Polisse : Noirceur et besoin d’amour

Pour son troisième film, après le convaincant Le bal des actrices, qui faisait le point sur le métier d’actrice, Maïwenn poursuit sur la crête frontalière entre documentaire et fiction. Il s’agit cette fois de suivre le quotidien professionnel et personnel des policiers de la Brigade parisienne de protection des mineurs (BPM). Projet à la fois porteur et glissant tant il n’est pas simple de porter au cinéma un grand classique du genre télé.

Si Polisse, n’apporte rien de vraiment nouveau dans la mise en scène de cette brigade confrontée à l’inceste, la pédophilie et l’esclavage des mineurs, il affirme le regard de la réalisatrice qui s’est elle-même très impliquée dans le vécu des protagonistes en allant chercher sa matière sur le terrain. Dans le film, Maïwen interprète le rôle d’une photographe un peu coincée qui découvre la réalité crue de la BPM. Cette démarche apporte une certaine fraîcheur, comme le recours à certains acteurs n’ayant aucune expérience du cinéma. Maïwen a particulièrement saisit, la forme de légèreté que les policiers cultivent entre eux pour faire face à la lourdeur psychologique des situations. Elle joue de ce contraste durant tout le film, emportant le spectateur en mettant au premier plan la dimension humaine des policiers. Certaines scènes, comme celle où l’on voit les enfants faire la fête dans le bus qui les conduit dans un foyer juste après une descente dans un camp de Roms où on les a séparé de leur famille, sont peu réalistes.

« C’est une mise en scène sur le ton de la vérité » confie pourtant la réalisatrice qui s’est adjoint le concours éclairé d’Emmanuelle Bercot pour le scénario. Le film tient beaucoup sur les comédiens à l’image de Joeystarr qui avait déjà empoché le césar du meilleur acteur dans un second rôle, pour Le bal des actrices. Le talentueux rappeur français crève cette fois l’écran dans le rôle du flic ravagé par son quotidien professionnel. A ses côtés, dans d’autres registres, Karin Viard, Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle, Naïra Ayadi… livrent une partition tout aussi  douloureuse sans fausse note.

A travers l’urgence de ce polar urbain, Maïwen dessine les maux d’une société dans laquelle violence sexuelle, abus de pouvoir, et emprise de la consommation frappent cruellement les mineurs. Les séances d’interrogatoires soulignent bien que la violence symbolique touche l’ensemble des classes sociales. Au-delà de la noirceur, la cohabitation multiple entre les hommes et les femmes, entre devoir et sentiment, entre vie personnelle et professionnelle est un ressort majeur du film. La réalisatrice tire le portrait de personnalités fissurées en de multiples facettes. Le film de Maïwen qui a obtenu le prix du Jury à Cannes donne à voir des hommes, des femmes et des enfants en prise avec leur limites. En se sens, il s’inscrit dans l’air du temps. Aucun des personnages n’est en mesure de se regarder dans un miroir en tenant le mensonge à l’écart. Le montage rythmé nous tient en haleine jusqu’à la chute finale.

Jean-Marie Dinh

Polisse de Maïwen sur les écrans le 19 octobre.

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Tous au Larzac : Incroyable histoire d’humains qui résistent

Le documentaire de Christian Rouaud présenté hier au cinéma Diagonal met du baume au cœur. Il conte l’histoire tumultueuse et humaine des 103 paysans du Larzac en lutte contre la grande muette pour préserver leur territoire et leur mode de vie. Comme dans son dernier film Lip, l’imagination au pouvoir, Christian Rouaud appuie son propos sur un triptyque historique politique et social. Le film repose sur le témoignage des principaux protagonistes qui relatent avec distance et honnêteté un combat qui a bouleversé leur vie en profondeur. « Avant j’étais normal, je votais à droite et j’allais à la messe. Ca a changer depuis », confie avec un rien  d’ironie Léon Maille, un paysan installé depuis trois générations sur le site.

