Actuellement sur les écrans, le film de Margarethe von Trotta Hannah Arendt ne retrace pas la vie de la philosophe allemande. Pour se borner à l’essentiel et le rendre accessible, il ne s’attarde pas non plus sur l’élucidation des concepts de pouvoir et la théorie politique d’envergure qu’elle a posé face à l’émergence du totalitarisme. L’action se situe au début des anneés 60, au moment où Arendt se rend à Jérusalem assister au procès hyper médiatisé d’Eichmann pour le compte du New Yorker. Les extraits des enregistrements au tribunal exercent toujours un pouvoir de fascina- tion, d’autant plus que soixante ans plus tard les mécanismes qu’elle décrivait comme le refus de penser par soi-même sont, dans un autre contexte, plus que jamais d’actualité.
Face à l’idéologie sioniste et au choc émotionnel suscité par ce procés, la philosophe met le doigt sur le déni d’intelligence qui s’impose de manière plus ou moins calculé à tous. Pour développer sa pensée, Arendt s’en tient à la raison. Un des mérites du film est de montrer la grande humanité qui l’habitait par ailleurs.
Le scandale provoqué par ses articles où elle affirme le concept de « banalité du mal »* allant jusqu’à souligner que nombre des dirigeants de la communautés juives ont, pour de complexes raisons, participé au processus d’extermination, est largement abordé. Il est bien sûr question de la violente controverse que ses propos ont provoqué au sein de cette communauté juive qui l’a accusée d’antisémitisme.
On peut voir dans le rapport à l’histoire qui nous est proposé dans le film un moyen d’apaiser les mémoires blessées et une bonne manière de vaincre l’oubli en se prémunissant des excès mémoriels. Mais le fond de sa pensée était de décrire un système monstrueux et de ne pas considérer l’homme comme un monstre. Pour la philosophe, comme pour son maître à penser Heidegger, dont elle condamne les erreurs politiques, l’homme est un homme. Hannah Arendt recherche les fondements et dévoile des impensés en se confrontant aux problèmes existant.
Jean-Marie Dinh
* Eichmann à Jérusalem, Folio histoire, éditions Gallimard.
Source : La Marseillaise L’Hérault du Jour, 28/04/13
En juin 2012, Dassault a été condamné pour discrimination syndicale à l’égard de dix-sept salariés de son usine de Biarritz, qui n’ont pas eu une évolution de carrière normale. Le procès a abouti en partie grâce à l’enquête de l’inspection du travail. Un exemple des missions qu’accomplit ce corps de fonctionnaires détesté par le patronat et repris en main par le pouvoir.
C’était l’un des engagements du Parti socialiste au cours de la campagne électorale de M. François Hollande, au printemps 2012 : si elle revenait aux affaires, la gauche procéderait à l’«arrêt immédiat des suppressions de postes» à l’inspection du travail et redonnerait à celle-ci «les moyens et le sens d’une mission de service public» (1). La promesse faisait suite à une manifestation d’inspecteurs du travail, le 7 février 2012, après le suicide d’un de leurs collègues d’Arras, Romain Lecoustre, retrouvé pendu à son domicile trois semaines plus tôt. En mai 2011, déjà, Luc Béal-Rainaldy, secrétaire national du Syndicat national unitaire – Travail, emploi, formation, économie (SNU-TEFE) de la Fédération syndicale unitaire (FSU), s’était donné la mort en se jetant dans la cage d’escalier du ministère du travail.
La fragilisation du monde du travail n’a pas épargné l’institution censée représenter la «dernière digue (2)» pour les salariés. En 2004, deux de ses membres avaient été abattus par un agriculteur lors d’un contrôle à Saussignac, en Dordogne (3). Ces meurtres, les premiers du genre, actualisaient une menace extérieure historique : celle d’un patronat rétif à l’intrusion du contrôle dans la sphère privée de l’entreprise. Les suicides marquent l’avènement d’une autre menace, intérieure, celle-là, générée par les réformes qui malmènent la profession depuis plusieurs années.
