Le système national d’alerte en cas d’attentat est « obsolète », selon un rapport sénatorial

 BORIS SEMENIAKO


BORIS SEMENIAKO

La menace terroriste a beau demeurer au plus haut, la France dispose d’outils totalement insuffisants pour informer sa population. L’application mobile lancée lors de l’Euro 2016, par exemple, cumule les défaillances.

« Obsolète », « défaillant », « contestable »… C’est un constat sévère sur le système national d’alerte de la population en cas d’événement grave, notamment l’application mobile Alerte attentat, que dresse un rapport d’information sénatorial qui doit être publié officiellement lundi 7 août, et dont Le Monde a eu connaissance. Rédigé par le sénateur de la Sarthe Jean-Pierre Vogel (LR), bon connaisseur du secteur de la sécurité civile, ce rapport se montre particulièrement inquiet des retards de la France alors que la menace terroriste demeure au plus haut.

L’application Alerte attentat, lancée au moment de l’Euro de football 2016, n’est qu’un élément de ce qui est appelé le « Système d’alerte et d’information des populations » (SAIP). Celui-ci comprend également tout le réseau de sirènes du territoire. Mais, un an après la mise à disposition de l’application sur téléphone mobile, d’après ce rapport, non seulement son efficacité est loin d’être démontrée, mais le choix stratégique de la développer s’avère un non-sens au regard des enjeux plus pressants sur le sujet. « Il sera trop tard pour s’en préoccuper quand il y aura un nouvel attentat », prévient M. Vogel.

De fait, l’application a été conçue dans l’urgence, en à peine cinq mois, à l’époque où Manuel Valls était premier ministre et Bernard Cazeneuve ministre de l’intérieur. La décision de la créer a été prise en janvier 2016, dans la foulée des attentats du 13 novembre 2015. Mais depuis, seules 900 000 personnes l’ont téléchargée. Or il faudrait un seuil minimal de 5 millions d’utilisateurs « pour qu’une masse critique » permettant d’alerter correctement sur une zone de danger précise soit atteinte, selon le rapport du sénateur Vogel.

Techniquement, l’application n’a pas non plus tenu ses promesses. La seule fois où elle a été activée en conditions réelles, soit lors de l’attentat de Nice, en juillet 2016, le message d’alerte a…

Elise Vincent

Source Le Monde 05/08/2017

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Politique, société civile, rubrique Société, rubrique Citoyenneté , Vertus et vices de la comédie sécuritaire,

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Lettre ouverte à M. le Président de la République française

1500219368336-640x360Pour Emmanuel Macron, « l’antisionisme… est la forme réinventée de l’antisémitisme ». Voilà le propos tenu lors d’un discours pour la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv (durant lequel des milliers de juifs français furent arrêtés et déportés dans le camps de concentration nazis), en présence du président israélien Netanyahou. De quoi s’étonner ? Le célèbre historien israélien Shlomo Sand, déjà interviewé par Investig’Action dans notre livre “Israël, parlons-en!”, décortique le discours délirant du président français. (IGA)

« L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricœur a-t-il si peu lu de livres d’histoire, au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites ? »

En commençant à lire votre discours sur la commémoration de la rafle du Vel’d’hiv, j’ai éprouvé de la reconnaissance envers vous. En effet, au regard d’une longue tradition de dirigeants politiques, de droite, comme de gauche, qui, au passé et au présent, se sont défaussés quant à la participation et à la responsabilité de la France dans la déportation des personnes d’origine juive vers les camps de la mort, vous avez pris une position claire et dénuée d’ambiguïté : oui la France est responsable de la déportation, oui il y a bien eu un antisémitisme, en France, avant et après la seconde guerre mondiale. Oui, il faut continuer à combattre toutes les formes de racisme. J’ai vu ces positions comme étant en continuité avec votre courageuse déclaration faite en Algérie, selon laquelle le colonialisme constitue un crime contre l’humanité.

Pour être tout à fait franc, j’ai été plutôt agacé par le fait que vous ayez invité Benjamin Netanyahou, qui est incontestablement à ranger dans la catégorie des oppresseurs, et ne saurait donc s’afficher en représentant des victimes d’hier. Certes, je connais depuis longtemps l’impossibilité de séparer la mémoire de la politique. Peut-être déployez-vous une stratégie sophistiquée, encore non révélée, visant à contribuer à la réalisation d’un compromis équitable, au Proche-Orient ?

J’ai cessé de vous comprendre lorsqu’au cours de votre discours, vous avez déclaré que :

« L’antisionisme… est la forme réinventée de l’antisémitisme ». Cette déclaration avait-elle pour but de complaire à votre invité, ou bien est-ce purement et simplement une marque d’inculture politique ? L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricœur a-t-il si peu lu de livres d’histoire, au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites ? Je fais ici référence à presque tous les anciens grands rabbins, mais aussi, aux prises de position d’une partie du judaïsme orthodoxe contemporain. J’ai également en mémoire des personnalités telles Marek Edelman, l’un des dirigeants rescapé de l’insurrection du ghetto de Varsovie, ou encore les communistes d’origine juive, résistants du groupe Manouchian, qui ont péri. Je pense aussi à mon ami et professeur : Pierre Vidal-Naquet, et à d’autres grands historiens ou sociologues comme Eric Hobsbawm et Maxime Rodinson dont les écrits et le souvenir me sont chers, ou encore à Edgar Morin. Enfin, je me demande si, sincèrement, vous attendez des Palestiniens qu’ils ne soient pas antisionistes !

