Brésil. La condamnation de Lula n’est pas une bonne nouvelle

L’ancien président brésilien Lula lors d’une manifestations des syndicats de la métallurgie à Sao Paulo, le 15 juillet 2017, quelques jours après sa condamnation pour corruption passive. PHOTO Miguel SCHINCARIOL/AFP

L’ancien président brésilien Lula lors d’une manifestations des syndicats de la métallurgie à Sao Paulo, le 15 juillet 2017, quelques jours après sa condamnation pour corruption passive. PHOTO Miguel SCHINCARIOL/AFP

L’ancien président brésilien a écopé de neuf ans et demi de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent. Une lourde peine qui renforce le climat d’incertitude politique.

 

La condamnation en première instance le 12 juillet de l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva à neuf ans de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent est une mauvaise nouvelle pour le Brésil. Hormis l’atteinte à la personnalité la plus emblématique du pays leader de l’Amérique latine de ces dernières années, cela aggrave le climat d’incertitude politique et institutionnelle qui règne dans le pays. Et augure un avenir bien sombre jusqu’aux prochaines élections présidentielles prévues pour octobre 2018.

Lula est une figure déterminante de l’histoire récente d’un pays qui a réussi à s’imposer comme l’une des principales économies mondiales et à intégrer dans la classe moyenne les 30 millions de personnes vivant dans des conditions de grande pauvreté. À la destitution contestée de la présidente Dilma Rousseff – n’oublions pas qu’elle a été accusée, non de corruption, mais d’avoir maquillé les comptes publics – il faut désormais ajouter la révélation d’une corruption endémique à très grande échelle. D’autant qu’une nouvelle tempête institutionnelle se profile à l’horizon, avec l’accusation de corruption portée contre le président en place, Michel Temer.

C’est dans ce contexte que Lula avait prévu de revenir sur la scène politique pour sauver le pays et relever son parti en mauvaise posture. On peut évidemment douter de la pertinence de ce projet, stoppé net aujourd’hui.

Un terrible revers pour le PT

Toutefois, puisqu’il est possible de faire appel de cette sentence – avec pour effet immédiat la suspension de son exécution et la possibilité donnée à l’ex-président de se représenter aux élections –, le verdict n’éloigne pas définitivement Lula de la scène politique. Mais cela constitue un terrible revers pour ses ambitions personnelles comme pour sa formation, le Parti des travailleurs (PT), qui se doit de rester légitime dans la défense des intérêts d’une grande partie des Brésiliens. Au cœur de nombreux scandales depuis bien des années, le PT a fait appel à Lula, consumant ainsi sa dernière cartouche, et ne dispose à présent d’aucun plan B.

L’affaiblissement des autres grands partis n’est pas une consolation en soi, loin s’en faut, compte tenu de l’état pitoyable du paysage politique brésilien. Une écrasante majorité des responsables politiques de ces dernières années a gouverné dans un système rongé par la corruption. Et ceux qui n’y ont pas directement participé ont préféré ne rien voir et n’ont rien entrepris pour la combattre.

Le Brésil a fait un pas de géant, suscité l’admiration du monde entier, et sa réussite est devenue un exemple pour un grand nombre de pays. Mais c’est ignorer que la corruption finit toujours par ronger les systèmes qu’elle infiltre. Ainsi, outre l’effondrement politique et institutionnel, la classe politique s’est totalement discréditée aux yeux de l’opinion publique. Si on y ajoute une stagnation économique résultant d’un processus de décision politique en état de paralysie, cette défiance peut très vite gagner l’ensemble du système démocratique et servir de socle aux discours populistes qui ont déjà fait preuve de leur efficacité sous d’autres latitudes. Le Brésil s’y expose.

Un verdict sans précédent

“Lula est le premier ancien président à être condamné”, titre le 13 juillet O Globo après la décision du juge Sérgio Moro, chargé des dossiers de l’opération Lava Jato, l’enquête sur le scandale de corruption impliquant la société pétrolière Petrobras. Lula a été reconnu coupable d’avoir accepté plus de un million d’euros – dont un appartement en bord de mer près de São Paulo – de la part de l’entreprise d’ingénierie OAS, en remerciement de son intervention pour l’attribution de contrats avec Petrobras. Pourtant, en raison du manque de preuves concrètes, “il y a une bonne dose d’interprétation dans le jugement de Moro au sujet de Lula”, estime la Folha de São Paulo. L’ex-président a fait appel, une procédure qui pourrait prendre jusqu’à dix mois.

