Rodrigo Garcia : «Vivre joyeusement dans un monde détestable»

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Rodrigo Garcia : « Je suis profondément athée mais je pense que Dieu existe pour nous emmerder» Photo Marc Ginot

 

Deux ans après sa nomination à la direction du Centre dramatique national de Montpellier, l’auteur-metteur en scène hispano-argentin inscrit une ligne artistique qui renouvelle le paysage et les publics.

Réputé provocateur, Rodrigo Garcia considère aujourd’hui les controverses autour de son projet comme naturelles. Il évoque les fondements de son travail artistique qui bouscule la tradition du théâtre français, particulièrement «texto-centré», pour introduire une coexistence de formes et de pratiques qui se déploient sur le plateau. Un espace dans lequel l’esprit du spectateur serait l’ultime atelier dramatique.

A la mi-parcours de votre mission à la tête du CDN de Montpellier, on observe votre projet de manière contrastée. Le bon côté d’avoir nommé un artiste à cette fonction, c’est qu’il est contraint de rester fidèle à sa vision, contrairement à un directeur culturel qui sera par nature, plus poreux aux demandes de l’institution…

Cette porosité que vous évoquez est importante. Je dois tenir compte des attentes et en même temps, il m’est impossible de renoncer à mes idées. Je dois trouver un équilibre avec çà. Je ne peux pas être autiste. Ou du moins, je peux l’être dans ma création, mais pas dans ma programmation. Mes choix artistiques peuvent paraître radicaux si on les compare aux autres. Moi, je n’ai pas ce sentiment. La majorité de ce qui est programmé dans les CDN est radicalement conservateur, dans ce contexte, ma propre radicalité ouvre une fenêtre pour l’expression plurielle.

 

Quelle place occupe l’écriture dans votre quotidien ?

Je suis attentif à ce qui se passe, aux artistes. Mon écriture est liée à la littérature du corps qui n’est pas toujours ce que l’on croit qu’il est. Le corps et le texte sont sujets à d’infinis avatars. Dans la pièce de Marija Ferlin donnée ce soir *, on voit bien comment le chorégraphe est imprégné de la matière textuel.

 

Pouvez-vous évoquer la nature du jeu que vous entretenez avec vos comédiens, et l’importance qu’ils occupent pour monter le texte à la scène ? Ce ne sont plus vraiment des interprètes mais des créateurs…

Je connais mes comédiens depuis longtemps. Nous sommes ensemble depuis quinze ans. Cela facilite les choses et ça les complique aussi, parce qu’à un moment ma difficulté est de savoir comment je vais les surprendre. Je cherche à conserver une partie secrète. Lorsque nous travaillons, personne ne sait comment les choses vont finir ni où nous allons arriver. C’est un processus organique. J’injecte dans les corps et les corps absorbent, assimilent. Au fil des représentations le texte et la pièce prennent de l’épaisseur. Dans ma dernière création 4, en deux mois tout a changé alors que techniquement rien n’a bougé.

 

Le statut du texte se transforme sur le plateau…

Le texte est un problème fondamental du théâtre. Parce qu’il faut que les comédiens s’approprient des mots qui ne sont pas les leurs. Je rêve d’un théâtre complètement libéré. Ce ne serait sans doute pas la meilleure des choses… a minima, il faut que les comédiens soient d’accord. On travaille à tâtons.

 

Revendiquez-vous, comme Pasolini, le statut d’amateur ?

Amateur… Oui, ou plutôt chercheur. Pour moi, le mot professionnel est horrible. Cela signifie que tu détiens la règle. Moi je veux déconstruire pour découvrir ce que l’on peut faire avec nos limites. Et pourtant, je me répète. D’une pièce à l’autre les éléments sont les mêmes, je m’en rend compte avec le temps. C’est fatiguant de faire la même pièce depuis 27 ans.

 

Quand vous dites « Je ne supporte pas que l’on parle au public » cela lui confère de fait, une place active. Quelle rôle lui accordez-vous ?

