échappe à tout manichéisme et rend compte de la complexité de la situation en nous laissant une marge d’interprétation. »
Film à sketches dont chacun porte la marque, le style de son auteur, il emprunte à des formes variées. Si la partie de Klein adopte l’esthétique du cinéma direct, celle d’Alain Resnais est une fiction, dans laquelle Bernard Fresson joue un intellectuel de gauche tenant à sa femme silencieuse un long discours empreint de mauvaise conscience. A travers ce personnage agaçant, qui disserte sur son impuissance face au conflit, le cinéaste de La guerre est finie interroge l’utilité du film lui-même.
« A l’époque,ce sketch est celui qui a fait l’objet des commentaires les plus critiques. Avec celui de Godard, dans lequel le cinéaste suisse se montre derrière une caméra. Cette sorte d’autoportrait brechtien a irrité beaucoup de monde. On y a vu une forme de mégalomanie, alors que c’est tout au contraire un film d’une grande honnêteté intellectuelle, dans lequel Godard rend compte de ses difficultés à répondre à la commande. »
Effets de résonance
Quant à l’intervention de Joris Ivens, elle offre à Loin du Vietnam ses plus belles images. « Des plans très émouvants de Vietnamiennes fabriquant des abris anti-bombardements extrêmement rudimentaires et une troupe de théâtre d’Hanoï. On y trouve le visage de cette jolie femme qu’Ivens a souvent réutilisé. »
Si les séquences du film peuvent être appréciées isolément, leur assemblage produit de nombreux effets de résonance et de correspondance, qui confèrent à l’ensemble une réelle cohérence. « Voilà le grand apport de Chris Marker, dont le montage extrêmement complexe tisse des liens d’un sketch à l’autre. » Plus que godardienne, ivensienne, kleinienne ou resnaisienne, Loin du Vietnam est en définitive une œuvre markerienne, jusque dans le rapport réflexif qu’elle entretient avec le cinéma. « Dans ce film, comme toujours chez Marker, le spectateur reste conscient de la position qu’il occupe face aux images. Il n’est jamais passif. Chez lui, il ne faut jamais prendre une image pour ce qu’elle est censée montrer, mais aller au-delà de l’image, la creuser par un travail de montage — autrement dit, de cinéma. »
N’en déplaise aux laudateurs de Michael Moore et de ses épigones, revoir aujourd’hui Loin du Vietnam, c’est se rappeler que le cinéma politique ne saurait être uniquement politique : qu’il doit aussi être du cinéma. Telle est l’une des leçons de ce film collectif dont les auteurs, y travaillant, avaient en tête Guernica. « Une peinture qui renvoie à une réalité terrible, mais une œuvre d’art à part entière. Et qui porte justement parce que c’en est une. »
François Ekchajzer
1 Loin du Vietnam est disponible chez Arte Editions au prix de 25 €. En complément de programme : La Sixième Face du Pentagone, court métrage de Chris Marker et François Reichenbach sur la manifestation organisée à Washington le 21 octobre 1967 contre la guerre du Vietnam. Les plus fortunés pourront se procurer pour 80 € Planète Marker, coffret de dix DVD réunissant, outre Loin du Vietnam : La Jetée (1962), Le Joli Mai (1962), Le fond de l’air est rouge (1977), Sans soleil (1982), A.K. (1985), Mémoire pour Simone (1986), Le tombeau d’Alexandre (1993), Chats perchés (2004)…
Jean Dubuffet Il Ya, Portfolio, Fata Morgana Monpellier, 1979
Exposition. Fata Morgana au Musée Paul Valéry de Sète du 7 mars au 24 mai.
L’amour du livre et celui des arts plastiques se conjuguent de longue date aux éditions Fata Morgana. La maison héraultaise, dirigée par David Massabuau et Bruno Roy, cultive depuis un demi siècle une exigence qualitative aux antipodes des lois du marché et des étals où s’entassent les best-sellers avant de disparaître dans l’oubli.