«Cette dégradation nous prend par surprise. Nous étions tellement habitués à voir défiler des salariés qui allaient mal qu’on n’a peut-être pas fait attention à ce qui se passait chez nous», confesse M. Pierre Joanny, inspecteur du travail dans le Nord depuis 1986 et ancien secrétaire national du syndicat Solidaires, unitaires, démocratiques (SUD) travail – affaires sociales. La déréliction qui frappe ce corps de fonctionnaires s’explique en premier lieu par l’injonction paradoxale qui fonde sa mission : maintenir dans les clous du code du travail des chefs d’entreprise que les gouvernements encouragent par ailleurs à prendre leurs aises; offrir un garde-fou contre l’exploitation, mais sans jamais recevoir de l’Etat, également garant de la liberté d’entreprendre, les moyens d’assurer une réelle protection des salariés.
Un laxisme judiciaire passé sous silence
Après deux esquisses, en 1841, puis en 1874, c’est la loi du 2 novembre 1892 encadrant le travail des femmes et des enfants dans l’industrie qui crée un corps d’inspecteurs du travail chargés de faire appliquer les premières lois sociales. Par la suite, le périmètre de leur mission s’étend à mesure que croissent les effectifs du salariat et que s’étoffe la législation du travail, compilée en 1910 dans un code du travail.
Le système prévoit qu’un inspecteur et deux contrôleurs, regroupés en «section», veillent au respect de la loi par des visites régulières dans les entreprises de leur secteur géographique, et interviennent à la demande des salariés (l’usage veut que les inspecteurs suivent les entreprises de plus de cinquante salariés; les contrôleurs, celles de moins de cinquante salariés). Mais leurs effectifs ont toujours été dérisoires face à l’étendue de la tâche : actuellement, 2 257 fonctionnaires ont en charge 1,8 million d’établissements employant 18,2 millions de salariés. Et leurs pouvoirs sont limités : s’ils bénéficient d’un droit d’entrée dans les entreprises et ont accès à tous les documents, les agents ne peuvent imposer le respect de la législation. En cas de danger pour les salariés, ils ont la possibilité d’arrêter un chantier ou de saisir le juge en référé. Sinon, ils n’ont d’autre choix que d’entamer un long et fastidieux travail de pression sur l’employeur, à coups de lettres d’observations et de contre-visites, sous la menace plus ou moins explicite d’un procès-verbal.
Cette procédure, censée constituer l’outil suprême de dissuasion et de sanction, a vu son crédit s’éroder du fait de son traitement par la justice. Près d’un tiers des procès-verbaux s’égarent dans les rouages de la machine judiciaire; 20% sont classés sans suite par les parquets; et un gros tiers seulement débouchent sur des poursuites. Celles-ci se traduisent neuf fois sur dix par une condamnation, mais, dans 80% des cas, il s’agit d’amendes d’un montant peu dissuasif. En 2004, pour 886 000 infractions relevées, 5 208 procès-verbaux ont été dressés. Ils ont donné lieu à 1 968 poursuites, puis à 1 645 condamnations, dont 1 283 amendes et 262 peines de prison, ferme dans 44 cas (4). Une forme de «laxisme judiciaire» rarement dénoncée à grand fracas dans les médias… Découragés, les agents ont fini par réserver les procès-verbaux, très complexes à rédiger, à une minorité de situations : leur nombre a chuté de 25 100 en 1978 à 6 600 en 2010.
Avec la crise et le reflux du mouvement ouvrier, c’est à la fin des années 1970 que les conditions d’exercice de la mission de contrôle commencent à se dégrader. Le durcissement des relations sociales dans les entreprises, l’intensification du travail et le développement de l’emploi précaire provoquent une hausse exponentielle des sollicitations de la part d’élus du personnel, mais aussi de salariés isolés (5).