Si vous m’aviez demandé cela avant la première de 4, je vous aurais répondu que cette place n’est pas majeure. Mais maintenant, j’ai conscience que cette place est très importante. La pièce provoque beaucoup de réactions auxquelles je n’avais pas pensé. Freud ou Lacan me diraient « tu le savais. Tu montres la folie .» Mais cela relève totalement de l’inconscient chez moi, comme la manière dont on vit sa vie quotidienne. Il y a des moments où les réactions des gens t’énervent. Parce que c’est toi qui t’exposes et que tu as peur. C’est normal. Le paradoxe c’est que quand les comédiens jouent mal, tu existes parce que c’est ton travail qui est en cause et quand ils sont dedans, tu ne sers plus à rien et tu disparais.

 

Vous n’attachez pas d’importance à la mise en scène de vos textes. Quel rapport entretenez-vous avec la notion d’oeuvre ?

Ce qui est écrit dans le livre m’appartient. La littérature est un récit de la pièce. Un metteur en scène qui travaille avec mon texte, pour moi, c’est un peu comme s’il le récupérait dans une poubelle. C’est étrange, mais je n’ai aucune curiosité pour les pièces auxquelles cela peut donner lieu.

 

Quel regard portez-vous sur cette première expérience à la tête du CDN de Montpellier ?

C’est une chose très importante dans ma vie. En tant qu’artiste on se regarde souvent soi-même. Cette fonction m’a ouvert à la société. Je regarde les autres artistes d’une autre façon. Je suis très attentif à la valeur de l’accueil. J’ai dans l’idée que cela relève de ma responsabilité. Pour moi, c’est une leçon d’humanité. Je suis heureux de voir les autres bien, et cela me fait plaisir. Au début ce n’était pas facile. Maintenant, je suis plus tranquille. J’accepte la controverse autour de mon projet et la conçois comme une chose naturelle.

 

Vous êtes vous fixé des perspectives d’ici 2017 ?

Rien de formel, je n’ai pas d’objectif précis. Je veux continuer à faire des propositions en relation avec les acteurs et les publics. Je conçois l’évolution dans un rapport dialectique.

 

Faire du théâtre au présent, est-ce travailler dans l’incertitude ?

Faire du théâtre aujourd’hui, c’est trouver la matière et l’envie de vivre joyeusement dans un monde détestable et difficile. Je suis profondément athée mais je pense que Dieu existe pour nous emmerder. Grâce à ces problèmes, je fais le théâtre que je fais.

 

Recueillli par Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 25/01/2016

Voir aussi : Rubrique Théâtre, Des idées pour renouveler le théâtre à Montpellier, rubrique Politique culturelle, rubrique Danse,  rubrique Montpellier, rubrique Rencontre,

Festival Actoral. La révolution par l’écriture

Grinshorn & Wespenmaler

Grinshorn & Wespenmaler. Photo Mezli Vega Osorno

Actoral. Le festival des écritures contemporaines se clôture ce soir. Les blessures intimes deviennent des langues à hTh.

L’escale montpelliéraine du Festival Marseillais Actoral dédié aux écritures contemporaines se conclut ce soir à hTh avec le poète sonore Anne-James Chaton et l’artiste de musique électronique Alva Noto dans le cadre de Analogie / digital. Flaubert, Jules Verne, mais aussi Descartes, Napoléon, Freud… sont convoqués à prendre un sacré coup de jeune.

Cette soirée clôture un festival captivant que l’on doit à la passion tenace d’Hubert Colas pour les écritures contemporaines. Depuis le 14 janvier le CDN est une terre d’aventure où se croisent des artistes d’horizons différents qui ont pour point commun d’être en prise avec de nouvelles formes de langage. « Ce ne sont pas des artistes doucereux qui viennent à Actoral », avait prévenu Hubert Colas. Il n’a pas menti.