Source : El País Brasil  São Paulo brasil.elpais.com  Courrier International 18/07/2017

Voir aussi : Actualité Internationales, Rubrique Amérique Latine , rubrique Brésil, rubrique Politique, Affaires, rubrique Economie, rubrique Société, Justice,

Du Parti des travailleurs au parti de Lula

Bresil-Lula-Rousseff-Presidentielle

 

Les manifestations qui ont rassemblé jusqu’à un million de personnes dans les grandes villes brésiliennes au mois de juin interrogent la stratégie politique du Parti des travailleurs (PT). Au pouvoir en coalition depuis 2003, celui-ci à cherché à accroître le niveau de vie de la population sans rogner les profits des entreprises ni bousculer les privilèges des puissants. Une politique de la conciliation sans mobilisation populaire (incarnée par le syndicaliste devenu président Luiz Inácio Lula da Silva) en rupture avec le projet initial du PT.

 

Une foule de presque cent mille ouvriers, réunie au stade de football du quartier de Vila Euclides, hurle : « Lula ! Lula ! Lula ! », le surnom de M. Luiz Inácio da Silva. Porté par cette marée humaine, passant de mains en mains, le dirigeant syndical, qui avait disparu depuis une intervention de la police au siège de son organisation, parvient jusqu’à la tribune, sans toucher le sol.

Nous sommes en 1979. L’année a commencé par une nouvelle vague de conflits syndicaux dans le principal centre industriel du pays, la région métropolitaine de São Paulo, connue sous le nom d’« ABC (1) ». Ces ouvriers, provenant pour la plupart du nord-est brésilien et arrivés dans la capitale économique du pays pour échapper à la faim, n’imaginaient sans doute pas que celui qu’ils voyaient se dresser devant eux allait devenir l’un des plus importants dirigeants politiques du Brésil.

Des années plus tard, « Lula » tirerait 30 millions de brésiliens d’une pauvreté qu’il avait lui-même connue. Il séduirait également le puissant secteur financier du pays, placerait le géant sud-américain sur une nouvelle trajectoire économique caracterisée par un nouveau développementisme (2) et orchestrerait un nouveau pacte politique dans le pays. Un ensemble de changements réalisés au nom du PT, mais auquel il lèguerait son nom : le « lulisme ».

La trajectoire de maturation politique du Parti des travailleurs (PT), « l’unique parti de masse de la planète créé après la Deuxième guerre mondiale (3)  », s’avère inséparable de celle de Lula, l’un de ses fondateurs. Les deux mouvements s’influencent respectivement et dessine le cadre historique large qui permet de comprendre l’émergence du lulisme.

Au cours de la dictature (1964-1985), un puissant mouvement social émerge au milieu des années 1970, grâce notamment au soutien des secteurs progressistes de l’Eglise liés à la théologie de la libération, de groupes issus de la lutte armée et d’intellectuels renommés. Tous se retrouvent autour d’un « nouveau syndicalisme » en rupture avec le corporatisme traditionnel. En 1980, ensemble, ils forment le « parti de travailleurs » : un parti « sans patrons », tel qu’il se présente d’emblée. A l’époque, l’effervescence est telle que surgit également la Centrale unique des travailleurs (CUT), en 1983, et le Mouvement des travailleurs sans terre (MST), en 1984.

Pourtant, d’emblée, le rapport du PT avec les secteurs les plus défavorisés apparaît comme une difficulté. Elle marquera l’histoire du parti et ne sera véritablement surmontée qu’avec la réélection de Lula en 2006. Le PT vient à peine d’être quand, sur la place principale de São Bernardo, « Bigode », un syndicaliste qui collecte des fonds pour la grève, affirme au cameraman qui le filme : « notre mouvement n’est pas politique, il n’a rien de politique, c’est un mouvement pacifique, syndical, pour les salaires, seulement. Il n’a rien de politique (4)  ». La prudence du syndicaliste, qui ne souhaite pas mélanger luttes syndicale et politique, répond à un sentiment profond au sein des classes populaires de la société brésilienne : la peur de la déstabilisation, du conflit et de la radicalité.