En même temps, l’intervention des inspecteurs devient plus ardue. Les relais syndicaux dans les entreprises s’affaiblissent. A partir de 1982, au nom d’une flexibilité censée favoriser l’emploi, les gouvernements multiplient les possibilités de déroger à la loi. Ainsi transformé en maquis juridique, le code du travail reste dénoncé comme un «carcan» dans les discours patronaux. La légitimité des fonctionnaires responsables de son application s’émousse. Alors que la charge de travail s’alourdit, le nombre d’agents stagne autour de 1 200 fonctionnaires pour 12 millions de salariés du privé, avant de remonter légèrement au début des années 2000.
«Nous étions les parents pauvres du ministère, se souvient M. Joanny. L’inspection vivotait. On s’en plaignait, mais on a compris ensuite l’intérêt d’être abandonnés : au moins, on pouvait travailler tranquillement.» Ce n’est plus le cas à partir de 2006, quand M. Gérard Larcher, ministre délégué au travail dans le gouvernement de M. Dominique de Villepin, présente son plan de modernisation et de développement de l’inspection du travail (PMDIT). Dans la foulée du traumatisme de Saussignac, le ministre proclame son intention de «renforcer», «valoriser» et «promouvoir» l’institution. Il s’agit plutôt d’une reprise en main.
Certes, le plan prévoit d’augmenter le nombre d’agents de contrôle de 50% en quatre ans, afin de hisser la France au niveau de la moyenne européenne. De fait, les effectifs passent de 1 400 agents en 2006 à 2 257 fin 2010, soit 800 de plus; mais ce «renforcement historique» est largement fictif : quelque 550 postes découlent de la fusion de l’inspection du régime général avec celles des transports, de l’agriculture et de la mer.
Quant au gain réel d’à peine 300 postes, il est vite siphonné par la mise en place, en 2007, de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et de sa règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (6). Si les postes d’agent de contrôle sont épargnés, les secrétaires voient leurs effectifs laminés. La charge de travail augmente pour celles qui restent, contraignant les inspecteurs et contrôleurs à assumer une partie des tâches administratives.
Cette «valorisation» en trompe-l’œil dissimule un détournement de l’inspection du travail pour la mettre au service des gouvernements, et non plus des salariés dénonçant les abus des employeurs. Jusqu’alors, les agents de contrôle bénéficiaient d’une certaine autonomie dans leur travail, en vertu d’une indépendance garantie par la convention 81 de l’Organisation internationale du travail (OIT), mais aussi de l’indifférence de leur hiérarchie. Désormais, dans le cadre de la «politique du travail» gouvernementale, le ministère va «piloter» et «programmer» leur action, dont la priorité ne sera pas la répression des infractions patronales.
Le plan soumet aussi l’inspection du travail aux canons de la «performance» inscrits dans la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Ce texte, promulgué en août 2001, sous le gouvernement socialiste de M. Lionel Jospin, puis mis en œuvre par étapes jusqu’à sa consécration en 2006, marque l’émergence de la «nouvelle gestion publique», qui consiste à gérer les finances publiques selon les règles du privé. Les budgets sont alloués en fonction de critères d’«efficacité» définis à l’aide d’indicateurs chiffrés, d’objectifs et de résultats. Il s’agit, selon l’expression des députés socialistes Laurent Fabius et Didier Migaud, de «dépenser mieux» pour «prélever moins» (7).
Sous la double pression du contrôle ministériel et des impératifs de performance, l’inspection du travail se métamorphose en une usine à gaz technocratique. A partir de 2006, chaque agent se voit fixer un objectif de 200 interventions par an, dont 60% de contrôles en entreprise, le reste consistant en enquêtes, examens de documents, etc. Il doit tenir compte pour cela des domaines jugés prioritaires par la hiérarchie : le dialogue social, les produits cancérogènes… Il doit également participer à des campagnes de contrôle sur des thèmes ciblés : risque routier, rayonnements ionisants, poussières de bois, etc. Enfin, il doit rendre compte de toute son activité au moyen d’un logiciel, Cap Sitère. C’est sur ces résultats que s’appuie le supérieur hiérarchique pour attribuer, lors des entretiens annuels d’évaluation, des parts de prime et des promotions.
