Le projet de loi travail, que les sénateurs ont adopté, mardi 28 juin, par 185 voix contre 156, n’a plus grand-chose à voir avec la copie qui leur avait été présentée, au départ. Examiné du 13 au 24 juin, le texte a, en effet, été réécrit en profondeur. Pour la majorité sénatoriale, formée par les groupes LR et UDI-UC, il s’agissait d’esquisser la trame d’une vaste réforme du droit du travail en cas d’alternance en 2017. Les débats ont aussi confirmé que le projet de loi, porté par la ministre de l’emploi, Myriam El Khomri, continuait de susciter de vives critiques à gauche – en particulier chez plusieurs élus socialistes.
Parmi les dispositions les plus emblématiques approuvées au palais du Luxembourg, il y a l’abrogation pure et simple des 35 heures. Elle a été votée lors de l’examen de l’article 2 du texte, qui consacre la primauté des accords d’entreprises sur ceux signés par les branches en matière de temps de travail. Une mesure dénoncée par plusieurs syndicats et par une partie de la gauche, car elle serait de nature à encourager le moins-disant social entre les sociétés d’un même secteur. Les sénateurs de droite et du centre, qui étaient favorables à l’article 2, l’ont amendé en supprimant la notion de « durée légale du travail » pour la remplacer par une « durée de référence » qui serait fixée par accord d’entreprise ; en l’absence d’accord, les salariés repasseraient aux 39 heures par semaine.
En matière de temps de travail, toujours, le Sénat a mis fin à l’obligation (assortie de dérogations) pour les chefs d’entreprises de signer des contrats d’au moins 24 heures avec leurs salariés employés à temps partiel.
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« Droit à la déconnexion »
Autre changement de taille, qui répond à une attente du monde patronal : le relèvement des « seuils sociaux ». Désormais, les entreprises ne seraient tenues d’organiser l’élection de délégués du personnel que lorsqu’elles comptent au moins 20 salariés, contre 11 à l’heure actuelle. Pour la mise en place d’un comité d’entreprise (CE) et d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), l’obligation ne jouerait qu’à partir du moment où l’entreprise emploie plus de 100 personnes (contre 50 aujourd’hui).
Un temps envisagé, puis retiré à la mi-mars sous la pression des syndicats, le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement « sans cause réelle et sérieuse » a été rétabli à l’initiative de la majorité sénatoriale. Selon elle, une telle mesure permet d’atténuer la peur d’embaucher chez de nombreuses PME. Le « droit à la déconnexion », inscrit dans le projet de loi afin que les salariés « coupent » leur smartphone ou leur PC durant leur temps de repos et de congés, a été allégé, notamment en retirant l’obligation d’élaborer une charte de la déconnexion dans les entreprises de plus de 50 personnes. Enfin, la généralisation de la garantie jeunes a également été supprimée.
Le texte, voté par les sénateurs, présente « des différences assez marquées avec notre version, notamment sur le dialogue social », explique-t-on dans l’entourage de Mme El Khomri. « Le Sénat, ajoute-t-on dans l’entourage de la ministre, a arrêté des propositions plus proches de celles du patronat. On peut par ailleurs voir que ce qu’ils ont adopté fait écho aux propositions qu’on lit dans les programmes des primaires des uns et des autres. »
Contestation sociale
Le gouvernement cherche ainsi à tirer partie des débats au Sénat pour montrer que sa version, adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, est mieux-disante pour les salariés que celle concoctée par l’opposition. Et il entend bien revenir à cette mouture-là de la réforme. Toutefois, certaines mesures votées au palais du Luxembourg pourraient être conservées, pense Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur du texte au Sénat et sénateur (LR, Yonne). Notamment celle qui autorise les entreprises à instaurer le « principe de neutralité » : votée avec un avis favorable de Mme El Khomri, elle vise à encadrer « la manifestation des convictions des salariés » – en visant tout particulièrement les croyances religieuses.
Aussitôt après son adoption au Sénat, mardi, le texte devait faire l’objet d’une commission mixte paritaire – qui n’a aucune chance d’aboutir à une position commune des deux chambres. Il sera de nouveau examiné par l’Assemblée, d’abord en commission des affaires sociales, jeudi, puis en séance, à partir du 5 juillet. Dans l’intervalle, Manuel Valls reçoit, mercredi et jeudi, les organisations syndicales et patronales afin de faire le point sur le texte. Tout l’enjeu maintenant est de savoir si l’exécutif acceptera de revoir sa copie pour désamorcer la contestation sociale, amadouer les frondeurs et s’épargner un nouveau recours au 49.3 pour faire passer la réforme.
Sarah Belouezzane et Bertrand Bissuel
Source Le Monde