Je suppose, toutefois, que vous n’appréciez pas particulièrement les gens de gauche, ni, peut-être, les Palestiniens ; aussi, sachant que vous avez travaillé à la banque Rothschild, je livre ici une citation de Nathan Rothschild, président de l’union des synagogues en Grande-Bretagne, et premier juif à avoir été nommé Lord au Royaume Uni, dont il devint également la gouverneur de la banque. Dans une lettre adressée, en 1903, à Théodore Herzl, le talentueux banquier écrit : « Je vous le dis en toute franchise : je tremble à l’idée de la fondation d’une colonie juive au plein sens du terme. Une telle colonie deviendrait un ghetto, avec tous les préjugés d’un ghetto. Un petit, tout petit, Etat juif, dévot et non libéral, qui rejettera le Chrétien et l’étranger. » Rothschild s’est, peut-être, trompé dans sa prophétie, mais une chose est sûre, cependant : il n’était pas antisémite !

Il y a eu, et il y a, bien sûr, des antisionistes qui sont aussi des antisémites, mais je suis également certain que l’on trouve des antisémites parmi les thuriféraires du sionisme. Je puis aussi vous assurer que nombre de sionistes sont des racistes dont la structure mentale ne diffère pas de celle de parfaits judéophobes : ils recherchent sans relâche un ADN juif (ce, jusqu’à l’université où j’enseigne).

Pour clarifier ce qu’est un point de vue antisioniste, il importe, cependant, de commencer par convenir de la définition, ou, à tout le moins, d’une série de caractéristiques du concept : « sionisme » ; ce à quoi, je vais m’employer le plus brièvement possible.

Tout d’abord, le sionisme n’est pas le judaïsme, contre lequel il constitue même une révolte radicale. Tout au long des siècles, les juifs pieux ont nourri une profonde ferveur envers leur terre sainte, plus particulièrement pour Jérusalem, mais ils s’en sont tenus au précepte talmudique qui leur intimait de ne pas y émigrer collectivement, avant la venue du Messie. En effet, la terre n’appartient pas aux juifs mais à Dieu. Dieu a donné et Dieu a repris, et lorsqu’il le voudra, il enverra le Messie pour restituer. Quand le sionisme est apparu, il a enlevé de son siège le « Tout Puissant », pour lui substituer le sujet humain actif.

Chacun de nous peut se prononcer sur le point de savoir si le projet de créer un Etat juif exclusif sur un morceau de territoire ultra-majoritairement peuplé d’Arabes, est une idée morale. En 1917, la Palestine comptait 700.000 musulmans et chrétiens arabes et environ 60.000 juifs dont la moitié étaient opposés au sionisme. Jusqu’alors, les masses du peuple yiddish, voulant fuir les pogroms de l’empire Russe, avaient préféré émigrer vers le continent américain, que deux millions atteignirent effectivement, échappant ainsi aux persécutions nazies (et à celles du régime de Vichy).

En 1948, il y avait en Palestine : 650 000 juifs et 1,3 million de musulmans et chrétiens arabes dont 700.000 devinrent des réfugiés : c’est sur ces bases démographiques qu’est né l’Etat d’Israël. Malgré cela, et dans le contexte de l’extermination des juifs d’Europe, nombre d’antisionistes sont parvenus à la conclusion que si l’on ne veut pas créer de nouvelles tragédies, il convient de considérer l’Etat d’Israël comme un fait accompli irréversible. Un enfant né d’un viol a bien le droit de vivre, mais que se passe-t-il si cet enfant marche sur les traces de son père ?

Et vint l’année 1967 : depuis lors Israël règne sur 5,5 millions de Palestiniens, privés de droits civiques, politiques et sociaux. Ils sont assujettis par Israël à un contrôle militaire : pour une partie d’entre eux, dans une sorte de « réserve d’Indiens » en Cisjordanie, tandis que d’autres sont enfermés dans un « réserve de barbelés » à Gaza (70% de ceux-ci sont des réfugiés ou des descendants de réfugiés). Israël, qui ne cesse de proclamer son désir de paix, considère les territoires conquis en 1967 comme faisant intégralement partie de « la terre d’Israël », et s’y comporte selon son bon vouloir : jusqu’à présent, 600 000 colons israéliens juifs y ont été installés….et cela n’est pas terminé !

Est-cela le sionisme d’aujourd’hui ? Non ! Répondront mes amis de la gauche sioniste qui ne cesse de se rétrécir, et ils diront qu’il faut mettre fin à la dynamique de la colonisation sioniste, qu’un petit Etat palestinien étroit doit être constitué à côté de l’Etat d’Israël, que l’objectif du sionisme était de fonder un Etat où les juifs exerceront la souveraineté sur eux-mêmes, et non pas de conquérir dans sa totalité « l’antique patrie ». Et le plus dangereux dans tout cela, à leurs yeux : l’annexion des territoires occupé constitue une menace pour Israël en tant qu’Etat juif.