Sur le papier, le succès est foudroyant. Le dernier rapport annuel de la France au Bureau international du travail (BIT) fait état pour 2010 de «370 000 interventions en entreprise, en augmentation de 20% pour la troisième année consécutive (8)», et détaille longuement les indicateurs d’activité. Le bilan réel est moins reluisant. Jusque-là, les inspecteurs et les contrôleurs du travail tâchaient de répondre aux salariés défilant dans leurs permanences. Le quotidien des agents s’apparente à la gestion culpabilisante d’un océan infini de demandes nouvelles, en cours ou en retard entre lesquelles il faut, chaque jour, arbitrer en fonction d’urgences et de priorités difficiles à trancher. Or les objectifs ministériels les détournent de ce service au public et leur infligent un nouveau conflit de priorités.
«Je préfère avoir de mauvais chiffres…»
«Déjà, il est difficile d’accueillir des gens en souffrance et d’essayer de leur répondre dans un délai correct, argue M. Gilles Gourc, contrôleur du travail dans le Rhône depuis 2008 et syndiqué à la Confédération nationale du travail (CNT). Si, en plus, j’essaie d’atteindre les objectifs, cela devient intenable. Je préfère avoir de mauvais chiffres mais me reconnaître dans mon métier.» «L’insatisfaction permanente de ne pas pouvoir répondre aux besoins des salariés a toujours représenté l’aspect le plus dur du métier pour des agents surmotivés, appuie M. Joanny. Alors, quand la hiérarchie vous met la pression pour des choses inutiles et refuse de reconnaître le travail accompli, la souffrance apparaît.»
Les agents considèrent surtout cette «politique du travail» comme un moyen d’asservir leur mission à des objectifs d’affichage ayant peu à voir avec la situation des travailleurs. «On nous demande de vérifier l’existence de plans de prévention des risques psychosociaux dans une entreprise, mais pas d’évaluer les mesures concrètes mises en place, alors que c’est ce qui compte pour lutter contre la souffrance au travail», dit par exemple M. Joanny. Après le scandale de l’amiante, renchérit M. Gérald Le Corre, en poste en Seine-Maritime depuis 2003 (et syndicaliste à la Confédération générale du travail, CGT), «le ministère a compris qu’il risquait d’être un jour mis en cause pour son inaction sur d’autres cancérogènes ou sur les risques psychosociaux. La “politique du travail” est une manière de se couvrir en multipliant les circulaires».
L’objectif de 200 interventions par an a fait basculer l’institution dans l’absurde. «Chaque contrôle compte pour un bâton, que l’on passe dix minutes dans un restaurant à vérifier les affichages obligatoires ou plusieurs jours à éplucher des décomptes horaires pour vérifier la durée du travail», déplore un contrôleur du Val-de-Marne. Cette définition comptable ignore l’utilité des contrôles pour les salariés, sapant ainsi la motivation des fonctionnaires. Elle incite à bâcler le travail et à fausser les informations soumises au logiciel Cap Sitère. «On vit dans un mensonge généralisé, résume M. Gourc. Moins les services fonctionnent et plus on produit de chiffres.» Les dégâts constatés dans les services publics (9) sont tels que même le médiateur de la République déplore «la distorsion de plus en plus marquée entre la réalité vécue par les administrés et le reflet qu’en donnent les multiples indicateurs dont disposent les services de l’Etat (10)».
Le pilotage par objectifs se heurte à une résistance forte des agents, dont certains boycottent Cap Sitère ou les entretiens d’évaluation. Mais, entre collègues, le climat se dégrade, du fait de la mise en concurrence et des non-dits sur les primes obtenues. Face à la mobilisation qui a suivi le suicide des deux inspecteurs, début 2012, le ministère a suspendu pour cette année les évaluations sur critères quantitatifs. En avril, il a reconnu la cause professionnelle des deux suicides. Mais il n’a pas abrogé la réforme.
