Immigration: Hollande s’inspire de Sarkozy qui court après Le Pen

10 février 2012 | Par Carine FouteauMediapart.fr

Incompréhensible la TVA sociale ? Parlez-leur d’immigration ! Absent jusque-là de la campagne présidentielle, ce thème débarque en force à la faveur des déclarations de Nicolas Sarkozy dans Le Figaro magazine où il présente quelques-unes de ses «valeurs» pour la société. Incapable d’imposer ses réponses à la crise économique et sociale, il s’en prend frontalement, comme Marine Le Pen, au droit des étrangers.

Chargé de cette problématique dès 2002, le chef de l’État, qui a été deux fois ministre de l’intérieur avant d’être élu président, liste les régressions supplémentaires qu’il envisage. Surenchère assumée : il n’est pas officiellement candidat, aucune des mesures annoncées ne peut être votée avant la fin du quinquennat, mais, sans craindre que son bilan – cinq lois en dix ans ! – ne lui soit opposé, il ressort les vieilles recettes qu’il fait passer pour des «surprises», voire des «idées nouvelles».

Après y avoir été favorable, il s’oppose au droit de vote des étrangers aux élections locales, au motif que «ce n’est vraiment pas le moment, avec tous les risques de montée du communautarisme». Faisant dire à François Hollande ce qu’il ne dit pas, Nicolas Sarkozy déclare refuser les régularisations d’étrangers en situation irrégulière, qui «créeraient immédiatement un appel d’air», alors même qu’il n’y a jamais renoncé, au «cas par cas» tout du moins.

Immigration familiale ensuite : après avoir compliqué la tâche des étrangers cherchant à faire venir leurs proches, il veut ajouter des conditions de ressources et de superficie de logement aux Français se mariant avec des étrangers. «Ainsi, nous combattrons plus efficacement les fraudes», indique-t-il. Comme pour les chômeurs, le soupçon de la fraude est latent. De même, il entend «réformer les prestations accordées aux demandeurs de droit d’asile». En cas de «non-coopération avec l’administration», celles-ci seront «limitées».

C’est enfin les expulsions qu’il veut faciliter, en supprimant l’intervention des juges des libertés et de la détention au profit des seuls juges administratifs. Voulu entre autres par le préfet de Seine-Saint-Denis, Christian Lambert, ce projet resurgit régulièrement. Une commission d’experts, présidée par Pierre Mazeaud, ex-président du Conseil constitutionnel, a même été consultée. Remises au chef de l’État en juillet 2008, ses conclusions étaient sans appel : l’unification juridictionnelle du contentieux serait non seulement «très difficilement réalisable»mais aussi «ne répondrait pas aux attentes placées en elle ni au regard de la charge de travail des juridictions, ni du point de vue de l’effectivité des mesures de reconduite des étrangers en situation irrégulière». Tranché ? Pas pour Nicolas Sarkozy qui, malgré l’extrême technicité de la question, laisse entendre qu’il pourrait organiser un référendum.

Il a beau courir après Marine Le Pen, du chemin reste à parcourir. Car la présidente du FN, qui conserve sur l’immigration les positions de son père, a une longueur d’avance. S’appuyant sur un raisonnement infondé (les immigrés pèseraient dramatiquement sur les finances publiques, ils feraient baisser les salaires, ils seraient trop nombreux, ils seraient inassimilables, etc.), elle propose une série de mesures toutes plus xénophobes et liberticides les unes que les autres.

Outre la priorité nationale qu’elle déplie de manière transversale, elle veut, dans une logique dirigiste, faire chuter de 200.000 à 10.000 les entrées légales, supprimer le regroupement familial, au mépris de multiples principes de droit internationaux, européens et français, rétablir la double peine, supprimer l’aide médicale d’État, interdire les manifestations de sans-papiers et de leurs soutiens, mettre fin à la libre circulation au sein de l’Union européenne ou encore faire du «racisme anti-Français» une circonstance aggravante alourdissant la peine encourue.