Voici précisément le moment de vous expliquer pourquoi je vous écris, et pourquoi, je me définis comme non-sioniste, ou antisioniste, sans pour autant devenir antijuif. Votre parti politique inscrit, dans son intitulé : « La République », c’est pourquoi je présume que vous êtes un fervent républicain. Et dussé-je vous étonner : c’est aussi mon cas. Donc, étant démocrate et républicain, je ne puis, comme le font sans exception tous les sionistes, de droite comme de gauche, soutenir un Etat juif. Le Ministère de l’Intérieur israélien recense 75% de ses citoyens comme juifs, 21% comme musulmans et chrétiens arabes et 4% comme « autres » (sic). Or, selon l’esprit de ses lois, Israël n’appartient pas à l’ensemble des Israéliens, mais aux juifs du monde entier qui n’ont pas l’intention de venir y vivre. Ainsi, par exemple, Israël appartient beaucoup plus à Bernard Henry-Lévy et à Alain Finkielkraut qu’à mes étudiants palestino-israéliens qui s’expriment en hébreu, parfois mieux que moi-même ! Israël espère aussi qu’un jour viendra où tous les gens du CRIF, et leurs « supporters » y émigreront ! Je connais même des français antisémites que cette perspective enchante ! En revanche, on a pu entendre deux ministres israéliens, proches de Benjamin Nétanyahou, émettre l’idée selon laquelle il faut encourager le « transfert » des Israéliens arabes, sans que personne n’ait émis la demande qu’ils démissionnent de leurs fonctions.

Voilà pourquoi, Monsieur le Président, je ne peux pas être sioniste. Je suis un citoyen désireux que l’Etat dans lequel il vit soit une République israélienne, et non pas un Etat communautaire juif. Descendant de juifs qui ont tant souffert de discriminations, je ne veux pas vivre dans un Etat, qui, par son autodéfinition, fait de moi un citoyen doté de privilèges. A votre avis, Monsieur le Président : cela fait-il de moi un antisémite ?

Shlomo Sand, historien israélien
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)

Source : Mediapart

Michel Collon a interviewé Shlomo Sand dans le livre “Israël, parlons-en!”

Voix douces et puissantes des femmes d’Afrique

Hindi Zahra et Fatoumata Diawara  Crédit Photo dr

Hindi Zahra et Fatoumata Diawara Crédit Photo dr

Les soirées bouillonnantes du festival  Fiest’A Sète qui se clôture ce week end  se suivent mais ne se ressemblent pas .

Retour à l’Afrique jeudi au théâtre de la Mer après la soirée d’ouverture en hommage à Fela avec Roy Ayers et son fils Seun Kuti. La soirée Divas africaines réunit sur le premier plateau la berbère franco-marocaine Hindi Zahra et la malienne Fatoumata Diawara auxquelles on porte une précieuse attention. C’est sans doute à travers le parcours des deux artistes que réside l’origine de cette belle fluidité qui s’est emparée de la scène. Chacune dans leur domaine, Hindi Zahra et Fatoumata Diawara ont su franchir les frontières musicales pour affirmer leur personnalité artistique.

Partie de la musique traditionnelle gnaouie, Hindi Zahra, suit la ligne d’un courant musical et spirituel qui a enrichi des styles aussi divers que la fusion, le jazz, le blues, le rock ou le reggae. Avec l’agilité joyeuse qui la caractérise la chanteuse remporte en 2011 la Victoire de la musique dans la catégorie «album de musique du monde» avec son album Handmade qui pousse vers les contrées folk.

Fatoumata Diawara qui a grandi à Abidjan (Côte d’Ivoire) plaque tournante de la musique africaine, avant de partir pour le Mali, explore les voies possibles de l’émancipation humaine et notamment celle du cinéma et du théâtre.  Elle tourne six ans au sein de la troupe de cirque contemporain Royal de luxe. Elle participe à l’enregistrement d’un album de Dee Dee Bridgewater, chante avec Herbie Hancock et Hank Jones. Mais quand elle décide de se mettre à ses propre compositions, c’est  aux sources fraîches des  chants du bassin wassoulou (à cheval entre le Mali, la Guinée et la Côte d’Ivoire ) qu’elle retourne puiser son inspiration.

Un concert humble, proposant un mariage musical d’une étonnante douceur qui est allée jusqu’au bout des choses.

 Oumou-Sangaré-au-micro

Sangaré lionne au grand coeur

L’ alliance naturelle avec Oumou Sangaré qui assurait la deuxième partie de cette soirée féminine coule pour ainsi dire de source. Née à Bamaco, la grande dame malienne, dans tous les sens du terme, a sollicité Fatoumata Diawara  à ses débuts pour l’enregistrement de son album Seya,  mais c’est surtout en temps qu’ambassadrice du Wassoulou, que les programmateurs éclairés du festival ont eu recours à ses talents pour concocter cette heureuse soirée.

Femme de coeur et de conviction, la star malienne a connu un succès précoce. En 1987, son premier album Moussoulou se vend à 100 000 exemplaires au Mali. Elle n’a alors que 18 ans. Elle s’épanouit depuis à travers une carrière internationale.

Propulsé par un combo hyper efficace, le concert sétois a été l’occasion de découvrir son dernier opus Mogoya (les relations humaines d’aujourd’hui ) sorti en mai, avec la collaboration musicale de Tony Allen.

