Islande : Faut-il juger les responsables de la crise financière ?

L’ancien Premier ministre islandais Geir Haarde (au centre), avec son avocat (à gauche) au tribunal de Reykjavik, le 5 mars 2012.

Le procès de l’ancien Premier ministre islandais s’est ouvert le 5 mars. Geir Haarde est accusé de ne pas avoir su répondre à la crise financière qui frappé son pays en 2008. Faut-il suivre cet exemple dans d’autres pays ? El País a posé la question à plusieurs experts et journalistes.

Le procès de l’ancien Premier ministre islandais s’est ouvert le 5 mars. Geir Haarde est accusé de ne pas avoir su répondre à la crise financière qui frappé son pays en 2008. Faut-il suivre cet exemple dans d’autres pays ? El País a posé la question à plusieurs experts et journalistes.

L’ancien premier ministre islandais Geir H. Haarde comparait devant un tribunal spécial pour “grande négligence” dans le désastre financier de 2008. La crise s’est traduite en Islande par la faillite de trois banques, la suspension du remboursement de sa dette à l’étranger, la chute de la monnaie et une augmentation du chômage qui a atteint 10 %. Les gouvernements européens avaient-ils été alertés préalablement de la crise ? Quelle part de responsabilité incombe aux banques ? La justice doit-elle se montrer plus ferme à l’égard des acteurs politiques et des banquiers ?

Kattya Cascante, analyste de la Fundación Alternativas, proche du Parti socialiste espagnol

Pour demander des comptes aux politiques, il convient de pouvoir analyser l’efficacité des actions entreprises, mais aussi de comprendre pourquoi certains objectifs ont été choisis au détriment d’autres. En démocratie, le gouvernement a des obligations. Quant au parlement, il doit réaliser une véritable surveillance du contenu des décisions politiques et avoir accès à l’information nécessaire. Cette information, liée à l’impératif de transparence, devrait renforcer la confiance dans les institutions et augmenter le niveau d’exigence auprès des institutions publiques. Malheureusement, elle fait cruellement défaut dans tous les systèmes politiques.

Jordi Vaquer, directeur du groupe de réflexion en politique internationale CIDOB, à Barcelone

C’est une certitude : une fois leur immunité levée, les hommes politiques qui se sont placés dans l’illégalité doivent être traduits en justice. Mais cette obligation de rendre des comptes, pour des politiques, doit se faire avant tout par des mécanismes politiques. Cela passe par les élections, mais aussi par les parlements, qui dans bien des pays ne sont guère plus que le théâtre d’une mise en scène grossière des rivalités entre partis, ou internes. Ces mêmes partis se montrent d’ailleurs particulièrement incapables, muselés par une prétendue “loyauté”, de demander des comptes à leurs propres dirigeants.

Mais attention à ne pas idéaliser le cas islandais ! Avant la crise, l’Islande était sous l’emprise de réseaux de clientélisme et d’une connivence entre régulateurs et banques qui prenait une tournure quasi-mafieuse, c’est un pays où le vieux système refuse encore de tomber. Des dirigeants qui ont retardé des décisions politiques pour pouvoir vendre des actions ont ainsi échappé aux tribunaux. Geir Haarde a fait preuve de négligence, c’est incontestable, mais son ami David Oddsson, premier ministre pendant 20 ans puis gouverneur de la Banque centrale, et aujourd’hui directeur d’un des grands journaux islandais, non seulement s’est tiré d’affaire mais fait aussi pression pour entraver les enquêtes.

Gonzalo Fanjul, journaliste à El País

Nous nous réjouissons tous de voir un politicien confronté à la justice en raison de sa mauvaise gestion de la crise, mais je ne suis pas convaincu que ce soit la méthode la plus souhaitable. La prison, c’est pour les corrompus et pour les voyous. Les incapables, les sans scrupules et les imbéciles, c’est dans les urnes qu’il faut les sanctionner.

Ceci dit, je crois qu’il est tout à fait essentiel d’identifier les raisons qui ont poussé (et qui poussent encore) les dirigeants politiques à agir d’une façon et non d’une autre. A quels intérêts cèdent-ils ? Qui a accès à eux et à leurs lois, et qui non ? Dans certains cas, la responsabilité pénale ne doit absolument pas être écartée. En attendant, personnellement, je me contenterai d’excuses, ou au moins de l’expression d’un doute. C’est une première étape, mais qui nous est indispensable pour aller dans le bon sens.