A l’instar du drame patriotique international Grinshorn & Wespenmaler de l’autrichienne Margret Kreidl mis en espace par Marlène Saldana et Jonathan Drillet qui rend un vibrant et décalé hommage à l’Autriche d’Haider, le leader bronzé de l’extrême droite autrichienne, qui trouva la mort en sortant d’un club gay, ivre au volant de sa Volkswagen Phaeton.Le public qui est venu pour découvrir, perçoit et participe au rapport délicat entre la création et le monde insensé dans lequel il vit. En pleine dérive extrémiste, l’absurde reprend du poil de la bête.

L’inhumanité ordinaire

La société hyper sécurisée et tellement insécurisante inspire les artistes d’aujourd’hui qui baignent dans cette inhumanité ordinaire. Tous les domaines artistiques, sont concernés et notamment la littérature contemporaine. On a goûté au rationalisme irrationnel de Thomas Clec qui met trois ans à parcourir les 50 m2 de son appart parisien pour faire de l’autofiction un inventaire politique (Intérieur ed. L’arbalète/Gallimard).

On a zoomé avec Camera (ed, Pol) d’Edith Azam et sa véhémence nerveuse qui se rend à l’évidence du désespoir et n’existe que par la résistance du langage. On a entendu par les yeux et l’émotion le manifeste physique et tragique du jeune danseur chorégraphe croate Matija Ferlin. Ces rencontres surprenantes entre auteurs, metteurs en scène, chorégraphes, et publics se sont croisés dans l’espace de manière inédite, inspirant d’innombrables prises de positions.

Elles sont ce qui émerge. L’exceptionnelle tension et la passion qui en découlent demeurent le champ des appropriations de la langue. Cette approche des écritures semble découler de l’exploration de cet univers polémique dans lequel chacun se sent investi d’une mission, celle du CDN semble en tout cas bien ravivée.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 22/01/2016

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Politique culturelle, rubrique Livre Littérature française, rubrique Danse,  rubrique Montpellier,

hTh. Fraîcheur au musée d’anatomie

«The End», éléments de scénographie sans formol. Photo JMDI

«The End», éléments de scénographie sans formol. Photo JMDI

hTh Lecture. «The End» de Vaeria Raimondi et Enrico Castellani.

Une temporalité singulière dans un lieu singulier, celui du conservatoire d’anatomie de la fac de Médecine de Montpellier. Endroit tout trouvé pour écouter The End, lâché dans le noir muni d’un casque sur les oreilles et d’une lampe torche.

Le texte de Valeria Raimondi et Enrico Castellani interroge la mécanique implacable et vaine de nos existences. Avec le sens de la dramaturgie que construit notre libre cheminement dans l’espace, on évacue d’emblée l’anecdotique pour en venir à notre propre histoire humaine et à son dénouement.

Le texte s’adresse à nous mais la distribution de casques nous isole face au miroir de nos considérations. La voix du lecteur qui se déplace résonne un peu comme une âme amie. Avec plus ou moins d’attention, nous l’écoutons une heure durant, en laissant aller nos pas dans les longues allées du musée où tous les éléments du corps humain (et de quelques animaux) se dévoilent sous vitrines.

En tant qu’oeuvre, la pièce qui se joue n’a rien d’un fait accompli. L’espace qui porte déjà les éléments de la mise en scène médicale, se redistribue selon le parcours physique et psychique du visiteur. Dans les vitrines, les scènes inspirées de récits scientifiques ne font plus vraiment référence. Notre parcours suspend les récits préalables, se soustrait à leurs lois, efface le texte. Il nous renvoie à l’ignorance de notre sort, et à la ténacité d’un «pas encore».

JMDH

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Création Luis Garay. Mythique vision du vide saturée

Cocooning_2Montpellier Danse. Cocooning de Luis Garay avec les performeurs d’hTh & co.