Il s’appuie sur des textes engagés en faveur d’un retour aux racines africaines. Il encourage les femmes maliennes à se saisir de leur destin pour impulser un changement en faisant basculer les vieux poncifs aux oubliettes.

JMDH

Fiest’A Sète

Source : La Marseillaise 

Voir aussi : Rubrique Afrique, Nigéria, rubrique Musique Mahmoud Ahmed rubrique, RencontreSeun Kuti : Libre petit prince de l’AfrobeatMory Kanté, rubrique Festival,

L’enfer des start-up : « J’avais l’impression que tout le monde portait des lunettes roses »

Mathilde RamadierQuand Mathilde Ramadier commence à travailler dans le secteur dynamique des start-up, l’expérience tourne au cauchemar.

 

Si l’expérience start-up vous tentait, réfléchissez-y à deux fois. Dans un pamphlet, la jeune auteure met en lumière les absurdités de la « startupshère » et du management du bonheur (et plus largement du monde du travail et de notre société toute entière).

Avec sur son CV  un BTS graphisme, un master Normal Sup’ de philosophie, et déjà plusieurs expériences professionnelles, Mathilde Ramadier arrive dans la Silicon Allee berlinoise en 2011.

C’est là qu’elle commence à travailler au sein de la start-up The Base [tous les noms ont été modifiés dans le livre, ndlr].

Passée l’excitation des débuts et le « welcome kit » (e-mail de bienvenue plein de smileys et de promesses), la désillusion est rapide.

On imagine les start-up comme « des entreprises « révolutionnaires », financées par des « business angels », dirigées par des « rockstars », et alimentées par des « treasure hunters ». Hou hou ! On redescend sur terre deux minutes ? »

Derrière la mise en scène millimétrée et la success story que l’on nous vend sur Instagram, il y a un monde brutal pour les individus, raconte-t-elle. La révolution (ou plutôt « disruption« ) annoncée n’en est pas une.

Le bon vieux modèle de l’exploitation du travail par le capital est toujours là, où le rabaissement des individus est la norme et le sexisme rien de très grave. Les tâches sont abrutissantes, l’urgence est la règle, l’encadrement omniprésent, les sourires artificiels… et les psychanalystes riches !

Par cette description acerbe de la « startupshpère », Mathilde Ramadier nous illustre a fortiori un ultralibéralisme cynique, et une modernité désenchantée. En 2013, elle témoignait déjà chez Rue89. On la retrouve aujourd’hui avec son livre « Bienvenue dans le nouveau monde, comment j’ai survécu à la coolitude des start-ups » (éd. Premier Parallèle, 2017). Entretien.

Rue89. A quel moment avez-vous compris que travailler au sein d’une start-up n’était pas fait pour vous ?

Mathilde Ramadier. Très très vite. En fait, je suis arrivée à Berlin en 2011 après mon master de philosophie. Je voulais faire un doctorat mais vous connaissez la situation, c’est difficile d’avoir un financement, je ne voulais pas me lancer dans une vie précaire pendant cinq ans.

En arrivant à Berlin, je ne m’inscris pas à la fac, donc il me faut un travail assez vite. Et là je me rends compte que le secteur qui embauche le plus, le plus dynamique, c’est celui des start-up. J’ai mon premier entretien chez les concurrents de Airbnb, pour un job de « responsable référencement du site français ». Ça ne nécessite pas un Bac+8, mais c’est quand même un poste un peu sérieux, avec des responsabilités.

Là-bas, on me proposait un salaire de 650 euros brut. J’ai explosé de rire et refusé. Et en fait c’est comme ça, sur le tas, que j’ai compris qu’il n’y avait pas de salaire minimum en Allemagne [un salaire minimum a été introduit en Allemagne en 2015, ndlr]. Au fur et à mesure, j’ai été confrontée à des désillusions et j’ai compris que l’univers des start-up abusait vraiment de cette précarité.

Du coup, très vite, je me suis méfiée, mais je me disais « essaie encore ». Il y a peut-être eu une part de naïveté de ma part, ou en tout cas peut-être un excès d’optimisme. Pourtant je suis quand même d’un naturel assez méfiant et sceptique à la base, mais bon, une fois qu’on est pris dans le tourbillon.

Lorsque vous travailliez, vous aviez déjà un regard attentif sur votre environnement de travail, avec l’idée d’un livre en tête ?

Honnêtement non. Mon expérience dans les start-up débute en septembre 2011, pour finir en juin 2015. La dernière, que je raconte dans le livre, c’était à Vesta [une start-up dans le domaine de l’art, ndlr], pendant 6 mois. Depuis, je vis complètement de mes activités d’auteure et de traductrice.

L’idée du livre m’est venue juste après cette dernière expérience, à l’été 2015. J’ai d’abord écrit un premier jet, un peu comme pour écrire des mémoires, pour ne rien oublier.

Quand je travaillais chez Vesta, je ne prenais pas de notes, je n’y réfléchissais pas, mais je pense que j’étais déjà un peu dans la posture de l’espionne. Je regardais déjà ça avec beaucoup d’amusement, j’étais à l’affût de tout ce qui pouvait être ridicule.