Ana García Femenía, consultante en évaluation et planification des politiques publiques à l’Université Complutense de Madrid

Espérons que ce qui se passe aujourd’hui en Islande est le début d’une évolution tant attendue dans la considération de la politique, par ses acteurs et par les citoyens ! Si on en est arrivé là, c’est probablement en raison du refus sempiternel des politiques d’assumer leurs responsabilités. A un point tel que les citoyens sont entrés dans une sorte de lassitude à l’égard du système. Le fait qu’il faille qu’un politique soit jugé pour les conséquences de son action devrait nous pousser à réfléchir aux mécanismes intermédiaires de suivi et d’évaluation des politiques publiques, aux mécanismes de prise de décision, à ceux qui portent les responsabilités, aux instruments qui existent pour analyser et réorienter les politiques une fois qu’elles sont lancées, etc…

Antonio Elorza, analyste politique, professeur de sciences politiques à l’Université Complutense de Madrid

Les responsabilités dans cette crise, aux plus hauts échelons politiques et administratifs, doivent avant tout être rendues publiques. Ensuite, si la réglementation le permet, la condamnation des responsables constituerait effectivement un apport considérable à la démocratie.

Juan Arias, correspondant d’El País au Brésil

Je pense que le cas de Geir H. Haarde doit servir d’exemple et être appliqué à d’autres. Il n’est pas tolérable, face à des crises de cette ampleur qui touchent le quotidien de millions de personnes, qu’aucun coupable ne réponde de ses actes. Même dans la plus petite des entreprises, le directeur doit répondre en cas de faillite.

A mes yeux, plus encore que les banquiers et les chefs d’entreprise, les responsables en dernier ressort sont précisément les politiques, pour leur manque de vigilance, voire dans certains cas, pires encore, pour leur complicité avec les premiers. L’absence de coupables dans des crises comme celles que nous vivons, c’est le pire des mépris pour leurs victimes. Et personne n’en répondrait ? Moi je dis chapeau à l’Islande.

El País 06/03/12

Voir aussi : Rubrique Islande, Black-out des médias sur la révolution pacifique, rubrique Débat, rubrique Justice, rubrique Finance, rubrique  Mouvements sociaux,

Anonymus : Nom de code Acta la protection qui musèle

Photo David Maugendre

Qui sont les Anonymous ? « Des citoyens comme vous » affirment deux jeunes participants démasqués présents au rendez-vous donné hier sur la Comédie, pour lutter contre le projet Acta. Faut-il être bon en informatique ? « Non on peut être nul. Tout le monde n’est pas hacker loin de là, il suffit de se connecter sur facebook. » Comment s’organise-t-on ? « Ce n’est pas politique, il n’y a pas de hiérarchie. C’est le peuple qui lutte pour la liberté… » Une liberté dont la force peut faire peur. Et un élan citoyen qui ne correspond pas aux intérêts économiques dominants, comme le démontre la signature de l’accord commercial anti-contrefaçon (Acta) signé Le 26 janvier 2012 à Tokyo, par l’Union européenne et 22 de ses États Membres, dont la France.

Les indignés estiment que ce nouveau cadre juridique se soustrait à la démocratie en créant son propre organisme de gouvernance, et qu’il représente une menace majeure pour la liberté d’expression. « Cela ne concerne pas qu’Internet, son application touche à la santé en réduisant l’accès aux médicaments génériques, ou encore à l’agriculture, en contraignant à l’utilisation des semences qui sont aux mains des géants de l’agroalimentaire. » Le texte a provoqué une levée de boucliers dans le monde entier avec des manifestations de milliers de personnes. « Agir avec Internet c’est instantané et radical. Les jeunes l’ont bien compris et ils ont raison. Il y en a marre de ces multinationales qui massacrent des millions de gens pour le pognon, explique un physicien de 58 ans venu avec ses trois enfants. Etre derrière son ordi où descendre dans la rue participe pour moi d’un même mouvement. Je suis malade, mais je me battrais. »

Le 26 janvier dernier les signataires du traité international ont royalement ignoré les revendications du Parlement européen concernant les atteintes aux droits individuels, et la dénonciation de manœuvres pour que le traité soit adopté avant que l’opinion publique ne soit alertée. Mais l’ampleur de la contestation de la société civile, notamment en Pologne et en Allemagne, a semble-t-il fait son chemin puisque la Commission européenne a finalement décidé de saisir  la Cour européenne de Justice afin de valider sa compatibilité avec les droits et libertés fondamentales européennes. Anonymous citoyens levez-vous !