Pour beaucoup, ce sentiment serait à l’origine de la défaite de Lula aux présidentielles de 1989, le premier scrutin au suffrage universel organisé après la fin de la dictature, en 1985. A l’époque, Lula avait en effet perdu face au grand bourgeois Fernando Collor de Mello au sein de l’électorat à bas revenus. En revanche, la situation s’inversait au sein des autres classes sociales, et plus les revenus des électeurs étaient importants, plus ils avaient tendance à voter Lula (celui-là même qui, hirsute, promettait le socialisme). Le rejet de la radicalité associée au PT — et à Lula en particulier — jouera également un rôle important dans ses échecs aux élections présidentielles suivantes, de 1994 et 1998.

« La vérité, c’est que ceux qui nous ont fait perdre, au-delà des grands médias, ce sont ceux qui sont les moins éclairés et les plus défavorisés de la société (5)  », explique Lula au lendemain de sa défaite, en 1989. Mais, promet-il, « mon combat n’a pas changé ». Le PT doit s’efforcer d’« atteindre ceux qui perçoivent les salaires les plus modestes ». Toutefois, à l’époque, le dirigeant demeure convaincu que « la véritable opposition [aux politiques de la droite] passe en dehors de la voie institutionnelle, ou du congrès (6 ».

Au sein du PT, cette vision de l’action politique commence à paraître obsolète à certains, y compris parmi les proches de Lula. Ces derniers gagnent en influence à la faveur d’une spécificité du PT : la reconnaissance des tendances internes. « L’Articulation des 113 » apparaît en 1983. Symboliquement dirigée par Lula, celle-ci va se construire en opposition à « l’élitisme » et à « l’avant-gardisme » des tendances de la gauche partisane (utilisant bien souvent le PT comme façade pour d’autres objectifs politiques). Ceux-ci ne manquent pas une occasion de reprocher au courant de Lula — déjà qualifié de « lulisme » — ce qu’ils décrivent comme un réformisme mollasson. Avec la chute du bloc soviétique, la remise en cause de l’orientation socialiste du parti s’intensifie en interne.

A mesure que le PT obtient des élus, les groupes liés à des mandats exécutifs et parlementaires gagnent en influence au sein de l’organisation. Ce phénomène, doublé du poids des syndicalistes disposant d’importants moyens financiers en dehors du parti, tend à déplacer les centres de décision vers l’extérieur de la structure. S’éloignant peu à peu des bases populaires, les élus gagnent en autonomie sans pour autant toujours réussir à répondre aux demandes des mouvements gravitant autour du PT, lesquels se montrent moins disposés à envisager l’action politique comme progressive, ou contradictoire. Inévitablement, des tensions et des conflits apparaissent.

Porté par l’Articulation, Lula change d’optique et les priorités du PT évoluent : non plus accumuler des forces sociales pour transformer le Brésil, mais conquérir des espaces institutionnels pour le changer progressivement de l’intérieur. Parti d’opposition de gauche, soutenu par les mouvements sociaux, l’organisation se transforme en parti d’opposition au sein de l’Etat, sur les bancs de l’Assemblée, dans un nombre de plus en plus important de mairies ainsi qu’au gouvernement de plusieurs Etats du pays. Avec l’élection de Lula en 2002, le PT devient finalement un parti de gouvernement. Cette bascule s’opère de façon d’autant plus aisée qu’elle débute dans le contexte idéologique de la « fin de l’Histoire » et de la contre-révolution néolibérale. « Le mur de Berlin est tombé sur le PT », conclut l’historien Lincoln Secco. Lula présente les choses autrement. Vingt ans après sa défaite de 1989, il observait : « Je pense que nous avons reçu un coup de pouce du bon Dieu. Nous ne devions pas remporter cette élection, nous étions trop radicaux. Si j’avais gagné, avec le discours que j’avais, je ne sais pas si j’aurais pu gouverner plus de sept ou huit mois (7). »

Au début des années 1990 les crises engendrées par les politiques néolibérales et les manifestations contre M. Collor de Mello renforcent les courants de gauche en interne : ils prennent les commandes du PT, à la faveur d’une division au sein de l’Articulation. Mais la mue du parti se poursuit néanmoins : en 1994, MM. Antonio Palocci (maire de Ribeirão Preto) membre de l’Articulation et Luiz Eduardo Cheida (maire de Londrina) vendent les entreprises de téléphonie de leurs villes respectives à des capitaux privés, faisant alors des privatisations avant même l’arrivée à la présidence de l’homme auxquelles elles sont associées au Brésil, M. Fernando Henrique Cardoso. M. Palocci deviendra ministre des finances de Lula de 2003 à 2006.

