De Golgota Picnic à Tristes tropiques

Golgota_picnic_2 - copieLettre de Rodrigo García aux acteurs, aux techniciens et à toute l’équipe (16 personnes) qui participe à la pièce de Golgota Picnic.

Chers amis,

Comme vous pouvez le voir, ce mail a été écrit à 3 heures du matin le 5 juin, et pas parce que j’ai fait la fête ; simplement je n’arrive pas à dormir.

Les représentations de Golgota Picnic ont été annulées.
Cela ressemble à ce que certains d’entre nous ont vécu en 2003, lorsque nous avions des représentations prévues à Avignon et que nous sommes restés chez nous parce que le festival avait été annulé par le boycott des intermittents du spectacle qui revendiquaient leurs droits.

Aujourd’hui, onze ans plus tard, la même chose se produit. Les intermittents mènent un combat légitime contre l’État français et préparent des grèves pour empêcher que l’on touche à leurs droits.

Ils commencent à boycotter le premier festival de printemps-été du sud de la France : Le Printemps des comédiens, et si les choses ne s’arrangent pas ils continueront certainement avec le festival Montpellier Danse et finiront peut-être par empêcher celui d’Avignon, comme en 2003, à moins que le gouvernement ne cède et négocie.

Moi, au nom du CDN, j’ai laissé il y a quelque temps la grande salle du théâtre aux Intermittents pour la première Assemblée générale.
Moi, au nom du CDN, j’ai signé il y a deux jours une lettre de soutien aux intermittents adressée au Premier Ministre Manuel Valls.

Moi, ce matin, j’avais une réunion à la DRAC avec 18 autres directeurs qui font partie comme moi de ce qui s’appelle le Comité d’experts : nous nous réunissons pour débattre des compagnies régionales qui obtiendront des conventions et des subventions. Nous avons décidé ce matin de ne pas faire notre travail et de rejoindre la grève et nous avons rédigé une lettre en faveur des intermittents.

Moi, cet après-midi, j’ai décidé que nous annulions Golgota Picnic en geste de soutien aux droits des travailleurs français que l’on appelle les intermittents du spectacle.

Lorsque j’explique, entre autres, que l’un des comédiens de notre compagnie (Gonzalo Cunill) a renoncé à un travail de plusieurs semaines en Espagne juste pour faire trois représentations de Golgota Picnic à Montpellier, ça n’intéresse personne.

Tout le monde se fout de savoir que d’autres pâtissent économiquement de tout ça.

Qu’ils aillent se faire foutre, les artistes et techniciens espagnols, italiens et portugais de notre équipe, eux qui ne reçoivent aucune aide de l’État quand ils ne travaillent pas parce qu’ils ne travaillent pas en France, en Belgique ou en Suisse.

Tout le monde se fiche de savoir qu’à cause de cette annulation, toute l’équipe de Golgota Picnic perd l’opportunité de faire un autre travail et de toucher un salaire pour vivre avec leurs familles, tout le monde se fiche qu’il s’agisse de pays en crise où il n’y a pas de travail.

Les intermittents français défendent leurs droits avec un égoïsme prononcé et ne se préoccupent pas de ce qu’il se passe autour d’eux.

C’est digne d’une étude anthropologique ; parfois tout à l’air tellement primitif, comme dans Tristes tropiques de C. Lévi-Strauss. Il faut aussi dire que l’assemblée de cet après-midi a connu ses moments stalinistes, qui m’ont paru sombres et pathétiques. Et pourtant, je suis avec eux. Nous les soutenons.

Et plus encore : personne ne se soucie du plus grand perdant : le public, les citoyens, leurs voisins, les professeurs de leurs enfants ou les médecins qui les soignent, c’est-à-dire le public qui, quand il cesse d’être professeur ou médecin, va au théâtre. Qu’ils aillent se faire foutre. Cet été ils resteront à la maison à jouer au solitaire ou ils iront se balader à Odysseum, parce qu’il n’y aura ni opéra, ni théâtre ni danse.