L’« immigration intelligente » de François Hollande

Plutôt que de prendre le contre-pied de cette dérive droitière, François Hollande est tout à son obsession de ne pas apparaître «laxiste», «irréaliste» ou «angéliste», selon les formules alternativement utilisées par la majorité pour critiquer son programme.

Son cheminement, à l’aboutissement encore incertain, est, pour l’instant, l’histoire de renoncements successifs. Parmi ses «60 propositions», celle sur l’immigration est en retrait par rapport au programme du PS, lui-même en deçà des débats de la primaire socialiste, eux-mêmes éloignés des engagements de la première secrétaire Martine Aubry en novembre 2009 (elle proposait, par exemple, une«large régularisation» des sans-papiers).

La dernière inflexion, en date du 27 janvier 2012, la plus surprenante aussi, est intervenue lors d’un face-à-face télévisé avec le ministre des affaires étrangères Alain Juppé. François Hollande y a parlé d’«immigration intelligente», poursuivant sa réflexion de la veille, à l’occasion d’une conférence de presse, de «maîtriser l’immigration»«Chaque année, avait-il indiqué, il y aura un débat au Parlement sur l’immigration économique et les souhaits des universités françaises (…) pour que l’immigration économique corresponde à de vrais besoins et que les étudiants étrangers puissent venir là où ils sont souhaités.»

Comment ne pas faire le rapprochement avec l’«immigration choisie» de Nicolas Sarkozy ? Le projet, qui a pris la forme d’une loi en 2006, était de favoriser les travailleurs au détriment des familles. Ce n’est certes pas ce que prône François Hollande, mais celui-ci reprend à son compte une vision utilitariste de l’immigration, pourtant dénoncée par la gauche tout au long du quinquennat, qui consiste à lier les entrées d’étrangers aux desiderata des entreprises. Pourquoi ce qualificatif d’«intelligent» ? Ferme-t-il la porte aux étrangers peu qualifiés ? Ne cible-t-il que les étudiants post-master à la recherche d’un emploi en France ? Dans son programme, il propose de «sécuriser» l’immigration légale. Qu’entend-il par là ? Est-ce une variante policière de «maîtriser» ou «réguler» ?

Tout aussi ambigu, le reste des propositions l’écarte d’un supposé socle de gauche. À aucun moment, il n’indique vouloir revenir sur les lois régressives votées et mises en place sous l’égide de Nicolas Sarkozy. Les sans-papiers, il ne semble plus les considérer comme des victimes, lançant une «lutte implacable contre l’immigration illégale et les filières du travail clandestin». Sur les régularisations, il se dit favorable «au cas par cas», ce qui correspond ni plus ni moins à la politique actuelle. Tout au plus évoque-t-il des «critères objectifs», mais sans dire lesquels, et entend-il mettre un terme au pouvoir arbitraire des préfets, contesté par les associations de défense des droits des étrangers.

Au regard de cette stratégie, les efforts des élus socialistes, ces dernières années, pour contrer les lois Sarkozy-Hortefeux-Guéant, paraissent périmés. Le soutien apporté par certains ténors du PS aux travailleurs sans papiers lors de leurs grèves devient un lointain souvenir.

Seul le droit de vote des étrangers aux élections locales constituerait une avancée. Mais même cette mesure, déjà inscrite dans les 110 propositions de François Mitterrand en 1981, est en retrait par rapport à la proposition de loi adoptée en décembre 2011 au Sénat, François Hollande n’évoquant pas leur éligibilité.

La politique «ouverte» d’Eva Joly et le recours à l’histoire ouvrière par Jean-Luc Mélenchon

Du côté de deux autres candidats, les droits des étrangers prennent un relief particulier. Se présentant comme «la candidate des Français qui ont grandi avec un accent», la candidate d’EELV, Eva Joly, fait de l’immigration un atout«doublement bénéfique, (…) d’une part pour les pays qui bénéficient de l’arrivée de jeunes éduqués, d’autre part pour les pays de départ auxquels ces migrants envoient souvent des fonds».