JMDH

Voir aussi : Rubrique Mouvements sociaux, rubrique, Internet, WikiLeaks, rubrique Montpellier, rubrique UE, Rubrique MédiasLe postulat de la presse libre revu et corrigé,

Sont-ils intouchables les héritiers du franquisme !

" N'ayons pas la mémoire courte. " Photo David Maugendre

Sous l’étendard de l’association pour le Souvenir de l’Exil Républicain Espagnol en France (Aseref*), une centaine de personnes se sont rassemblées hier sur la place de la Comédie, en soutien au juge Baltasar Garzon condamné par la justice espagnole pour avoir voulu enquêter sur les crimes amnistiés du franquisme. Plusieurs rassemblement se sont déroulés ce même jour, à Béziers, Paris, Barcelone… attestant d’une amplification du mouvement. « Nous exigeons la nullité de la sentence et le rétablissement d’une vrai justice en Espagne qui reconnaisse les crimes contre l’humanité des franquistes, indique Eloi Martinez de l’Aseref, La loi d’amnistie de 1977 doit être abrogée. Elle a mis sur un pied d’égalité les victimes et les bourreaux aux mépris des lois internationales. »

La condamnation de Baltasar Garzon pour écoutes illégales  interdit au juge d’exercer son métier en Espagne pendant onze ans. Elle a soulevé un mouvement d’indignation en Espagne mais aussi  en France. Dans la région, où ont été internés des milliers d’exilés républicains dans le camps de Rivesaltes, leurs descendants n’ont pas manqué d’épingler le silence du gouvernement français en rappelant les 10 000 républicains morts dans les camps français. « La France grandirait à reconnaître ses responsabilités, immense dans cette tragédie, notamment par la décision de non intervention pendant la guerre d’Espagne ce qui permis au fascistes de mettre à terre la république  espagnole et ensuite d’occuper la France. »

Le juge Garzon, est aussi célèbre en Amérique latine pour avoir traqué l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet et d’anciens tortionnaires sud-américains. En 2011, il a été nommé comme consultant, à Bogota, auprès de la mission locale de l’Organisation des Etats Américains (OEA) où il devrait poursuivre sa mission liée au processus de démobilisation des milices paramilitaires d’extrême droite, accusées du massacre de dizaines de milliers de civils dans les années 1990.

A Montpellier on notait hier, la présence d’élus du PRG et du NPA ainsi que celles de diverses associations régionales liées à la mémoire des républicains espagnols et des victimes du fascismes au Chili. la mobilisation a donné lieu à des témoignages de survivants. Expression de souvenirs douloureux, malheureusement pas coupés de l’actualité à l’heure où le réseau idéologique de l’extrême droite européenne se reconstitue progressivement.

JMDH

* Une pétition de soutien est disponible sur le site de l’Aseref

Voir aussi : Rubrique Espagne, Garzon proposé pour le Nobel de la paix, Le FMI presse l’Espagne d’adopter des réformes, Soutien à Baltasar Garzon, rubrique Montpellier, Histoire, rubrique Livre, Manuel Rivas L’éclat dans l’abîme, rencontre Georges Semprun, Orwell un cran à gauche, mémoire combattante en région sud,

Marie Cosnay : « Responsabilité en miettes »

Marie Cosnay

L’écrivain Marie Cosnay se penche sur la politique l’immigration.