Le débat sociologique et philosophique sur ce sujet serait interminable et je ne veux pas commencer à en discuter dans ce mail que j’écris seulement pour vous communiquer la mauvaise nouvelle de l’annulation.

En tant que directeur d’une institution, j’ai pris parti pour l’un des deux camps, celui des intermittents du spectacle, qui ont été trahis par le parti socialiste. Hollande n’a pas tenu ses promesses. La ministre de la culture refile la patate chaude au ministre du travail qui refuse de faire marche arrière.

En prenant cette décision, je me sens sur le plan personnel comme une vraie merde, parce que nous ne pouvons pas faire notre pièce en Juin comme c’était prévu (nous avions reçu tellement de demandes de places que nous avions ajouté une troisième représentation) et que vous, comme moi, nous retrouvons privés d’un premier contact artistique avec la ville de Montpellier.

Je suppose que ma décision d’annuler la pièce et de me situer du côté des intermittents ne plaira pas beaucoup au Ministère du travail. Je suppose que cette lettre, que nous avons décidé de rendre publique, ne plaira pas beaucoup aux intermittents du spectacle. Très bien : je me prendrai des claques des deux côtés. Au moins je dis ce que j’ai à dire. Je crois indispensable de dire que les gens qui – et c’est leur droit – foutent en l’air un festival doivent prendre conscience des « dommages collatéraux », car il y en a, et pas des moindres.

Pas la peine de dire que les trois cents personnes qui étaient à l’Assemblée cet après-midi m’ont applaudi lorsque j’ai annoncé qu’on ne ferait pas Golgota. Je me suis senti et je me sens comme une merde. Parce que j’aime mon travail.

Je vous envoie un lien d’une vidéo où Nicolas Bouchaud, compagnon de plusieurs de nos pièces, parle à ce sujet, pendant la remise des prix Molière: http://www.youtube.com/watch?v=XgtNuEy3cJk

Je vous recontacte très vite pour savoir s’il est possible de présenter Golgota Picnic plus tard. On verra. Parce que cette annulation affecte, et beaucoup, l’économie précaire de notre petit CDN qui a l’ambition de grandir et de se moderniser.

Rodrigo

Voir aussi : Rubrique Festival, rubrique Mouvement sociaux, Réponse de Franck Ferrara à cette lettre, rubrique Théâtre, Direction artistique. Des idées pour renouveler le théâtre à Montpellier ,

Le mouvement des précaires et intermittents se durcit

Photo Rédouane Anfoussi.

Le collectif unitaire en rangs serrés. Photo Rédouane Anfoussi.

Festival. Les deux premières soirées du Printemps des Comédiens sont annulées. La grève reconductible votée à Montpellier se propage en France.

La populaire formule « show must go on » n’a pas fonctionné hier matin lors de l’AG de l’équipe technique du Printemps des Comédiens qui a voté l’annulation des deux représentations de Vader prévues hier et aujourd’hui. L’ultimatum lancé lundi au ministre du Travail François Rebsamen afin qu’il rende public son refus d’agréer l’accord du 14 mai est pour l’heure resté lettre morte.

Dans la foulée se tenait en début après-midi l’AG très suivie du mouvement unitaire du Languedoc-Roussillon qui rassemble techniciens du spectacle, artistes, intérimaires, et plus largement toute personne victime de la précarité. Depuis le début, les « insurgés » soulignent en effet que l’impact de l’accord signé par le Medef et certains syndicats va toucher tous les demandeurs d’emploi. « Depuis lundi, notre action bénéficie d’un retentissement hexagonal. La presse nationale semble découvrir la problématique alors que nous sommes mobilisés depuis des mois », constatent les membres de l’AG.

