A l’occasion du festival Chanac double sa population chaque année. Photo dr
Bilan positif pour la 11e édition de Détours du Monde qui se projette dans l’avenir sans perdre ses valeurs.
En Lozère, le festival Détours du Monde de Chanac qui s’est clôturé le 19 juillet, joue les prolongation. En collaboration avec le Festival de Radio France, il amène les musiques du Monde sur les Chemins de St Jacques de Compostelle qui traversent le plateau de l’Aubrac. Ce soir, le poète chanteur portugais Lula Pena captivera l’auditoire de son fervent Fado en l’église de Saint-Alban-sur-Limagnole. Demain ce sera au tour du poly-instrumentiste Aziz Sahmaoui ex-membre de l’Orchestre National de Barbès d’envoûter le public en l’église Ste-Marie à Nasbinals.
Le temps fort du festival s’est déroulé du 17 au 19 juillet à Chanac où étaient invités cette année quelques fines fleurs de la word musique comme le Berbère Titi Robin, le Malien Cheick Tidane seck pour une rencontre sensible avec le slamer Feat Oxmo Puccino, le Réunionais René Lacaille, le maître malien Lansiné Kouyaté accompagné du jazzman David Neerman, le bassiste des Gladiators Clinton Fearon et bien d’autres musiciens venus d’ici et d’ailleurs.
Détours du Monde célébrait cette année sa 11ème édition. Ce festival est lié à une histoire de rencontres. Né d’un petit groupe d’amis lycéens qui organisaient des concerts dans la région. Il a pris son envol et poursuit son développement entre soutien à la création et réflexions. « A l’époque nous avons rencontré des gens formidables à Chanac et l’histoire se poursuit, explique le directeur artistique Florian Olivères, c’est de là qu’est né le festival. Au pied de cette tour rescapée du XIIème, nous avons imaginé qu’elle pourrait devenir une antenne relais avec le monde. Cela a donné Détours du monde. »
Les fondateurs ne pensaient pas ancrer l’événement dans le temps mais une conjonction de circonstances allait en décider autrement. Dès la première édition, Richard Bohringer devient le parrain du festival et encourage les organisateurs. Trois plus tard le passage de Pierre Rabhi impulse une dynamique de réflexion autour du respect de la terre et de l’humain. A chaque édition, autour d’expressions musicales et artistiques multiculturelles, le débat s’ouvre, nourri par des initiatives locales et soutenu par l’engagement intellectuel des invités. « A l’occasion de nos dix ans, nous avons ouvert un cycle nouveau autour de la prise de parole et de la citoyenneté impliquant des associations, des bénévoles, des collectifs soucieux et respectueux de l’avenir. Nous avons également ouvert de nouveaux espaces, une scène des possibles, et une scène sociale nous permettant d’accueillir des spectacles plus intimistes ».
L’association du festival s’affirme aussi dans le paysage culturel en impulsant en partenariat avec le festival de Thau, la création du Silo. Une fabrique coopérative dédiée aux musiques du monde qui met des moyens en commun dans la région pour favoriser la création et la diffusion.
Le désert culturel lozérien recule même si l’on peut y croiser des Touaregs.
Le Festival des musiques du monde débute avec une semaine de concerts gratuits dans les communes du bassin de Thau. Il se poursuivra au théâtre de la mer du 2 au 8 août..
Dix-huit ans, voilà le festival devenu majeur. Dix-huit années qu’il propage à Sète et alentours, le meilleur des musiques du monde. Il n’est plus le seul à œuvrer dans ce secteur, ni le seul festival de la cité. Un collier de sept perles festivalières scintille autour du cou de l’île singulière. Localement, la multiplication de l’offre culturelle est une chance qui profite à tous mais complique parfois la vie des directeurs artistiques.
Pour avoir traversé modes et mandatures en tenant bien la barre, José Bel le fondateur passionné de Fiest’A Sète en sait quelque chose. Dans le monde de la navigation, on dit que les meilleures voiles du monde ne feront jamais gagner une régate à une vielle coque de noix. On peut dire que l’embarcation Fiest’A Sète est une coque pleine de trésors qui tient l’allure débridée sans prendre systématiquement le vent porteur du moment. Et le fidèle public du festival sur lequel repose la pérennité de cette ouverture au monde, fait la distinction.