L’essai Comment on expulse de Marie Cosnay renvoie, dans une perspective différente, au documentaire de Stéphane Bonnefoi réalisé à la Paillade, dans la volonté d’aller chercher la matière où elle se trouve. Ce livre participe aux souhaits de sortir des représentations et du débat politicien qui fait couler tant d’encre. Ici, ce n’est plus le journaliste qui s’engage sur les pas de l’écrivain, mais l’auteur qui prend pied dans la glaise de la politique de l’immigration pour confronter ses pratiques à la grande histoire de l’humanité, aux mythes. La spécialiste d’auteurs antiques va dans les TGI. Elle écoute la juge répéter invariablement les mêmes questions aux sans papiers de Marrakech ou de Sao Paolo et tirer les mêmes conclusions. « Mais comment font-ils les autres… » L’auteur s’intéresse aux histoires de ses anonymes qui défilent à la chaîne en quête de subsistance, déplacés de pays en pays pour finir dans un centre de rétention administrative, un charter où un asile psychiatrique. Il cherche le réel, veut donner à chacun une stature un peu plus épaisse.

« Il faudrait donner un nom à chacune de ces personnes, rétablir la chaîne des responsabilités. Trouver les noms de chacun des membres des escortes, des pilotes d’avion, des médecins qui établissent des certificats médicaux, des gendarmes qui donnent le signal à l’avion de décoller. Etablir une sorte de tableau des responsabilités, un tableau de listes des tâches qui mènent à ce que des enfants soient emportés et que des parents s’évanouissent au seuil de l’embarquement.

A l’heure où la justice ne s’interroge plus sur ses fins, Marie Cosnay, livre un regard salutaire face à la fosse commune de nos indifférences.

Jean-Marie Dinh

Comment on expulse, éditions du croquant, 14 euros.

Voir aussi : Rubrique  politique de l’immigration, Hollande s’inspire de Sarko, rubrique Livre, Essais, rubrique Société Justice,

L’essai Comment on expulse de Marie Cosnay renvoie, dans une perspective différente, au documentaire de Stéphane Bonnefoi (voir ci-contre) dans la volonté d’aller chercher la matière où elle se trouve. Ce livre participe aux souhaits de sortir des représentations et du débat politicien qui fait couler tant d’encre. Ici, ce n’est plus le journaliste qui s’engage sur les pas de l’écrivain, mais l’auteur qui prend pied dans la glaise de la politique de l’immigration pour confronter ses pratiques à la grande histoire de l’humanité, aux mythes. La spécialiste d’auteurs antiques va dans les TGI. Elle écoute la juge répéter invariablement les mêmes questions aux sans papiers de Marrakech ou de Sao Paolo et tirer les mêmes conclusions. « Mais comment font-ils les autres… » L’auteur s’intéresse aux histoires de ses anonymes qui défilent à la chaîne en quête de subsistance, déplacés de pays en pays pour finir dans un centre de rétention administrative, un charter où un asile psychiatrique. Il cherche le réel, veut donner à chacun une stature un peu plus épaisse.

Il faudrait donner un nom à chacune de ces personnes, rétablir la chaîne des responsabilités. Trouver les noms de chacun des membres des escortes, des pilotes d’avion, des médecins qui établissent des certificats médicaux, des gendarmes qui donnent le signal à l’avion de décoller. Etablir une sorte de tableau des responsabilités, un tableau de listes des tâches qui mènent à ce que des enfants soient emportés et que des parents s’évanouissent au seuil de l’embarquement. »

A l’heure où la justice ne s’interroge plus sur ses fins, Marie Cosnay, livre un regard salutaire face à la fosse commune de nos indifférences.

JMDH

y Comment on expulse, éditions du croquant, 14 euros.

L’essai Comment on expulse de Marie Cosnay renvoie, dans une perspective différente, au documentaire de Stéphane Bonnefoi (voir ci-contre) dans la volonté d’aller chercher la matière où elle se trouve. Ce livre participe aux souhaits de sortir des représentations et du débat politicien qui fait couler tant d’encre. Ici, ce n’est plus le journaliste qui s’engage sur les pas de l’écrivain, mais l’auteur qui prend pied dans la glaise de la politique de l’immigration pour confronter ses pratiques à la grande histoire de l’humanité, aux mythes. La spécialiste d’auteurs antiques va dans les TGI. Elle écoute la juge répéter invariablement les mêmes questions aux sans papiers de Marrakech ou de Sao Paolo et tirer les mêmes conclusions. « Mais comment font-ils les autres… » L’auteur s’intéresse aux histoires de ses anonymes qui défilent à la chaîne en quête de subsistance, déplacés de pays en pays pour finir dans un centre de rétention administrative, un charter où un asile psychiatrique. Il cherche le réel, veut donner à chacun une stature un peu plus épaisse.