La lutte fait tache d’huile
Hier, on s’est aussi félicité de la prise de parole de Nicolas Bouchaud à la cérémonie officielle des Molière retransmise sur le petit écran. Ce dernier a cité lundi la mobilisation à Montpellier et décerné au nom des intermittents un « Molière de la meilleure trahison à François Rebsamen, ministre du Travail, pour son rôle d’employé du Medef ». Dans plusieurs autres régions les coordinations ont appris la décision avec joie et soulagement. « Nous sentons une onde de solidarité qui se propage », témoigne un acteur du mouvement. Dans la région, le festival Klang de La Chapelle s’est également mis en grève. Le Théâtre de la remise et La bulle bleue ont fait de même ainsi que la Cie Provisoire qui a annulé son spectacle hier à Sortie Ouest. Chaque jour, les équipes artistiques se prononceront sur la poursuite ou non de la grève.

Le Printemps menacé
Les intermittents veulent maintenir la pression jusqu’à début juillet, date à laquelle l’accord devrait entrer en vigueur. Il devrait être question de l’avenir des autres grands festivals lors de la grande AG nationale qui se tiendra à Montpellier samedi 7 juin. Présent à l’AG, le directeur du festival Jean Varela s’est abstenu de tout commentaire sur le conflit.

Le président du Conseil général André Vezinhet a maintenu le cocktail d’inauguration. « Par respect pour le public et les mécènes du festival. » Il aurait souhaité un mouvement plus flexible avec des espaces d’expression dédiés et craint même que les professionnels « scient la branche sur laquelle ils sont assis ». Ce qui ne l’empêche pas de demander au gouvernement de reprendre les négociations : « Le protocole ne prend pas en compte des aspects essentiels des revendications. » Lors de l’AG le mouvement unitaire lui a demandé de donner acte en payant les jours de grèves.

La période s’annonce délicate pour le gouvernement, d’autant qu’une bonne partie d’élus et de parlementaires socialistes sont déjà montés au créneau pour lui demander de ne pas agréer le texte de la convention de Unedic. La proposition d’Aurélie Filippetti d’ouvrir des Assises de l’intermittence n’a pas fait un pli. « On veut nous asseoir, mais nous, on préfère rester debout », affirme Eva Loyer, responsable CGT Spectacle. En vertu de la « Charte des festivals » adoptée lors d’une AG au Théâtre de la Colline, en mai dernier, on savait que les spectacles auxquels les ministres voudraient assister n’auraient pas lieu. Désormais la présence des ministres n’est plus nécessaire pour stopper les représentations « tant qu’ils ne se décident pas à faire de vrais choix politiques et sociaux…»

Jean-Marie Dinh

Source : L’Hérault du Jour : 04/06/2014

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Alain Hayot : « La lutte contre le FN passe par un débat politique sur l’avenir »

 

 069eb6a936d2800ecb84ed3444678d7d_LALAIN HAYOT. L’homme de culture appelle dans son essai « Face au FN, la contre offensive » à une reprise en main du politique face à la consolidation de la droite extrême dans le paysage français.

Docteur en sociologie et anthropologie, professeur à l’Ecole nationale d’architecture de Marseille, délégué national à la culture au PCF, conseiller régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur (groupe Front de Gauche), ancien vice-président de la Région Paca délégué à la Culture et à la Recherche (1998 – 2010), Alain Hayot a été un acteur important du combat victorieux contre le couple Mégret à Vitrolles.

On assiste au retour de l’extrême droite qui, bien que n’ayant jamais disparue du paysage hexagonal, resurgit avec vigueur. A quoi doit on attribuer cette réémergence ?

La droite française a toujours était marquée par une radicalité sur son aile droite qui revient à différentes époques de son parcours, le boulangisme à la fin du XIXème siècle, l’affaire Dreyfus, les années 30, la période de Vichy ou encore le poujadisme sont là pour le rappeler. C’est pourquoi je soutiens que la réémergence que vous évoquez est un peu facilement attribuée au contexte de crise que nous traversons. Si celle-ci touche une partie croissante de la population avec la peur du déclassement qui l’accompagne et nourrit les rangs de l’électorat frontiste, je pense que la réémergence de l’extrême droite ne relève pas seulement de la crise socio-économique. Nous nous trouvons aujourd’hui devant une véritable crise de civilisation, une crise du sens qui concerne le devenir même de la société humaine. L’extrême droite s’engouffre dans cette crise du sens. Voter FN n’est pas un simple moyen d’exprimer son mécontentement. L’extrême droite se construit comme une alternative à la société, d’autant mieux que la sociale démocratie démontre son impuissance à incarner une alternative au néolibéralisme. La droite nationaliste est engagée dans la reconquête idéologique et culturelle. Elle est en capacité de s’inscrire durablement dans le paysage français.