Croisant cette thématique aux conséquences du dérèglement climatique, elle insiste sur son aspect mondial et estime qu’une politique «ouverte» permettrait de revisiter les rapports Nord-Sud. Ses propositions sont plus en phase que celles de François Hollande avec l’opposition suscitée au cours de la décennie par la politique de Nicolas Sarkozy.

Mais, plutôt que de marteler les mesures précises inscrites dans le programme des écologistes, telles la régularisation de tous les sans-papiers, la dépénalisation du séjour irrégulier et la fermeture des centres de rétention administratives (CRA) créés en 1984 par le gouvernement socialiste pour y enfermer les étrangers en instance d’expulsion, elle s’en tient le plus souvent aux grands principes un peu flous.

Pour le Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon défend à peu près les mêmes positions, même s’il fait plus souvent référence aux liens entre l’histoire ouvrière et l’immigration qu’aux réfugiés climatiques. Lui aussi favorable au droit de vote des étrangers, il l’envisage uniquement pour les scrutins locaux, à la différence d’EELV qui propose de l’étendre à toutes les élections.

 

Communiqué des Amoureux au ban Public

Couples franco-étrangers, et si votre droit au séjour dépendait de votre compte en banque ?

Dans le cadre d’une interview accordée au Figaro Magazine à paraître samedi 11 février, Nicolas Sarkozy exprime sa volonté de limiter le rapprochement familial des étrangers conjoints de français. Il propose d’aligner les conditions d’obtention du visa de long séjour sur celles du regroupement familial : le montant des ressources et la surface du logement seraient désormais pris en compte.

Au nom de la lutte contre la fraude, le chef de l’Etat souhaite réduire l’immigration des conjoints de français en imposant des critères de revenus. Pourtant, le lien entre la fraude et les revenus est tout sauf évident à moins d’insinuer que les français ayant de hauts revenus seraient moins susceptibles de fraude que les français aux revenus modestes.

Or, s’il s’agit réellement de contrôler la sincérité des sentiments des couples franco-étrangers, le compte en banque n’en est certainement pas le meilleur révélateur.

En réalité, la proposition de Nicolas Sarkozy révèle une nouvelle fois sa volonté de réduire l’immigration des conjoints de français reléguée au rang peu enviable d’immigration subie et confirme ce que nous savions déjà : les couples franco-étrangers dérangent.

Pour autant, peut-on empêcher un citoyen français de vivre avec la personne de son choix dans son propre pays en raison de ses faibles ressources financières ? Cela constituerait une véritable atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que remettrait en cause le principe fondamental de l’égalité des droits entre les citoyens, pierre angulaire de notre système démocratique.

Pouvons-nous accepter qu’au nom de la lutte contre une fraude, dont l’ampleur reste à prouver, se créent des citoyens de seconde classe en raison de leur union avec des étrangers ?

Nicolas Sarkozy après avoir considérablement réduit les garanties individuelles dont pouvaient se prémunir les étrangers s’attaque aujourd’hui à ses propres concitoyens.

Les Amoureux au ban public, association de soutien et de défense des droits des couples franco-étrangers, s’indignent qu’une nouvelle fois le président de la République s’attaque aux couples franco-étrangers, déjà suffisamment malmenés par sa politique migratoire où la présomption de fraude a pris le pas sur le droit au respect de leur vie privée et familiale. Ils appellent une réaction de la part de l’ensemble des citoyens pour que ces propositions inacceptables ne puissent jamais entrées en vigueur dans notre pays.

Voir aussi : Rubrique Politique, politique de l’immigration, Rubrique Société, citoyenneté, La police fouille nos sentiments, Un docu sur les couples mixtes,  Rubrique Essai La responsabilité en miettes,