« Il faudrait donner un nom à chacune de ces personnes, rétablir la chaîne des responsabilités. Trouver les noms de chacun des membres des escortes, des pilotes d’avion, des médecins qui établissent des certificats médicaux, des gendarmes qui donnent le signal à l’avion de décoller. Etablir une sorte de tableau des responsabilités, un tableau de listes des tâches qui mènent à ce que des enfants soient emportés et que des parents s’évanouissent au seuil de l’embarquement. A l’heure où la justice ne s’interroge plus sur ses fins, Marie Cosnay, livre un regard salutaire face à la fosse commune de nos indifférences.
ang= »fr-CA »>JMDH

y Comment on expulse, éditions du croquant, 14 euros.

Immigration: Hollande s’inspire de Sarkozy qui court après Le Pen

10 février 2012 | Par Carine FouteauMediapart.fr

Incompréhensible la TVA sociale ? Parlez-leur d’immigration ! Absent jusque-là de la campagne présidentielle, ce thème débarque en force à la faveur des déclarations de Nicolas Sarkozy dans Le Figaro magazine où il présente quelques-unes de ses «valeurs» pour la société. Incapable d’imposer ses réponses à la crise économique et sociale, il s’en prend frontalement, comme Marine Le Pen, au droit des étrangers.

Chargé de cette problématique dès 2002, le chef de l’État, qui a été deux fois ministre de l’intérieur avant d’être élu président, liste les régressions supplémentaires qu’il envisage. Surenchère assumée : il n’est pas officiellement candidat, aucune des mesures annoncées ne peut être votée avant la fin du quinquennat, mais, sans craindre que son bilan – cinq lois en dix ans ! – ne lui soit opposé, il ressort les vieilles recettes qu’il fait passer pour des «surprises», voire des «idées nouvelles».

Après y avoir été favorable, il s’oppose au droit de vote des étrangers aux élections locales, au motif que «ce n’est vraiment pas le moment, avec tous les risques de montée du communautarisme». Faisant dire à François Hollande ce qu’il ne dit pas, Nicolas Sarkozy déclare refuser les régularisations d’étrangers en situation irrégulière, qui «créeraient immédiatement un appel d’air», alors même qu’il n’y a jamais renoncé, au «cas par cas» tout du moins.

Immigration familiale ensuite : après avoir compliqué la tâche des étrangers cherchant à faire venir leurs proches, il veut ajouter des conditions de ressources et de superficie de logement aux Français se mariant avec des étrangers. «Ainsi, nous combattrons plus efficacement les fraudes», indique-t-il. Comme pour les chômeurs, le soupçon de la fraude est latent. De même, il entend «réformer les prestations accordées aux demandeurs de droit d’asile». En cas de «non-coopération avec l’administration», celles-ci seront «limitées».

C’est enfin les expulsions qu’il veut faciliter, en supprimant l’intervention des juges des libertés et de la détention au profit des seuls juges administratifs. Voulu entre autres par le préfet de Seine-Saint-Denis, Christian Lambert, ce projet resurgit régulièrement. Une commission d’experts, présidée par Pierre Mazeaud, ex-président du Conseil constitutionnel, a même été consultée. Remises au chef de l’État en juillet 2008, ses conclusions étaient sans appel : l’unification juridictionnelle du contentieux serait non seulement «très difficilement réalisable»mais aussi «ne répondrait pas aux attentes placées en elle ni au regard de la charge de travail des juridictions, ni du point de vue de l’effectivité des mesures de reconduite des étrangers en situation irrégulière». Tranché ? Pas pour Nicolas Sarkozy qui, malgré l’extrême technicité de la question, laisse entendre qu’il pourrait organiser un référendum.

Il a beau courir après Marine Le Pen, du chemin reste à parcourir. Car la présidente du FN, qui conserve sur l’immigration les positions de son père, a une longueur d’avance. S’appuyant sur un raisonnement infondé (les immigrés pèseraient dramatiquement sur les finances publiques, ils feraient baisser les salaires, ils seraient trop nombreux, ils seraient inassimilables, etc.), elle propose une série de mesures toutes plus xénophobes et liberticides les unes que les autres.