Parmi les éléments identitaires du festival on retrouve : l’exigence d’une programmation de haut niveau, la chaleur de l’accueil artistique, la curiosité, le goût du risque et des rencontres alliés à un indéfectible amour de la musique. « Musique qui éclaire, rassemble, au-delà des frontières et des croyances » souligne José Bel. Les membres de l’association Métisète gardent à l’esprit l’idée que les musiques du monde sont avant tout des musiques vivantes, qui parlent au présent de notre monde d’aujourd’hui. Il suffit de se rendre à Fiest’A sète pour le mesurer ou le vivre.
Grands horizons
Cette nouvelle édition s’ouvre avec trois séances de cinéma et une semaine de concerts gratuits. Dès ce soir en prélude à la Noche Flamenca (le 6 août au Théâtre de la Mer) on pourra voir ou revoir le film de Carlos Saura Flamenco, flamenco au Cinéma Le Comoedia, à Sète. Comme chaque année le festival débute avec une série de concerts gratuits dans les communes qui bordent l’étang de Thau. Dans l’esprit de Fiest’A Sète, la gratuité s’allie à la qualité à partager avec le plus grand nombre. Pas moins de dix concerts seront donnés dans ce cadre à commencer par ce week-end où Balaruc-les bains accueille samedi le groupe franco-irlandais Les Ballyshannons qui revisite le répertoire traditionnel irish folk et Le Malien Mamani Keita. Dimanche les Jamaîquains de The Jolly Boys chaufferont la scène de Marseillan aux rythmes traditionnels entêtants du ska et du rocksteady. Ils seront suivis de Anavantou une formation formée de musiciens belges et brésiliens.
Au Théâtre de la mer
Le Théâtre de La Mer ouvrira ses portes le 2 août pour une série de rencontres exceptionnelles. A commencer par la soirée Soul & Funk Session du samedi avec Ester Rada une diva de la soul issue de la communauté juive éthiopienne et Bootsy Collins génie excentrique du funk dont les collaboration avec James Brown, Fred Wesley, ou Macéo Parker donnent une petite idée de la pointure.
Dimanche le festival se déplacera sur la diagonale afro-cubaine avec le duo renversant Fatoumata Diawara/Roberto Fonseca, suivi de l’orchestre légendaire la « Aragon » qui célèbre cette année son 75 e anniversaire.
Goran Bregovic, Juan Carmona, Keziah Jones, Trilok Gurtu, Susheela Raman… comptent parmi la longue liste des invités attendus et que nous retrouverons dans nos pages qui suivent cette année encore l’événement de près.
New York, 1939. Une voix perfore le cœur d’une Amérique bipolaire. “Strange Fruit”, acte de naissance de la chanson contestataire, résonne pour l’éternité.
I feel like going home, de Muddy Waters, I got a woman, de Ray Charles, Zombie, de Fela ou encore War, de Bob Marley… Dans la continuité de l’expo « Great Black Music », à la Cité de la Musique, qui rassemble jusqu’en août cinquante ans de musiques noires, Télérama.fr vous raconte chaque semaine l’histoire d’une chanson qui a traversé les générations.
Les dernières notes de Strange Fruit sont souvent suivies d’un silence sidérant. Le night club est plongé dans le noir. Les serveurs ne doivent pas bouger, ni faire le moindre bruit. Chaque soir, le rideau retombe sur l’image de « ces corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud/comme d’étranges fruits aux branches des peupliers ». Le public new-yorkais ne sait pas comment réagir. Doit-il rester grave et recueilli dans un moment d’intense communion avec le peuple noir qui est encore victime des lynchages? Doit-il applaudir à tout rompre la performance sublime de Billie Holiday dont le tour de chant s’achève rituellement par cette lamentation déchirante ? L’intensité de l’instant n’a guère d’équivalent.