 

Marizette Targuier

On suit par le menu le combat non violent qui commence le 11 octobre 1970 avec le projet d’extension du camp militaire du Larzac pour se finir avec l’élection de Mitterrand en 1981. Le parcours interpelle par sa nature. Il part de paysans isolés dans leur ferme qui se regardaient en chiens de faïence pour aboutir à une lutte collective qui intègre dans le temps des militants de tous les horizons, syndicats agricoles, gauche ouvrière et paysanne, maoïstes, communauté de l’Arche, anars, militants occitans, prêtres de campagne… Cette union improbable doit beaucoup à la personnalité de l’agriculteur Guy Tarlier dont la veuve Marizette, qui ne ménageait pas la teneur de son engagement, apporte un témoignage lumineux.

Avec ses images, le réalisateur fait également parler la nature qui donne à comprendre, pour ceux qui y sont nés comme pour ceux qui l’on rejointe, à quel point cette terre du Larzac est au centre de l’expérience humaine. Et par extension, à quel point, elle a pu agréger et canaliser le puissant attachement des Français à un certain type de continuité sociale et culturelle.

« Ce qui a caractérisé les luttes de cette période, n’est pas comme on l’a dit parfois, le dogmatisme gauchiste, mais une liberté d’invention et de ton, une fierté, une insolence, une imagination sans borne,» affirme le réalisateur. Christian Rouaud ne veut pas nous proposer un modèle, il nous invite à porter un regard neuf sur les luttes à entreprendre.

Jean-Marie Dinh

Tous au Larzac, sortie le 23 novembre.

Voir aussi : Rubrique Cinéma, Grandpuits et petites victoires, We want sex equality, rubrique Société, Mouvements sociaux,

Olivier Poivre d’Arvor : »La culture doit se retrouver au centre d’un projet politique »

OPA : "Il faut rester dans la famille et faire des enfants"

en 1958, auteur édité par Jean-Edern Hallier, titulaire d’un DEA de philosophie,  Olivier Poivre d’Arvor, a entrepris une carrière dans la diplomatie culturelle (Alexandrie, Prague, Londres) après avoir été nommé directeur de l’AFFA par Hubert Védrine. Il est le directeur de France Culture depuis août 2010.

Près d’un an après votre nomination à la direction de France Culture,  vous avez fait connaissance avec la maison. Avez-vous eu des surprises ?

Plutôt des confirmations que des surprises. C’est un lieu sacré avec ses rites. Il faut les éprouver si l’on veut les épouser. C’est une véritable exception culturelle. Il y a dans notre maison, une population que l’on ne trouve pas dans les autres radios composées de producteurs et de journalistes. Nous sommes une radio de flux qui traite des grands événements de la société et dans le même temps nous faisons appel à de grands savants qui analysent la situation. C’est un exercice très singulier. En un an, nous avons gagné 100 000 auditeurs en restant fidèles  à ces principes. Une enquête lancée au sein de Radio France sur le traitement de l’affaire DSK vient de démontrer que c’est notre démarche qui a été le plus apprécié au sein des radios publiques. Sur ce dossier complexe, nous avons abordé tous les aspects en trouvant la bonne distance.

Les auditeurs vont bientôt découvrir la nouvelle grille de rentrée qui porte votre marque. Quels en sont les axes fondateurs ?

Un certain renouvellement, une féminisation et aussi plus de lisibilité avec des tranches horaires plus claires. Certains producteurs partent d’autres arrivent, ce qui conduit à un rajeunissement. Ce n’est pas facile de trouver des producteurs. Souvent la notoriété pose problème. Il faut rester dans la famille et faire des enfants. Il y a aussi une place plus importante accordée à la culture, plus de théâtre, de musique, de cinéma… Nous renforçons aussi les tranches du week-end qui étaient un peu notre point faible.

A Montpellier après 25 ans de Rencontres Pétrarque, la présence de France Culture se décline cette année sous le sigle La Semaine des Idées…

Nous souhaitons développer les Rencontres Pétrarque dans un cadre plus large. Il y aura deux fois plus d’émissions avec des rendez-vous en direct. Et puis de nouvelles rencontres comme L’esprit d’escalier qui permettront au public d’échanger avec un intervenant des Rencontres de la veille, des soirées avec des artistes et des intellectuels sont également prévues. Cette édition préfigure l’édition 2012 où nous lancerons le Marathon des idées, une sorte de petit festival autour de la pensée.