Elle bénéficie pour cela d’un certain nombre d’éléments politiques et médiatiques qui assurent sa légitimation…

En effet, le processus de reconquête se voit légitimé par une forme d’hégémonie culturelle. Très vite une partie de la droite s’est mise à courir après les thèses de la droite extrême : Sarkozy, Copé, Fillon ont vu là un facteur de recomposition pour l’UMP en crise. A droite, on a assisté à une convergence idéologique qui a trouvé sa traduction électorale dans les urnes lors des dernières municipales. A gauche, depuis l’attitude purement tactique de Mitterrand qui prenait en compte la notion de « seuil de tolérance », le boomerang nous est revenu. On voit aujourd’hui que le FN ne divise plus la droite. Au PS, il y a eu aussi : « La France n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde » de Rocard, « Le FN pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses », de Fabius, Valls et les Roms… Je montre dans ce livre que le FN ne pose ni les bonnes questions ni n’apporte les bonnes réponses.

La diabolisation du FN ou le sempiternel pacte républicain comptent à vos yeux parmi les pièges à éviter pour combattre le FN…

La diabolisation est une pratique qui renoue exclusivement l’extrême droite au passé. Il faut garder l’histoire en mémoire, mais cela ne suffit pas parce que le FN a mis à jour sa pensée. L’extrême droite n’est plus une réplique du passé, elle tente de répondre aux enjeux actuels. Le national socialisme parle aux Français d’aujourd’hui et prétend apporter des solutions. Dans le cas du débat sur les Européennes, on veut nous faire croire qu’il y a d’un côté les libéraux et de l’autre les nationaux populistes anti-européens. Dans ce schéma simpliste, le FN apparaît comme une alternative crédible. Il prône le retour à un capitalisme national, protectionniste, chrétien et identitaire, ce qui s’avérerait dans les faits, un projet politique barbare. C’est une escroquerie intellectuelle qu’il faut dénoncer en expliquant vraiment de quoi il retourne.

Et en ce qui concerne la base d’un front républicain…

Je suis contre la mise en place d’un cordon sanitaire autour du FN. F comme fasciste, N comme nazi, ça fait trente ans que l’on entend ces thèmes. Le FN porte un projet qui s’inscrit dans l’histoire de la droite, pas en dehors du système capitaliste, il adopte une autre position que celle du libéralisme mondialisé qu’il faut combattre sur le terrain politique. Laisser penser que le FN est hors système permet au PS d’évacuer le débat de fond. Par ailleurs, il paraît difficile d’évoquer un pacte républicain dans une société qui exclut le peuple du champ de la politique. La réponse à la crise démocratique passe selon moi par la refondation d’un projet politique émancipateur du peuple et de l’individu. Aujourd’hui le pouvoir dépossède les citoyens de la décision. C’est la grande question posée au projet communiste qui a été porteur d’une émancipation collective mais pas individuelle. Le coeur du projet émancipateur aujourd’hui c’est la question de la démocratie, lieu d’émancipation collective et individuelle.

Sur quel terrain le combat doit-il se mener ?

L’extrême droite se réclame du peuple mais l’entraîne dans des voies contraires à ses intérêts. La contre offensive doit se mener sur le terrain social. Il faut relier, reconstruire des liens de solidarité entre les générations, entreprendre une reconquête idéologique et culturelle, rappeler que la nation est une construction historique qui ne se base pas sur l’exclusion, refonder la République laïque, penser l’exercice de la citoyenneté. Bref il faut oser la politique. Marine Le Pen, le PS et l’UMP gèrent le pays avec une boîte à outils, on gère un pays avec des idées, des valeurs.