C’est une collaboration qui décoiffe embarquant les performeurs de hTh & Co et le chorégraphe colombien Luis Garay. La création in situ Cocooning vient d’être donnée au Théâtre de la Vignette qui avait des allures d’après tsunami après le passage de ces mercenaires de l’ennui. Contrairement à l’univers fascinant du dispositif qui dématérialise la notion de spectacle et de temps, c’est à partir de l’état d’ennui profond que lui inspire le monde que Luis Garay le repense.

Cocooning ouvre un espace apocalyptique dont on se demande s’il reflète, ce qui vient juste de se produire, le présent, ou la vision d’un proche avenir. A mesure que le public se fraye un chemin à l’intérieur de ce compost géant du XXIe, il signifie son appartenance au désordre.

En nageant dans la glaise et les restes organiques d’un accouplement surnaturel entre l’Homme, la nature et les machines, on croise certains survivants. On découvre leur corps en état de pénible renaissance mais toujours respectueux des addictions, sexe, image, connexions, bagnole, masturbations, physique et intellectuelle… Ils sont déterminés comme le sont les larves pour se mouvoir. Chacun se démène avec son handicap tout le monde communique, personne n’est ensemble.

L’inconfort physique est majestueusement ignoré, la souffrance effacée, les corps des hommes et des femmes empêchés persistent à vivre pour reproduire leur aliénation. Une vraie vision.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise 08/07/2015

Voir aussi : Rubrique Festival, rubrique Danse, Montpellier Danse, Israel Galvan et Akram KhanBouchra Ouizguen et Christian Rizzo, Va Wölfl a-t-il tiré dans le disjoncteur ? rubrique Théâtre,  rubrique Montpellier,

Représentations du « sexuel »

 Conférence filmique sur le Porno Féministe par Wendy Delorme samedi 23 mai. photo dr


Conférence filmique sur le Porno Féministe par Wendy Delorme samedi 23 mai. photo dr

Festival Explicit. Trois jours qui bousculent les frontières et interrogent nos corps du 22 au 24 mai à hTh.

Films, conférences, expositions, spectacles, performances, trois jours consacrés à l’expression plurielle du sexuel. C’est à hTh, le CDN de Montpellier qui ouvre ses portes à tous vents improbables et se connecte au monde vivant. La Cie « A contre poil du sens » du chorégraphe Matthieu Hocquemiller assure la programmation.

On mélangera les approches théoriques et artistiques, historiques et contemporaines pour aborder le sexuel en tant qu’objet culturel, politique et social plutôt que personnel et intime. Le tryptique Sex drogue & Rock n’ roll, cher à Ian Dury, est entré dans notre culture générale. Nous voilà à l’aire des queer, post-porn, féminisme sex-positif, porn studies…

Ne pas confondre le cul qui fait vendre avec les contre-cultures sexuelles qui ont toujours existé. Elles parlent de volonté, du désir d’affirmer son identité, du trouble, de l’émancipation, de la promotion du corps comme lieu de puissance, de joie et de contestation. Tout est à faire, à inventer, dans les représentations de l’acte sexuel, qui s’entend aussi à travers des objectifs de transformation sociale.

Il sera notamment question de la pornographie alternative, réalisée par des femmes, qui a pour vocation non seulement de revaloriser l’image de celles-ci en mettant l’accent sur leurs désirs sexuels, mais également de prendre en considération les minorités sexuelles jusque-là injustement négligées dans nos sociétés hétéronormées et patriarcales.

Le sexuel est ce que l’on en fait. Il peut être le plus avilissant comme le plus libérateur.

 JMDH

Tout le programme : www.festival-explicit.fr

Source La Marseillaise 21/05/2015

Voir aussi : Actualité locale Rubrique Festivalcontre les discriminations : L’échange, rubrique Danse, Saisir le corps sous d’autres coutures, rubrique Théâtre, rubrique Débat, rubrique Société, Droit des femmes, Rubrique Livres, Une histoire du plaisir féminin, rubrique Montpellier,