L’Articulation reprend les commandes du parti en 1995, après l’échec de Lula contre M. Fernando Henrique Cardoso (droite) aux présidentielles de 1994. Cette déconvenue renforce encore les tendances modérées, qui se rallient à l’Articulation pour former, un peu plus tard, le « Camp Majoritaire ». Présidé par M. José Dirceu, le PT opte alors pour l’union avec le centre gauche, notamment le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), avant d’élargir ses alliances à la droite. En 2002, le candidat à la vice-présidence aux côtés de Lula, est un homme d’affaires convaincu des vertus du libre-échange : José Alencar.

Autre facteur ayant contribué à l’évolution du PT, l’accroissement du poids des entreprises dans le financement des partis. En 1989, les adhésions des militants représentaient 30 % du budget du PT. En 2004, elles ne constituait plus que 1% de la trésorerie du parti. Les banques et les grandes entreprises ont été les plus importants contributeurs à la campagne de Lula en 2006.

Comme les recherches du politiste André Singer le montrent (8), Lula a su profiter du cycle d’expansion de l’économie mondiale entre 2003 et 2008, notamment du « boom » des matières premières, pour adopter des mesures de réduction de la pauvreté et renforcer le marché intérieur mais sans bousculer les intérêts des classes dominantes ou « rompre avec le capitalisme », ce que prescrivait pourtant le programme du PT…

Grâce à cette politique prudente, Lula est parvenu à modifier la façon dont il était perçu au sein des classes populaires et a renverser la structure politique traditionnelle. Ainsi, alors que sa victoire de 2006 pouvait sembler rééditer celle de 2002, Lula était alors porté au pouvoir par un électorat très différent : non plus les classes moyennes, secteurs qui avaient traditionnellement soutenu le PT, mais les plus pauvres, principaux bénéficiaires des politiques sociales du lulisme. Un « réalignement électoral » qui, selon Singer, conduirait les classes moyennes à se rapprocher de la droite du Parti de la sociale-démocratie brésilienne (PSDB). Choisissant d’ignorer ce second aspect, le PT concluait alors : « L’espérance a vaincu la peur. »

Mais la mobilisation électorale des classes populaires n’impliquera pas le renforcement de leur participation politique, au contraire. Alors que des leaders syndicaux parviennent aux commandes de fonds de pensions ou de ministères — aux côtés de chefs d’entreprises et de grands producteurs — une bureaucratie d’Etat promeut peu à peu la neutralisation des antagonismes de classe : autre élément caractéristique du « lulisme ». Face à ce mouvement, le parti se trouve privé de ses militants les plus aguerris et abandonne progressivement la stratégie de mobilisation populaire…

Le pays enregistre des progrès sociaux indéniables. Mais l’importante réduction de la pauvreté (9)  ne s’accompagne que d’une « lente chute de l’inégalité », conduisant Singer à définir le lulisme comme un « réformisme faible », qu’il décrit même comme « conservateur », dans la mesure où il ne s’aventure pas à menacer les intérêts des puissants. En 2012, le Brésil était encore l’un des pires pays d’Amérique Latine en termes de distribution de revenus. 40 % du budget fédéral se voyait accaparé par la dette – majoritairement interne et détenue par les familles fortunées du pays – contre environ 4 % pour la santé, 3 % pour l’éducation et 0,70 % (10) pour les transports, tous trois parmi les préoccupations principales des manifestants de juin 2013…

Douglas Estevam Journaliste, Brésil

Source Le Monde Diplomatique Juillet 2013

1) La région métropolitaine de Sao Paulo, l’«  ABC Paulista  », est composée par les villes industrielles de Santo André, São Bernardo do Campos et de São Caetano do Sul.

(2) Lire Renaud Lambert, «  Le Brésil s’empare du rêve de Bolívar  », Le Monde diplomatique, juin 2013.