Par son approche soignée et raffinée, Fata Morgana fait le bonheur des bibliophiles. Ces livres, environ 1 500 ouvrages édités depuis 1965, résultent de cette recherche incessante de rareté qui amène à une communion de l’ensemble des sens…
Des livres d’artistes aux tirages limités, à la Petite collection hôtel du grand miroir qui laisse place à la photo, en passant par la Poésie nouvelle, le fonds Morgana regorge de pépites en papier. Dans la belle collection Biliothèque artistique et littéraire consacrée au patrimoine littéraire, on trouve le poème de jeunesse en prose de Valéry Une chambre conjecturale. Un lien supplémentaire avec l’exposition Fata Morgana un goût de livre qui s’ouvrira du 7 mars au 24 mai au musée Paul-Valéry de Sète.
Cette exposition alliera à la littérature la bibliophilie et les Arts plastiques en mettant en lumière le fil vivant d’un dialogue à trois entre artiste, écrivain et éditeur qui fait la singularité de Fata Morgana. Plus de 250 exemplaires seront présentés aux côtés de manuscrits et de nombreuses œuvres des quelque 90 artistes (Dubuffet, Jarry, Soulage, Jaccottet…) qui ont collaboré à ces publications. Le Musée de Sète trouve une nouvelle occasion de souligner son attachement au monde des lettres.
Pavillon Populaire. Exposition consacrée à Aaron Siskind dont la pratique proche de l’abstraction tient une place majeure dans l’histoire de la photographie.
Une figure majeure de la photographie américaine, à découvrir actuellement à Montpellier, Aaron Siskind (1903-1991) voit l’importance de son œuvre se déployer enfin dans une exposition monographique exhaustive. Constituée de près de 250 tirages originaux, conçue et organisée par le Pavillon Populaire, en collaboration avec les archives Siskind (Center for Creative Photography, Tucson) et la Aaron Siskind Foundation de New York, c’est la première exposition de cette importance organisée depuis plus de 30 ans.
Photographe américain, enseignant et journaliste, Aaron Siskind est né le 4 décembre 1903 à New York. Après des études en littérature, il se destinait à être poète mais devenu membre de la Photo League, il prend part à des enquêtes sur la vie dans les quartiers populaires durant la grande dépression.
Il commence à pratiquer la photographie en 1932. Contrairement aux autres séries documentaires de l’époque, ses reportages Dead End : The Bowery et Harlem Document, consacrés à un quartier de Manhattan dont la population est éprouvée par la crise, témoignent d’un intérêt égal pour les aspects esthétiques de l’image et pour les difficultés des individus qu’il rencontre. Aaron Siskind a été qualifié de photographe abstrait. Beaucoup de ses photos relèvent d’une esthétique novatrice qui appelle des sentiments et offrent des perspectives sur la vie et l’histoire.
Dès la fin des années 1930, Siskind s’éloigne des sujets humains, et se tourne vers la photographie d’architecture (Old Houses of Bucks County), fixant l’image de vieilles maisons du comté de Bucks, mais aussi de phénomènes naturels et composant des natures mortes.
Sous l’influence des peintres abstraits comme Wilhem De Kooning ou Franz Kline, les recherches menées par Siskind ont eu pour point de départ le désir d’exprimer sa propre intériorité à travers la photographie, au lieu de ne voir en elle qu’un moyen d’enregistrer la réalité extérieure. Le photographe ouvre ainsi la voie en libérant la photographie de la représentation de la réalité. Son travail a offert un modèle important pour d’autres photographes qui ont voulu s’écarter de la pratique documentaire pour communiquer des idées personnelles.
Siskind était un explorateur, une sonde du monde visuel. Il a créé des images. En espérant exprimer des vérités durables de l’expérience humaine. Avec Siskind Une autre réalité photographique Gilles Mora renoue avec sa passion pour les photographes américains, qu’il sait faire partager pour notre plus grand plaisir.