Ces perspectives sont-elles applicables à l’ensemble de l’UE qui disposera très vraisemblablement d’un groupe d’extrême droite au sein de son Parlement ?

Ce qui se passe en Europe confirme globalement mon analyse. On assiste à une montée impressionnante des populismes qui sont déjà au pouvoir dans certain pays. En France, dans le grand Sud-Est, le Marinisme a de sérieuses chances d’arriver en tête. Il faudra bien se poser les questions que je pose dans mon bouquin…

Propos recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 19/05/2014

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Maj Sjöwall allume le polar nordique

red Maj Sjowall c Peter KnutsonPour le polar scandinave, la fille qui arriva avec son allumette a pour nom Maj Sjöwall tandis que Per Walhöô se chargeait du bidon de pétrole. Le couple utilise plutôt le roman procédurier et policier, mais dès 1965 il en fait une arme politique. Le roman d’un crime dessine une virulente critique de la société suédoise mettant en scène la Brigade criminelle autour du commissaire Martin Beck. Avec cette série de dix épisodes, Sjöwall et Walhöô se livrent selon Jean-Bernard Pouy : à une analyse minutieuse et une attaque en règle de ce qu’on appelait alors le paradis suédois ; avec comme sous thèse, une explication des mécanismes criminels, essentiellement dus aux pouvoirs corrupteurs de l’argent et du libèralisme capitaliste. » Per Walhöô définissait le travail de son épouse et de lui-même comme « un scalpel ouvrant le ventre d’une idéologie appauvrie et exposant la morale discutable du pseudo bien-être bourgeois ».

Le constat implacable qu’ils ont fait de cette société suédoise déliquescente a finit par trouver un écho éclatant à la fin de la décennie 1980, lorsque le fameux modèle social commença à voler en éclats sous les coups de boutoir du libéralisme économique. Nesbö, Mankell, Stieg Larsson sont les grands exportateurs du polar scandinave.
Depuis la mort de Per Walhöô en 1975, Maj Sjöwall continue d’écrire, en duo avec Tomas Ross.

JMDH

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Comédie du livre 2014

Les littératures nordiques et le réel

Comédie du Livre. La 29ème édition débute ce soir. Tandis que l’on s’apprête à découvrir les passionnantes lettres du Nord, des interrogations planent sur la 30ème édition.

Grand événement culturel montpelliérain autour des livres et des pensées, légères ou profondes, qu’ils génèrent, La Comédie du livre débute ce soir avec une soirée d’ouverture* consacrée à l’écrivain islandais Arnaldur Indridason. Auteur emblématique des littératures nordiques invitées de cette 29 édition, Indridason donne dans le roman policier. Il est traduit dans trente-sept pays et édité aux éditions Métailié qui  fêtent cette année leurs 35 ans à Montpellier. Mais surtout, Indridason a construit son œuvre en l’imbriquant intimement dans le tissu de la réalité de son pays, comme la majeure partie de ses homologues nordiques invités à Montpellier.

Ce sont ces réalités, historiques, économiques, politiques, sociales culturelles et environnementales que vont nous donner à sentir et à lire, plus de trente écrivains venus de la Norvège, d’Islande, de Suède, de la Finlande ou du Danemark. A noter que ce lien étroit entre littérature et réalité, propre aux écrivains du nord, n’est pas l’apanage du roman noir qui reste  brillamment représenté. A commencer par Maj Sjöwall qui en a fait dès 1965 une arme politique en dessinant une virulente critique de la société suédoise.