(3) Perry Anderson, «  Jottings on the conjuncture  », New Left Review, n° 48, novembre-décembre 2007.

(4) Linha de Montagem, un film de Renato Tapajós (Pandora), 1982.

(5) André Singer, Sem medo de ser feliz : cenas de campanha, Scritta, São Paulo, 1990.

(6) Lincoln Secco, História do PT 1978-2010, Ateliê Editorial, São Paulo, 2011.

(7) Entretien avec Tristan Bauer, réalisé en 2009, pour une série spéciale de reportages intitulée Présidents d’Amérique Latine.

(8) André Sinder, Os sentidos do Lulismo : reforma gradual e pacto conservador, Companhia das Letras, São Paulo, 2012.

(9) Lire Geisa Maria Rocha, «  Bourse et favelas plébiscitent “Lula”  », Le Monde diplomatique, septembre 2010.

(10) Lire Renaud Lambert, «  Le Brésil, ce géant entravé  », Le Monde diplomatique, juin 2009.

Voir aussi : Rubrique Amérique Latine, Brésil, Il y a un côté « petit bourgeois dans la mobilisation,

Brésil : les larmes de Lula

Penché sur un cercueil en verre, l’ancien président pleure la mort de son compagnon politique José Alencar. C’est la photo qui s’affiche à la une du journal O Globo. « Inconnu à l’étranger, Alencar était une grande figure de la scène politique au Brésil. Ancien vice-président de Lula, il avait su nouer des alliances entre partis de gauche. Et ce sont ces alliances qui ont permis à Lula de gouverner pendant huit ans avec une grande majorité au Parlement ». Alencar a lutté pendant des années contre le cancer, c’est finalement la maladie qui l’a emporté. « Toute la classe politique lui rend un dernier hommage », comme l’écrit O Estadao, à commencer par la présidente Dilma Rousseff. Elle a écourté son séjour au Portugal pour assister aux obsèques de celui que le journal brésilien appelle « un grand battant ».

Portugal : la présidente brésilienne propose une aide économique

Lors de cette visite officielle, la présidente brésilienne a proposé une aide économique au Portugal. Cette initiative est très commentée par la presse brésilienne et pour cause : l’ancien pays colonisé, devenu la septième économie mondiale, suggère de venir en aide à son ancien colonisateur, en pleine crise économique. L’hebdomadaire Carta Capital traite le sujet par la satire : « et si le Portugal devenait tout simplement une province du Brésil ?, se demande le journal de Sao Paulo. On pourrait annexer le cousin lusophone, qui, du coup, se transformerait en une partie importante du pays. Nous aurions alors 10% de Brésiliens en plus ». Et Carta Capital de poursuivre dans sa politique-fiction : « le Brésil est avec les autres grands pays émergents, la Chine, l’Inde et la Russie, le socle du nouveau pouvoir mondial. Le pont avec le Portugal permettrait aussi de redynamiser une Europe de plus en plus âgée et fatiguée ».

Achim Lippold

 

Voir aussi : Rubrique Brésil, rubrique Portugal Démission de Jose Socrates,

« Bernardo Carvalho : « On ne connaît pas de demain en Russie »

Bernardo Carvalho

Bernardo Carvalho est né à Rio de Janeiro en 1960. Ses récits reflètent son goût du voyage et sa grande inventivité. Traduit en dix langues, il a reçu de prestigieux prix littéraires au Brésil. Il est en lice pour le prix Femina étranger. Également journaliste, Carvalho vit actuellement à Sao Paulo.  Il était jeudi à la librairie Le Grain des Mots pour présenter son roman ‘Ta mère? qui nous conduit à St Petersbourg en pleine guerre de Tchétchénie. Rencontre.

Votre livre part d’une commande, tout en demeurant une fiction littéraire où l’on ressent une totale liberté d’expression. Comment avez-vous intégré les contraintes de départ ?

J’ai été contacté par un producteur de cinéma brésilien qui a demandé à une trentaine d’écrivains de se rendre un mois dans une grande ville du monde pour écrire une histoire d’amour. Il m’a proposé Saint Petersbourg, j’ai accepté. Ce n’est pas la première fois que je travaille à partir d’une commande. Ce fonctionnement me convient. J’aime bien avoir des points de repères, cela m’évite de lutter avec moi-même pour créer le contexte d’origine. Jusqu’ici je suis toujours parvenu à m’orienter vers la littérature que j’ai envie de faire.
Comment la définiriez-vous ?