Beaucoup de personnes sont tournées en ridicule dans votre livre. Vous êtes très virulente, par exemple lorsque vous évoquez les DRH, ou plutôt la « talent recruiter » en novlangue. En fait, pour vous la start-up est une énorme mise en scène ?

Oui. En fait c’est une comédie, particulièrement dans ces deux expériences que je relate le plus : Vesta, parce que c’était la dernière et la plus longue ; et The Base, où je suis restée à peine 20 jours mais qui était la plus absurde. C’était vraiment fou, une vraie comédie.

Si j’avais été un peu parano, j’aurai pu me demander s’il n’y avait pas de caméra cachée… Tout le monde était enfermé dans un rôle, il y avait tellement peu d’humilité, de recul sur soi, de clairvoyance. J’avais comme l’impression que tout le monde portait des lunettes roses.

D’ailleurs lorsqu’on vous lit, on comprend que vous n’aimez pas trop les petits chiens, les petits cœurs, les manies healthy, et tout ce qui en général incarne cette culture de la start-up.

Ce n’est pas que je ne les aime pas par snobisme, mais parce que ça participe de ce mirage : c’est du papier cadeau qu’on nous vend, qui contient finalement du vide.

Je n’ai rien contre un petit chien en soi, même si c’est un caniche et qu’en général, les caniches c’est plutôt le symbole du pouvoir que le chien du prolétaire. J’utilise aussi des smileys (je ne suis pas une vieille réac’), mais je n’en mets pas non plus à la fin de chaque phrase quand je m’adresse à mes collègues. Et évidemment j’aime manger des choses qui sont bonnes pour la santé, j’achète du bio, etc.

Mais tout ça était tellement poussé à l’excès, comme pour servir une idéologie. Le frigo était plein de choses bonnes pour la santé, bio et à la mode (on y trouvait par exemple toutes les sortes de limonade :  au maté, aux fruits rouges…) : c’est un peu comme si on voulait donner le sentiment qu’on était les pionniers de quelque chose et que la moindre chose ingurgitée devait forcément être le symbole du changement.

C’est ça qui m’agace : c’est l’enveloppe. Pareil pour le team-bonding, les apéros after-work. J’adore faire la fête moi, j’aime bien boire des coups, mais avec des vrais amis. Je ne veux pas être obligée de le faire toutes les semaines avec mes collègues, juste pour faire un selfie avec mes patrons et dire après sur Instagram que j’étais là.

Vous parlez aussi beaucoup des nouvelles techniques de RH, avec des logiciels comme 7Geese, ou ce que vous appelez la « carotte 2.0 ». On se dit que les méthodes managériales n’ont pas vraiment changé, on a juste mis un coup de vernis, et la compétition qui en découle est d’autant plus insidieuse ?

Exactement. C’est une nouvelle forme de manipulation, une prise de pouvoir qui ne dit pas son nom. Elle est donc d’autant plus perverse et difficile à contourner pour un jeune ou quelqu’un qui n’a pas beaucoup d’expérience professionnelle.

Vu qu’on matraque l’idée que « c’est le nouveau monde », qu’ici on est en train d’inventer la nouvelle manière de travailler, les gens ne se méfient plus.

J’ai vu ça autour de moi : des gens loin d’être bêtes, mais qui pourtant gobaient un peu tout ça sans prendre aucun recul. Je pense que c’est à relier au fait qu’on est convaincus qu’il n’y a plus besoin de se méfier, puisqu’ici tout va bien, on est loin du vieux monde, de l’entreprise à hiérarchie pyramidale.

Dans le livre, je raconte par exemple l’anecdote de cette très jeune DRH de Vesta, que je suis allée voir pour lui demander s’il n’y avait pas une faute de frappe dans mon contrat : j’avais un CDD de 6 mois, et ma période d’essai durait 6 mois. Elle me dit que c’est normal et qu’elle a le même contrat : elle ne voyait pas où était le problème.

C’est dangereux. Même si c’était permis par la loi du travail allemand, ce que je dénonce fondamentalement, c’est le fait qu’elle ne voyait pas ce qu’il y avait de dérangeant.

Vous nous parlez de danger. Dans le livre, vous faites même référence à Orwell, et à l’idée qu’il s’agit d’un modèle qui incarnerait une nouvelle forme de totalitarisme : encadrement, novlangue et propagande, culte de la personnalité, etc.

Oui. Par exemple, pour le culte de la personnalité… Pour certains patrons, ceux de Vesta et The Base que j’ai le plus approchés, c’était une vraie figure emblématique du chef, et je dirais même du messie. C’était le gars intouchable : quand il rentrait dans le bureau le matin c’était comme s’il marchait sur les eaux.

Bien sûr, il ne connaissait pas nos prénoms, il nous regardait tous de haut, et disait bonjour très fort, de manière outrancière. On ne savait évidemment pas combien il gagnait ni même à quoi il occupait ses journées. Par contre, on avait tout à fait conscience de son niveau de vie qu’il étalait sans pudeur.

C’est anecdotique mais il venait parfois avec son caniche, il postait beaucoup de photos sur Instagram qu’il nous envoyait même parfois directement par mail. Il s’y montrait à droite à gauche, dans tel aéroport, soit-disant pour négocier des deals pour la boîte. Mais bon, il était très souvent en vacances sur des plages paradisiaques. Son trip, c’était surtout les palmiers : on était vraiment dans le cliché du grand patron qui va se détendre sur une plage des tropiques.

