Ceux qui alimentent la rumeur d’une Église divisée ont un objectif politique précis : récupérer les catholiques les plus conservateurs, déçus par François, pour les rallier à la droite souverainiste.
La Repubblica
Rome
Le C9 – le “conseil de la couronne” du pape François – a demandé un remaniement après
cinq années d’existence. Et il est raisonnable que le souverain pontife accède à cette demande. Mais il aura suffi d’une rumeur annonçant trois remplacements à venir pour amener certains à écrire que le pape est sur la défensive, que le cardinal Viganò avait raison [dans ses accusations selon lesquelles le pape aurait protégé des prélats dans des affaires d’abus sexuels], etc. Une opération sournoise et sophistiquée qui veut faire croire que l’Église est divisée.
Cette opération – qui intervient à l’approche des élections américaines de mi-mandat [en novembre] et avant que la très catholique jouvencelle Le Pen n’entre en scène pour devenir le porte-étendard du souverainisme – vise à faire du catholicisme ultratraditionaliste l’âme d’un souverainisme d’extrême droite, tout en ren dant aphone la papauté.
Pour mieux comprendre ce dessein politique, il faut revenir en 2013. Quand, non sans peine, Bergoglio – le pape François – a décidé de fixer les devoirs du “groupe de cardinaux” que le conclave lui avait demandé de constituer pour marquer les débuts de la collégialité. Il écrivait alors que le C9 avait pour devoir de “l’aider dans le gouvernement de l’Église universelle”. Et il ajoutait que le C9 devait également l’épauler dans la révision de la Constitution qui régit le fonctionnement de la curie romaine : révision dont les effets dépendent de la réforme de l’Église, et non l’inverse.
Dans son “groupe”, François a placé des personnages qui lui étaient hostiles au sein du conclave (comme le conservateur George Pell), des personnages indispensables pour s’y retrouver dans l’écheveau de la curie, des amis du Conseil épiscopal latino-américain, des présidents de conférence épiscopale de poids, auxquels il adjoint son secrétaire d’État. Ceux-ci ont discuté, au gré de 36 réunions, du canevas ecclésiologique tissé par Mgr Marcello Semeraro [secrétaire du conseil des cardinaux] pour la réforme de la curie : mais tous n’ont pas toujours été très “aidants” dans le gouvernement de l’Église.
Pell, auteur de plus d’imbroglios financiers qu’il ne se vante d’en avoir démêlé, a été renvoyé en Australie pour être jugé dans des affaires de pédophilie (voir chronologie). Quelques-uns ont dépassé la limite d’âge pour les tâches qui leur sont confiées (comme beaucoup au sein de la curie). D’autres pourraient être des cibles – coupables ou innocentes – d’opérations comme celle de Carlo Maria Viganò, manipulé par ceux qui veulent donner l’image d’une Église divisée.
Qu’après un quinquennat le C9 ait des ennuis et/ou se renouvelle n’a rien d’étonnant. Mais le bruit que fait cette affaire porte la signature du “parti des soudeurs” : ceux qui entendent souder l’extrême droite politique et l’extrême droite catholique, clivant ainsi l’Église. Il y a les “soudeurs” hauts en couleur, comme Steve Bannon [le sulfureux ex-conseiller de Donald Trump], qui cherche en Europe ce qu’il ne trouve plus aux États-Unis. Les prudents, comme les sénateurs italiens Bernini et Quagliariello, qui ont invité au Sénat le cardinal Burke, non pour fêter un personnage réactionnaire, mais pour défier le souverain pontife. Et enfin les inattendus, comme Mgr Gänswein, qui a participé à la présentation d’un livre plutôt anecdotique de Rod Dreher (un ancien catholique intégriste hostile à Bergoglio) et a déclaré que la pédophilie était le “11 Septembre de l’Église”.
Les “soudeurs” sont pressés : seul le pape peut les arrêter (comme le fit Pie XI avec l’Action française), et seule une Église riche de ses divergences mais non divisée pour autant peut empêcher que Viktor Orbán [le très droitier Premier ministre hongrois] ne détourne le Parti populaire européen pour transposer en Europe l’œcuménisme de la haine grâce auquel Trump a pu faire un hold-up dans le Parti républicain. Mais ce serait une erreur funeste que de sous-estimer la trempe de François.
Alberto Melloni*
Source La Républica 11/09/2018
*Alberto Melloni enseigne l’histoire du christianisme à l’université de Modène.