J’ai le sentiment qu’aujourd’hui beaucoup de romans se rapportent à l’expérience personnelle des écrivains. Moi quand j’écris, je préfère explorer des dimensions qui me sont inconnues. Je restitue de manière totalement subjective. Il m’arrive de me plonger dans le désespoir et l’insécurité. Quand je suis arrivé à Saint-Pétersbourg, les gens qui devaient m’accompagner étaient en vacances. Je me suis donc retrouvé seul, sans parler la langue, dans cette ville que je connaissais pas. Le troisième jour, je me suis fait agresser dans un tunnel. J’ai eu la peur de ma vie et suis resté tétanisé le reste de mon séjour. Je crois que cela a plutôt bénéficié au livre.

L’histoire d’amour dans laquelle vous nous entraînez est intimement associée au risque de la guerre ou à celui de se faire prendre par les autorités…

Oui le jeune conscrit Andreï et le Tchétchène Rouslan sont des êtres fragiles et vulnérables qui ne peuvent pas être visibles. Leur histoire se déroule dans une ville où l’on ne peut pas se cacher, une ville conçue pour que rien n’échappe à l’autorité en place.
Cette ville littéraire s’il en est, a-t-elle influé sur votre inspiration ?

Je voulais éviter cette influence artistique, faire en sorte que mes personnages n’aient pas de rapport avec la littérature. Je me suis rendu compte que c’était impossible. En dépit de ma volonté, mes personnages font quelques citations. J’avais l’idée d’écrire une histoire d’amour entre deux garçons dans le Saint-Pétersbourg contemporain. J’ai lu beaucoup de livres écrits par des journalistes. C’est ainsi que les mères qui veulent sauver leurs fils de la guerre sont entrées dans mon histoire. J’ai été frappé par leur détermination.
Le roman emprunte à une réalité historique très dure, liée à la guerre et à la quête d’identité nationale. Vous abordez aussi la question de la corruption, peut-on y voir un parallèle avec le Brésil ?

La corruption existe au Brésil, mais ce n’est pas la même chose. Ce qui m’a frappé en Russie c’est le pragmatisme et l’individualisme. Il n’y a pas d’innocence, pas d’espoir. Tout le monde a un rapport avec le crime et la prostitution. On ne connaît pas de demain. Du coup on vit dans l’immédiateté. On souffre aussi au Brésil mais on vit dans l’espoir. La corruption existe mais elle n’est pas institutionnalisée comme en Russie où le crime est dans l’Etat.
Quel regard portez-vous sur les élections au Brésil ?

La campagne n’a pas passionné les foules. Idéologiquement, la logique voudrait que le PT de Lula et le parti social-démocrate conduit par José Serra s’associent, or ce sont les deux partis qui s’affrontent. Ce qui conduit à des alliances contre nature. Avec un sens politique incroyable Lula a réussi à faire émerger la classe moyenne brésilienne. Il est très populaire pour ça. Les gens veulent que les programmes sociaux se poursuivent. Tous les médias sont dans les mains de l’élite minoritaire mais cela ne changera rien, car le peuple à compris et va élire Dilma.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

‘Ta mère, éditions Métailié, 17 euros.

« Changer la géographie du monde » pourquoi Lula a « presque » tenu son pari

lula

Luiz Inacio Lula da Silva

Il ne voulait rien de moins, avait-il confié un jour au Time, que « changer la géographie politique et économique du monde ».

Un pari fou que, huit ans après son arrivée à la tête du Brésil et alors qu’il va passer le flambeau, Luiz Inacio Lula da Silva est pourtant en passe de tenir, à en croire la tribune que son ministre des Affaires étrangères, Celso Amorim, a signée cette semaine dans Le Monde : « Depuis près de huit ans, le Brésil a oeuvré avec audace et, à l’instar d’autres pays en développement, nous avons changé notre importance sur la carte du monde. Nos pays sont vus aujourd’hui, même par les critiques éventuels, comme des acteurs dont les responsabilités sont croissantes et dont le rôle est de plus en plus central dans les décisions qui affectent l’avenir de la planète. »

Et ce tout en ayant réussi à séduire aussi bien au Forum social mondial de Porto Alegre qu’au Forum économique mondial de Davos.