Si, en mai, le changement de gouvernement a pu faire espérer aux agents sa remise en cause, au moins partielle, dès juillet, ce fut la douche froide : dans un discours aux organisations syndicales (11), le ministre du travail Michel Sapin annonçait la poursuite des suppressions d’emplois, le maintien de la «politique du travail», des «priorités et objectifs» et de leurs instruments — Cap Sitère, entretiens annuels et primes au mérite. Pour M. Sapin, mettre l’accent sur la «prévention des risques psychosociaux» dans les services permettra de «tourner la page» des suicides.
Avant la crise économique, Olafur Hauksson était commissaire de police à Akranes, petit port de 6 500 habitants planté au bout d’une péninsule glacée, à une cinquantaine de kilomètres de Reykjavik. Les plus grosses enquêtes de sa carrière concernaient quelques meurtres et viols commis dans la région. Le reste du temps, sorti de son commissariat, il aimait profiter de sa famille et pêcher la truite argentée dans les rivières islandaises.
Aujourd’hui, la taille de ses prises a changé. Depuis janvier 2009, il cherche et traduit en justice ceux qui ont joué un rôle dans l’effondrement économique du pays, en 2008. Un poste-clé dans ce pays de 320 000 habitants, soit moins que la population de deux arrondissements parisiens.
« QUE DIEU VIENNE EN AIDE À L’ISLANDE… »
Jusqu’à l’été 2008, les économistes ne tarissaient pourtant pas d’éloges sur le « miracle » islandais. Lancée à grande vitesse dans une libéralisation débridée, « l’Islande devrait être un modèle pour le monde entier », affirmait ainsi en 2007 le théoricien de l’économie de l’offre, Arthur Laffer, célèbre pour la courbe qui porte son nom. Privatisation de son secteur financier, fusion des banques d’investissement et des banques commerciales, dérégulation du marché du travail : la société islandaise devient rapidement un paradis pour les investisseurs. Dopés aux crédits bon marché, les Islandais sont alors considérés comme le peuple « le plus heureux du monde », selon le classement du World Database of Happiness.
Mais à la fin de l’été 2008, la bulle islandaise explose, conséquence de la crise des subprimes américaine. Deux semaines après la chute vertigineuse de Lehman Brothers, les trois principales banques du pays, dont la valeur représente 923 % du PIB, s’effondrent. La petite île isolée au milieu de l’Atlantique Nord est balayée par la crise, la couronne islandaise coule sans qu’aucune intervention ne puisse infléchir son cours. Le 6 octobre 2008, en direct à la télévision nationale, le premier ministre de l’époque achève son discours en demandant à Dieu de « sauver l’Islande ».
« RÉVOLUTION DES CASSEROLES »
Depuis cette date fatidique, l’Islande a connu des jours troubles. En 2009, les Islandais, pourtant peu habitués aux démonstrations sociales, crient leur colère contre les politiciens et ces « néo-vikings » de la finance qui les ont trompés. La « révolution des casseroles » conduit à la démission du Parlement et du gouvernement conservateur. Parmi les revendications de ce mouvement, figure le jugement de ceux qui ont tiré profit de la situation économique et qui ont poussé l’Islande dans l’abîme économique.
Les élections législatives anticipées portent la gauche au pouvoir. La nouvelle première ministre, Johanna Sigurdardottir, veut nommer rapidement un procureur spécial pour enquêter sur les causes de la crise. Mais les candidatures ne se bousculent pas pour occuper le poste.
CONFLITS D’INTÉRÊTS
Dans cette société si restreinte, le petit cercle de professionnels qui auraient pu prétendre à la fonction étaient eux-mêmes trop impliqués dans le système pour le juger. Le fils de l’ancien ministre de la justice en personne était par exemple le directeur général de Kaupthing, l’une des trois banques au cœur de la tourmente.