Outre la priorité nationale qu’elle déplie de manière transversale, elle veut, dans une logique dirigiste, faire chuter de 200.000 à 10.000 les entrées légales, supprimer le regroupement familial, au mépris de multiples principes de droit internationaux, européens et français, rétablir la double peine, supprimer l’aide médicale d’État, interdire les manifestations de sans-papiers et de leurs soutiens, mettre fin à la libre circulation au sein de l’Union européenne ou encore faire du «racisme anti-Français» une circonstance aggravante alourdissant la peine encourue.

L’« immigration intelligente » de François Hollande

Plutôt que de prendre le contre-pied de cette dérive droitière, François Hollande est tout à son obsession de ne pas apparaître «laxiste», «irréaliste» ou «angéliste», selon les formules alternativement utilisées par la majorité pour critiquer son programme.

Son cheminement, à l’aboutissement encore incertain, est, pour l’instant, l’histoire de renoncements successifs. Parmi ses «60 propositions», celle sur l’immigration est en retrait par rapport au programme du PS, lui-même en deçà des débats de la primaire socialiste, eux-mêmes éloignés des engagements de la première secrétaire Martine Aubry en novembre 2009 (elle proposait, par exemple, une«large régularisation» des sans-papiers).

La dernière inflexion, en date du 27 janvier 2012, la plus surprenante aussi, est intervenue lors d’un face-à-face télévisé avec le ministre des affaires étrangères Alain Juppé. François Hollande y a parlé d’«immigration intelligente», poursuivant sa réflexion de la veille, à l’occasion d’une conférence de presse, de «maîtriser l’immigration»«Chaque année, avait-il indiqué, il y aura un débat au Parlement sur l’immigration économique et les souhaits des universités françaises (…) pour que l’immigration économique corresponde à de vrais besoins et que les étudiants étrangers puissent venir là où ils sont souhaités.»

Comment ne pas faire le rapprochement avec l’«immigration choisie» de Nicolas Sarkozy ? Le projet, qui a pris la forme d’une loi en 2006, était de favoriser les travailleurs au détriment des familles. Ce n’est certes pas ce que prône François Hollande, mais celui-ci reprend à son compte une vision utilitariste de l’immigration, pourtant dénoncée par la gauche tout au long du quinquennat, qui consiste à lier les entrées d’étrangers aux desiderata des entreprises. Pourquoi ce qualificatif d’«intelligent» ? Ferme-t-il la porte aux étrangers peu qualifiés ? Ne cible-t-il que les étudiants post-master à la recherche d’un emploi en France ? Dans son programme, il propose de «sécuriser» l’immigration légale. Qu’entend-il par là ? Est-ce une variante policière de «maîtriser» ou «réguler» ?

Tout aussi ambigu, le reste des propositions l’écarte d’un supposé socle de gauche. À aucun moment, il n’indique vouloir revenir sur les lois régressives votées et mises en place sous l’égide de Nicolas Sarkozy. Les sans-papiers, il ne semble plus les considérer comme des victimes, lançant une «lutte implacable contre l’immigration illégale et les filières du travail clandestin». Sur les régularisations, il se dit favorable «au cas par cas», ce qui correspond ni plus ni moins à la politique actuelle. Tout au plus évoque-t-il des «critères objectifs», mais sans dire lesquels, et entend-il mettre un terme au pouvoir arbitraire des préfets, contesté par les associations de défense des droits des étrangers.

Au regard de cette stratégie, les efforts des élus socialistes, ces dernières années, pour contrer les lois Sarkozy-Hortefeux-Guéant, paraissent périmés. Le soutien apporté par certains ténors du PS aux travailleurs sans papiers lors de leurs grèves devient un lointain souvenir.

Seul le droit de vote des étrangers aux élections locales constituerait une avancée. Mais même cette mesure, déjà inscrite dans les 110 propositions de François Mitterrand en 1981, est en retrait par rapport à la proposition de loi adoptée en décembre 2011 au Sénat, François Hollande n’évoquant pas leur éligibilité.

