Olivier Poivre d’Arvor : »La culture doit se retrouver au centre d’un projet politique »

OPA : "Il faut rester dans la famille et faire des enfants"

en 1958, auteur édité par Jean-Edern Hallier, titulaire d’un DEA de philosophie,  Olivier Poivre d’Arvor, a entrepris une carrière dans la diplomatie culturelle (Alexandrie, Prague, Londres) après avoir été nommé directeur de l’AFFA par Hubert Védrine. Il est le directeur de France Culture depuis août 2010.

Près d’un an après votre nomination à la direction de France Culture,  vous avez fait connaissance avec la maison. Avez-vous eu des surprises ?

Plutôt des confirmations que des surprises. C’est un lieu sacré avec ses rites. Il faut les éprouver si l’on veut les épouser. C’est une véritable exception culturelle. Il y a dans notre maison, une population que l’on ne trouve pas dans les autres radios composées de producteurs et de journalistes. Nous sommes une radio de flux qui traite des grands événements de la société et dans le même temps nous faisons appel à de grands savants qui analysent la situation. C’est un exercice très singulier. En un an, nous avons gagné 100 000 auditeurs en restant fidèles  à ces principes. Une enquête lancée au sein de Radio France sur le traitement de l’affaire DSK vient de démontrer que c’est notre démarche qui a été le plus apprécié au sein des radios publiques. Sur ce dossier complexe, nous avons abordé tous les aspects en trouvant la bonne distance.

Les auditeurs vont bientôt découvrir la nouvelle grille de rentrée qui porte votre marque. Quels en sont les axes fondateurs ?

Un certain renouvellement, une féminisation et aussi plus de lisibilité avec des tranches horaires plus claires. Certains producteurs partent d’autres arrivent, ce qui conduit à un rajeunissement. Ce n’est pas facile de trouver des producteurs. Souvent la notoriété pose problème. Il faut rester dans la famille et faire des enfants. Il y a aussi une place plus importante accordée à la culture, plus de théâtre, de musique, de cinéma… Nous renforçons aussi les tranches du week-end qui étaient un peu notre point faible.

A Montpellier après 25 ans de Rencontres Pétrarque, la présence de France Culture se décline cette année sous le sigle La Semaine des Idées…

Nous souhaitons développer les Rencontres Pétrarque dans un cadre plus large. Il y aura deux fois plus d’émissions avec des rendez-vous en direct. Et puis de nouvelles rencontres comme L’esprit d’escalier qui permettront au public d’échanger avec un intervenant des Rencontres de la veille, des soirées avec des artistes et des intellectuels sont également prévues. Cette édition préfigure l’édition 2012 où nous lancerons le Marathon des idées, une sorte de petit festival autour de la pensée.

La thématique « Le peuple a-t-il un avenir ? » adjoint-elle à la culture une dimension sociale ?

Probablement, la question est en tout cas posée malgré nous par certains partis politiques qui ont recours  à un discours populiste. Celui-ci sera au cœur du questionnement lors du débat de mardi.

On vous dit proche de Martine Aubry ?

C’est une de mes plus proches amies. C’est la marraine de ma fille. Au-delà de cela je pense que c’est quelqu’un qui a une vraie conscience de l’importance de la culture. Je m’occupe du service public, il ne m’appartient pas  de me prononcer. Tous les discours politiques m’intéressent. Mais à titre privé, je ne vais pas me mettre en refus d’amitié pendant un an pour cause de primaires. Je pense que la question de la culture doit revenir au centre d’un projet politique.

Recueillis par Jean-Marie Dinh

Voir aussi :  Rubrique Festival, Festival de Radio France, rubrique Médias, rubrique Politique culturelle, rubrique Rencontre, Jérome Clément,

Rencontres de Pétrarque : L’État de droit face au piège

Le retour à la politique est au menu des Rencontres de Pétrarque, espace de réflexions et de débats organisé à Montpellier par France Culture en partenariat avec Le Monde. Sur le thème « L’État de droit n’est-il plus qu’une illusion ? » la XXIIIème édition renoue avec un large public. En début de semaine lors de la leçon inaugurale, Guy Carcassonne a rappelé l’histoire de l’État de droit en se félicitant que la Constitution garantisse les libertés. Mais dans son propos introductif, le constitutionnaliste a également évoqué la fragilité de l’édifice, en appelant les citoyens et les gouvernants à plus de sagesse face à la surabondance des textes de piètre qualité. « Tout sujet au 20h est devenu virtuellement une loi ».

Contre le terrorisme, tout est-il permis ?

Tout aussi provocatrice, la question de mardi, « Contre le terrorisme, tout est-il permis ? », devait trouver une réponse mesurée et une unanime condamnation de la torture dans le cercle des invités. Blandine Kriegel, l’ex-conseillère de Jacques Chirac, a souligné l’intérêt d’un regard critique sur l’Etat avant de reposer les fondements de L’Etat de droit, « une nouvelle doctrine du pouvoir qui s’oppose à l’empire et organise un espace politique unifié, où la puissance publique est assujettie à la loi et limitée par le droit individuel », la philosophe a rappelé la position kantienne qui voyait l’horizon déterminé par la guerre tant que l’Etat de droit ne se serait pas imposé à l’échelle de la planète. Blandine Kriegel ne se range cependant pas sous les mêmes auspices, pour considérer le débat sur la morale politique de la loi. « La conception pratique de Kant qui sépare la morale (les raisons pratiques) et ce qui sort de la morale (les raisons pragmatiques), est le fondement de l’idée que contre le terrorisme on peut remettre en cause les principes de l’Etat de droit.  Or il n’y a pas deux mondes mais un seul avec l’idée que la morale est inscrite dans la nature des humains. »

Dans un registre moins classique, Michel Terestchenko, philosophe et chercheur en sciences politiques, est revenu sur le débat justifiant la torture aux Etats-Unis. En soulignant le rôle des juristes. « L’argumentation qui défend le fait que le droit international ne peut s’appliquer aux taliban qui ne le respectent pas, aboutit à la loi votée en 2006 qui introduit les commissions militaires que l’on avait pas vues depuis 1942. » L’autre aspect du débat soulevé par Terestchenko démontre la teneur du péril. Il concerne la construction d’une doctrine morale de la torture défendue par certains théoriciens de la gauche américaine. « L’argumentation morale repose sur la situation d’exception. Imaginez qu’un terroriste ait posé une bombe dans l’ école d’un de vos enfants. On l’arrête. Il refuse de parler. Est-ce que l’emploi de la torture n’est pas légitime ? C’est l’idée que torturer un individu pour en sauver 100, c’est non seulement un moindre mal mais c’est un bien tout court. »

Le juge Gilbert Thiel, spécialiste de l’antiterrorisme, s’est quant à lui lancé dans une longue énumération des attentats terroristes sur le sol français avant d’admettre un danger potentiel dans le fait que « toute forme de contestation ou de révolte pouvait aujourd’hui être assimilée à du terrorisme. » Et le directeur de l’institut international Pascal Boniface, de revenir à la réalité. « Lorsqu’on bombarde un mariage taliban, on ne lutte pas contre le terrorisme. »

En marge de la propagande étatique qui considère toute mise en cause de l’action antiterroriste comme un soutien tacite « aux assassins », les Rencontres Pétrarque proposent un peu d’air.


Le juge Thiel armé pour le débat

Rédouane anfoussi