Olafur Hauksson, isolé dans son petit commissariat de province, avait le mérite de n’avoir aucune relation avec cette élite accusée d’avoir précipité l’île vers la faillite. Malgré son inexpérience complète en matière de justice économique, il sera le seul à se proposer pour le poste. Une candidature pas tout à fait spontanée : le pêcheur de truites du dimanche a cédé à l’aimable insistance de son gouvernement. A tel point qu’à sa nomination, les conspirationnistes les plus acharnés ont même accusé les autorités islandaises d’avoir choisi un procureur inexpérimenté pour faire échouer les enquêtes.
UNE CENTAINE D’ENQUÊTEURS
Plus de trois ans après sa nomination, Olafur Hauksson reconnait lui-même « ne commencer que depuis peu à se sentir bien dans sa fonction ». D’abord à la tête d’une équipe de cinq personnes, il dirige aujourd’hui plus de cent collaborateurs. « Un dispositif exceptionnel, surtout dans une période de restrictions budgétaires », souligne le procureur. Pour l’épauler dans cette mission, le procureur spécial a également reçu l’aide d’experts internationaux, parmi lesquels la Française Eva Joly.
Leur tâche est double : « D’un côté, il s’agit d’enquêter sur toutes les suspicions de fraudes et délits commis avant 2009, de l’autre, nous engageons nous-mêmes des poursuites en justice contre les présumés coupables. » Une méthode « complètement nouvelle », qui permet aux enquêteurs de « suivre les dossiers », et à la justice, de « connaître les affaires sur le bout des doigts ». Une condition indispensable « pour pouvoir rivaliser avec des avocats de la défense très préparés ».
« PLEINE COOPÉRATION INTERNATIONALE »
Pour faciliter la mission du procureur, le gouvernement a procédé à des modifications législatives sur le secret bancaire. « Aujourd’hui, nous avons accès à toutes les informations, sans aucune objection possible« , affirme Olafur Hauksson. Soupçons de fraudes bancaires, délits d’initiés, escroqueries, usurpations d’identité professionnelle, détournements de fonds, les enquêtes menées sont variées et les trois – bientôt quatre – salles d’interrogatoire ne désemplissent pas. Le procureur affirme travailler aujourd’hui sur « une centaine de dossiers prioritaires ».
La plupart des personnes visées sont d’anciens responsables du secteur financier, membres des conseils d’administration des banques avant la crise. Des Islandais qui ont souvent choisi depuis de s’exiler dans des pays étrangers – au Luxembourg notamment – pour poursuivre leur carrière. Un éparpillement qui complique d’autant la tâche de l’équipe du procureur Hauksson. Mais celle-ci multiplie les perquisitions et ne s’empêche pas de poursuivre les enquêtes dans les filiales étrangères des banques islandaises, y compris auprès de ressortissants étrangers. « Nous avons une pleine coopération internationale », souligne Olafur Hauksson.
PREMIÈRES CONDAMNATIONS
A ce jour, quelques condamnations ont déjà été prononcées. Deux anciens dirigeants de la banque Byr, premiers à avoir été jugés, purgent une peine de quatre ans et demi de prison. L’ancien directeur de cabinet du ministre des finances au moment de la crise, Baldur Gudlaugsson, a été condamné pour délit d’initiés à deux ans de prison ferme. Plus récemment, c’est Sigurdur Einarsson, ancien président de la banque Kaupthing, qui a été condamné à rembourser à la banque 500 millions de couronnes islandaises – 3,2 millions d’euros – et a vu tous ses avoirs gelés.
D’autres attendent encore de passer devant la justice. Jon Thorsteinn Oddleifsson, l’ancien trésorier de la banque Landsbanki, devrait bientôt connaître son sort, tout comme Làrus Welding, l’ancien directeur général de la banque Glitnir.
LE CAS GEIR HAARDE
En septembre 2011, l’Islande s’est passionnée pour le procès de son ancien premier ministre Geir Haarde, accusé de « grande négligence » dans la gestion de la crise financière et de « violation des lois sur la responsabilité ministérielle ». Les avocats de l’ex-chef du gouvernement ont plaidé l’impossibilité de le tenir pour responsable d’éventuelles fautes commises par d’autres, notamment l’ancien ministre du commerce de l’époque.