La politique «ouverte» d’Eva Joly et le recours à l’histoire ouvrière par Jean-Luc Mélenchon

Du côté de deux autres candidats, les droits des étrangers prennent un relief particulier. Se présentant comme «la candidate des Français qui ont grandi avec un accent», la candidate d’EELV, Eva Joly, fait de l’immigration un atout«doublement bénéfique, (…) d’une part pour les pays qui bénéficient de l’arrivée de jeunes éduqués, d’autre part pour les pays de départ auxquels ces migrants envoient souvent des fonds».

Croisant cette thématique aux conséquences du dérèglement climatique, elle insiste sur son aspect mondial et estime qu’une politique «ouverte» permettrait de revisiter les rapports Nord-Sud. Ses propositions sont plus en phase que celles de François Hollande avec l’opposition suscitée au cours de la décennie par la politique de Nicolas Sarkozy.

Mais, plutôt que de marteler les mesures précises inscrites dans le programme des écologistes, telles la régularisation de tous les sans-papiers, la dépénalisation du séjour irrégulier et la fermeture des centres de rétention administratives (CRA) créés en 1984 par le gouvernement socialiste pour y enfermer les étrangers en instance d’expulsion, elle s’en tient le plus souvent aux grands principes un peu flous.

Pour le Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon défend à peu près les mêmes positions, même s’il fait plus souvent référence aux liens entre l’histoire ouvrière et l’immigration qu’aux réfugiés climatiques. Lui aussi favorable au droit de vote des étrangers, il l’envisage uniquement pour les scrutins locaux, à la différence d’EELV qui propose de l’étendre à toutes les élections.

 

Communiqué des Amoureux au ban Public

Couples franco-étrangers, et si votre droit au séjour dépendait de votre compte en banque ?

Dans le cadre d’une interview accordée au Figaro Magazine à paraître samedi 11 février, Nicolas Sarkozy exprime sa volonté de limiter le rapprochement familial des étrangers conjoints de français. Il propose d’aligner les conditions d’obtention du visa de long séjour sur celles du regroupement familial : le montant des ressources et la surface du logement seraient désormais pris en compte.

Au nom de la lutte contre la fraude, le chef de l’Etat souhaite réduire l’immigration des conjoints de français en imposant des critères de revenus. Pourtant, le lien entre la fraude et les revenus est tout sauf évident à moins d’insinuer que les français ayant de hauts revenus seraient moins susceptibles de fraude que les français aux revenus modestes.

Or, s’il s’agit réellement de contrôler la sincérité des sentiments des couples franco-étrangers, le compte en banque n’en est certainement pas le meilleur révélateur.

En réalité, la proposition de Nicolas Sarkozy révèle une nouvelle fois sa volonté de réduire l’immigration des conjoints de français reléguée au rang peu enviable d’immigration subie et confirme ce que nous savions déjà : les couples franco-étrangers dérangent.

Pour autant, peut-on empêcher un citoyen français de vivre avec la personne de son choix dans son propre pays en raison de ses faibles ressources financières ? Cela constituerait une véritable atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que remettrait en cause le principe fondamental de l’égalité des droits entre les citoyens, pierre angulaire de notre système démocratique.

Pouvons-nous accepter qu’au nom de la lutte contre une fraude, dont l’ampleur reste à prouver, se créent des citoyens de seconde classe en raison de leur union avec des étrangers ?

Nicolas Sarkozy après avoir considérablement réduit les garanties individuelles dont pouvaient se prémunir les étrangers s’attaque aujourd’hui à ses propres concitoyens.

Les Amoureux au ban public, association de soutien et de défense des droits des couples franco-étrangers, s’indignent qu’une nouvelle fois le président de la République s’attaque aux couples franco-étrangers, déjà suffisamment malmenés par sa politique migratoire où la présomption de fraude a pris le pas sur le droit au respect de leur vie privée et familiale. Ils appellent une réaction de la part de l’ensemble des citoyens pour que ces propositions inacceptables ne puissent jamais entrées en vigueur dans notre pays.

Voir aussi : Rubrique Politique, politique de l’immigration, Rubrique Société, citoyenneté, La police fouille nos sentiments, Un docu sur les couples mixtes,  Rubrique Essai La responsabilité en miettes,