Comment diable a-t-il fait ?

Porte-parole des pays du Sud

Rééquilibrer l’échiquier mondial, jusque-là accaparé par la Triade (Etats-Unis, Europe, Japon), en donnant aux pays du Sud une place à la mesure de leur poids politique et économique : tel va être pendant huit ans le cheval de bataille de Lula. La méthode va consister à « lancer toute une série de groupes de pression au niveau international pour provoquer une gestion multilatérale dans le commerce mais aussi dans d’autres domaines », explique Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Iris. Lula va ainsi multiplier les alliances avec les pays en voie de développement.

Il va donner le ton dès 2003, lors de la conférence de l’OMC à Cancun, en prenant la tête d’une coalition de pays émergents pour refuser des accords commerciaux favorables aux pays du Nord. C’est à lui que l’on doit l’élargissement du cercle des décideurs de la planète du G8 au G20. Le Brésil de Lula participe aussi, avec l’Inde et l’Afrique du Sud, à l’IBAS, un groupe chargé de faire du lobbying, chacun dans sa zone respective. Et au BRIC, avec la Russie, l’Inde et la Chine, qui a pour mission de coordonner leur action. Il a aussi noué des relations privilégiées avec les pays arabes et avec l’Afrique noire.

Le président brésilien ne va pas pour autant délaisser son continent. Là aussi, il va nouer des alliances avec ses voisins émergents face au géant nord-américain. Il est à l’initiative de la création, en 2008, d’une Union des nations sud-américaines, l’UNASUR. Objectif : laver son linge sale en famille, pour éviter d’avoir recours aux Etats-Unis ou à l’ONU en cas de crise.
Il défend ses voisins face aux appétits américains – c’est ainsi qu’il s’est opposé au projet de Zone de libre-échange des Amériques voulu par les Etats-Unis (ZLEA) ou qu’il a soutenu le président déchu hondurien contre l’avis de Washington –, se pose en arbitre dans les conflits de la région et cherche avec eux le compromis – par exemple dans le contentieux qui a opposé la Bolivie à Petrobras en 2006, Lula a préféré chercher le compromis plutôt que de défendre bec et ongles l’entreprise brésilienne.

« Le fait que le Brésil n’ait pas revendiqué le siège de l’UNASUR, qui est revenu à l’Equateur, témoigne de sa prise en compte de ses voisins », fait également remarquer Jean-Jacques Kourliandsky. Du coup, même si certains pays d’Amérique latine demeurent méfiants, soupçonnant leur gigantesque voisin d’avoir des desseins expansionnistes, reste que « le Brésil est devenu un facteur de stabilité dans la région, garant de la souveraineté populaire et de la légitimité des gouvernements », constate le sociologue et historien Laurent Delcourt.

Cette politique du « gentil géant », comme il la qualifie, ou ce « leadership qui se veut aimable », comme l’appelle Jean-Jacques Kourliandsky, est donc l’une des clés du succès de la diplomatie brésilienne.

Un rêve de puissance

Mais son « multilatéralisme va aussi dans le sens du renforcement de la présence du Brésil dans le monde », relève ce dernier. « Ce militantisme pour un système international plus démocratique masque des stratégies unilatérales dues à la puissance économique et politique du Brésil, » renchérit Laurent Delcourt. « Il poursuit aussi des intérêts nationaux, notamment en poussant l’expansion de ses entreprises multinationales. »
Si Lula exerce une politique étrangère progressiste, sur le plan économique et commercial, il s’inscrit dans une certaine continuité : « Il est le champion de la libéralisation du marché agricole, et quand il fait des discours enflammés sur la réforme du système financier international, il s’oppose en même temps à la taxation de ses banques », poursuit le chercheur.

Car dans la géographie mondiale que Lula entend redessiner, le Brésil prétend au rang de grande puissance. Ce pays qui n’était encore en 2002 que la première puissance d’Amérique du Sud est, en l’espace de huit ans, non seulement devenu la première puissance d’Amérique Latine, au nez et à la barbe du Mexique qui hier encore occupait cette place de choix, mais également un acteur global. Il entend donc revendiquer le statut qui va avec ce poids politique et économique.