Une stratégie payante, puisque Geir Haarde n’a été reconnu coupable que d’un seul des quatre chefs d’accusation : ne pas avoir convoqué de réunion ministérielle le moment venu pour discuter de la situation. Le procureur avait pourtant requis la peine maximale de deux années de prison contre l’ancien chef du gouvernement, qui a ainsi échappé à toute sanction.
« Le cas de Geir Haarde a montré toutes les limites d’un tel dispositif judiciaire », analyse la politologue Rosa Erlingsdottir, professeure à l’université de Reykjavik. « Peut-on juger les décisions d’un homme politique en exercice et lui demander de rendre des comptes ? C’était toute la question contenue dans ce procès, et la réponse apportée par la justice a déçu beaucoup d’Islandais. »
« IMPATIENCE CHRONIQUE »
Le travail d’Olafur Hauksson suscite en effet de vives critiques dans la population. « Le temps judiciaire reste relativement long pour le public », reconnait le procureur. Cette « impatience chronique » qu’évoque la politologue Rosa Erlingsdottir est une pression supplémentaire pour le bureau du procureur spécial. « On sait que les regards sont fixés sur nous, qu’on ne doit pas faillir », souligne Olafur Hauksson, mais « accélérer les choses conduirait immanquablement à faire des erreurs et dans le contexte actuel, avec tant de défiance envers les institutions de la part des Islandais, nous devons plus que jamais être irréprochables. »
Mais difficile d’être « irréprochable » dans une société où les pratiques douteuses ont longtemps été la règle. En mai, deux membres de l’équipe du procureur ont ainsi vendu des informations pour 30 millions de couronnes islandaises (191 000 euros) à un mystérieux destinataire. Ces deux anciens policiers enquêtaient sur le dossier Sjovar/Milestone, une compagnie d’assurance dans laquelle la Banque centrale islandaise avait investi avant de céder de nouveau ses parts pour une somme moindre. Accusés d’avoir violé la confidentialité de leur fonction, les deux hommes ont été suspendus et mis à la retraite d’office. Olafur Hauksson a affirmé dans la presse islandaise « prendre l’affaire très au sérieux » et redoute une « détérioration de la crédibilité de son équipe ».
BOUCS ÉMISSAIRES
D’autres voix s’élèvent pour critiquer le fait que l’équipe du procureur « s’acharne sur des boucs émissaires tout en laissant courir les vrais responsables », note Thoroddur Bjarnason, professeur en sociologie à l’université de Reykjavik. Le cas de David Oddson est le plus emblématique.
Premier ministre conservateur de 1991 à 2004, puis directeur de la Banque centrale islandaise de 2005 à 2009, il a été l’un des principaux acteurs de la transformation économique de l’île, avec son groupe de réflexion néolibérale, « La Locomotive ». A la tête du pays, il fut à l’origine de toute une série de privatisations du secteur économique. En 2002, c’est même lui qui avait dissous l’Institut économique national d’Islande, autorité de régulation réputée pour son indépendance, pour ne plus se fier qu’aux départements d’analyse et de recherche des banques elles-mêmes.
Aujourd’hui pourtant, aucune charge n’a été retenue contre lui, et David Odsson est même devenu le rédacteur en chef du principal quotidien de Reykjavik, Morgunbladid. « Un peu comme si on avait nommé Richard Nixon à la tête du Washington Post pendant le Watergate », souligne le Monde diplomatique.
La « purge » du système financier islandais, comme aime à le dire Olafur Hauksson, ne sera pas immédiate. S’il table sur une fin de mission à l’horizon 2015, le procureur espère surtout que l’Islande, dont l’économie a progressivement repris, pourra un jour « regarder derrière elle, et être fière d’avoir su tirer les leçons du passé ».