Les années 30 touchent à leur fin. New York est une ville vibrante, créative, illuminée. Le Cafe Society qui vient d’ouvrir ses portes sur Sheridan Square, à Greenwich Village, fait vœu d’être le premier night club d’Amérique où noirs et blancs peuvent se mélanger sans y penser. Les amoureux de jazz et les penseurs d’une gauche en verve y font bon ménage et Billie Holiday règne avec autorité sur ce beau monde hédoniste et raffiné. Sa voix est l’expression la plus pure d’une blessure grande ouverte. Elle donne à Strange Fruit une force que rien ne peut dompter. Son timbre est clair, à peine frissonnant, son interprétation lente et posée. La chanteuse qui, en ce printemps 1939, a tout juste vingt-quatre ans, dompte son souffle, impose son rythme, dévoile les images de la terrible scène de lynchage sans forcer le trait. L’émotion est nue. La chanson semble taillée pour elle. A tel point qu’elle a fini par croire qu’elle en était l’inspiration.
be Meeropol, l’auteur derrière le mythe
Dans sa biographie, Lady Sings the Blues, elle raconte que le jour où un certain Lewis Allen s’est présenté à elle avec cette ébauche de chanson, elle a compris immédiatement qu’elle mettait en musique toute l’infamie qui avait tué son père (il est mort d’une pneumonie après que plusieurs hôpitaux du sud ségrégationniste aient refusé de le soigner).
Strange Fruit restera LA chanson de Billie Holiday, mais elle n’a pas été écrite pour elle. Quand elle les interprète pour la première fois, ces trois couplets dépeignant, avec brutalité et ironie, le pourrissement du racisme dans l’air moite des campagnes du Sud (« l’odeur du magnolia, douce et fraîche/et soudain l’odeur de la chair qui brûle ») ont déjà fait leur chemin. Ils ont été publiés, au milieu des années 30, dans un bulletin syndical des enseignants new-yorkais par Abe Meeropol, professeur d’un lycée du Bronx.
A l’origine, Strange Fruit n’est qu’un court poème, Bitter Fruit, (« fruit amer »), inspiré par la photo du lynchage de deux jeunes garçons noirs, à Marion dans l’Indiana. Abe Meeropol, qui se fait appeler Lewis Allan (et non Allen, comme le retranscrit Billie Holiday) pour préserver son anonymat, est un juif américain proche du parti communiste. Il met lui-même son texte en musique et on le reprend régulièrement en chœur dans les meetings politiques. Jusqu’à ce que sa réputation parvienne aux oreilles de Barney Josephson, qui vient d’ouvrir le Cafe Society et n’imagine pas qu’on chante ailleurs ces quelques lignes qui font entrer la chanson contestataire dans un autre âge.
La plus grande chanson du XXe siècle
« C’est la plus affreuse des chansons, dira plus tard Nina Simone. Affreuse parce que violente et dévoilant crûment ce que les blancs ont fait aux miens. » Une des légendes accompagnant Strange Fruit veut que Billie Holiday n’ait pas été « bouleversée » quand Strange Fruit lui a été proposée par son employeur. « Indifférente » ou « mal à l’aise » selon les sources. Elle n’a toutefois pas tardé à se l’approprier et à en faire l’apogée de son tour de chant. Son premier enregistrement date du printemps 1939. Sur le label Commodore, qui a élu domicile dans un petit magasin de la 52e rue, et non sur les disques Columbia avec lesquels elle a signé un contrat : John Hammond, qui a découvert la chanteuse à 17 ans à Harlem, n’a pas voulu se mouiller.
Strange fruit devient vite un succès, mais c’est un succès gênant. Les militants de gauche l’envoient aux membres du Congrès pour les mobiliser. Le Sud ségrégationniste est encore très influent au sein des partis politiques et des médias et la radio passe peu le disque. C’est le bouche-à-oreille qui fait circuler les refrains scandaleux, attire une foule de fervents au Cafe Society et vaut à son auteur une audience très spéciale… celle de la Commission de la Chambre sur les affaires anti-américaines, qui veut savoir si le parti communiste a financé l’écriture de la chanson. Abe Meeropol reste ferme face à ses accusateurs. Quelques années plus tard, il adoptera les enfants d’Ethel et Julius Rosenberg, exécutés pour « espionnage au profit de l’URSS ».
Billie Holiday ne connaîtra rien des avancées de son peuple. Les années 40 et 50 sont pénibles. Dans l’Amérique du maccarthysme, certains clubs refusent qu’on joue Strange Fruit. La chanteuse est obligée de l’imposer contractuellement. Certains soir, elle se plaint des serveurs qui font volontairement tinter leur caisse enregistreuse pendant toute la durée de la chanson. En 1944, elle est à deux doigts d’ouvrir la gorge d’un marin qui la traite de « négresse » A un ami qui l’interpelle, un jour sur une avenue de New York (« comment va la Lady Day ? ») elle répond : « Bof, tu sais, je suis toujours nègre ».