Mais, au fait, c’est quoi une grande puissance ? Aujourd’hui, cela répond encore à des critères auxquels le Brésil ne répond pas, note Jean-Jacques Kourliandsky : être une puissance nucléaire, être membre du G8 et faire partie du Conseil de sécurité.

Certes, il n’est pas une puissance nucléaire, mais il est en train de se doter de capacités militaires (notamment via un accord stratégique signé en 2008 avec la France).
Certes, il n’est pas membre du G8, mais il est dans le G20. Fort de ses nombreuses entreprises multinationales (Pétrobras, Vale, Embraer, Votorantim…) qui gagnent toujours plus de parts de marché dans le monde, il est aujourd’hui la 8e puissance économique mondiale. Dans moins de dix ans, il pourrait grimper sur la cinquième marche du podium, à en croire le FMI, en ayant au passage rejoint les plus grands exportateurs de pétrole de la planète.
Enfin, il fait tout pour décrocher le fameux siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. Et là aussi le Brésil a su jouer collectif. C’est avec cet objectif en tête qu’il dirige depuis 2004 une opération de paix de l’ONU, la MINUSTA à Haïti, ce qui est une première pour un pays d’Amérique Latine, et qu’il a constitué le G4, aux côtés de l’Allemagne, du Japon, et de l’Inde, autant de pays qui, comme lui, entendent pousser la porte jalousement gardée du Conseil de sécurité.

Bref, Lula a donné un sacré coup d’accélérateur : entre 2002 et 2010, « le Brésil est entré dans le sas entre pays émergent et grande puissance. Il peut à juste titre être placé dans le deuxième cercle« , estime Jean-Jacques Kourliandsky. « Il a tendance non plus à se considérer comme une puissance émergente mais émergée », constate Laurent Delcourt.

Alors que son prédécesseur Fernando Henrique Cardoso voulait entrer discrètement dans la mondialisation, Lula a choisi de conduire une diplomatie audacieuse et décomplexée qui a donc porté ses fruits. Mais parfois au risque de se montrer peut-être trop gourmand.

« Risible et ingénu ». Le jugement de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton sur sa proposition de médiation au Proche-Orient est sans appel. L’accueil glacial avec lequel ont été reçues ses tentatives de coups d’éclat – ses interventions dans le conflit israélo-palestinien et dans le dossier du nucléaire iranien – montrent qu' »il a tendance à mettre la charrue avant les bœufs » et qu' »il n’est pas encore assez mûr pour prétendre exercer ce rôle », de l’avis de Laurent Delcourt. A moins qu’il ne témoigne de l’agacement des grandes puissances face à la propension de cet outsider à vouloir jouer dans la cour des grands ?

L’homme politique le plus populaire du monde

N’empêche, même Barack Obama a avoué sa fascination pour Lula : « J’adore ce type ! C’est l’homme politique le plus populaire du monde ! », s’était-il exclamé, à la surprise générale, en marge d’une réunion du G20 en avril 2009.

Il ne fait nul doute qu’une bonne part de ce que le président brésilien a accompli est à mettre sur le compte de sa personnalité. D’abord, il y a cette « bonhommie toute populaire qui l’aide à créer un sentiment de sympathie », souligne Laurent Delcourt. Ensuite, « il a su appliquer sa culture du combat syndical à la gestion des affaires du monde : il a su discerner les conflits, définir son objectif, se chercher des alliés, faire preuve de compromis », ajoute Jean-Jacques Kourliandsky.

Mais derrière le charisme et l’intelligence de l’ouvrier métallurgiste devenu président, il y a aussi une diplomatie très compétente, l’Itamaraty, rappellent les deux chercheurs. C’est l’une des meilleures du monde. Qu’il a d’ailleurs contribué à renforcer en doublant son réseau d’ambassades à force de sillonner la planète.

De quoi conclure que même si l’architecte s’en va, l’échafaudage diplomatique qu’il a bâti saura survivre à l’élection de ce dimanche ?

Il y a fort à parier que personne, quelle que soit la personnalité qui sera élue et a fortiori si c’est sa dauphine Dilma Rousseff, ne reniera un travail aussi titanesque et populaire. La plupart des candidats reconnaissent d’ailleurs autant le bilan positif de Lula sur le plan de la politique extérieure qu’intérieure.

Sarah Halifa-Legrand Nouvelobs.com

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