Pour l’ancien commissaire, la mission est déjà « un succès ». « Je ne connais pas d’exemple de procédure similaire conduite dans le monde, et notre travail a permis de montrer à quel point le système bancaire qui avait été mis en place était à mille lieux de ce qu’on imaginait de lui. » Un constat qui vaut aussi pour l’ancien commissaire du petit port de pêche d’Akranes.
Le tribunal administratif de Montpellier a fait annuler le 28 février 2012 deux mentions du règlement intérieur du conseil régional Languedoc-Roussillon restreignant les droits d’amendement et d’expression des conseillers régionaux.
France Jamet, présidente du groupe d’élus Front National au conseil régional Languedoc-Roussillon, demandait depuis août 2010 à la justice administrative l’abrogation de quatre paragraphes de l’article 27 du règlement intérieur du conseil régional du 13 avril 2010. Le 28 février, le tribunal administratif de Montpellier a considéré que certains des points contestés permettaient la « rationalisation » des travaux des commissions et du débat en assemblée mais il a jugé illégaux deux passages et exigé leur abrogation dans les deux mois. « Le droit d’amendement, rappelle le tribunal, est un droit inhérent au pouvoir de délibérer des élus locaux. S’il appartient à la collectivité territoriale de réglementer ce droit, il ne saurait légalement le faire qu’à la condition de ne pas porter atteinte à son exercice effectif. »
Inscription des amendements – Selon le règlement intérieur contesté, le président décide de l’inscription des amendements examinés par les commissions à l’ordre du jour de la session plénière, et si un amendement peut être présenté directement en séance, le président a le droit de le renvoyer en commission. Le règlement ne précise pas, relève le tribunal, si le texte concerné est alors renvoyé ou examiné… Ces éléments combinés donnent au président de la région la « maîtrise totale sur les projets d’amendement pouvant être admis à la délibération », ce qui « porte une atteinte excessive au droit d’amendement des conseillers régionaux ». A aussi été jugée illégal un alinéa interdisant toute explication de vote sur un amendement, pour méconnaissance du droit d’expression des conseillers régionaux.
La région n’a pas tardé à obtempérer : elle a fait voter l’abrogation du paragraphe et de l’alinéa illégaux à sa session du 2 mars.
Jean-Noël Guérini à sa sortie du palais de justice de Marseille le 15 février 2012. AFP/Boris Horvat
Le bureau du Sénat a décidé, jeudi 15 mars, de lever l’immunité des sénateurs socialiste Jean-Noël Guérini et apparenté socialiste Robert Navarro, tous deux mis en cause dans des affaires judiciaires. M. Guérini, 61 ans, a été mis en examen le 8 septembre dans une affaire de marchés publics pour trafic d’influence, prise illégale d’intérêt et association de malfaiteurs dans un dossier impliquant son frère Alexandre, patron de décharges.
Dans son cas, la demande de levée d’immunité visait à contraindre l’élu à répondre aux convocations et aux questions du juge. Mais depuis le dépôt de la demande d’immunité, le magistrat a pu interroger l’élu, le 2 mars, ce qui rendait cette requête « de facto sans objet » aux yeux de M. Guérini et de ses avocats.
M. Navarro, 59 ans, est lui visé par un dossier d’abus de confiance touchant aux frais de fonctionnement de la fédération PS de l’Hérault. Il n’a pas encore été entendu, et la juge d’instruction montpelliéraine Sabine Leclercq envisage à son encontre des mesures coercitives, en l’occurrence un placement sous contrôle judiciaire après mise en examen, selon une source proche du dossier.
Jeudi matin, Martine Aubry, la première secrétaire du PS, avait dit lors d’un point presse à Nîmes « espérer que l’immunité parlementaire sera[it] levée aujourd’hui ». Interrogée sur les effets négatifs d’un tel développement sur la campagne présidentielle en cours, Mme Aubry avait répondu : « Ce qui aurait entaché [la campagne], c’est de ne pas avoir fait ce que nous avions à faire. Il n’est jamais agréable de porter plainte contre un camarade. J’ai été amenée à le faire. » « La justice tranchera », a-t-elle conclu.