Katja Kettu

Katja Kettu

Les orfèvres de la blanche

La littérature dite blanche ne se trouve pas en reste pour faire voler en éclat le fameux modèle social scandinave. On se délectera avec l’écriture des Finlandaises  Johanna Sinisalo, qui mêle adroitement drame intime et catastrophe écologique, et Katja Kettu dont la voix éclatante nous plonge en pleine guerre de Laponie dans La Sage-femme. De même que la nature, l’histoire est souvent présente, dans les récits scandinaves. La suédoise Katarina Mazetti en donne une brillante illustration. Le monde entier peut s’effondrer, le grand arbre du monde résiste décrit la prophétesse. Depuis les lointaines sagas, l’univers surnaturel traverse les littératures du nord. Jusqu’au réalisme magique de Sjon, qui incarne la nouvelle génération d’auteur islandais. Parolier de Björk, il est aussi dramaturge. Il ne faudra pas manquer l’illustrateur suédois Lars Sjunnesson, devenu l’emblème de la communauté punk pour sa très irrévérencieuse manière de défier l’autorité et la bourgeoisie. Dans un autre registre on plongera au cœur de l’histoire norvégienne avec les six volumes du Roman de Bergen de Gunnar Staalesen qui nous immerge dans cette ville de 250 000 habitants en explorant toutes les composantes historiques, sociales et politiques, sur plus d’un siècle. Arni Thorarinsson dissèque, lui, la société actuelle islandaise et la crise qui l’ébranle. L’occasion nous est offerte de fréquenter ces littératures et de découvrir la place prépondérante qu’elles occupent aujourd’hui.

Changements en perspective…

Depuis 2011, année où la direction de l’événement a été confiée à l’association Cœur de Livres composée de libraires, la Ville de Montpellier, via la direction des affaires culturelles, a recentré la manifestation autour de la littérature des pays invités. Voyant là un moyen de palier à la dispersion des propositions et d’approfondir le contenu littéraire. En quatre ans, la solidarité et l’organisation entre les libraires se sont renforcées et la manifestation a gagné en qualité, mais la situation économique des libraires, historiquement à l’origine de l’événement, s’est tendue. Chaque année un lot de libraires disparaissent en France, et Montpellier qui demeure une ville de grands lecteurs n’est pas épargnée. La crise on le sait, ne ménage pas non plus les fonds publics.

Le nouveau maire Philippe Saurel qui avait pris soin de ne pas s’engager sur la question en tant qu’adjoint à la culture, s’est fixé comme objectif d’étendre la manifestation à l’ensemble des quartiers de la ville. Lors de la présentation, il a insisté sur le coût actuel de la manifestation (500 000 euros) et sommé l’association Cœur de livres de trouver un(e) président(e). Cédric de Saint Jouan, l’adjoint à la culture de Montpellier a quant à lui pris son bâton de pèlerin pour aller à la rencontre de tous les libraires. Pour la trentième édition, on s’attend à une redistribution des cartes. Dans quelle mesure les changements vont s’opérer, et quelles en seront les conséquences ? Difficile de le dire.

Le maire a rappelé à tous les acteurs la relation unissant la littérature au réel. Mais ce n’est pas une relation à sens unique. Le réel est aussi tributaire de la littérature. En attendant, les Montpelliérains ont ancré le rendez-vous sur leurs tablettes et personne ne songe un instant à leur couper l’accès aux livres. Ils vont découvrir avec bonheur la cohorte des écrivains nordiques et leur sens de la collectivité, ce qui pourrait leur donner l’envie d’écrire…

Jean-Marie Dinh

L’Hérault du Jour  22/05/2014

 *  A 19h Centre Rabelais.

 

Les éditions Gaïa : la connexion Landes-Grand Nord qui fait mouche

 

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Herbjorg Wassno

Vingt ans après la publication de La Vierge froide et autres racontars de Jorn Riel, Gaïa compte plus de 200 auteurs dans son catalogue. La majorité d’entre eux est originaire de l’Europe septentrionale mais la maison d’édition s’est ouverte à d’autres régions du globe en accueillant des auteurs des Balkans ou d’Allemagne.