Encore une fois, sous couvert de ce papier cadeau, des idées d’un monde nouveau, on retrouve finalement les même codes qu’avant. Ça m’a souvent fait penser au « Loup de Wall Street » [le film de Martin Scorsese, ndlr], ou alors à ce qu’on pouvait reprocher à la pub dans les années 80-90.

Vous utilisez des termes relatifs à la psychanalyse en décrivant des employés infantilisés par des maniaques, hystériques, phobiques, obsédés par le court-termisme… Qu’est ce que Freud aurait pensé de tout ça ?

Je pense qu’il aurait adoré ! Moi aussi d’ailleurs. Comme je n’ai pas abandonné l’idée d’être psychanalyste un jour, j’avoue que je me frottais un peu les mains quand je voyais ces cas-là.

Freud a écrit un livre sur la religion, qui s’appelle « L’Avenir d’une Illusion ». Même s’il est un peu dépassé – il a 100 ans ou presque – je trouve le titre très beau. En fait, je pense qu’il aurait pu écrire quelque chose avec le même titre pour parler de tout ça. Ça aurait collé. Parce qu’on peut se demander quel est l’avenir de cette illusion-là ? En a-t-elle même un ?

Est-ce que ces types sont réellement convaincus de tout ce qu’ils font et tout ce qu’ils disent, ou est-ce que c’est un pur excès de mégalomanie ? Je ne sais pas. Parce que c’est vrai qu’ils ont tellement le vent en poupe, ce n’est plus comme les patrons de grands groupes d’il y a 20 ans, qui avaient quand même un peu mauvaise presse.

Là, vraiment, tout le monde les encense. La gauche comme la droite, les jeunes comme les vieux.

C’est vrai que les témoignages comme le vôtre, qui s’érigent contre cette culture de la start-up, restent rares. Pourquoi ?

C’est vrai, et pourtant je suis convaincue de ne pas être la seule. Par exemple il y a Dan Lyons, un ancien journaliste reconverti en manager dans une start-up alors qu’il était quinquagénaire : il a écrit le livre « Disrupted, My Misadventure in the Start-Up Bubble Audible » (éd. Hachette Books, 2016).

C’est un récit très bien écrit, très drôle. Finalement, il raconte un peu la même chose que moi, mais du point de vue d’un senior. Il raconte le jeunisme exagéré qui l’a particulièrement marqué, le manque de maturité. Nos propos se rejoignent en beaucoup de point.

Et puis il y a le philosophe Eric Sadin avec qui j’ai pu échanger un peu sur le sujet, qui a publié « La Siliconisation du Monde. L’irrésistible expansion du libéralisme numérique » (éd. L’échappée, 2016). Lui qui n’a jamais travaillé pour une start-up va plus loin : il s’attaque à la Silicon Valley pas seulement en tant qu’employeur mais véritablement comme producteur de valeur. Mais oui, nous sommes peu nombreux.

Pourtant, beaucoup en souffrent. Vous décrivez une génération Y, les millenials, ces jeunes précaires qui jonglent entre périodes d’essai, CDD, et salaires de misère. Vous évoquez d’ailleurs des vague de démissions. Donc les gens se rendent bien compte que ce n’est pas normal ?

Comme je le dis dans le livre, pour majorité, les employés des start-up ne sont pas bêtes, ils se doutent bien qu’il y a des choses qui ne sont pas normales, mais ils se disent que c’est peut-être juste cette boîte-là, ou que c’est parce que c’est une jeune start-up, donc qu’elle peut faire quelques erreurs. Et puis ceux qui en souffrent comme moi n’en parlent pas forcément. Il faut puiser l’énergie, trouver la force d’en parler.

Vous avez parlé de Dan Lyons, qui s’intéresse beaucoup à la question des seniors dans les start-up. Vous épinglez aussi des discriminations portant sur les nationalités ou le genre, et décrivez parfois la « startupsphère » comme un milieu sexiste. Les discriminations sont monnaies courantes ?

Ça, ça n’a pas été le cas dans toutes les start-up, mais les exemples que je cite dans le livre sont quand même suffisamment forts. Moi personnellement, je n’ai pas été victime de sexisme directement, à part une fois quand un CEO [Chief Executive Officer, ndlr] m’a dit que je devrais faire hôtesse si je n’avais pas les épaules pour le job. Si j’avais été un homme il ne m’aurait pas dit ça.

Dans le sous chapitre consacré au sujet, j’analyse aussi le fait que certaines start-up développent des modèles qui enferment, séparent les deux genre avec pleins de clichés.

Comme cette start-up que vous mentionnez, qui décrit la garde-robe comme le « problème féminin universel »  ?

Voilà, ce genre de conneries. Et j’ai remarqué aussi, je n’ai jamais vu un seul CEO femme, lorsque j’étais freelance ou employée pour cette douzaine de start-up pendant quatre années. Sans compter les autres, que j’ai juste approchées en entretiens, et d’où je suis partie en courant.

Il y avait bien d’autres postes par contre, qui eux étaient toujours occupés par des femmes : les « talent recruiter » (DRH), les « offices manager » (secrétaires). Il y a toujours des différences de salaire aussi. Donc finalement on reproduit toujours les vieux schémas du patriarcat.