La thématique « Le peuple a-t-il un avenir ? » adjoint-elle à la culture une dimension sociale ?

Probablement, la question est en tout cas posée malgré nous par certains partis politiques qui ont recours  à un discours populiste. Celui-ci sera au cœur du questionnement lors du débat de mardi.

On vous dit proche de Martine Aubry ?

C’est une de mes plus proches amies. C’est la marraine de ma fille. Au-delà de cela je pense que c’est quelqu’un qui a une vraie conscience de l’importance de la culture. Je m’occupe du service public, il ne m’appartient pas  de me prononcer. Tous les discours politiques m’intéressent. Mais à titre privé, je ne vais pas me mettre en refus d’amitié pendant un an pour cause de primaires. Je pense que la question de la culture doit revenir au centre d’un projet politique.

Recueillis par Jean-Marie Dinh

Voir aussi :  Rubrique Festival, Festival de Radio France, rubrique Médias, rubrique Politique culturelle, rubrique Rencontre, Jérome Clément,

Des 400 coups au ciné mainstream

Rencontre. Avec J-M Frodon pour une histoire du cinéma Français.

Il est difficile, pour un critique, historien et journaliste comme Jean-Michel Frodon de condenser son système de pensée, surtout lorsque son implication dans l’univers du cinéma remonte à son premier cri avec un père pratiquant le même métier. C’est toutefois le défi qu’il vient de relever en publiant Le cinéma Français de la Nouvelle vague à nos jours. L’ouvrage brosse le portrait d’un demi siècle de cinéma depuis son âge moderne qui débute en 1959 avec la sortie du premier long-métrage de Truffaut Les Quatre cents coups et de Hiroshima mon amour de d’Alain Resnais.

Critique aguerri, Jean-Michel Frodon ne répond pas à l’image du cinéphile érudit qui s’écoute parler. Il semble tout au contraire, vouloir partager son amour du 7e art en rendant ses connaissances accessibles. « Le cinéma ne reflète pas la société en évolution, il en fait partie. Pour moi, travailler sur l’histoire, c’est avoir des engagements car en matière de cinéma, les goûts et les couleurs, ça se discute. Le cinéma m’intéresse parce que le monde m’intéresse. »

On retrouve cette affirmation dans son livre qui propose une synthèse des films et des gens qui les font (réalisateurs, acteurs, techniciens), de ceux qui les montrent mais aussi de l’économie du cinéma,  de la législation qui l’encadre et du contexte social et politique dans lequel naissent les films. Le livre croise l’ensemble des champs qui influent dans la création cinématographique et propose des assemblages d’œuvres qui se répondent. Il est organisé par décennies.

Le cinéma en marche

Après la révolution esthétique de la nouvelle vague, viennent les années 1968/75. Années où s’affirme la prééminence du politique. L’auteur  rappelle la ligne de partage énoncée par Godard qui distingue les films politiques et les films filmés politiquement. « Les premiers voulant représenter la société, les seconds tentant d’inventer de nouvelles manières de faire du cinéma, cohérentes avec la volonté de rupture idéologique de leur auteurs. »

Dans la période 1976/80 se marque la disparition des grands récits à l’instar des valseuses de Bertrand Blier. La place donnée aux acteurs Depardieu, Dewaere, Miou-Miou, Huppert…, bouleverse le mode de représentation. C’est aussi l’époque où le cinéma consacre le triomphe de l’argent. Parmi les acteurs ayant porté ce thème, figure Michel Piccoli abonné au rôle du grand bourgeois. « L’acteur se plait à en écorner l’image chaque fois que l’occasion se présente », observe Frodon.

Sous pavillon culturel

L’impact des crises qui ont transformé les économies mondiales se répercutent en France dans le milieu des années 80 par « un repli de la profession sous pavillon culturel. » La promotion culturelle, la protection réglementaire et l’intégration de l’audiovisuel permettent au cinéma français de ne pas sombrer comme dans les pays voisins. Le financement du cinéma par le petit écran tient à cet égard un rôle majeur.

Depuis les années 2000, l’époque de  la globalisation  s’illustre par la fidélisation de la clientèle dans les multiplexes et le recul du politique à quoi s’ajoute l’essor du numérique et le développement du cinéma mainstream.

