« Bernardo Carvalho : « On ne connaît pas de demain en Russie »

Bernardo Carvalho

Bernardo Carvalho est né à Rio de Janeiro en 1960. Ses récits reflètent son goût du voyage et sa grande inventivité. Traduit en dix langues, il a reçu de prestigieux prix littéraires au Brésil. Il est en lice pour le prix Femina étranger. Également journaliste, Carvalho vit actuellement à Sao Paulo.  Il était jeudi à la librairie Le Grain des Mots pour présenter son roman ‘Ta mère? qui nous conduit à St Petersbourg en pleine guerre de Tchétchénie. Rencontre.

Votre livre part d’une commande, tout en demeurant une fiction littéraire où l’on ressent une totale liberté d’expression. Comment avez-vous intégré les contraintes de départ ?

J’ai été contacté par un producteur de cinéma brésilien qui a demandé à une trentaine d’écrivains de se rendre un mois dans une grande ville du monde pour écrire une histoire d’amour. Il m’a proposé Saint Petersbourg, j’ai accepté. Ce n’est pas la première fois que je travaille à partir d’une commande. Ce fonctionnement me convient. J’aime bien avoir des points de repères, cela m’évite de lutter avec moi-même pour créer le contexte d’origine. Jusqu’ici je suis toujours parvenu à m’orienter vers la littérature que j’ai envie de faire.
Comment la définiriez-vous ?

J’ai le sentiment qu’aujourd’hui beaucoup de romans se rapportent à l’expérience personnelle des écrivains. Moi quand j’écris, je préfère explorer des dimensions qui me sont inconnues. Je restitue de manière totalement subjective. Il m’arrive de me plonger dans le désespoir et l’insécurité. Quand je suis arrivé à Saint-Pétersbourg, les gens qui devaient m’accompagner étaient en vacances. Je me suis donc retrouvé seul, sans parler la langue, dans cette ville que je connaissais pas. Le troisième jour, je me suis fait agresser dans un tunnel. J’ai eu la peur de ma vie et suis resté tétanisé le reste de mon séjour. Je crois que cela a plutôt bénéficié au livre.

L’histoire d’amour dans laquelle vous nous entraînez est intimement associée au risque de la guerre ou à celui de se faire prendre par les autorités…

Oui le jeune conscrit Andreï et le Tchétchène Rouslan sont des êtres fragiles et vulnérables qui ne peuvent pas être visibles. Leur histoire se déroule dans une ville où l’on ne peut pas se cacher, une ville conçue pour que rien n’échappe à l’autorité en place.
Cette ville littéraire s’il en est, a-t-elle influé sur votre inspiration ?

Je voulais éviter cette influence artistique, faire en sorte que mes personnages n’aient pas de rapport avec la littérature. Je me suis rendu compte que c’était impossible. En dépit de ma volonté, mes personnages font quelques citations. J’avais l’idée d’écrire une histoire d’amour entre deux garçons dans le Saint-Pétersbourg contemporain. J’ai lu beaucoup de livres écrits par des journalistes. C’est ainsi que les mères qui veulent sauver leurs fils de la guerre sont entrées dans mon histoire. J’ai été frappé par leur détermination.
Le roman emprunte à une réalité historique très dure, liée à la guerre et à la quête d’identité nationale. Vous abordez aussi la question de la corruption, peut-on y voir un parallèle avec le Brésil ?

La corruption existe au Brésil, mais ce n’est pas la même chose. Ce qui m’a frappé en Russie c’est le pragmatisme et l’individualisme. Il n’y a pas d’innocence, pas d’espoir. Tout le monde a un rapport avec le crime et la prostitution. On ne connaît pas de demain. Du coup on vit dans l’immédiateté. On souffre aussi au Brésil mais on vit dans l’espoir. La corruption existe mais elle n’est pas institutionnalisée comme en Russie où le crime est dans l’Etat.
Quel regard portez-vous sur les élections au Brésil ?

La campagne n’a pas passionné les foules. Idéologiquement, la logique voudrait que le PT de Lula et le parti social-démocrate conduit par José Serra s’associent, or ce sont les deux partis qui s’affrontent. Ce qui conduit à des alliances contre nature. Avec un sens politique incroyable Lula a réussi à faire émerger la classe moyenne brésilienne. Il est très populaire pour ça. Les gens veulent que les programmes sociaux se poursuivent. Tous les médias sont dans les mains de l’élite minoritaire mais cela ne changera rien, car le peuple à compris et va élire Dilma.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

‘Ta mère, éditions Métailié, 17 euros.