Dans la lente descente narcotique de ses dernières années, Strange Fruit est un morceau toujours plus pesant et douloureux qu’elle ne parvient pas toujours à le chanter. Elle meurt à 44 ans, en 1959. En 1999, Time Magazine décrète que Strange Fruit est la plus grande chanson du XXe siècle.
Directeur de recherche au CNRS, Emmanuel. Négrier co-dirige le livre : « Festival de musique un monde en mutation » qui osculte la redéfinition des pratiques.
Un festival de musique pour quoi faire ? Peut-on identifier un socle de valeurs commun des politiques soutenant ces festivals ? Emmanuel Négrier pour la France, Michel guérin pour la Belgique, Lluis Bonet pour l’Espagne croisent leurs expériences autour de ces questions. Après l’avènement de l’économie de marché dans le domaine artistique et les défis que cela induit pour l’intervention publique, les festivals se retrouvent désormais au coeur des politiques culturelles.
Quel rôle vont tenir les festivals dans le mouvement engagé de requalification des enjeux artistiques en enjeux des industries créatives ? Les trois chercheurs qui viennent d’assurer la codirection d’une étude à partir d‘un panorama international ( limité au champ musical) de 390 festivals livrent des éléments de réponse dans un ouvrage qui vient de paraître*. Le livre propose un double parcours. Une première partie fait le bilan des résultats de l’enquête. La seconde partie analyse le déploiement du modèle festivalier dans neuf pays.
L’étude des festivals présente un intérêt particulier et quelques difficultés de comparaison en raison du foisonnement, de leurs diversités et de leur envergure financière très hétérogène. 10% des festivals modestes ne dépassent pas un budget de 45 000 euros et les 10% des plus puissants dépassent 2,1 millions d’euros.
Depuis les années 70, les festivals ont connu une croissance continue. Un essor à croiser avec celui des pouvoirs locaux, ou le retour de la démocratie pour des pays comme l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Attachés à leurs contextes territoriaux, les festivals sont aussi liés à la personnalité de leur fondateur et aux collectivités qui assurent une partie de leur financements.
« Le festival présente l’avantage de répondre à des perspectives aussi diverses que la démocratisation culturelle, la légitimation des pouvoirs locaux, la transformation des genres artistiques, la diversité culturelle» , souligne Emannuel Négrier. Faut-il y voir une prédestination à servir de vitrine ? Les festivals s’y prêtent, en raison de leur caractère temporaire, festif et commercial par opposition à la permanence, au « sérieux » des programmations culturelles publiques. Comme il pourrait être un moyen de s’en affranchir à moindre coût.
L’étude fait ressortir l’articulation des festivals avec les saisons régulières. Ces structures disposent toujours d’un bon potentiel de développement lié à leur profil qui les inscrit facilement dans un univers de gestion privé avec l’aide de fonds publics dont ils ne peuvent se couper.
Jean-Marie Dinh
* Festivals de musique un monde en mutation, éd. Michel de Maule.
Nova nous sort son coffret, un intense travail de défrichage musical où la forme rejoint le fond. Ce n’est pas le premier coffret Nova, mais celui-ci est façonné comme un luxueux livre de recettes. Haute Musique est bien un objet de gourmandise autant que de convoitise. En 10 CD, les artisans du Grand Mix, Max Guiguet et Emile Omar, brossent un panorama sonore remarquablement circonstancié des mois écoulés, truffé de subtiles incursions entre les immortels et les horizons plus lointains. Reste le présent avec les découvertes du moment qui ne livrent leur nectar qu’au bout de plusieurs écoutes. Ce petit accordéon, orange claquant, se fait une haute idée de la musique, et poursuit la politique fouineuse, curieuse, sans préjugés ni chronologie menée par Radio Nova. Une reprise des Philistins, de Brassens par un Suédois, Olle Nyman, mais aussi Frank Ocean, Charles Mingus, SBTRKT, J. P. Nataf ou Patrick Watson… Bref, un très beau travail qu’il serait désastreux de ne pas soutenir, d’autant que le prix de 50 euros est très raisonnable pour plus de 10 heures de musique, 10 CD et 115 titres. Laissez-vous surprendre.