C’est sur ce constat que s’interrompt le récit, à un moment où le cinéma français semble menacé par les grandes évolutions du monde. Mais l’optimisme réaliste de Jean-Michel Frodon, lui, laisse à penser qu’il écrira la suite de cette fabuleuse aventure.

Jean-Marie Dinh

Le cinéma Français de la Nouvelle vague à nos jours, éditions Cahiers du Cinéma

Voir aussi : Rubrique Cinéma rubrique Livre, Essais , F.Martel : Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde,

Qui a tué le jardinier Omar Raddad ?

Roschdy Zem et Sami Bouajila. Photo Rédouane Anfoussi

Le 24 juin 1991, Ghislaine Marchal est retrouvée assassinée à son domicile de Mougins. Omar Raddad, son jardinier, est arrêté et devient le coupable idéal… Il est condamné à 18 ans prison dans des circonstances pour le moins troublantes. Sept ans plus tard, Omar sort de prison suite à une grâce présidentielle, mais demeure toujours coupable aux yeux de la justice. Pierre Emmanuel Vaugrenard, écrivain et journaliste, nommé à l’Académie Française, est persuadé de son innocence. Il décide de mener une contre-enquête dont il tirera un livre.

C’est cette histoire qu’a choisi d’adapter au cinéma Roschdy Zem pour son 2e  long métrage produit par Tessalit production.  « L’idée de départ est de Rachid Bouchared, explique Roschdy Zem. Il avait dans l’idée de faire un film sur cette histoire et m’a proposé de jouer Omar. J’ai commencé à m’intéresser à l’affaire. Puis j’ai rencontré Omar et plus je découvrais sa personnalité, plus je me disais que le rôle était fait pour Sami Bouajila. Nous entretenons des relations de confiance avec Rachid, et comme le film n’était pas une priorité pour lui, je lui ai demandé d’assurer la mise en scène. On est tombé d’accord. » 

Des pressions

Le film s’en tient exclusivement aux faits. « On est en empathie avec le personnage mais je voulais rester objectif. J’ai conscience que cela peut être considéré  comme un cinéma engagé mais  ma volonté première est de faire une fiction, de raconter une histoire qui emporte les gens. Il ne s’agit pas de régler des comptes. »

Le réalisateur évoque pourtant des pressions qui lui sont venues de la famille de la victime pour qu’il renonce à faire le film. « Omar est le seul protagoniste de cette affaire qui souhaite encore que l’on en parle. On a voulu me dissuader de tourner avant même que j’ai écrit une ligne. On a brandi la menace de procédures. La nature de leurs soucis est assez explicite. On voulait savoir si figurerait bien dans mon film le fait que Omar est été condamné à une peine de 18 ans. Et que le pourvoi en cassation se soit soldé par un rejet. Cela m’a plutôt motivé pour le faire. »

Un homme simple

Une partie du tournage a eu lieu dans la région, le procès au palais de justice de Montpellier et les scènes de prison dans les murs moyenâgeux de  l’ancienne prison de Béziers. « J’ai croisé Omar à Montpellier. Il venait assister à une scène du procès. C’est un homme simple, authentique, pour lequel j’éprouve une forte compassion,  indique Sami Bouajila. Mais je me suis protégé du mythe d’Omar pour entrer vraiment dans le rôle. »

A l’écran, le résultat est saisissant. Rythmé, le film croise l’univers d’Omar avec celui de l’écrivain, très dandy parisien, qui enquête sur l’affaire. La caméra colle aux personnages. On ressent la pression, et on se laisse emporter par la fluidité des prises de vue et le jeu d’acteur. « A travers le film, on sent bien que cette histoire n’est pas tout à fait terminée», souligne le réalisateur. Une réussite cinématographique pourrait faire bouger les lignes dans la vie réelle d’Omar qui « reste en prison dans sa tête ». D’ailleurs, la chancellerie vient de donner son feu vert pour engager une expertise ADN alors qu’elle s’y refusait depuis 10 ans.

Jean-Marie Dinh

« Omar m’a tuer » sur les écrans le 22 juin

Voir aussi : RubriqueCinéma, rubrique Justice, rubrique Politique de l’immigration,