Vous ne prévoyez pas un retour dans le milieu ?

De toute façon, non, et puis là c’est vrai que je me suis un peu grillée ! Mais c’est le prix à payer, et je l’assume.

Juliette Montilly

 

Source Rue 89;  article a initialement été publié le 7 mars 2017.

Voir aussi : Actualité France, Rubrique Education,  rubrique Société, Travail, Santé,

« Il faut arrêter l’omerta » : « Paye ton gynéco » dénonce les violences obstétricales

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Animée par trois amies, une page Facebook recueille les témoignages de femmes dénonçant des violences obstétricales et gynécologiques dont elles ont été victimes.

Une femme relate la pose d’un stérilet « en mode Moyen Age », suivie de neuf jours de douleur dont deux « à ne pas pouvoir marcher ». Une autre parle du manque d’écoute et les remarques déplacées, entendues lors d’une IVG médicamenteuse (« le préservatif, ça existe »). Une autre encore décrit un traumatisant examen gynécologique avec un spéculum :

« J’ai dû crier ‘maintenant vous arrêtez !’ pour qu’elle [l’enlève]. »

De plus en plus de femmes prennent la parole pour dénoncer des violences obstétricales et gynécologiques qu’elles ont subies. Lancé fin janvier 2017, « Paye ton gynéco », constitué d’une page Facebook et d’un Tumblr, est l’un des endroits dédiés à la collecte et à la diffusion de ces mots.

300 témoignages ont déjà été recueillis par la créatrice de la page, Sarah Lahouari, 31 ans, féministe et militante dans le milieu associatif.

Des Tumblr contre le sexisme

Pour « objectifier le phénomène, le quantifier et identifier les problématiques », Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, a demandé le 24 juillet dernier au Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) de produire un rapport sur ces violences :

« Il n’appartient pas au gouvernement de dire quelle est la réalité des chiffres, mais d’apporter une réponse aux femmes qui font part de leurs souffrance.
La considération qui est évidemment due aux professionnels de santé, en première ligne, ne doit pas entraver la nécessité de lever des sujets tabous comme les violences obstétricales. »

 

Pour Sarah, animatrice socio-culturelle dans un centre social et membre de l’IRASF (Institut de recherche et d’action pour la santé des femmes), une association créée en mars dernier, la commande de ce rapport est une « excellente nouvelle ».

La jeune femme a lancé « Paye ton gynéco » il y a six mois, inspirée par les différents Tumblr créés dans la mouvance de « Paye ta shnek », un site qui dénonce depuis 2012 le harcèlement de rue.

Les plateformes « paye ta/ton » recueillent et publient des témoignages sur le sexisme et les violences à l’encontre des femmes : « Paye ton taf » se concentre sur le travail, « Paye ta blouse » sur le milieu hospitalier, « Paye ta robe » chez les avocats, « Paye ton journal » dans les médias, « Chair collaboratrice » sur la politique…

Les plateformes de témoignages libèrent la parole tout en rendant visible ces questions. Des objectifs qu’avait en tête Sarah en créant la page Facebook, sensibilisée au sujet des violences obstétricales de part ses trois accouchements et de nombreuses lectures. « Evidemment, tous les soignants ne sont pas maltraitants », relativise-t-elle.

« Maman de trois filles, j’ai l’espoir que les choses changent et les pratiques évoluent. »

Tabou

Dès les premières semaines, de nombreux messages sont arrivés jusqu’à elle. Deux amies l’épaulent désormais pour administrer la page Facebook et modérer les commentaires : Aurélie, qui travaille dans le transport touristique, et Alexandra, une sage-femme libérale, toutes les deux trentenaires. Une jeune femme s’est aussi proposée pour lancer et animer le Tumblr.

Beaucoup de celles qui contactent Sarah pour témoigner disent n’avoir jamais parlé à leur entourage de ces violences. La compilation de témoignages permettent à certaines de mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu. « En voyant la page, je me dis que finalement il m’est peut être arrivé àmoi aussi quelque chose qui n’était pas ‘normal' », écrit ainsi l’une d’entre elles.

Sarah parle d’un « tabou » qui entoure ces violences :

« On leur dit qu’une consultation gynéco n’est pas une partie de plaisir, que l’accouchement fait mal et que si l’enfant et la mère vont bien, c’est le principal, tout en mettant le reste de côté… »

 

Les témoignages reçus sont anonymisés. « On soutient, on accueille cette parole et on ne la remet jamais en question », précise-t-elle.

Pour que témoigner ne fasse pas plus de mal que de bien, Sarah recommande aux commentateurs d’éviter les injonctions, du type « Pourquoi tu n’as rien dit ? » ou « Tu dois porter plainte ! ». Même si elles ne sont bien intentionnées, ces remarques peuvent contribuer à ce que la victime se sente coupable ou renforce un sentiment de honte, explique-t-elle.

« Arrêter l’omerta »

Chose nouvelle depuis l’annonce fin juillet de la secrétaire d’Etat : des soignant(e)s commencent à prendre la parole sur « Paye ton gynéco ». Certains de leurs commentaires ont été effacés à la modération. « Vous êtes des ignares », cite Sarah. « Vous crachez sur la profession », a-t-elle aussi lu sur la page.