 Basée dans les Landes, Gaïa fait partie des pionniers qui ont donné à voir le vrai visage des littératures du Nord. Des fictions qui ne signifient point frimas et âpreté, lieux communs longtemps véhiculés par l’imaginaire collectif, mais qui tend à disparaître depuis que l’excellente série Borgen a mis en lumière le dynamisme et la modernité de la démocratie danoise via le personnage fictif de Birgitte Byborg (qui n’est pas sans rappeler Helle Thorning-Schmidt), auprès du grand public.

Les lecteurs connaissent d’ailleurs plusieurs succès scandinaves publiés et remarquablement traduits sous l’œil avisé de Susanne Juul, la fondatrice de Gaïa. C’est probablement le cas du roman Le mec de la tombe d’à côté de Katarina Mazetti, qui sera présente à Montpellier. Quatre autres auteurs de la maison d’édition seront également de la partie comme Jorn Riel ou la très populaire spécialiste des sagas, Herbjorg Wassno, dont la trilogie Le Livre de Dina fut adaptée au cinéma. L’auteur de polar Gunnar Staalesen viendra avec sa célèbre fresque à suspens Varg Veum, dont le dernier tome intitulé Face à Face ouvre sur la découverte d’un mystérieux cadavre dans la salle d’attente pourtant pas si hospitalière du détective. Enfin, Leif Davidsen sera accompagné de son tout dernier roman, Le gardien de mon frère, qui mêle avec ambition intrigues et grande histoire.

Pour Marion Lasalle, ce rendez-vous était incontournable : «Nous sommes très contents d’avoir des auteurs invités à la Comédie du Livre car c’est un événement à rayonnement national. Nos auteurs ne sont pas aussi connus que les têtes d’affiche, mais c’est l’occasion pour le public de découvrir qui se cachent derrière des romans qui ont eu un succès honorable et qui ne se déplace que très rarement en France.»

 Désireuse de suivre ses romanciers sur l’ensemble de leur œuvre plutôt que sur un seul livre, Gaïa défend une ligne éditoriale dont la cohérence repose sur la qualité plutôt que le marketing. «Nous comptons sur le bouche à oreille des libraires qui nous restent fidèles. En 2006, Le Mec de la tombe d’à côté démarrait très doucement en France et c’est leur engouement qui a fait décollé le roman. C’est pour cela que nous privilégions ce réseau, avant les ventes en ligne, même si on ne peut pas les négliger, souligne Marion Lasalle. Mais on se bat pour que les librairies indépendantes puissent nous représenter car, sans elles, une maison d’édition comme Gaïa n’existerait plus.»

 Géraldine Pigault

Rencontre dimanche 25 mai 11h30 au Centre Rabelais

En bref
Programme Modification et annulation
Changement d’horaires : la table ronde autour de la Fantasy aura lieu dimanche à 10h avec Jérôme Noirez et Laurent Kloetzer (toujours à l’auditorium du Musée Fabre). Annulation : les auteurs Étienne Klein, Valter Hudo Mae, Annie Pietri et Jean-Philippe Blondel ne pourront être présents.

Sélection vendredi
Anticipation et critique sociale
Avec Johanna Sinisalo , Rosa Montero et Thomas Day.Venue de Finlande, d’Espagne ou de France, les œuvres de ces trois écrivains illustrent la vitalité et la grande diversité du roman d’anticipation européen. Mais l’invention d’imaginaire ne doit pas occulter la dimension critique d’intrigues qui n’hésitent pas à mettre fortement en accusation les travers et dérives bien réelles de nos sociétés. Demain à 14h30 Centre Rabelais.

Grand Entretien avec Sjón
Sjón l’inclassable a récemment été qualifié de « Mage du Nord » par la grande romancière britannique A.S. Byatt. Considéré comme « le fer de lance du réalisme magique à l’islandaise », Sjón crée des fictions mêlant Histoire et surnaturel, légendes et souvenirs vécus, excelle dans l’art de la citation, multiplie les intrigues, avec pour seul principe le plaisir de raconter des histoires. À découvrir absolument. Demain à La Panacée à 11h30.