Après l’audition au Sénat de Marlène Schiappa, le Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France (Syngof) a vigoureusement critiqué la ministre, accusée de « salir une profession entière en l’accusant ouvertement de maltraitance envers les femmes ». Même réaction de la part du président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), Israël Nisand :

« Non Madame la secrétaire d’Etat, les obstétriciens ne maltraitent pas leurs patientes. »

A l’inverse, l’ordre des sage-femmes a jugé nécessaire la commande d’un rapport sur les « violences obstétricales » :

« Le ressenti des femmes ne doit en aucun cas être nié ou minimisé. »

 

Pour Sarah, les réactions des syndicats de gynécologues illustrent un certain « déni de ressenti » des patients. « L’espoir réside dans le fait que certains se désolidarisent complètement des positions du CNGOF et du Syngof et osent parler des violences gynécologiques obstétricales et même témoignent des violences auxquelles elles assistent ou subissent », poursuit-elle.

Fin juillet, une anonyme se présentant comme interne en gynécologie a partagé un long texte nuancé sur « Paye ton gynéco » pour raconter « l’autre côté, le côté médical ». Son message commence ainsi :

« Je suis interne en gynécologie obstétrique et je suis parfois horrifiée de ce que je lis sur votre page. Je lis chaque témoignage pour me rappeler le médecin que je ne veux pas devenir. »

« Il faut arrêter l’omerta », écrit plus récemment une internaute qui se présente comme médecin gynécologue obstétricien.

« Je préférais que le Pr Nisand s’exprime en son nom propre mais pas au nom de tous les gynécologues obstétriciens, car personnellement je ne me reconnais pas dans ses propos. »

Remise en question

Pour Alexandra, sage-femme depuis 2009 et modératrice de « Paye ton gynéco », les plaintes pour violences obstétricales « sont là pour dire stop, nous ne voulons plus accepter ce genre de traitement ».

« Ceux qui ont l’impression qu’elles veulent démonter leur profession n’ont, à mon sens, rien compris et rien entendu. […] Nier le vécu des femmes est un moyen de se défendre sans se remettre en question. »

 

En tant que soignante, la jeune femme a d’abord hésité à prendre position, par peur d’être jugée négativement par ses confrères et consœurs. Pour elle, les soignants maltraitants ne le sont jamais volontairement, « à part peut-être quelques sadiques ».

« On leur parle de violence alors qu’ils pensent faire ce qui est bon pour leur patiente, ils ne comprennent absolument pas et se sentent agressés dans leur professionnalisme, et dans les principes de soins qu’ils défendent depuis des années. »

 

Alexandra relie ces violences à un déficit dans la formation des soignants, basée essentiellement sur l’apprentissage des actes et pas assez sur le bien-être des patients. Elle raconte :

« En tant que sage-femme, j’ai travaillé en salle de naissance, par exemple. J’ai fait des épisiotomies sans consentement, sans me demander comment la patiente pourrait le vire.
J’ai appris à suturer parfaitement bien pour qu’au moins elles n’aient pas de douleurs par la suite, mais je ne me suis jamais posée la question de ‘je lui coupe le périnée, comment est-ce qu’elle va le percevoir ?’

 

Je l’ai fait parce que j’ai appris que c’était comme ça qu’on travaillait et pas autrement. Et j’ai appris que si on leur explique ce qu’on va faire, elles ne seront pas d’accord et vont se contracter au lieu de relâcher ce qui coincera encore plus. J’ai mis du temps à me défaire de cela. »

 

Dans son communiqué, l’Ordre des sages-femmes soulevait aussi la question de « la place accordée aux patientes, au temps qui leur est prodigué et à la qualité du dialogue entre celles-ci et les soignants ». Ainsi que les conditions de travail et l’organisation des maternités (« sous-effectif, surcharge dans les salles de travail… »).

Relation patient-soignant

« On veut permettre aux principales concernées de reprendre leur santé et leur corps en main », affirme Sarah, qui veut aussi faire de « Paye ton gynéco » un lieu d’information des patient(e)s.

Entre deux témoignages, elle publie des articles et des liens, sur les effets secondaires du stérilet Minerva, l’existence d’une base de données de sages-femmes et de gynécos « féministes », ou elle rappelle les droits des patient(e)s. Elle cite par exemple le passage sur le consentement, « pas toujours appliqué », de la loi de mars 2002 dit « loi Kouchner » :

« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »

 

Dans ce que dit Sarah, il est aussi question de rééquilibrer la relation patient-soignant. De permettre au soigné d’être suffisamment bien informé pour donner ce consentement libre et éclairé, de pouvoir poser des questions sur sa prise en charge, d’être en mesure de dire « non », que le soignant ait les moyens d’être plus à l’écoute.

« Les protocoles de soins devrait être  adapter au cas par cas par les soignants et non un protocole appliqué systématiquement à tout le monde sans prendre en considération les spécificités de chaque femme. De plus j’espère vraiment qu’on évolue vers une confiance réciproque.

 

Je souhaiterais que les soignants prennent en considération les connaissances qu’ont les femmes sur leur propre corps pour qu’ensemble on collabore à une meilleure prise en charge de notre santé. »

 

Emilie Brouze

Source : Rue 89 02/08/2017

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